La régulation de la finance et ses limites

, par Laure Bouet

Des banques sous-capitalisées, une grosse prise de risques, un fort aléa moral, une supervision défaillante constituent des facteurs de la crise financière de 2007-2009 qui s’est traduite par des coûts sociaux et fiscaux élevés supportés notamment par l’économie réelle (Thomas MIROW). Par conséquent, la crise financière a remis en cause le postulat d’autorégulation des marchés et a mis en exergue les échecs de la régulation financière antérieure. La régulation micro-prudentielle et la discipline du marché ont montré leurs limites.

D’après la définition du dictionnaire Le Robert (1985), la régulation est le « fait d’agir sur un système complexe et d’en coordonner les actions en vue d’obtenir un fonctionnement correct ou régulier ; processus par lequel un mécanisme ou un organisme se maintient dans un certain équilibre, conserve un régime déterminé ou modifie son fonctionnement de manière à s’adapter aux circonstances. ». En économie, la régulation concerne un marché ou un type de marchés ou l’ensemble du système économique et désigne les mécanismes et les moyens permettant d’en assurer le bon fonctionnement. Pour certains, l’intervention régulatrice des pouvoirs publics ne doit pas nuire au libre jeu des forces du marché et doit favoriser le fonctionnement de la main invisible (Adam SMITH, La richesse des nations). En revanche, pour d’autres, la régulation doit modifier le fonctionnement de certains marchés en fonction d’objectif d’intérêt général. La régulation vise dans ce cas à inciter les acteurs à orienter leurs comportements tout en les laissant libres d’agir dans ce cadre. Les marchés financiers ont pour objectif de faire se rencontrer les besoins des acteurs, par exemple ceux qui cherchent des capitaux et ceux qui souhaitent placer les capitaux dont ils disposent. Les actifs qui s’échangent sur ces marchés sont des actions, des obligations, des crédits à court terme, des devises, des matières premières, etc. Ces actifs peuvent être échangés sous différentes formes : transaction au comptant (spot), à terme (forward), option d’achat ou de vente ou produits dérivés complexes (Rémi BACHELET [1]). L’interrelation entre les intermédiaires financiers entraîne le risque de faillite d’une institution financière qui génère à son tour un effet en chaîne déstabilisant le système financier et l’économie réelle (risque systémique). En parallèle, les marchés financiers se caractérisent intrinsèquement par l’instabilité et non pas par un processus menant vers l’équilibre entre l’offre et la demande. Autant de raisons qui justifient l’intervention des régulateurs afin de garantir l’organisation du fonctionnement des marchés, l’information et la transparence des acteurs et la protection des épargnants.

Comment les États interviennent ou prévoient d’intervenir face à ce constat d’échec ? Les propositions en termes de régulation paraissent-elles suffisantes ? Nous tenterons de répondre à ces questions.

Nous allons nous interroger sur les évolutions et les avancées de la régulation financière à la suite de la crise de 2007-2009 et de ses effets systémiques sur l’économie réelle. Cette réflexion nous permettra, ensuite, d’aborder les failles de la régulation post-crise de 2007 et de soumettre quelques perspectives de changements.

 I) Les évolutions récentes de la régulation financière

A) Un certain consensus au niveau international

La crise du régime de croissance financiarisé à l’extrême a provoqué des changements structurels qui nécessitent des réformes internes aux puissances mondiales, d’après Michel AGLIETTA [2]. Ces réformes constituent le point de départ d’une évolution internationale et les relations internationales s’apaiseront grâce à un renforcement de la régulation financière. Les évolutions internationales paraissent aller dans le sens d’une harmonisation de la régulation de la finance. En effet, le G20 de Londres en avril 2009 impulse la création du Conseil de Stabilité Financière (Financial Stability Board) se substituant au forum de stabilité financière. Il regroupe des autorités financières nationales tels que des régulateurs (Autorité des marchés financiers, etc) et des banquiers nationaux (Banques Centrales, Ministères des finances, etc.), plusieurs organisations internationales et groupements élaborant des normes dans le domaine de la stabilité financière (OCDE, Banque mondiale, FMI, Commission européenne, etc.). Le G20 lui incombe pour mission de coordonner l’élaboration et la mise en pratique de nouvelles régulations.

Les nouvelles normes dites de Bâle III, validées par le sommet du G20 de Séoul en novembre 2010, s’inscrivent dans un mouvement de renforcement de la réglementation de la sphère financière voulu par le G20. Les accords de Bâle III prévoit une amélioration de la qualité des fonds propres des établissements bancaires pour renforcer leur capacité à absorber des éventuelles pertes. Une nouvelle définition des fonds propres plus restrictive est donnée en excluant des produits hybrides innovants. Le niveau des fonds exigés est rehaussé à l’horizon 2019 même si le montant des fonds propres n’a ni déclenché, ni solutionné la dernière crise financière. En outre, le ratio de solvabilité des banques représentant le montant minimum de capital pour couvrir les risques pris et pour essuyer les pertes en évitant de recourir à l’aide étatique sera rehaussé d’ici 2019. Le ratio de solvabilité Tier one, noyau dur des capitaux propres des institutions financières, passera de 2% à au moins 4,5% en 2019. Le Comité de Bâle envisage d’introduire un ratio de liquidité à court terme (Liquidity Coverage Ratio) pour que les banques soient plus enclines à résister à une situation d’illiquidité temporaire ainsi qu’un ratio de liquidité à long terme pour inciter les banques à recourir à des ressources stables pour financer leurs activités. La dernière crise a montré qu’une institution financière pouvait être solvable et ne pas trouver les liquidités nécessaires sur le marché, le ratio de solvabilité ne suffisant pas à protéger un problème de liquidité. Enfin, le comité de Bâle III prévoit la création d’un ratio de levier (rapport non pondéré des actifs sur les fonds propres) pour atténuer les fluctuations de la quantité de fonds propres et en améliorer son niveau. Le sommet du G20 à Cannes du 3 et 4 novembre 2011 a permis d’obtenir un consensus sur un cadre rénové de règles applicables aux banques suite aux difficultés de 2007. Ce cadre rénové comprend, au préalable, l’obligation d’application de l’accord Bâle II sur le capital des banques, des exigences de capital renforcées sur les activités de marché et de titrisation (Bâle II-5), particulièrement impactées par la crise des subprimes, et de nouvelles règles de capital et de liquidité permettant « de renforcer à la fois la qualité et la quantité du capital des banques grâce à une définition plus stricte des fonds propres et un renforcement quantitatif des exigences en fonds propres (le ratio de solvabilité minimum que les banques devront atteindre sera compris entre 10,5 % et 13 % contre 8 % sous Bâle 2). De nouveaux ratios (liquidité et levier) et de nouvelles exigences sur les opérations de dérivés sont mis en place. » [3].

Un traitement particulier est prévu pour les institutions dites d’importance systémique, les Global SIFI (Systemically Important Financial Institution), au niveau mondial repérées comme telles par le Comité de Stabilité Financière [4]. La remise en cause du postulat « too big to fail » par la faillite de Lehman Brothers et ses répercussions au reste du système a convaincu les dirigeants du G20 d’adopter une série de mesures pour éviter une telle situation. Elle consiste à renforcer le contrôle de ces établissements et à obliger les États à se doter de régimes spéciaux de résolution des crises bancaires. Elle prévoit, également, d’obliger les G-SIFIs de soumettre aux autorités des plans de redressement et de résolution des crises et des accords de coopération d’ici la fin 2012. Les autorités devront imposer des surcharges en capital pour ces mêmes banques à partir de 2016. Les accords de Bâle II n’ont pas été appliqués par les États-Unis mais il est probable qu’ils respectent les accords de Bâle III au moins pour une dizaine de grands établissements financiers. L’Union Européenne a pris le parti d’imposer les normes Bâle III à tous les établissements de crédits et à toutes les entreprises d’investissement et pas seulement aux banques internationales. En revanche, la réglementation américaine avec les textes du « Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act » risque de s’imposer à des banques européennes.

Les régulateurs nationaux cherchent un consensus sur certaines mesures au niveau international. Au sein de l’Union européenne, le souhait d’harmoniser les règles semble présent et la procédure est en marche.

B) Une harmonisation progressive des régulateurs nationaux dans l’Union européenne

Le Conseil et le Parlement européens examinent la proposition CRD 4 [5] de la Commission européenne. Cette proposition se décline en deux textes juridiquement différenciés mais étroitement liés par un projet commun. Le premier est un projet de directive intitulé « directive sur l’accès aux activités des établissements de crédit et sur la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement », qui reprend une partie du titre et du contenu de la directive 2006/48/CE du 14 juin 2006 et qui s’y substituerait. Le second est un projet de règlement intitulé « règlement sur les exigences prudentielles des établissements de crédit et des entreprises d’investissement », qui se substituerait à la directive CRD modifiée 2006/49/CE du 14 juin 2006. La proposition CRD 4 transpose l’accord de Bâle III et comprend également des dispositions propres à l’Union Européenne. Tout d’abord, le recours à un règlement signifie la volonté d’une harmonisation des règles prudentielles des établissements de crédit et des entreprises d’investissement au sein des pays membres de l’Union Européenne (un règlement européen s’applique directement dans l’ensemble de l’UE sans transposition nationale). En outre, la CRD 4 prévoit de confier, à l’Autorité Bancaire Européenne, l’interprétation des mesures techniques en précisant la manière d’appliquer les textes auprès des autorités de régulation nationales. Ces dernières se concentreraient sur leur rôle de surveillance. Enfin, elle souhaite renforcer les pratiques de surveillance et les pouvoirs de sanctions en fixant, par exemple, des critères minima pour appliquer des sanctions en cas d’infraction et la publicité des sanctions prononcées. En dehors des mesures propres à l’Union Européenne, la CRD 4 prévoit l’application la plus proche possible de l’accord du comité de Bâle III en l’adaptant au contexte européen. Elle reprend le renforcement de la gouvernance des institutions financières en proposant notamment l’interdiction du cumul des fonctions de président du conseil d’administration ou du conseil de surveillance (selon la forme choisie) et de directeur général ou la mise en place d’un comité des risques distinct du conseil.

Concernant la régulation des marchés dérivés, la directive Alternative Investment Funds Managers [6] présente une avancée significative en visant les gérants des fonds alternatifs dont les fonds d’investissement spéculatifs et les fonds de capital investissement font partis mais aussi les fonds immobiliers, les fonds de matières premières, etc. Les États membres ont jusqu’au 22 juillet 2013 pour transposer la directive en droit national. La Directive prévoit qu’en contrepartie d’une supervision et d’une réglementation accrues les fonds alternatifs se voient offrir la possibilité de commercialiser leurs produits financiers dans tous les États membres de l’UE en obtenant un passeport européen. Ce dernier sera introduit le 1er janvier 2013. Les sociétés de gestion gérant des fonds alternatifs s’engageront pour évaluer une fois par an la valeur des actifs des fonds qu’elles gèrent. Elles devront, également, s’assurer de la présence d’un dépositaire pour chaque fonds géré. Elles seront soumises à un code de bonne conduite (obligation de faire preuve d’honnêteté, de loyauté, etc.) et à des règles pour assurer une gestion saine des risques (séparer la fonction de gestion des risques et la fonction de gestion des portefeuilles, etc.). Le champs de compétences de l’European Securities and Markets Authority [7] (ESMA) sera, peu à peu, élargie, par exemple, à l’harmonisation de la mise en œuvre de l’octroi du passeport européen et à d’autres problématiques qui pourraient demain émerger.

En Europe, la faiblesse est qu’il n’existe aucune loi cadre en matière de réglementation financière. Seules des directives prévoient un certain nombre de mesures en faveur d’une plus grande régulation. En dehors des frontières de l’Europe, la régulation des marchés financiers renforce également.

C) Un renforcement de la réglementation en dehors de l’Union Européenne

Face à l’effondrement des marchés de crédit en 2008, les législateurs américains ont proposé avec le « Dodd Frank Act » le premier texte de réforme globale des activités financières depuis la crise financière de 2007-2008. Cette loi renforce les compétences et les moyens budgétaires des autorités de régulation. Le « Dodd Frank Act » prévoit des contraintes supplémentaires pour les institutions systémiques en créant des standards prudentiels davantage renforcés. La règle VOLCKER introduite dans la loi modifie les règles d’encadrement des activités bancaires en interdisant aux banques de cumuler des activités bancaires de marché pour compte propre ainsi que de posséder, de promouvoir et d’investir en capital dans les hedge funds. Même si le « Dodd Frank Act » confie à la Securities and Exchange Commission (SEC) la supervision de certains éléments constitutifs du système bancaire parallèle non régulé (Shadow Banking System), cette loi ne le soumet pas aux mêmes contraintes que le système bancaire régulé. Par exemple, les hedge funds n’ont pour obligation que de s’enregistrer auprès de la SEC au-delà d’un certain seuil d’actifs sous gestion. Au delà, les managers de hedge funds gardent toute liberté en termes de rémunérations et de domiciliation offshore. Ce constat pourrait inciter au déplacement des risques vers le système bancaire parallèle ou vers des entités plus petites moins soumises à la réglementation financière. Avec cette loi, Michel AGLIETTA souligne que les seules restrictions possibles concernent les hedge funds qui pourraient être considérés comme des entités à importance systémique par le nouveau conseil de stabilité financière et seraient, par conséquent, contrôlés plus strictement au titre de la prévention du risque systémique.

Pour renforcer la stabilité financière, Michel AGLIETTA explique que les pays émergents ont, également, déployé des moyens pour rendre les systèmes financiers domestiques plus robustes. Ils ont cherché à maintenir la qualité du crédit, à en contrôler la quantité et à renforcer les bilans bancaires. Pour cela, les autorités prudentielles des pays émergents exigent des ratios de capital plus élevés que les minima de Bâle III. La Commission de régulation bancaire de Chine a annoncé le renforcement des exigences et l’application de critères plus stricts envers le système bancaire et une supervision plus accrue des institutions bancaires à importance systémique. Par exemple, le ratio minimum de capital est fixé à 10,5% des actifs pondérés pour les banques contre 7% préconisé par l’accord de Bâle III ainsi qu’un ratio de levier simple de 4% des actifs non pondérés contre 3% prévu par Bâle III. Pour améliorer la qualité du crédit et pour en contrôler la croissance, les autorités de régulation des pays émergents ont développé des outils tels que des plafonds sur les ratios dettes/revenu pour les ménages en Chine, Corée et Thaïlande ou la modulation des taux de réserves obligatoires des banques pour maîtriser la liquidité globale.

Face aux effets de la crise de 2007-2009, chaque pays a édicté ses propres règles en matière de régulation financière. Selon l’analyse réalisée par Cécile CHOULET [8], le manque de convergence et de cohérence en matière de régulation entre les grandes puissances économiques risquent de créer des distorsions de concurrence et d’ouvrir la voie à de l’arbitrage réglementaire, au détriment de la stabilité financière.

Pour résumer, l’impact de cette dernière crise financière a mis en évidence les erreurs de régulation et de supervision financière ainsi que l’inefficacité de la loi de marché. Ce constat a contribué au renforcement de la régulation bancaire et financière ces trois dernières années. Cependant, pour reprendre les propos de Catherine LUBOCHINSKY [9], il s’agit d’un « chantier dantesque » où « les problèmes de fonds n’ont pas été résolus » et qui se « heurtent aux acteurs financiers qui ont du mal à accepter que l’une des premières conséquences » de la régulation « soit une baisse de leur rentabilité ». Par conséquent, nous allons aborder les insuffisances de la régulation qui est en train d’émerger.

 II) Les failles de la régulation financière actuelle

A) Un système bancaire parallèle peu régulé

La supervision et la réglementation financière concernent notamment les banques commerciales et négligent le shadow banking system (le système bancaire parallèle non régulé) qui englobe les banques d’investissement, les hedge funds, les fonds de private equity et les structures ad-hoc opérant dans les marchés de crédit structuré et qui fonctionne hors-système et donc quasiment sans régulation face aux banques régulées. Le conseil de stabilité financière (FSB) propose une définition du shadow banking system comme « un système d’intermédiation de crédit impliquant des entités et des activités hors du système bancaire traditionnel, et qui soulève des craintes de risque systémique – en particulier en termes de transformation des maturités/liquidités, de levier et de transfert du risque de crédit imparfait – et/ou des craintes d’arbitrage réglementaire ». Les réformes n’ont pas couvert tous les risques existants. En effet, la réglementation s’est concentrée sur le système bancaire formel et non sur le système financier parallèle. Les acteurs régulés apparaissent de plus en plus contraints par la nouvelle régulation alors que les acteurs non régulés ne le sont pas ce qui accroît le risque du système. Cette faille est d’autant plus importante que le shadow banking system représente environ 16 000 milliards d’actifs, soit plus que le secteur bancaire régulé (13 000 milliards d’actifs). Anton BRENDER [10] explique que, dans toute la première partie des années 2000, les banques commerciales ont créé des véhicules financiers où elles ont logé des opérations qui auraient été soumises à une réglementation si elles étaient restées dans leur bilan les rendant moins rentables, voire impossibles. Ces véhicules hors bilan, qui ont constitué une part importante du système bancaire parallèle, ont accumulé des risques de crédit et de liquidité dans des proportions dangereuses et ont favorisé la propagation de la crise. Les autorités prudentielles ont pourtant accepté ces pratiques car les risques accumulés se trouvaient en dehors du bilan des banques surveillées. La crise a pourtant bien souligné les risques liés aux activités financières non régulées mais le shadow banking system reste encore peu concerné par la régulation financière. Catherine LUBOCHINSKY montre que la mise en place de réglementations trop complexes favorise l’émergence d’organismes hors système bancaire, le système parallèle profitant d’arbitrages réglementaires. Or la régulation doit offrir un environnement où les entreprises d’un marché donné suivent les mêmes règles et ont les mêmes capacités à être compétitives (level playing field) car les distorsions de concurrence présentent des effets externes négatifs et dénaturent la finalité des règles. C. LUBOCHINSKY propose également de simplifier les règles car la complexité des règles incite les acteurs à les contourner et ne permet que la création d’emplois de juristes ou d’experts de la régulation. Elles rendent le travail des régulateurs très difficiles. Il lui paraît donc nécessaire de simplifier la régulation. Enfin, C. LUBOSHINSKY stipule que la régulation bancaire et financière devrait avoir pour objectif de réduire la probabilité d’occurrence des crises et de limiter leur ampleur et leurs conséquences sur l’activité économique car, en effet, ce n’est pas aux contribuables à prendre en charge, en priorité, les pertes d’une crise systémique.

Le manque de réglementation concernant le shadow banking system n’est pas la seule faille du système de régulation actuel.

B) Des disparités au niveau mondial, fracture de la régulation

Les marchés financiers sont globaux et font face à des régulateurs nationaux qui manquent d’homogénéité et d’harmonisation comme nous avons pu le voir dans la première partie. En outre, les places offshore apparaissent comme des zones de non droit qui échappent aux réglementations financières communes et qui couvrent la totalité des activités de la banque d’investissement, de l’assurance, de la gestion d’actifs et de la gestion des fortunes privées. Les centres offshore [11] sont des places organisées par certains États ou territoires qui réservent des règles spécifiques aux seules opérations internationales n’ayant aucun lien avec l’activité économique au sein du pays. Les centres offshore tels que les îles Caraïbes, les îles anglo-normandes, le Lichtenstein, Hong-Kong, Singapour, Gibraltar n’exercent aucune imposition fiscale, ni régulation financière et la taille des actifs financiers est démesurée par rapport à l’économie territoriale. Les centres offshore exercent des activités, essentiellement financières, destinées aux seuls non-résidents. Le Luxembourg constitue un des principaux destinataires des fonds en provenance des places offshore en ré-allouant, ensuite, ces fonds dans les grands centres financiers du monde. Londres est le premier pôle d’interconnexion de toutes les places offshore. Selon R. RAJAN, les centres offshore apparaissent comme « des lignes de fracture de la régulation prudentielle ». Ces centres offshore posent problème car ils sont très imbriqués avec les principaux centres financiers et jouent un rôle important dans le déplacement des risques pour leur dissimulation et dans l’évasion fiscale. Le défaut de transparence de ces territoires ne permet pas de mesurer l’intensité dans leur participation au risque systémique. L’exemple de PARMALAT montre que l’opacité des montages offshore ont permis d’importantes fraudes qui ont ébranlé les marchés financiers. La petite firme familiale de distribution de lait pasteurisé PARMALAT établie dans les environs de Parme dans les années 1960 a connu une forte ascension. Dès 1974, elle se mondialise en multipliant les filiales et en créant des sociétés relais dans des territoires offrant des facilités fiscales (île de Man, Pays-Bas, Luxembourg, Autriche, Malte) puis dans des paradis fiscaux (îles Caïmans, îles Vierges britanniques, Antilles néerlandaises). Un endettement massif de PARMALAT de 14 milliards d’euros fût sciemment dissimulé aux investisseurs, pendant des années, au moyen d’un système frauduleux (malversations comptables, faux bilans, documents truqués, bénéfices fictifs, etc.). Après l’introduction en bourse, a commencé un empilement à grande échelle de sociétés offshore, empilement destiné à organiser un système à forte opacité dissimulant les fragilités financières croissantes du groupe et les abus de biens sociaux de ses dirigeants. Ce système s’est écroulé lorsque PARMALAT a présenté un faux document aux actionnaires attestant de la détention de 3,95 milliards d’euros. La valeur des titres boursiers s’effondre et les actionnaires se retrouvèrent floués. Cet exemple montre que les sociétés ont les capacités de localiser leurs actifs dans des zones géographiques moins bien régulées que d’autres et la régulation des marchés financiers en devient d’autant plus difficile. Par conséquent, les régulateurs doivent harmoniser leurs normes et leurs actions pour faire face à l’internationalisation des acteurs régulés.

Les régulateurs doivent également faire face aux perpétuels changements en matière d’innovation financière.

C) Un manque de dynamisme de la régulation face à l’innovation financière

La directive européenne sur les marchés d’instruments financiers (directive MIF), entrée en vigueur le 1er novembre 2011, vise à organiser au sein de l’Union européenne une concurrence des différents régimes d’exécution d’ordres pour faciliter l’efficience des marchés, réduire le coût d’accès au capital et les frais d’exécution des ordres tout en assurant la protection des intérêts des investisseurs et la transparence des marchés. L’observation faite par Jean-Claude BASSIEN [12] trois ans plus tard est certes la fin des modes historiques de négociation et de la centralisation des ordres mais ces phénomènes se sont accompagnés d’une hyper fragmentation et d’une opacité grandissante du processus de formation des prix. Jean-Claude BASSIEN nous apprend, également, que la mise en concurrence des différents lieux de négociation a fait qu’un tiers des volumes pour les « large caps » (grandes capitalisations supérieures à 5 milliards d’euros) sont réalisés en dehors des marchés historiques et 40% de l’ensemble des volumes sont traités par de nouveaux acteurs nommés « traders à haute fréquence ». Le trading à haute fréquence consiste à recourir de façon automatisée à des algorithmes et des technologies sophistiqués pour repérer et exploiter les micro-mouvements de marché avec une échelle de temps d’une dizaine de millisecondes. L’avantage compétitif des traders à haute fréquence réside dans l’optimisation du temps de latence, c’est-à-dire le temps qu’un ordre met pour être envoyé sur le marché. Au cours de ces dernières années, certains fonds ont payé pour disposer d’un hébergement de proximité, c’est-à-dire pour installer leurs serveurs près des systèmes d’échanges des places de négociation pour gagner des microsecondes et optimiser le temps de latence. Ces pratiques ont été mises en lumière par le « flash crash » du 6 mai 2010. En quelques minutes, l’indice Dow Jones a connu une chute historique avant d’effacer cette perte tout aussi vite. Elles présentent des attraits mais aussi des limites car, en effet, elles perturbent le processus de formation des prix mais, en contrepartie, contribuent à favoriser la liquidité des marchés. Par conséquent, la diversité des intervenants, la sophistication et la rapidité des interventions nécessitent une adaptation de la part du régulateur pour apporter des réponses adaptées. Selon M. AGLIETTA, les frontières de la régulation doivent pouvoir tenir compte des innovations et des recompositions de la finance. Depuis les années 2000, la finance de marché est révolutionnée par une innovation montante qui concerne de plus en plus les pays émergents, celle des Exchange-Traded Funds (EFTs). Les EFTs sont des fonds négociables sur une bourse. Ces fonds chassent des indices ayant pour supports des matières premières, des actions ou des obligations du monde entier. Ils peuvent être achetés par des investisseurs institutionnels et par des hedge funds mais aussi par une clientèle individuelle qui n’a aucune idée des risques qu’elle achète. Les grands fournisseurs des EFTs sont les hedge funds. Les flux massifs d’achats de EFTs exacerbent la volatilité des cours déconnectant les prix des marchés des fondamentaux et des flux de capitaux flottants avec les possibilités de reflux brutal. Par conséquent, des épisodes de « flash crash » comme celui de mai 2010 peuvent avoir lieu et provoquer des pertes importantes. Le développement des EFTs accroît les corrélations entre les marchés, donne accès aux marchés à la clientèle individuelle non avertie et favorise la vente des EFTs à découvert. Or, les régulateurs sont en retard sur des innovations comme les EFTs et se heurtent à leurs incapacités à établir une régulation unifiée des marchés dérivés. Ces évolutions mènent à nous demander s’il faut réguler plus ou surveiller mieux. Anton BRENDER suggère de remédier à la passivité de la régulation et d’exercer une surveillance dynamique pour faire face à l’innovation financière et adapter la régulation. Selon lui, « dans un système financier correctement surveillé, un arbitrage réglementaire devrait, par définition, être impossible à pratiquer longtemps. ». Cette proposition vise à ce que la réglementation bancaire et financière s’adapte de manière continue aux évolutions des pratiques financières. Malgré une instabilité des règles et un caractère quasi discrétionnaire du régulateur, cette approche dynamique permettrait de concilier innovation et stabilité financière. Le retard du régulateur sur le régulé ne ne serait que la résultante d’une « mission mal définie et mal assumée ».

 Conclusion

En définitive, l’impact de cette dernière crise financière a mis en évidence les erreurs de régulation et de supervision financière ainsi que l’inefficacité de la loi de marché. Ce constat a contribué au renforcement de la régulation bancaire et financière ces trois dernières années. Malgré cela, des défaillances perdurent et des préoccupations subsistent concernant le développement du shadow banking system en dehors de toute régulation bancaire, la présence de zones géographiques qui échappent aux législations communes et sont comparables à des cancers qui minent la stabilité financière (M. AGLIETTA) et des innovations financières qui imposent une surveillance et une supervision dynamique des institutions bancaires et financières.

Malgré ces limites, nous pouvons nous apercevoir aisément que toutes les pistes en matière de régulation financière pour prévenir les crises ne sont pas abordées par les pouvoirs publics. A titre d’exemples, Jacques de LAROSIÈRE [13] souligne que les politiques monétaires centrées sur le contrôle de l’inflation des prix à la consommation ne prennent plus en charge la stabilité financière et ne maîtrisent plus les bulles de crédit et les prix des actifs. Il propose que les banques centrales surveillent les risques systémiques. Michel AGLIETTA corrobore cet argument en considérant la banque centrale comme un pivot de la politique macro prudentielle. En effet, la banque centrale est la seule à pouvoir assumer l’objectif de stabilité du système financier dans son ensemble et cet objectif doit avoir une place à part entière dans la politique monétaire. Les banques centrales, en coopérant avec toutes les catégories de superviseurs rassemblées dans un conseil du risque systémique, doivent renforcer le contrôle du crédit et lisser le cycle financier pour que les retournements déclenchent moins de crises et en limiter la gravité si elles se réalisent. Par conséquent, la politique macro prudentielle doit avoir une dimension contra cyclique. Une autre proposition émise par le FMI consiste à taxer tous les intermédiaires financiers pour prévenir les crises et financer un fonds de résolution des crises dans lequel puiser en cas de défaut de l’un des contributeurs. Cette taxe serait proportionnelle au risque que les établissements font encourir au système financier. Mais pour le moment ces propositions connaissent peu d’échos.

 Sources

Conférence lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2011

« Finance mondiale : les États doivent innover. », session 8, le samedi 9 juillet. Interventions de Catherine Lubochinsky, Anton Brender, Thomas Mirow, Jean-Claude Bassien, Michel Aglietta, Olivier Klein.

Bibliographie

  • Débat NYSE Euronext/Le cercle des économistes du 16 février 2012 à l’université Paris Dauphine « La fin de la dictature des marchés » - introduction de Jacques de LAROSIÈRE. http://www.lecercledeseconomistes.asso.fr/IMG/pdf/Intervention-J-deLarosiere_Euronext2012.pdf
  • Les nouveaux acteurs de la finance, Philippe Trainar et Jean-Hervé Lorenzi, 2008.
  • Le cas de l’autorité de régulation des marchés financiers, article de Hubert Reynier, Revue française d’administration publique 1/2004 (no109), p. 93-97. http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2004-1-page-93.htm. DOI :10.3917/rfap.109.0093.
  • Il faut laisser les marchés financiers s’autoréguler, article de Hélène Rainelli-Le Montagner in Petit bréviaire des idées reçues en management, La Découverte, 2008, p. 169-177. URL : www.cairn.info/petit-breviaire--9782707144508-page-169.htm.
  • Les principales novations de CRD 4, Pierre-Henri CASSOU, Revue Bancaire, 25/10/11.
  • Taxer les activités financières : un débat qui rebondit, article de Gunther Capelle-Blancard et Christophe Destais. La lettre du CEPII N°304, 23 décembre 2010.
  • Conférence Bâle 3, Les Echos : la synthèse, Jean-Claude Hazera. Bâle 3 : les banques échapperont-elles aux nouvelles réformes ? Les Echos 06/09/11
  • L’impact d’AIFM sur les fonds français, Revue Bancaire, le 17 novembre 2011 de Stéphane PUEL et Arnaud PINCE.
  • Le Dodd Frank Act : une vision américaine de la régulation financière, de Cécile CHOULET, Conjoncture, mai-juin 2011, p 27 à 43.
  • Taxer les activités financières : un débat qui rebondit, article de Gunther Capelle-Blancard et Christophe Destais, La lettre du CEPII, n°304, 23 décembre 2010.

Sitographie

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Notes

[1Maître de conférence, école centrale de Lille.

[2Professeur de Sciences économiques à l’Université Paris-X Nanterre, conseiller au CEPII.

[3D’après le bilan de la présidence française du G20 – Sommet de Cannes le 3 et 4 novembre 2011.

[6Directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n°1060/2009 et (UE) n°1095/2010.

[7Autorité européenne des marchés financiers qui remplace le CESR depuis le 01 janvier 2011.

[8Le Dodd Frank Act : une vision américaine de la régulation financière, de Cécile CHOULET, Conjoncture, mai-juin 2011, p 27 à 43.

[9Professeur à l’Université de Paris 2 Panthéon-Assas, Directeur du master Finance et membre du cercle des économistes.

[10Chef économiste de Dexia Asset Management et Professeur associé à l’Université Paris – Dauphine.

[11Définition : http://www.trader-finance.fr

[12Chevreux, Crédit Agricole Group, Intervenant à la session 8 de la Rencontre des économistes 2011 Aix-en-Provence

[13Président d’eurofi, débat NYSE Euronext/Le cercle des économistes, La fin de la dictature des marchés, 16 février 2012.

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