L’information financière en crise, Comptabilité et Capitalisme

, par Milan Vujisic

Fiche de lecture

Auteurs : Nicolas Véron, Matthieu Autret et Alfred Galichon - Editions Odile Jacob, mai 2004, 286 pages

Intérêt de l’ouvrage

Cet ouvrage présente tout d’abord l’intérêt d’être rédigé (bien que les auteurs s’en défendent pour ne pas se voir reprocher une vision partisane ) sinon par des experts comptables du moins par des praticiens de la gestion financière et des experts de l’information financière.
C’est de l’intérieur, grâce à une observation empirique minutieuse, que les auteurs mènent leur analyse critique pour sonder au plus près les enjeux de la comptabilité.
Les scandales financiers récents ( d’Enron à Parmalat en passant par Vivendi Universal ) et l’évolution des normes comptables, avec l’adoption des normes IAS/IFRS, ont soulevé la question de la fiabilité des données financières sur lesquelles repose une grande partie de l’activité des marchés des capitaux.
Les normes comptables ne sont pas neutres. Elles influencent les comportements des investisseurs et des dirigeants d’entreprises. Elles portent finalement en elles les traces d’éléments qui structurent notre système économique.
Les auteurs nous invitent à une sorte d’ « archéologie du savoir » pour nous aider à mieux comprendre les rapports qui se tissent entre les entreprises et les autres acteurs économiques. Nous réalisons que la comptabilité devient un élément d’intérêt public et que son évolution épouse étroitement les mutations du capitalisme.
Plus qu’une technique, dont la réputation est faite d’austérité, la comptabilité doit aussi être considérée comme un espace de règles et de connaissances aux champs disciplinaires variés nous amenant à appréhender intelligemment le système économique contemporain. Les normes comptables ne résultent pas uniquement de raisonnements rationnels et abstraits. Elles sont un miroir du capitalisme, elles reflètent les influences respectives des différentes parties prenantes à la vie des entreprises. Le capitalisme financier marque le retour des actionnaires et les normes comptables internationales en portent les stigmates.
Dans un ouvrage, paru en octobre 2004 et intitulé « Dérives du capitalisme financier »,
M. Aglietta ( un des pères de « l’école de la régulation  » en France) et A. Rebérioux en consacrant un chapitre entier aux « enjeux de la comptabilité » confirment cette prise de conscience.

 

Concepts et idées clés

Composition de l’ouvrage.

  • Prologue
  • Introduction
  • Partie I : Une discipline controversée
    • Chap 1 : Le langage commun du capitalisme
    • Chap 2 : Créativité comptable, distorsions et manipulations
    • Chap 3 : Les défis de la normalisation
  • Partie II : Le nouveau monde de l’information financière.
    • Chap 4 : Un nouveau capitalisme
    • Chap 5 : Les auditeurs sous surveillance
    • Chap 6 : Les investisseurs au pouvoir ?
    • Chap 7 : La régulation financière à la croisée des chemins
  • Annexe I : Etats financiers d’Artifice SA avant et après l’intervention sur les comptes
  • Annexe II : Quelques affaires financières mettant en cause l’information financière des entreprises : Ahold, AOL Time Warner, Crédit Lyonnais, Enron, Parmalat, Vivendi Universal et WorldCom.


Prologue :
Cette partie mérite une attention particulière. Dans un souci pédagogique, voir ludique, les auteurs débutent leur ouvrage par une « mise en situation » : le cas d’une société imaginaire, Artifice SA, entreprise cotée en bourse et spécialisée dans la production d’articles pyrotechniques. Cette société traverse une période difficile. Les comptes font apparaître une perte de 40 millions d’euros et une rentabilité des capitaux propres de - 8 %. Le président de la société fait appel à un spécialiste du redressement d’entreprises en difficultés. Mais celui-ci, au lieu de s’atteler à un nouveau projet industriel ou une redéfinition de la stratégie de l’entreprise, se contente de proposer un retoilettage des comptes.
Quelques tours de « passe-passe » comptables ( Déconsolidation du siège social, changement de valorisation des stocks, produits dérivés, stocks-options...) et les comptes de la société font apparaître des bénéfices et une rentabilité des capitaux propres de 15 %.
Tous ces montages sont réguliers, ils respectent scrupuleusement les normes comptables en vigueur.
Deux ans plus tard, Artifice SA est tirée d’affaire : ses bons résultats lui ont permis de réussir une grosse émission de titres sur le marché obligataire, puis d’investir dans de nouveaux équipements industriels.
L’impact des interventions de l’expert sur le bilan et le compte de résultat de la société est détaillé dans l’annexe 1.
Dès le départ, nous touchons du doigt les enjeux de la comptabilité  : la sauvegarde du tissu industriel et des emplois.
Mais tout cela n’a-t-il pas un prix ? Est-ce sans risque ? Qui devra payer la facture de cette alchimie comptable ? Les auteurs ne le disent pas encore mais l’on voit se dessiner la silhouette et le visage vindicatif de l’actionnaire floué.

 

PARTIE I : Une discipline controversée

Chapitre 1 : Le langage commun du capitalisme

La comptabilité financière est un langage commun qui permet de décrire dans les mêmes formes toutes les activités économiques et de les comparer entre elles. C’est une infrastructure vitale de l’économie de marché.

1) le retour sur les origines :

Les premiers témoignages écrits de l’histoire de l’humanité sont des documents comptables (« textes » sumériens d’il y a plus de 5000 ans)...
La vraie naissance de la comptabilité moderne a lieu en Italie à la fin du moyen âge. La « comptabilité en partie double » est codifiée en 1494 par Luca Pacioli qui fut le professeur de mathématique de L. de Vinci à Milan...
Les marchands de Gênes, de Venise et de Florence se regroupent en «  compagnie » pour partager risques et profits et mandatent des capitaines de vaisseaux pour des expéditions fructueuses.
Les propriétaires détachés de l’entreprise elle-même éprouvent le besoin d’un mécanisme élaboré pour suivre et contrôler à distance l’évolution de l’activité et vérifier que l’investissement est rentable. Dans la relation d’agence qui lie les propriétaires aux gestionnaires de l ‘entreprise se dessine le rôle et la mission de la comptabilité financière. Elle doit fournir une information pertinente et fiable pour assurer le contrôle des dirigeants par les actionnaires et cette information doit aussi être comparable d’une entreprise à l’autre et cohérente dans le temps.

2) De Venise à Houston :

Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, les évolutions de la comptabilité sont limitées.
Le développement des sociétés par actions à partir des années 1860 conduit à un développement spectaculaire des marchés de capitaux.
Cette période est aussi celle du développement des premiers cabinets d’expertise comptable indépendants et les actuelles grandes firmes mondiales d’audit y trouvent leur origine : William Deloitte crée sa firme à Londres en 1845...
Jusqu’à la première guerre mondiale, les entreprises cotées publient rarement un compte de résultat. Le krach boursier de 1929 est une étape clé dans l’histoire de la comptabilité moderne. Les lois boursières de 1933-34 figurent parmi les plus grandes du New-Deal.
Elles créent une autorité politique de surveillance et de régulation des marchés de capitaux, la SEC, et lui confient les missions de produire des normes comptables pour toutes les sociétés cotées. La première codification complète de ces normes, désignées sous le sigle US.GAAP, est publiée en 1953.
Les normes comptables apparaissent en France avec le plan comptable général en 1947. La loi de 1966 impose à toutes les sociétés de capitaux d’éditer leurs comptes individuels. La publication de comptes consolidés reste peu répandue en France jusqu’à ce qu’une directive européenne la rende obligatoire dans le courant des années soixante.
Les marchés de capitaux s’intègrent progressivement au delà des frontières nationales. Les opérateurs sur ces marchés sont gênés par la contradiction entre l’existence de règles comptables nationales et le principe de comparabilité. En 1973, quelques individus prennent l’initiative de créer un organisme privé à vocation mondiale, appelé depuis 2001 International Accounting Standards Board (IASB), qui élabore des normes comptables internationales (IAS/IFRS) . L’Union européenne a décidé entre 2000 et 2002 d’imposer l’application des normes IAS à ses sociétés cotées pour leur comptes consolidés à partire de 2005.
Les principaux utilisateurs de l’information financière sont :

  • les actionnaires pour contrôler à distance la performance des dirigeants  :
    les données comptables sont souvent les seules informations chiffrées dont les actionnaires des sociétés cotées disposent ;
  • les créanciers ;
  • les partenaires commerciaux de l’entreprise ;
  • les salariés ;
  • les autorités publiques ;
  • les dirigeants de l’entreprise.

Face à toutes ces parties prenantes dont les exigences ne sont pas forcément identiques,
une solution serait d’avoir autant de comptabilités que d’utilisateurs. Mais finalement les différents observateurs de l’entreprise souhaitent disposer d’une représentation commune de celle-ci. Dans beaucoup de pays les autorités fiscales exigent des entreprises des données spécifiques à leurs besoins. Mais les ressorts de l’information destinés au calcul de l’impôt sont différents de ceux de la comptabilité financière, celle qui est née avec l’invention de la partie double et avec la séparation entre investisseurs et dirigeants (marque distinctive du capitalisme).

Chapitre 2 : Créativité, distorsions et manipulations.
L’expression « comptabilité créative » désigne le fait d’utiliser les failles des règles comptable afin de faire dire aux chiffres ce que l’on souhaite qu’ils disent, au risque qu’ils ne soient plus sincères et ne donnent pas une image fidèle de l’entreprise, trompant ainsi l’actionnaire.

1) Enron : « Une culture de la tromperie ».

L’affaire Enron commence le 16 octobre 2001 lorsque la firme de Houston annonce une perte de 618 millions de $ pour le 3° trimestre 2001 après constatation d’une charge exceptionnelle de
1 Mds de $. Les marchés sont pris au dépourvu et le doute s’installe  : en 5 jours l’action chute de 40%. La principale ruse pratiquée par Enron a consisté à exclure abusivement de son périmètre de consolidation de nombreuses filiales crées de toute pièce et dans lesquelles sont logées des dettes et des engagements qu’elles souhaitent occulter afin d’améliorer l’image de santé financière donnée par son bilan consolidé. Enron a également manipulé la comptabilisation des contrats à long terme de fourniture d’énergie. Par ailleurs en utilisant les marges de manœuvre offertes par les règles de comptabilisation des opérations de négoce (reconnaissance comme chiffre d ‘affaires soit de l’ensemble des montants négociés soit de la seule marge de négoce) elle a artificiellement grossi son chiffre d’affaires. Ce n’est qu’un an après le déclenchement du scandale Enron que les normes comptables américaines ont supprimé cette marge d’interprétation.
Il s’agit en réalité d’un désastre collectif  : l’auditeur d’Enron Arthur Andersen, les banques d’affaires, les sociétés de conseil stratégique ont été mêlés de près ou de loin aux manipulations d’Enron...De nombreux comptables, analystes, juristes, régulateurs et législateurs n’ont pas joué leur rôle à un degré ou à un autre, pour assurer l’exactitude des informations financières et le bon acheminement des données honnêtes et non manipulées sur les marchés.

2) Les 7 piliers de la comptabilité créative.

Les techniques permettant d’ « habiller » ou de « lisser » les comptes sont bien connues et peuvent être inventoriées.
Howard Schilit a étudié les différents moyens de maquiller les comptes en 1993 : son analyse l’a conduit a recensé 7 catégories de « carabistouilles comptables ».

  • Carabistouille n°1 : reconnaître un chiffre d’affaires trop tôt ou d’une qualité douteuse.
  • Carabistouille n°2 : reconnaître un chiffre d’affaires fictif (ex : enregistrer comme chiffre d’affaires des emprunts...).
  • Carabistouille n°3 : gonfler le résultat avec des gains non récurrents.
  • Carabistouille n°4 : décaler les charges de l’exercice en cours vers une période antérieure ou ultérieure.
  • Carabistouille n°5 : ne pas enregistrer les engagements et les dettes ou les réduire indûment.
  • Carabistouille n°6 : décaler une partie du revenu de l’exercice en cours vers un exercice
    ultérieur.
  • Carabistouille n°7 : Anticiper des charges futures dans l’exercice en cours.

Les auteurs proposent enfin, dans le contexte de normes françaises avant application des IAS,
de rajouter une carabistouille n°8 consistant à optimiser le périmètre de consolidation.
Ainsi Vivendi Universal consolidait, dans ses comptes 2001, sa filiale de téléphonie mobile SFR par intégration globale, alors qu’il n’en détenait que 35 %. Du coup V.U. affichait dans sa communication 100% des résultats et de l’EBITDA de SFR alors que les cash flows de cette activité ne lui étaient pas directement accessibles.

3) Y a-t-il une vérité des comptes ?

En France, selon le code de commerce les comptes annuels de l’entreprise doivent « être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise ».
Mais la loi a beau préciser que le principe d’image fidèle (les comptes donnent une perception exacte de la réalité économique de l’entreprise)est supérieur à celui de régularité (conforme aux règles), ce principe se heurte en pratique à de sérieuses difficultés...
« Un bilan, c’est une histoire de convention. Il n’y a pas de vérité des comptes, la question est de savoir si on est dans un compromis acceptable ou pas ».

4) La vérité par les cash flows

Face à l’imperfection des normes comptables on peut être tenté de renoncer radicalement à l’utilisation du compte de résultat comme indicateur de la performance de l’entreprise. Les flux de trésorerie offrent une information plus objective. Mais la comptabilité de caisse atteint vite ses limites. La « comptabilité d’engagement  » est fondamentale pour disposer d’une information utile. Sans comptabilité d’engagement on ne distingue pas un emprunt d’un apport en capital ou d’une charge d’un investissement. En réalité , les deux analyse, par les flux de trésorerie et par le résultat sont complémentaires.
« Dans un bilan, il n’y a que la date qui n’implique pas un jugement ». Si elle n’est pas une science exacte la comptabilité est bien une discipline qui implique en permanence de faire des choix. Le caractère trop illusoire d’une notion trop exigeante de vérité des comptes (il faudrait une connaissance parfaite du passé du présent et de l’avenir) renforce l’importance des normes comptables. C’est donc le principe de régularité, c’est-à-dire la conformité aux normes, qui demeure le tout premier critère d’appréciation de la qualité des comptes.

Chapitre 3 : Les défis de la normalisation

Artifice SA (suite ) : « ...Je croyais que les normes comptables devaient servir à communiquer la vérité sur la situation économique. Or vous dîtes qu’elles peuvent servir à sauver des emplois, à favoriser la compétitivité des entreprises nationales...C’est pour cela que je suis un peu inquiet que l’Europe abandonne à l’avenir sa compétence de normalisation au profit d’un organisme privé, l’IASB, dont rien n’indique qu’il agira en vertu de l’intérêt général... »

1) A la recherche de la qualité

a) Qu’attend-on des normes comptables ?

La pertinence, la fiabilité et la comparabilité sont les trois principales caractéristiques attendues de l’information fournie dans les comptes.
La tension la plus forte est entre pertinence et fiabilité. Einstein  : « Tout ce qui compte ne peut être compté et tout ce qui peut être compté ne compte pas forcément ».
Exemple : Les immobilisations incorporelles dont l’importance ne cesse de croître. Mais comment estimé de manière fiable la valeur d’un droit de propriété intellectuelle ?...

b) Les normes comptables ne sont pas neutres.

En principe la réalité mesurée ne dépend pas de l’outil de mesure : on pourrait en déduire que les normes comptables sont sans incidence sur la vie des entreprises.
Dans les faits, la capacité des utilisateurs à réaliser des retraitements est limitée. L’analyse exhaustive de toutes les informations contenues dans les comptes et leurs annexe leur est impossible. Beaucoup d’investisseurs calculent par exemple un price earning ratio sur la base du résultat comptable publié et prendront leur décision d’investissement en conséquence. Et l’influence que les normes comptables exercent sur le comportement des investisseurs se répercute sur celui des entreprises elles mêmes...
On peut alors se demander si ces effets induits doivent entrer en considération dans le jugement sur la qualité des normes ou si seule compte l’atteint des objectifs de pertinence, de fiabilité et de comparabilité

c) Des principes et des règles.

d) Les sourciers et les ciblistes ( 2 attitudes de traduction littéraire)

En France, la comptabilité, « algèbre du droit » a souvent adopté une vision très littérale de l’analyse juridique, fréquemment mêlée de considérations fiscales. Cette approche fait de la comptabilité un simple outil d’enregistrement des contrats passés par l’entreprise.
A l’inverse dans les pays anglophones, la comptabilité se réfère depuis longtemps au principe de primauté de la réalité économique sur l’expression juridique formelle. C’est à la même philosophie que se réfère l’IASB.
Pour les sourciers (approche juridique) ce qui est primordial c’est de rapporter en l’état la structure du texte original, littéralement sans se soucier de la perception qu’en a le lecteur. A l’inverse, les ciblistes (approche économique) cherchent à communiquer sur le contenu profond de l’œuvre ?image fidèle.
Le traitement des contrats de crédit-bail fournit une illustration de cette opposition. La norme IAS 17 précise que la distinction entre les contrats de location de financement (financial-lease) et de location simple (operational-lease) « dépend de la substance de la transaction plutôt que de la forme du contrat ».
Mais comme en traduction, une approche trop radicale dans un sens ou dans l’autre serait dangereuse. L’entreprise ne se réduit ni au texte des contrats qu’elle a signés, ni à ses flux financiers. En voulant davantage donner une image économique de l’entreprise (qui implique des éléments d’appréciation sur le futur, comme s’est le cas des normes IAS, les comptes courent le risque d’être plus que jamais soumis à la subjectivité et à des jugements éphémères.

2) Au service d’intérêts divergents.

La normalisation n’est jamais une entreprise de déduction positive  : il faut aussi la voir comme la résultante de rapports de force entre utilisateurs qui eux mêmes reflètent les équilibres entre acteurs qui caractérisent un système financier.

  • La normalisation par le ministre : une tradition française.
    Un auxiliaire du fisc et des statisticiens.
  • Politique industrielle : la comptabilité au service de la puissance économique

Les règles comptables peuvent être utilisées pour soutenir spécifiquement un secteur d’activité ou un type de comportement économique. Les normes américaines, par exemple, n’imposent pas la comptabilisation des stocks options alors qu’ils sont bien un flux financier des investisseurs vers les bénéficiaires d’options donc une rémunération de ceux-ci et un coût pour l’entreprise (en effet l’entreprise doit vendre l’action au bénéficiaire de l’option au moment de l’exercice de celle-ci. Selon les cas soit elle achète l’action sur le marché soit elle émet des titres supplémentaires. Dans le premier cas l’entreprise débourse de l’argent et réalise une moins-value, puisque le prix de l’exercice est inférieur au cours de l’action. Dans le second. L’entreprise émet l’action à un prix bradé et « dilue » les actionnaires existants.
En réalité , le régime comptable permissif pour les stocks options a été motivé par des considérations de politique industrielle. Les stocks options sont un enjeu très important pour les jeunes entreprises de nouvelles technologies considérées comme l’un des facteurs clés de la croissance à long terme aux Etats-Unis...
Les stocks options ne sont pas le seul exemple de ce type...

  • Normes comptables et stabilité financière.

L’activité des banques et des compagnies d’assurance impose des dispositions particulières de prudence auxquelles les entreprises des autres secteurs ne sont pas soumises...On comprend pourquoi. Dans le domaine bancaire, par exemple, certaines provisions ne correspondent pas à un risque identifié et probable. C’est le cas des « provisions pour risque pays ». Du point de vue de l’actionnaire, une telle approche exagère le risque et ne donne pas une image fidèle de l’entreprise. De plus laissées à l’appréciation des banques, celles-ci peuvent s’en servir pour lisser leurs résultats. De telles possibilités ne sont pas offertes par les normes comptables internationales dans lesquelles l’influence des considérations de surveillance prudentielle reste très limitée.
Mais la stabilité financière ne relève-t-elle pas de l’intérêt général ? Peut-on se satisfaire de normes comptables qui pourraient avoir pour effet de la menacer, quand bien même elles seraient rigoureusement conformes aux exigences de pertinence, de fiabilité et de comparabilité  ?

  • Créanciers et actionnaires ou la prudence et la fidélité

Le point de vue du créancier n’est pas celui de la valeur mais du risque. Ainsi l’application du principe de prudence conduit à une image minimaliste de la rentabilité de l’entreprise.
Dans la normalisation traditionnelle française qui attache une grande importance au point de vue des créanciers bancaires le principe de prudence est fortement mis en avant ; c’est sensiblement moins le cas dans les normes internationales plus spécifiquement tournées vers les besoins des actionnaires.

  • Normes comptables et protection des salariés

Les salariés peuvent également se trouver concernés par l’évolution des normes comptables même lorsqu’ils ne bénéficient pas de stocks options. Un bon exemple est la comptabilisation des engagements de protection sociale consenties par les grandes entreprises américaines au profit de leurs salariés futurs retraités...La nouvelle norme américaine (FAS 106) impose l’enregistrement comptable de ces engagements pour leur valeur actualisée au moment de la signature du contrat et non plus à la date de versement effectif...L’application de la nouvelle règle ayant pour effet d’abaisser les résultats, certaines entreprises ont réagi de façon brutale en abandonnant le système de couverture sociale qu’elles accordaient jusqu’alors à leurs futurs retraités.

  • La querelle de la juste valeur

Le principe de la juste valeur consiste à comptabiliser certains actifs et passifs en référence aux mécanismes du marché. Ce principe est présent de manière récurrente dans les normes comptables internationales. Lorsque l’observation des prix de marché est inopérante, la juste valeur est déterminée en utilisant une technique souvent fondée sur l’actualisation des flux de trésorerie futurs. Les normes internationales imposent de comptabiliser les engagements pris, par exemple pour leurs salariés, pour leur valeur actualisée  ; les actifs « mis de côté » pour honorer ces engagements doivent quant à eux être inscrits au bilan pour leur juste valeur, c’est-à-dire que leur valeur comptable est soumise aux variations des marchés financiers (rendant les entreprises très dépendante des périodes de déprime boursière). Le principe de juste valeur est un choix comptable orienté vers les actionnaires...
La juste valeur ne va pas nécessairement dans le sens des intérêts des créanciers, des salariés (cf. norme FAS 106) ou des dirigeants (cf ; stocks options). Elle pourrait même menacer la stabilité du système financier. Toutefois, précisent les auteurs, la comptabilisation au coût historique, n’apporte guère plus de garanties pour la protection des différents utilisateurs.

Partie II : Le nouveau monde de l’information financière

Chapitre 4 : Un nouveau capitalisme

L’évolution de l’information financière n’est en fait qu’un aspect de la transformation du capitalisme qui peut être observée dans toutes les économies développées.

«  Capitalisme contre capitalisme »

Les auteurs estiment que la distinction « classique » entre «  capitalisme rhénan » (avec ses banques omniprésentes) et « capitalisme anglo-saxon » (avec ses marchés financiers et son obsession du profit à court terme) n’est plus pertinente.
La distinction proposée par Raghuram Rajan et Luigi Zingales leur semble davantage convenir à l’époque actuelle.
D’un côté le « Capitalisme relationnel  » dans lequel les relations entre individus, forgées par exemple au gré d’études communes ou de proximité sociales ou politiques, jouent un rôle prépondérant dans l’allocation des financements externes de l’entreprise.
De l’autre côté le « Capitalisme contractuel  » dans lequel les relations personnelles ne sont pas déterminantes et où les décisions se prennent de manière « anonyme  ».
Selon cette grille d’analyse les marchés des capitaux relèvent du « capitalisme contractuel » alors que les financements par les banques commerciales, les fonds de l’Etat sont plutôt caractéristiques du « capitalisme relationnel ».
Dans un contexte d’environnement instable, créé par l’apparition de nouvelles technologies, le capitalisme relationnel consacre beaucoup de ressources à la sauvegarde d’entreprises condamnées alors que les capitalisme contractuel favorise l’apparition de nouvelles entreprises et de nouvelles fortunes.
L’écosystème financier français hérité des « Trente glorieuses » accorde une large place aux relations personnelles pour l’élaboration et la diffusion de l’information financière.
Ainsi les normes comptables nationales sont en France teintées de considérations fiscales, statistiques et prudentielles exprimant la prééminence de l’Etat et des grandes banques par rapport aux autres utilisateurs et notamment aux actionnaires. L’information financière accessible publiquement revêt une importance relativement mineure, en comparaison avec un modèle de capitalisme contractuel appuyé principalement sur les marchés des capitaux.
Ce système semble toutefois en France être appelé à un remise en cause car la période actuelle se caractérise par des évolutions profondes du paysage financier.
L’économie française s’est largement ouverte aux mécanismes du marché depuis le début des années 80. En moins de 20 ans le nombre d’actionnaires individuels a presque quadruplé pour atteindre un total proche de 6 000 000, soit 1/10e de la population. La capitalisation boursière de Paris est passé de 6% du PIB en 1982 à 28% en 1992 et 94% en 2002. l’actionnariat de l’Etat a considérablement réduit. Les « noyaux durs » ont été démantelés et l’actionnariat étranger s’est spectaculairement accru dans le même temps. Quelques traits saillants particulièrement importants pour l’avenir de l’information financière ont attiré l’attention des auteurs : le développement des fusions acquisitions, l’innovation technologique et financière et les nouveaux modes de rémunérations des dirigeants.
En effet l’accélération des changements de périmètre des groupes due aux fusions et acquisitions (qui rend la lisibilité des comptes et l’appréciation des performances plus difficiles), l’impact du développement des nouvelles technologies de la communication sur l’information financière et les innovations financières tous azimuts sont quelques uns de ces chocs dont l’effet est une profonde mutation de l’écosystème financier et qui appellent des mesures urgentes pour éviter une dérive du système.
Le système financier, insistent les auteurs qui restent malgré tout optimistes, doit développer des mécanismes de défense par rapport aux principaux risques de dérives et de fraudes ; en partie de nouvelles réglementations et en partie un contrôle collectif plus contraignant sur les agissements des dirigeants.

Chapitre 5 : Les auditeurs sous surveillance

Faire respecter les normes comptables.

Le contrôle de l’application des normes est le cœur du métier des auditeurs externes, ceux qui attestent, vis à vis des actionnaires et du public, que les comptes sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle de l’entreprise. Or les auditeurs ont été heurtées de plein fouet par les scandales comptables. En marge de la chute d’Enron, il y a celle d’Andersen.
Le suites de la faillite d’Enron ont fait disparaître le modèle de l’autorégulation de la profession d’audit.

De la fin de l’autorégulation aux vertus de la concurrence puis de l’autodiscipline

Jusqu’en 2002, les contrôles sont effectués dans les cabinets d’audit par des membres d’autres cabinet d’audit. Mais depuis la mise en cause du bureau d’Andersen à Houston, la profession de l’audit toute entière à été mise sur la sellette. Le coup de grâce est venu avec le vote par le congrès en juillet 2002 de la loi dite « Sarbanes-Oxley ». Elle marque la fin de l’autorégulation de la profession par la création d’une organisation placées sous l’autorité de la SEC, le PCAOB (Public Company Accounting Oversight Board). En même temps, la loi élargit la liste des activités incompatibles avec le métier d’audit (non seulement les prestations d’expertises comptables mais aussi certaines activités de conseil). L’autorité du PCAOB s’applique aux auditeurs de toutes les sociétés cotées aux Etats-Unis, y compris celles pour lesquelles les Etats-Unis ne sont qu’une place secondaire. En d’autres termes, les commissaires aux comptes des sociétés telles que Suez, Axa ou France Telecom, toutes les trois cotées à New-York sont tout autant soumis à cette législation que les auditeurs américains des compagnies américaines.
En France la loi de Sécurité Financière du 1er août 2003 a créé une nouvelle autorité administrative indépendante , le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes, placé sous la tutelle du Garde des Sceaux.
Les relations qui lient les firmes d’audit aux entreprises qu’elles contrôlent est en train de connaître une profonde mutation. Andersen avait été trop proche des intérêts de ses clients. Le mélange des genres entre l’audit et le conseil, la stabilité de la relation, la trop grande proximité personnelle entre les associés de la firme d’audit et les dirigeants de l’entreprise auditée, tout cela aboutissait à une combinaison désastreuse. Désormais le divorce doit être consommé.
Mais plus que la réglementation publique, la concurrence est un des facteurs essentiels de la régulation dans les professions spécialisées. Face la complexité croissante d’une profession qui requiert de plus en plus d’expertise (techniques financières, internationalisation des affaires, avènement de normes comptables qui requièrentun appel accru au jugement) les mécanismes de concurrence et de sélection par la réputation devrait jouer un rôle de plus en plus affirmé.
Pourtant ce n’est pas ce qui semble se passer aujourd’hui.
Le marché de l’audit des grandes entreprises est en effet concentré entre les mains d’un très petit nombre de firmes mondiales («  last four »). Le problème n’est pas l’existence d’un tel oligopole mais son caractère non contestable (Barrières à l’entrée : manque de personnel qualifié, expertise sectoriel et technique, la portée globale...)
Les « last four » deviennent « too few to fall » (en lançant en juin 2003 son procès contre KPMG à propos de comptes manipulés de Xerox, la SEC a jugé bon de préciser que « personne ne veut voir KPMG disparaître »). Chacun sait que la réduction de leur nombre à trois, voire à deux n’est dans l’intérêt de personne et en conséquence les mécanismes de pressions et de sanctions contre d’éventuels défauts de qualité sont probablement émoussés. Or la qualité des audits est d’intérêt public, puisqu’elle est une des conditions de la confiance des investisseurs dans les marchés de capitaux.
La nationalisation de la fonction d’audit évoquée par certains serait à coup sûrunevoiesansissue:Laconcurrence entre prestataires est le seul moyen d’assurer de manière crédible la qualité des audits, compte tenu de la complexité de ce métier. L’idéal serait que des réponses viennent des grandes firmes d’audit elles-même, il y va de la pérennité de leur métier.

Chapitre 6 : Les investisseurs au pouvoir ?

—> Reprise en main des entreprises par les investisseurs qui en principe en sont les propriétaires.
—> Réaffirmation du pouvoir actionnarial.
Le rôle clé des investisseurs institutionnels
Aux Etats-Unis, ils contrôlent plus de 60% de l’ensemble des actions cotées et assurent à eux seuls plus de 80% du volume des transactions en Bourse. Pourtant ils ont longtemps été peu actifs pour exercer un contrôle sur les entreprises dont ils sont actionnaires.

Les investisseurs ne sont pas en général totalement indépendants. La plupart d’entre eux, par exemple, sont des filiales de gestion appartenant à des banques ou à des compagnies d’assurances. Ainsi la filiale peut être incitée à surinvestir dans les entreprises auxquelles la maison mère offre des crédits ou cherche à en offrir...
Cela étant, les investisseurs institutionnels évoluent.
Aux Etats-Unis, les grands fonds de pension du secteur public tels que Calpers (employés de l’Etat de Californie) sont structurellement indépendants des entreprises cotées : à la différence des « mutuals funds », ils ne sont pas appelés à solliciter auprès de celles-ci des mandats de gestion.
Les grands fonds de pension publics sont également parmi les plus actifs dans la gouvernance des entreprises dans lesquelles elles investissent
La part des actionnaires non résidents dans le capital des entreprises du CAC 40 est passé d’environ 10 % au milieu des années 1980 à près de 44% aujourd’hui. Aujourd’hui les investisseurs étrangers font preuve de vigilance accrue sur tous les aspects de l’information financière. L’activisme actionnarial se renforce. Cela a déjà conduit à des changements de dirigeants au plus haut niveau dans des entreprises aussi importantes que Disney ou Shell.
Où tout cela mène-t-il en matière de comptabilité et d’information financière ?

  • à une obligation pour les entreprises de donner des informations plus nombreuses et plus spécifiques.
  • à une attention renforcée sur la fiabilité des comptes et de leurs audits.

Les investisseurs sont en règle générale les partisans les plus convaincus de l’adoption de normes comptables internationales. Ils exerceront donc une influence accrue à l’avenir, non seulement sur les entreprises cotées pour avoir des informations financières plus complète et plus pertinentes mais aussi directement ou indirectement sur les auditeurs en vue d’une meilleure qualité de leurs audits et également sur la normalisation comptable elle-même.

Chapitre 7 : La régulation financière à la croisée des chemins.

La présence d’une autorité collective est indispensable au bon fonctionnement des marchés des capitaux. Cette régulation est constituée par les institutions publiques, semi-publiques ou privées. Des institutions pour les marchés...
Les institutions de régulations des marchés des capitaux sont nées des crises boursières lorsque les mécanismes spontanés du marché ou de l’autorégulation par les acteurs eux mêmes se sont révélés insuffisants pour empêcher les dérives des comportements et la déstabilisation du système financier.
Sans régulation publique les entreprises pourraient publier des informations donnant une vision fausse de leur situation et de leur activité et les intermédiaires pourraient ne pas agir dans l’intérêt de leurs clients, comme cela a pu être le cas pour les analystes par exemple.
Un certain degré de régulation publique est souvent nécessaire pour assurer la confiance des marchés. A l’inverse trop de régulation peut freiner l’esprit d’entreprise, décourager la prise de risque et brider l’efficacité des mécanismes de marché. Un équilibre délicat est à rechercher au cas par cas, selon les types de marché considérés, selon les pays et les époques.
Aux Etats-Unis, la SEC, organisme public, est loin d’être le seul acteur de la régulation. Elle a délégué une partie de ses pouvoirs à des organismes de droit privé, comme le PCAOB pour le contrôle des auditeurs ou le FASB pour les normes comptables USGAAP. Certains marchés de produits financiers dérivés ne dépendent pas de la SEC mais d’une autre agence fédérale, le Commodity Futures Trading Commission. Par ailleurs la surveillance prudentielle des entreprises de banques et d’assurances est assurée par un réseau complexe d’autorités dont La Réserve Fédérale.
En dehors de Etats-Unis, tous les pays développés se sont progressivement dotés d’autorités de régulation boursière avec dans chaque cas la même double fonction que pour la SEC : une fonction de contrôle de l’information d’une part et de « police de marché » d’autre part.
Toutefois le champ exact de ces missions varie d’une situation à l’autre. Aux Etats-Unis la normalisation comptable est apparue comme un sous ensemble de la mission de la SEC. Ceci est lié à la priorité dont bénéficient les investisseurs sur les autres utilisateurs de l’information financière dans le système américain. En France, la normalisation comptable est restée pour l’essentiel, jusqu’à l’adoption des IAS, entre les mains du ministère des finances.
Dans tous les pays, les tribunaux jouent aussi un rôle de premier plan dans la régulation des marchés. Enfin les gouvernements eux-mêmes et les parlements ont des influences très variées selon le contexte national. Aux multiples acteurs étatiques il faut aussi ajouter la commission européenne...
Cette multiplicité des acteurs n’est pas le seul élément qui donne sa spécificité à la régulation des marchés. Plus fondamentalement, celle-ci se situe à la charnière entre le public et le privé.
La participation active d’intervenants issus du secteur privé demeure une caractéristique générale de la régulation des marchés de capitaux. Seuls les individus qui ont l’expérience des marchés peuvent en démonter les mécanismes et y identifier le cas échéant les fraudes et les irrégularités.
Le collège actuel de l’AMF (ex-COB) en France comprend une majorité de membres issus du secteur privé même si ceux-ci sont désignés par le ministère des finances.
La question qui se pose alors est celle du contrôle du régulateur  : « Qui contrôlera les contrôleurs ? ». Interrogation centrale en démocratie, puisque l’autorité du régulateur n’est en principe qu’une délégation de celle du peuple souverain.
Le modèle américain de régulation financière est le plus élaboré. Il assigne un rôle pivot entre le pouvoir politique et les opérateurs privés du marché à une agence publique, la SEC. Par ailleurs la SEC est en interaction permanente avec les pouvoirs politiques, exécutif et législatif. Cette interaction se traduit par des contacts permanents entre les services de la SEC et les personnels des commissions parlementaires et les cadres gouvernementaux ainsi qu’avec les représentants des différents groupe d’intérêts.
Cela n’empêche pas les dérives bureaucratiques ou la captation par certains intérêts particuliers. Mais un certain nombre de leviers et de contre pouvoirs sont en place afin d’assurer autant que possible la fidélité du processus de régulation aux intentions de ses textes fondateurs.

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Comptabilité et Capitalisme
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