Manager les compétences : approches, enjeux et développements

, par Stéphane Jacquet

En 1969, le professeur canadien Peter défrayait la chronique en publiant son célèbre et très sérieux pamphlet sur les organisations « the Peter principle » qui énonçait que « chacun avait tendance à s’élever à son niveau d’incompétence » et qui dénonçait les dérives des organisations hiérarchisées et inefficaces. Cet ouvrage, écrit sur un ton journalistique, amorça de nombreuses conférences et permit la remise en question d’un modèle dépassé d’organisation, basée sur une gestion hiérarchisée, par postes. Depuis, la notion de compétence s’est trouvée au centre de débats importants comme celui sur la mise en place d’une logique compétence dans la sidérurgie (accord ACAP en 2000), ou l’émergence du dispositif de validation des acquis de l’expérience avec la loi de 2002 mais également la refonte des principaux diplômes français et le développement des référentiels de certification basés sur les compétences…La littérature managériale actuelle décline donc largement le terme compétence. Les rayons des bibliothèques regorgent d’ouvrages qui renvoient à ce mot : « manager des compétences », « évaluer ses compétences », « développer les compétences », « valider ses compétences »… Le problème, c’est qu’il n’existe pas une seule définition de la compétence mais bien différentes approches théoriques et donc une multitude de définitions. Chercher à toutes les répertorier conduirait à amorcer un travail sans fin qui se heurterait vite à des débats polysémiques et des ajustements continuels liés à la fois au caractère évolutif de la notion mais également aux différentes acceptions qu’elle permet. Et pourtant, il convient de la clarifier car elle est au centre de l’articulation de nos référentiels et de nos pratiques de certification et se développera avec la mise en place du contrôle en cours de formation.

Dans une perspective managériale, l’objectif sera d’éclairer le lecteur sur la gestion des compétences en entreprise. En effet, les organisations se sont progressivement lancées dans une démarche de gestion des compétences dans une perspective de management de la performance, en effaçant, parfois par simple effet d’annonce, l’approche classique de la gestion par poste. On comprend l’intérêt de la notion pour le management et l’effet de modernité qu’elle revêt. Pour l’enseignant d’économie-gestion, le thème des compétences renvoie au programme de management des organisations de STG (5. Animer et mobiliser les Hommes et plus particulièrement 5.2. La recherche de compétences) et au programme de management des entreprises de BTS (4. mobiliser les ressources et plus particulièrement 4.1. mobiliser les RH). Le programme de première y consacre un tiers du thème cinq (« animer et mobiliser des hommes ») avec un intitulé explicite : « 5.2. La recherche des compétences » qui suppose que l’enseignant revienne sur les notions de qualification et de compétences dans une perspective d’analyse des besoins des organisations afin de mettre en place des actions de recrutement, de formation et de développement de ces compétences. Dans le programme du BTS, on retrouve la notion de manière plus diffuse dans le point 4.1. « Mobiliser les ressources humaines ». Les apprenants doivent être capables d’évaluer les besoins en ressources humaines dans une situation contextuelle visée, mais surtout de proposer des actions appropriées dans le cadre d’une gestion des emplois et des compétences.

Il s’agira alors de clarifier cette notion difficile et multiforme pour en faciliter l’enseignement ; dans une première partie, il sera précisé ce qu’est la compétence et ce qu’on cherche à manager (1), pour ensuite explorer les causalités et se demander pourquoi il faut manager la compétence en se plaçant dans une perspective à la fois humaine et organisationnelle (2). Enfin, on s’attachera à identifier les leviers qui permettent ce management tout en explorant les évolutions récentes du management des compétences et ses développements, en particulier à travers le management des talents (3).

 1. La compétence : un concept à clarifier

Le modèle classique de l’organisation du travail s’est longtemps basé sur le concept de qualification, en particulier avec l’avènement de l’ouvrier spécialisé et de l’ouvrier qualifié. Cette qualification renvoyait à des niveaux de formation permettant une intégration dans la pyramide hiérarchique de l’entreprise. On peut l’illustrer par la distinction entre ouvriers et ingénieurs mais également par celle entre ouvriers spécialisés (spécialisés dans une tâche mais non qualifiés) et ouvriers qualifiés. Cette logique de qualification sous-tendait l’accès à certains emplois comme elle le fait encore aujourd’hui avec certains métiers de l’artisanat (coiffeur, boucher, plombier…). La qualification était acquise au terme d’un parcours d’apprentissage qui conduisait à une certification professionnelle. La division verticale du travail était fondée sur ce concept ainsi que l’organisation fonctionnelle héritée des principes de Fayol. L’apparition du concept de compétence s’est accompagnée d’une littérature abondante sur ce sujet qui rend la clarification difficile même si elle est nécessaire puisque ce nouveau concept s’est imposé largement, tant dans l’architecture des diplômes que dans les fiches métiers, ainsi que dans les documents managériaux (grilles de recrutement, fiches d’évaluation…). Ce travail de clarification peut conduire à une approche harmonisée de la compétence en vue de production d’outils communs d’analyse et de certification (norme AFNOR, référentiels d’examen…). Le travail de codification s’est ainsi largement développé ces 10 dernières années. En allant plus loin, on a pu également chercher à modéliser la compétence pour mieux en comprendre les ressorts.

1.1. Clarifier la notion, pour mieux la détecter et l’identifier

Depuis une trentaine d’années, de nombreux travaux sur la compétence ont cherché à mieux définir la notion sans aboutir à une définition unique et acceptée de manière unanime. Différentes disciplines ont développé chacune leur approche (sociologie, management, sciences de l’éducation…), plutôt cognitivistes (GRH, sociologie de l’organisation), parfois plus organisationnelles (management, sciences de gestion…). On peut trouver des éléments communs voire indiscutables qui conduisent à des approches reconnues de la compétence (AFNOR ou VAE par exemple) pour d’abord se demander de quelles compétences on parle. Une typologie intéressante permet de distinguer, dans une logique pyramidale, les compétences requises par un poste, des compétences mobilisées par un salarié dans l’exercice de sa fonction (qui débordent le champ assez strict du poste), mais aussi de l’ensemble des compétences détenues par un salarié (ce qui est encore plus large puisqu’un salarié n’a pas forcément besoin de toutes ces compétences pour exercer ses fonctions) puis enfin des compétences potentielles d’un salarié (à côté desquelles on pourrait passer par exemple). Dans une approche par poste, on se contentera de la première approche réductrice pour le salarié et qui renvoie plutôt à une gestion par poste. La deuxième approche est celle du management et de l’évaluation des salariés mais elle ne doit pas être la seule car il faut travailler sur la troisième approche dans une logique de gestion prévisionnelle et de développement des compétences. C’est cette troisième approche qui est celle de la validation des acquis de l’expérience ou encore du bilan de compétences. On voit bien ici la difficulté du responsable des ressources humaines qui cherchent à mettre en place une gestion des compétences. Les enjeux ont été présentés dans un article intitulé : « le DRH de demain face aux dossiers compétences » (D. Retour 2005). L’auteur revient notamment sur la finalité de la compétence (comme devant conduire à un résultat) et sur la nécessité d’adopter un référentiel commun pour l’évaluer notamment. Mais chercher à la définir vraiment risque de nous entraîner dans différentes approches, parfois très différentes, liées à des écoles de pensée et des courants d’analyse. On peut d’abord revenir sur la distinction avec la notion de qualification à travers une première définition (G. Jobert in Sciences Humaines n°40) ; alors que la qualification est basée sur la transmission en relation avec les savoirs scolaires et en rapport avec un travail prescrit (donc une tâche à effectuer), la compétence est fondée sur la reconnaissance et le développement. Elle se décompose entre un niveau d’exigence de l’opérateur pour qu’une performance soit atteinte dans une situation d’exercice et un travail réel ou une action concrète correspondant à une activité. On peut alors chercher à se placer du côté de l’entreprise et chercher à savoir quelle approche fait autorité dans la mise en place d’outils et de process communs. Nous retenons donc l’approche de l’AFNOR, à travers sa norme FD X50-183 « outil de management-ressources humaines dans un système de management de la qualité ». La compétence est la capacité à mettre en œuvre des connaissances, savoir-faire et comportements en situation d’exécution (norme FD X50-183, paragraphe 3.8 AFNOR). Une autre approche, bien admise dans les organisations parce qu’inscrite dans une perspective dynamique, est celle de Le Boterf (G. Le Boterf, 2000) qui y voit « une construction, le résultat d’une combinaison pertinente entre plusieurs ressources (le savoir-agir), la motivation de l’individu (le vouloir-agir) et un contexte favorisant la prise de responsabilités et de risques (le pouvoir-agir). Pour lui, la compétence suppose le jugement d’autrui, ce qui renvoie à l’évaluation ou l’appréciation de la compétence à travers une validation. On est ici dans un construit social. Ainsi, selon Lévy-Leboyer : « les compétences sont ancrées sur des comportements observables dans l’exercice d’un métier ou d’un emploi et qu’elles se traduisent par des comportements qui contribuent au succès professionnel » (C. Lévy-Leboyer 2009). Les sociologues placent également l’individu dans l’action avec l’approche de Zarifian : « la compétence est la prise d’initiative de responsabilité de l’individu sur des situations professionnelles auxquelles il est confrontées » (Zarifian 1996). L’accent est mis, depuis assez longtemps, sur la prise en compte du contexte, tout comme dans la définition de Reinbold : « la compétence est le processus par lequel une personne produit régulièrement une performance professionnelle ajustée au contexte » (M.F. Reinbold, 1995). Dans cet esprit, certains ont pu considérer que le professionnel « sait faire ce que quelqu’un d’autre ne sait pas faire ; il utilise une méthode meilleure et peut s’adapter à plusieurs cas de figure…il peut choisir ses modes d’action pour une meilleure efficacité » (Vergnaud, 2006). Enfin, dans un ouvrage original, mêlant fiction, analyse réflexive et approche théorique, Millet rappelle les différents éléments permettant la compétence : des pratiques basées sur des savoirs, s’appuyant sur des caractéristiques personnelles, poussées par la motivation, dans une optique de résultat supposant une analyse du contexte (J.G. Millet, 2005).

Si l’on cherche à distinguer plusieurs courants d’analyse, une première approche met plutôt l’accent sur le résultat et l’effet produit (S. Bélier 1999), ce qui rend légitime le développement d’une ingénierie de la compétence. Une deuxième approche s’attache plus aux déterminants environnementaux et à la notion d’adaptation au contexte et à l’incertitude (Parlier, 1998), ce qui tranche avec l’école classique et la recherche de modes opératoires reproductibles à l’infini. Une troisième série d’approches renvoie au construit social (Le Boterf) avec un aspect normatif très marqué. Enfin, une quatrième approche insiste sur la dimension cognitive insistant sur les fonctions mobilisées par l’individu pour répondre à une situation complexe (Mayen, 2003).

De cet exercice délicat de clarification, on peut retenir des éléments communs à toutes les approches et qui pourront être réinvestis par le management dans une logique d’entretien et de développement des compétences :

  • La compétence relève à la fois de l’individu et de l’entreprise,
  • Elle est contingente dans son adaptabilité à la situation,
  • Elle résulte d’une combinaison optimale de ressources
  • Elle est finalisée et liée à un acte professionnel
  • Elle est liée à une reconnaissance sociale

Après avoir évoqué des éléments invariants pouvant conduire à une approche professionnelle de la compétence, on peut constate que les entreprises vont chercher à les utiliser dans une logique stratégique afin d’obtenir un avantage concurrentiel par rapport à leurs concurrents. Cette approche peut ainsi être prolongée par Hamel et prahalad à travers le modèle du « cœur de compétences » (Hamel et Prahalad, 1990). Ils précisent que les entreprises ont intérêt à développer leur compétitivité en construisant un cœur de compétences, à coût inférieur et plus rapidement que ses concurrents. Ce cœur de compétences est construit à travers un processus d’amélioration et de perfectionnement continu qui fait appel à des combinaisons d’éléments évoqués plus haut dans les différentes définitions de la compétence (connaissances, attitudes…). La recherche de l’identification des compétences clés dans l’entreprise passe par une phase de recueil de l’ensemble des compétences nécessaires à son fonctionnement. Par ce recueil, on cherche à codifier les compétences dans une logique de gestion prévisionnelle pour permettre une meilleure utilisation de ses ressources humaines mais également pour affiner le recrutement.

1.2. Codifier la compétence pour mieux l’évaluer

Dès les premiers travaux sur la compétence, on a cherché à référencer et à l’étalonner à travers la mise en place de référentiels de compétences. Le référentiel de compétences est un document qui identifie les compétences nécessaires à l’exercice d’un métier. Il permet à chaque salarié de se situer par rapport aux exigences actuelles et futures de son métier dans le cadre d’un parcours professionnel. Il permet également d’objectiver les appréciations portées sur le professionnalisme de ses actions. Il sert aussi lors de l’entretien d’évaluation et peut permettre de déterminer une partie de la rémunération (ANACT,2006). Le référentiel doit donc être légitime tant pour la direction que pour les salariés, donc élaboré de façon participative. C’est un document qui cristallise des attentes, des déceptions mais il est le support de l’évaluation des compétences d’entreprise et justifie l’évaluation des compétences.

Mais si cette phase s’avère cruciale, il existe peu d’outils méthodologiques avérés. Il s’agit la plupart du temps d’identifier de manière participative les quelques compétences organisationnelles stratégiques de base. Les référentiels de compétences sont parfois aléatoires ou lorsqu’ils sont structurés ils reprennent souvent une approche ancienne liée à la description des postes. Ensuite, les items peuvent se succéder suivant une logique propre à chaque entreprise. Par exemple, le référentiel de compétences du poste de conseiller clientèle particuliers d’une grande banque généraliste est organisé autour de 11 items qui suivent la logique du plan de vente, avec les huit premiers items liés à la conquête commerciale (« s’impliquer dans la démarche conquête », « organiser ses rendez-vous »…) Et seulement trois items plus généraux qui permettent d’envisager la promotion du salarié vers un poste différent (« s’impliquer dans la pratique du tutorat »…). Ce référentiel nous semble incomplet et insuffisant même dans l’optique d’une évaluation par le management. Les chercheurs en sciences de gestion ont proposé la mise en place de référentiels de compétences bâtis autour de dimensions-clés ; en particulier les connaissances, les pratiques et les attitudes en référence aux trois catégories du grec ancien (epsiteme, techne,phonesis), ce qui conduit à définir pour chaque compétence retenue les savoirs, savoir-faire et savoir-être nécessaires pour occuper le poste (Durand, 1997). Pour rester dans la logique des travaux d’Hamel et Prahalad, on peut chercher à identifier les compétences fondamentales permettant à l’entreprise de développer un avantage concurrentiel significatif. On peut alors proposer une méthodologie en trois étapes : l’identification des facteurs clés de succès dont la maîtrise détermine l’avantage concurrentiel, l’identification des raisons du succès et enfin la décomposition des raisons du succès en identifiant les ressources compétences qui les sous-tendent (Rouby et Thomas, 2004). Le problème, c’est que les compétences ne sont pas bien catégorisées, on reste dans une vision utilitariste de la construction de référentiel, à l’usage du management, plus que dans une véritable codification. Le véritable travail de codification se met en place lors de la réalisation de cartographie de la compétence comme dans certaines entreprises. Certes, depuis les premiers travaux de codification, les entreprises ont réalisé d’importants progrès. En effet, l’introduction de la notion de compétences dans les grilles de classification est un processus relativement récent puisqu’il date des années 70. Les arrêtés Parodi de 1946 avaient pour objectif de faciliter le contrôle des salaires en établissant dans chaque secteur d’activité une liste hiérarchisée d’emplois. Ces nomenclatures ont été élaborées avec la participation des organisations syndicales et ont longtemps servi à catégoriser les salariés, en particulier dans les usines. Cette codification du travail repose sur une description précise du poste de travail. Ce modèle correspondait à l’organisation Taylorienne du travail mais a perdu tout son sens dans les années 80 avec le développement de la tertiarisation et de la complexification des emplois. L’émergence de grilles à critères classant dans les années 70 à 80 a permis d’affirmer le primat de l’entreprise dans la gestion des classifications, au détriment de l’action syndicale. Le management pouvait ainsi évaluer un employé par rapport à des capacités ou aptitudes comportementales à détenir, pour occuper un poste ou une fonction. La mise en place du « modèle de la compétence » suivant Zarifian (1999) permet de s’attacher à l’aspect résolutoire de la compétence et met en avant l’intelligence pratique des situations mais également la faculté à mobiliser les ressources et la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu. Nous entrons dans une logique d’individualisation qui tend à mieux faire apparaître les différences de traitement entre salariés (occupant un même poste par exemple). Ainsi, l’accord ACAP du groupe Usinor en 2000 est le premier accord important fondé sur une logique de compétences. Les salariés ne sont plus classés suivants le poste mais selon l’acquisition des compétences qui sont codifiées dans cet accord. On comprend mieux pourquoi les référentiels ont été initialement construits pour traiter la compétence individuelle. Nous avons évoqué plus haut la normalisation par l’AFNOR des compétences ce qui peut conduire à la nécessité d’en mesurer les différentes composantes. Ce qui met en perspective le référentiel de compétences comme un véritable outil organisationnel d’évaluation mais également un outil interpersonnel permettant le bilan de compétences. Cartographier les compétences dans une organisation suppose une méthodologie (Labruffe in « les nouveaux outils de l’évaluation des compétences »). Il s’agit d’abord de repérer les différentes compétences liées à un métier puis d’identifier plusieurs domaines de compétence qui forme ce métier. Le regroupement de l’ensemble se fera à travers un référentiel global avec des niveaux hiérarchisés, dans un tableau à double entrée. Chaque domaine de compétence reprend un ensemble d’unités de compétences exigées (3 ou 4) et décliné en savoir, savoir-faire et savoir-faire faire. Chaque domaine comporte sept niveaux de compétence hiérarchisée du plus bas au plus haut. Le niveau un représente la base, lorsque le niveau sept illustre l’expertise. Chaque niveau va renvoyer à un ensemble de modes opératoires qui permettront la bonne exécution de l’unité compétences requise. Enfin chaque unité sera exécutée avec plus ou moins de difficultés ce qui induira un degré de maîtrise, côté suivant 4 échelles, de 1 (difficulté réelle pouvant entraîner des défaillances) à 4 (grande aisance). On remarque que le savoir-être n’est pas nécessairement présent dans la composition d’un domaine s’il ne peut être formalisé. Il laisse place par contre au savoir-faire faire qui se compose du processus de transmission mais également de management et de formation très important dans le cas de l’entreprise en réseau et du management des connaissances. Une méthodologie ainsi qu’un exemple sont proposés ici : http://www2c.ac-lille.fr/cnrpm/dec/Analyse%20des%20comp%C3%A9tences.ppt

Le processus proposé comprend cinq phases : l’identification des emplois concernés, la description des emplois, l’inventaire des activités, l’identification des actes compétences et la structuration des activités puis l’identification des thèmes de formation et surtout des seuils de franchissement. Cette approche permet à l’entreprise une rosace pour comparer les compétences requises et les compétences réelles dans une logique de gestion prévisionnelle. Ainsi la cartographie permet-elle de définir les emplois à tenir mais aussi de positionner les salariés en termes de ressources est donc d’envisager des actions de management et de formation. On retiendra la notion de ressources incorporées qui revient dans certaines définitions de la compétence ainsi que l’approche dynamique du modèle avec les seuils de franchissement permettant à un salarié de passer d’un niveau de maîtrise à un autre en respectant les items du tableau. S’il est indiscutable que la codification permet au management non seulement d’évaluer les compétences mais également de les gérer et de les faire évoluer, on peut se demander si l’entreprise n’a pas eu intérêt à chercher à modéliser la compétence en posant un cadre global voire en cherchant un modèle idéal.

1.3. Modéliser la compétence pour mieux la comprendre

Les préoccupations des entreprises et de la plupart des chercheurs convergent alors vers la recherche de modélisations de la compétence pour mieux pouvoir l’utiliser, tant sur le plan pédagogique, qu’au niveau de la formation initiale, que sur le plan opérationnel, afin de faciliter la gestion des ressources humaines ; comme outil de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, aide au recrutement ou à l’évaluation.

Zarifian, un des précurseurs de la « logique compétence » la présente comme un nouveau modèle de qualification assez simple à caractériser mais difficile à mettre en œuvre. Selon lui, les compétences sont mobilisées par l’individu comme sujet agissant la plupart du temps dans une logique de réseau, c’est-à-dire de compétence collective. Ainsi le modèle de la compétence remplace-t-il le modèle du poste de travail devenu socialement inacceptable mais également contre-productif et décalé par rapport à l’évolution du travail. Zarifian explique que c’est à partir de la maîtrise des situations de travail et de leur typage qu’il est possible d’en induire un référentiel de compétences. Ceux-ci varient d’une entreprise à une autre en fonction de leur spécificité. Pour un même intitulé de poste on peut ainsi trouver des nuances importantes dans des entreprises pourtant issues de la même branche professionnelle. Cependant, certains accords compétences ont été signés par des branches ce qui permet très facilement le passage d’une entreprise à une autre. On pourrait ainsi s’attendre à un développement de référentiels transversaux.

Toujours dans le cadre d’une recherche d’un modèle de la compétence, on a pu présenter l’entreprise à deux niveaux, avec un premier niveau « macro » de compétences dans lequel on retrouverait les compétences organisationnelles et puis un second niveau « micro » de compétences dans lequel on retrouverait les compétences individuelles. Cette approche (Rouby et Thomas, revue française de gestion) est intéressante car elle permet d’appréhender les compétences à deux niveaux : un premier niveau stratégique qui va s’intéresser aux compétences organisationnelles et un second niveau dévolu à la gestion des ressources humaines et qui va s’intéresser à la fois aux compétences individuelles et également aux compétences collectives (niveau « meso »). Le premier niveau fait plutôt référence aux compétences telles que celles définies par Hamel et Prahalad et qui constitueraient le cœur de compétences dans l’entreprise. Dans cette optique, on peut facilement expliquer la création de valeur comme émergeant d’une combinaison de ressources et de compétences. Il reste difficile d’identifier les compétences organisationnelles car il paraît complexe d’en dresser un véritable inventaire, même si plusieurs entreprises s’y sont attelées. Si l’on descend au niveau individuel, on peut plus facilement chercher à présenter voir modéliser les compétences attendues pour un salarié. On trouve de nombreux travaux de recherche au Canada dans ce domaine (Plaquette, Uquam, 2004). La modélisation des compétences a ainsi été au cœur de recherche portant sur l’ingénierie du télé apprentissage et permet en particulier de tracer assez finement des référentiels pour des ingénieurs ou des tuteurs en télé apprentissage. Cette modélisation s’appuie sur une analyse assez fine des compétences à l’aide d’outils de recueil et le tableau de compétences puis la modélisation est réalisée à l’aide de logiciels, en particulier ceux développés par le LICEF (laboratoire en informatique cognitive et environnements de formation http://www.licef.ca/). On peut citer par exemple le logiciel Compétences + qui est un outil Web qui permet d’éditer un profil de compétences et de l’intégrer au logiciel dont les interfaces s’adaptent en conséquences. Il permet également d’associer à chaque compétence des ressources d’enseignement et d’apprentissage (RÉA). Le logiciel développe une démarche en trois étapes.

  1. L’autoévaluation par l’usager de son niveau atteint pour chaque compétence ou l’évaluation par un tiers ;
  2. L’obtention d’un bilan d’analyse des forces et des faiblesses et des besoins d’acquisition de compétences
  3. L’élaboration d’un plan de développement, en utilisant les ressources associées aux compétences et en ajoutant d’autres ressources lorsque c’est nécessaire.

On voit clairement l’intérêt d’un tel outil même si, ici, il est issu d’un protocole de recherche assez poussé utilisant des outils logiciels développés en particulier par le professeur Plaquette au Canada. Celui-ci intègre d’ailleurs cette démarche dans sa définition personnelle du concept de compétence (Plaquette,2002), plus particulièrement dans la deuxième partie : « une compétence est un énoncé de principe qui régit une relation entre un public cible, une habileté et une connaissance. Un profil de compétences est un ensemble de compétences concernant un même public cible ».Une telle approche peut être applicable à des métiers assez qualifiés le plus souvent dans le domaine de l’ingénierie et de la formation.

 2. La compétence : une capacité à manager

Si définir la compétence s’avère une tâche ardue et qui a mobilisé de nombreux chercheurs, il paraît plus aisé d’expliquer l’intérêt du management des compétences, à condition de se placer dans le champ du management et d’éviter d’entrer dans des débats sociologiques sur l’instrumentalisation du concept de compétence au service de l’entreprise et au détriment des ouvriers. On peut quand même évoquer l’importance des travaux de Zarifian qui a démontré que la démarche compétences se situait en tension entre eux le pôle de la stratégie globale initiée par la direction de l’entreprise et le pôle salarial très souvent défendu par les syndicats. Pour les entreprises il s’agirait de créer un espace de confrontation et de dialogue entre les deux pôles ce qui suppose à la fois des conflits mais également des formes de coopération importantes (en particulier pour construire les référentiels de compétences). Cependant, des désaccords irréductibles peuvent se manifester à l’occasion par exemple de redéfinition de postes liées à des plans sociaux (Zarifian, 2005). D’autres contributions vont dans ce sens (Monchatre, 2005, pour le Céreq) démontrant que la notion de compétences se développait dans un contexte de recherche accrue de compétitivité et que la définition de la compétence restait l’affaire de l’entreprise. L’auteur explique ainsi que le passage de l’ouvrier à l’opérateur n’a pas éliminé toute forme de sujétion, bien au contraire ; et que si le développement des compétences a permis une normalisation du travail en entraînant responsabilité et polyvalence, l’opérateur reste bien au service de la performance et donc de l’entreprise. Cependant, force est de constater que manager la compétence est avant tout une nécessité pour les entreprises afin de s’adapter aux évolutions et qu’on peut y trouver un intérêt commun en termes d’employabilité pour le salarié. Ainsi est-on passé de la gestion des postes à la gestion des compétences et même aujourd’hui à la gestion par les compétences, en adoptant une véritable logique globale des compétences.

2.1. Manager la compétence pour s’adapter aux évolutions

Dès les années 80, Peter Drucker a montré l’importance du facteur humain dans la compétitivité des entreprises. La pensée stratégique a ainsi dû multiplier ses analyses au service des entreprises qui devaient faire face aux changements incessants des années 80. La gestion des compétences s’est alors imposée par rapport à l’approche classique de la gestion par poste. Dans sa dernière analyse, l’approche était taylorienne et correspondait à un travail prescrit autour d’une tâche élémentaire telle que dénoncée par Charlie Chaplin dans les temps modernes. La flexibilité du travail a généré une importante demande de polyvalence qui a transformé l’évaluation en passant d’une analyse du poste à une analyse de l’activité. L’activité se définit alors comme un segment homogène d’emploi dans une logique de travail recomposé. C’est ce qui a permis de mettre en place les différents accords de la fin des années 90 comme dans la sidérurgie par exemple. Mais l’évolution du travail et les tranversalités récurrentes de situations montrent que les salariés mobilisent des compétences parfois ponctuelles. Ces différentes compétences validées ou capacités prouvées (Donnadieu, 2004) entraînent l’entreprise vers de nouvelles formes d’analyse permettant d’évaluer les ressources dont elle dispose, dans le cadre de sa gestion prévisionnelle des emplois et compétences par exemple. Mais on peut également aller plus loin en dénonçant que le salarié dispose de compétences personnelles qui constituent un potentiel qui n’est pas immédiatement mobilisable, mais le sera dans le futur ou moyennant des compléments de formation. C’est donc l’emploi qui joue ici le rôle de variable permettant de comprendre la compétence recherchée et montrant l’approche actuelle des entreprises qui segmentent les emplois à partir des compétences.

On a donc bien assisté à la fois une prise de conscience mais également un véritable mouvement qui a permis de développer de nouvelles formes de gestion des ressources humaines. Ce mouvement s’est adapté aux phénomènes de tertiarisation mais également au développement important des technologies de l’information et la communication, modifiant l’emploi en profondeur. Certains auteurs ont largement développé l’intérêt d’une gestion des compétences et de la mise en place d’outils en particulier les référentiels (Labruffe,2004). Cette approche permet non seulement d’analyser les besoins existants de l’organisation mais également d’évaluer ses forces et faiblesses. La facilitation des procédures de GRH ainsi acquise peut permettre à l’entreprise d’être plus réactive dans son recrutement mais également dans sa formation et ses actions de promotion. L’évaluation objective des compétences peut permettre de détecter des objectifs de progression et des gisements de compétences, entraînant l’efficacité personnelle de la plupart des salariés. La gestion des compétences apparaît alors comme un véritable corpus d’outils pour le manager moderne, pour recruter, intégrer, évaluer, développer et former. On peut également ajouter qu’elle est devenue le pivot de l’actuelle politique de rémunération de certaines entreprises car elle correspond bien au principe d’individualisation de la rémunération. Si l’intérêt pour l’entreprise est important on peut également se pencher sur l’intérêt pour le salarié. Si l’évaluation est véritablement participative, elle peut permettre d’instaurer un dialogue renforçant la motivation par la fixation d’objectifs structurés, claires et repérables. Ici, les référentiels de compétences permettent un étalonnage au sein de l’entreprise et peuvent permettre à tous de s’auto évaluer et de mesurer ses progrès ainsi que sa maîtrise de chaque unité de compétences. On revient ici à la notion de seuil de franchissement développé dans la cartographie des compétences qui doit permettre un individu de savoir à quel « niveau de maîtrise » de chaque compétence il se situe et ce qui lui manque pour atteindre le niveau supérieur. Sans revenir sur les différentes approches des niveaux de maîtrise, on peut dire que chaque analyse distingue au moins trois niveaux de maîtrise (et parfois jusqu’à sept). Dans l’approche la plus développée (Labruffe, 2004) qui a servi de référence à l’AFNOR, l’auteur présente une échelle passant du niveau zéro (ignorant), au niveau un (connaisseur théorique), puis le niveau 2 (utilisateur), le niveau trois étant celui de généraliste, le quatre étant celui de professionnel (s’adaptant à des situations nouvelles), puis vient le niveau cinq (technicien) caractérisant la maîtrise des situations difficiles. Dans les deux derniers niveaux ont touche à une maîtrise très poussée du domaine de compétence. Le niveau six (spécialiste) permet de modéliser, d’affronter et de maîtriser toutes les situations, même improvisées mais également de les enseigner et d’entreprendre des recherches pour en améliorer l’efficacité. Le niveau sept (expert) est le plus élevé car il induit la capacité d’innovation qui permet la mise en place de normes et l’établissement de procédures de référence mais également une reconnaissance nationale voire internationale.

On voit bien qu’une telle échelle peut permettre à n’importe quel salarié, dans son domaine, de se positionner, à l’occasion d’entretien d’évaluation par exemple mais aussi dans le cadre d’une procédure de validation des acquis de ’expérience.

On le voit, le développement actuel ne doit rien au hasard et le mouvement s’est largement accéléré dans les années 90 devenant un enjeu important de négociation collective. Les années 2000 ont permis la normalisation du processus, tant dans les milieux professionnels (MEDEF) que dans les milieux institutionnels (ANPE, APEC). Les compétences sont devenues un objet de certification dans la version 2000 des normes ISO 9000. C’est donc devenu une garantie de développement et de pérennité des systèmes mis en place par les entreprises fondées sur les compétences, entraînant ainsi le développement des moyens attribués aux DRH. Ce mouvement a permis le développement de l’autonomie au travail, en particulier dans les postes de techniciens supérieurs et d’encadrement intermédiaire. Certains auteurs ont montré que la logique compétence se situe au cœur de la politique de ressources humaines et l’organisation ( Le Boterf, 2000). Les fonctions de la direction des ressources humaines sont devenues beaucoup plus complexes qu’autrefois et le manque de visibilité oblige les DRH à mettre en place des politiques de stimulation des ressources humaines. Ces politiques peuvent s’appuyer sur le système de classification obtenue par le référentiel de compétences. Enfin, la nécessaire régulation des ressources humaines dans un contexte de plus en plus mouvant a mis en relief la gestion des compétences comme pilier des systèmes de gestion prévisionnelle de l’emploi et les compétences. Un dernier axe paraît essentiel, tant pour l’entreprise que pour le salarié c’est celui de la rémunération qui peut s’analyser dans une logique de rémunération des compétences. Mais cette approche induite une prise en compte encore plus forte des compétences qui deviennent alors le véritable objet de ce système de gestion et permet de parler d’une gestion par les compétences comme modèle succédant à la gestion des compétences.

2.2. Passer de la gestion des compétences à la gestion par les compétences

Le passage de la gestion des emplois à la gestion des compétences a donc été largement étudié par les auteurs (Gilbert et Thionville, 2003) qui ont démontré que la gestion des compétences était un processus intégrateur qui permettait d’articuler entre eux des couples de domaine de gestion auparavant perçue comme séparés ; c’est-à-dire la gestion des structures de travail ainsi que celle des ressources humaines mais également la gestion individuelle et la gestion collective puis la gestion à court terme et la gestion à long terme et enfin la gestion quantitative et la gestion qualitative. La gestion des compétences apparaît comme un premier niveau d’analyse à d’une démarche compétences complète. Il est plutôt descriptif et permet principalement de faire un état des lieux d’existants. Nous avons vu plus haut que la tâche la plus importante consiste à répertorier l’ensemble des compétences requises par métier et les compétences détenues par les salariés afin de réaliser la meilleure adéquation entre les besoins des ressources, c’est le cadre de la G. P. E. C. Certains auteurs ont introduit une nuance entre gestion des compétences et management des compétences. Le management dépasserait le champ de la gestion car il aurait pour objet de développer les compétences métier afin d’améliorer la performance des équipes. Nous ne sommes plus dans le cadre de la fonction ressources humaines mais plus dans le management opérationnel ce qui constitue un véritable transfert de responsabilités. Ce transfert est difficile à mettre en œuvre car il concerne un nombre important d’acteurs (les managers) et suppose leur implication. Ce transfert se réalise « vers le terrain » et rend le management des compétences véritablement opérationnelles, car quotidien et impliquant. Ce n’est plus seulement un processus qui vient de la direction des ressources humaines mais bien une réalité au sein de chaque équipe de collaborateurs. On peut se contenter de rester à ce niveau mais certains auteurs ont montré les bénéfices du passage à un troisième niveau que constitue le management par les compétences (Cohen et Soulier, 2004 pour la CEGOS). C’est ce dernier niveau qui permet le pilotage de l’entreprise dans un environnement turbulent et développe l’intelligence « collective » de l’entreprise. Le management est ici au service de la collectivité dans une logique de valorisation du capital humain ce qui remet au goût du jour les travaux d’Hamel et Prahalad, en plaçant le facteur humain comme un véritable vecteur de compétitivité et de performance. En termes de culture d’entreprise, l’entreprise qui manage par les compétences peut bénéficier d’une valorisation et d’une cohésion importante autour d’objectifs stratégiques. Enfin on peut dire que cette approche n’est plus élitiste comme l’approche par les compétences, nécessairement individuelle, car elle est traitée au niveau de l’entreprise et cherche à développer toutes les compétences de l’organisation s’attachant par exemple à identifier ses points faibles. Ainsi, le management par les compétences permet-il de générer un double bénéfice ; tant au niveau de l’individu comme de l’entreprise. En effet, l’individu permet d’assurer son employabilité tout au long de la vie, ce qui fait l’objet de plusieurs dispositifs légaux aujourd’hui et correspond à la logique de valorisation des acquis de l’expérience. Il a la possibilité d’intégrer des compétences développées dans la vie associative ou familiale ; les récentes lois sur la formation professionnelle ont valorisé cette démarche. Cependant, on remarque un déséquilibre dans la mise en place au niveau des entreprises avec toujours une inégalité entre petites et grandes entreprises. Au niveau de l’entreprise, le management par les compétences entraîne un impact important et structurant sur l’entreprise qui permet plus simplement de réduire les écarts de compétences utiles à court terme et qui cherche à se projeter à quelques années. Le développement de véritables politiques de formation en est l’illustration.

Certains auteurs ont cherché à recenser les avantages de cette approche par les compétences (Donnadieu, 1999). Les retombées quantitatives peuvent être multiples même si elles ne sont pas immédiatement chiffrables. L’entreprise sera beaucoup plus flexible et réactive face aux bouleversements de son marché car elle peut recomposer très vite son organisation et ses moyens. On peut parler également d’un effet communication qui empêche les salariés d’avoir un comportement anonyme et les met en situation de perfectionnement permanent. Cette situation peut développer l’efficacité, la motivation et l’implication. Certes, la principale objection reste celle du coût, dont l’importance est visible à court terme et qui constitue une forme d’investissement pas toujours rentable. Certaines politiques de formation amèneraient les salariés à se surqualifier ce qui produirait un vecteur de démobilisation. Cependant, force est de constater que l’organisation gagne en plasticité et peut ajuster rapidement ses ressources grâce à ce type de management. On rentre donc dans une forme de singularité qui transforme chaque salarié en « ressource unique » pour l’entreprise. On peut alors chercher à qualifier véritablement cette logique de compétence, afin que d’en dégager les rouages et donc les enjeux.

2.3. Enjeux et critiques de la logique compétence

Si la notion de compétence fait débat, c’est aussi parce que certains auteurs y voient une approche opportuniste et manipulatoire de la part de l’entreprise. La logique compétence accroîtrait la subordination des salariés vis-à-vis de son employeur parce qu’elle inclut l’évaluation des attitudes, des comportements et de l’engagement des individus sur les objectifs de performance de l’entreprise. Ceux ci sont bien sûr déterminés par l’entreprise. Pour Zarifian, on serait dans une forme d’évaluation de l’engagement du salarié qui renverrait à une évaluation de la loyauté. On se souvient par exemple de l’affaire des évaluations chez IBM France qui devait permettre de connaître les noms des futurs licenciés. Ces évaluations ne se basaient pas uniquement sur les compétences mais bien sur les attitudes des employés vis-à-vis de l’entreprise. On se retrouverait donc dans une logique normative qui entraînerait la conformité des salariés dans une perspective d’avancement et de promotion (Durand, 2000). La principale critique adressée à la logique compétence porte sur la transparence de la procédure d’évaluation qui aurait souvent lieu « à la tête du client ».

On peut alors se demander si la logique compétence est un véritable changement de fond ou simplement comme l’estiment certains (Devos et Leonard, 2002) un changement superficiel (étude du cas d’Usinor). Certains auteurs pensent donc que la logique compétence ne fait que compléter le contrat de travail puisque l’employeur contrôle maintenant le comportement des salariés pendant le temps de travail qu’il leur achète (Durand, 2000). Zarifian s’interroge donc sur les capacités des directions à faire partager tous les enjeux avec les salariés pour conclure que certains d’entre eux resteront « du domaine de conflit d’intérêts antagonistes ». Les enjeux seront parfois partagés mais sans partage des valeurs du fait de la force des situations. La question de l’évaluation des comportements reste posée et fait débat. Des travaux assez poussés ont ainsi pu porter sur l’évaluation des compétences relationnelles (Labruffe, 2005), afin de formaliser les savoir-être et d’élaborer des référentiels à ce sujet. Ces référentiels portent sur le domaine des compétences personnelles (comme l’affirmation de soi, la préparation mentale, la communication interpersonnelle, la créativité, l’efficacité personnelle, l’écoute active, la gestion du stress et celle du temps), mais aussi sur le domaine des compétences relationnelles (l’accueil, l’animation de groupes, la coopération, l’intelligence affective, le travail en équipe). L’auteur complète son tour d’horizon par une troisième grille de compétences liées au management relationnel (délégation, prise de décision, leader Philippe, pédagogie des adultes, relations d’appui) ainsi qu’aux compétences organisationnelles (connaissance de l’entreprise,e-tutorat, communication interne, sécurité, veille technologique…). L’idée de l’auteur est de transformer le savoir-être en savoir agir dans une logique de qualité. Le problème qui se pose à travers l’analyse comportementale est celui de l’adhésion des salariés à cette logique, car on pourrait penser qu’en ce cas qu’elle accroît la subordination vis-à-vis de son employeur en permettant l’évaluation de ses attitudes et de son engagement à travers le comportement (Zarian, Durand).

Enfin, lorsqu’on étudie de près l’accord A.CAP 2000 de la sidérurgie sur la logique compétence, on peut revenir sur les effets prétendus de cette logique. Celle-ci doit conduire l’entreprise à prendre en compte les connaissances et expériences des salariés (et non plus les qualifications) mais aussi à en tirer les conséquences (rémunération, gestion des carrières) et surtout à créer les conditions nécessaires pour que les salariés puissent mettre en oeuvre leurs compétences. C’est sur ce point que le texte est critiqué, car là où on y verrait plus des dispositifs participatifs de formation et de management des connaissances, on montrera parfois des formes de diktats de l’objectif, voire un management par le stress. Le même accord va assez loin en utilisant le mot « impose » adressé aux salariés en termes de comportements attendus et justifiant une certaine conception de la fonction encadrement.

Le respect complet de la norme FD X 50-183 de l’AFNOR suppose en effet la mise en place d’actions très précises de développement des compétences (Paragraphe 6.5), comme la formation ou la mobilité pour lesquelles le management occupe un rôle prépondérant dans la décision. De plus, le paragraphe 7 intitulé « du management des compétences au management par les compétences » revient sur les aspects organisationnels et met l’accent sur les ressources humaines. Ce type de management reconnaît le caractère contributif des ressources humaines à la stratégie globale de l’organisme dans une logique non plus de réactivité mais de pro-activité. Ici, le management joue un rôle moteur quel que soit son niveau (management de proximité comme celui du manager de rayon ou du responsable d’agence bancaire), en particulier dans l’évaluation des compétences mais également dans la recherche de l’amélioration continue dans une logique de compétence collective de l’organisme.

 3. La compétence : une ressource à développer

Même si de nombreuses critiques ont émaillé la mise en place de la logique compétence, celle-ci est bien ancrée aujourd’hui dans la pratique de nombreuses entreprises et on peut chercher à cerner les conditions de son développement et de savoir comment le management peut influer sur cette ressource, et jusqu’où peut-il le faire.

3.1. Développer la compétence : des leviers à utiliser

De nombreux articles rappellent le rôle important joué par les managers sur le développement de la compétence individuelle (Monchatre, 2005), et surtout du management de proximité lui-même engagé dans une logique personnelle de développement de ses propres compétences. Ainsi, quels que soient les actions mises en place, c’est au management d’inventer des formes de régulation pour préserver le bon fonctionnement des équipes et éviter la démobilisation.

Un certain nombre d’actions de soutien peuvent ainsi être menées (Chaminade, 2004), comme la multiplication des entretiens individuels d’évaluation mais également de bilan intermédiaire ou même de coaching. Dans cette logique, ces entretiens apparaissent comme des entretiens de développement dépassant la notion d’évaluation et permettant de mobiliser le salarié dans sa capacité à maintenir mais aussi à acquérir des compétences. Les entreprises utilisent aussi largement le levier de la rémunération pour encourager l’implication et le développement des personnes dans l’amélioration continue de leurs compétences (voir norme ISO 9004 paragraphe 6.2.1.). La mise en place de ce système de rémunération s’accompagne d’un besoin de transparence et de l’utilisation d’outils d’évaluation parfaitement rodés. On peut également s’appuyer sur le management des connaissances qui permet de donner un avantage compétitif décisif aux entreprises. La gestion des connaissances suppose leur identification par une collecte et la capitalisation des informations ainsi récupérées, pour en faciliter le transfert et le partage. On peut également chercher à développer les pratiques d’intégration de façon à améliorer plus rapidement les compétences des nouveaux salariés. La réduction du délai d’apprentissage en sera la résultante. On compromet ici la responsabilité des managers à ce niveau qui a souvent été négligée par le passé. On peut également travailler dans une logique de sensibilisation à la qualité en particulier en démontrant les intérêts pour chaque acteur d’entreprise. On sera alors dans une politique d’amélioration continue qui s’appuie sur un « comportement qualité ». On attend de ce dispositif une meilleure coopération mais également une aptitude à la résolution de problèmes et un développement de la créativité et de l’innovation. Enfin il s’agit d’évoquer ce qui constitue à notre sens le principal levier du développement des compétences : la formation. En effet, elle sert à la fois à renforcer l’implication, améliorer le leadership mais également faciliter la résolution de problèmes et la satisfaction des clients. C’est aussi le principal outil permettant de réduire les écarts entre les compétences observées chez les salariés les compétences attendues dans le cadre d’une politique de gestion prévisionnelle. Il s’agit donc d’identifier les besoins de formation et de mettre en place des stratégies de développement des compétences par la formation. On a alors le choix parmi de nombreux moyens internes (tutorat, autoformation, formation à distance, formation interne…) et externes (formation externe, alternance, participation à des réseaux d’experts, colloques…). Les nouveaux dispositifs de formation professionnelle doivent permettre le développement de ce levier (DIF), et on peut intelligemment l’associer au dispositif de validation des acquis de l’expérience, comme ce fut le cas d’entreprises Danone avec le programme Evoluance (lire à ce propos : www.greta.ac-versailles.fr/docs_pdf/article_danone.pdf). Il s’agit ici d’un véritable travail d’ingénierie des compétences permettant d’analyser l’expérience de certains salariés afin d’élaborer un système de formation permettant d’acquérir des modules qui ne pourraient l’être dans le cas d’une certification par la VAE.

Mais ces actions de soutien soulèvent un certain nombre de questions auxquelles certains auteurs ont cherché à répondre (Lévy Leboyer, 2008). La première concerne la place du développement des compétences dans l’ensemble des activités de formation. Il s’agit de savoir si oui ou non le développement des compétences fait partie des activités traditionnelles de formation. Si ce développement passe par d’autres organisations de la formation, comment les réaliser et avec quels moyens ? L’auteur montre la différence entre la formation traditionnelle qui peut être systématisée et le plan de développement des compétences qui supposent une analyse des besoins assez fouillée ; on ne peut plus parler de formation et on doit rester sur le plan individuel. L’auteur met l’accent sur la capacité à apprendre qu’avait déjà été étudié par Shein (1989) ou Argyris (1991), la priorité étant donnée au fait « d’apprendre à apprendre ».

La deuxième question est cruciale car elle était au centre du développement de la VAE. Il s’agit de déterminer en quoi l’expérience est-elle une source de compétence (voir « quand l’expérience se fait savoir » d’Alex Lainé, 2005). Il s’agira donc de s’intéresser au changement de fonction mais également à l’évolution vers des fonctions exigeantes génératrices de problèmes à résoudre et de défi présentant un potentiel de développement (missions internationales, lancement de nouveaux produits…). La troisième question porte sur les dispositifs de mise en œuvre du développement des compétences. Il s’agit de savoir quelles expériences ont un contenu pédagogique et comment faire correspondre des expériences précises avec des objectifs, donc des compétences spécifiques à acquérir. On peut ici poser le postulat que l’expérience améliore progressivement la qualité des activités professionnelles, en particulier grâce à différents processus d’apprentissage. Il s’agit d’abord de l’amélioration de la perception puis de l’automatisation des comportements. La compétence devient inconsciente (Bateson, 1984). Cependant l’expérience ne sera véritablement formatrice que pour ceux qui peuvent et qui veulent adopter une attitude active avec une réelle réflexivité (Gourmelen, 2007). Enfin, il est toujours difficile de généraliser une méthode pédagogique et il s’agit de savoir si la politique de développement des compétences par la formation peut être générale ou doit-elle rester individualisée. Différents styles d’apprentissage peuvent être distingués qui rendent au développement d’actions de formation à caractère individuel basé sur l’analyse des styles cognitifs de chaque salarié. La dynamique dévolution des compétences peut donner lieu à de véritables projets dans certaines entreprises comme la mise en place d’entretiens structurés (Dejoux et Dietrich in « management par les compétences, le cas Manpower », Pearson éducation). Une cellule de mobilité a ainsi été mise en place chez IBM au moment où l’entreprise traversait une grave crise permettant d’évaluer les compétences de ses collaborateurs et de mettre en place des outils permettant la mobilité (congés…). La mobilité constitue chez Manpower une véritable condition de promotion interne et de nombreux outils ont été déployés pour la faciliter. Dans cette dernière entreprise, un véritable parcours de développement de la compétence a été modélisé permettant aux salariés de passer de « junior » à « expert » dans le cadre d’un parcours balisé aux exigences croissantes. Les actions de formation accompagnent ces parcours avec un quadruple objectif : acquérir des compétences nouvelles, développer les compétences actuelles, apprendre à transférer des compétences et apprendre à évaluer les autres. Si l’on cherche à théoriser cette approche en termes de levier, on se retrouve dans une analyse qui tient compte des trois dimensions de la compétence (Durand, 2000).

La première série de leviers dont disposent les managers renvoient à la dimension des savoirs à travers la construction et le développement au sein de l’organisation d’une stratégie ( le pourquoi). Dans une deuxième dimension, l’organisation s’attachera à développer une organisation et des processus qui sont plutôt liés à l’axe des savoir-faire. Enfin dans une troisième dimension, l’entreprise va rechercher la mobilisation des salariés en travaillant sur des méthodologies d’implication renvoyant à la dimension des savoir-être (attitudes). Pour aller plus loin dans cette analyse, Durand propose de rechercher la dynamique de construction des compétences à travers des actions différentes (action sur l’information pour développer le savoir, travail sur l’action pour développer des savoir-faire et développement des modalités d’interaction pour favoriser les savoir-être). Il étudie également la dynamique d’accumulation des compétences qui, là aussi, repose sur trois dimensions à gérer par le management. La dimension informationnelle renvoie au savoir et induit un développement de la formation formelle et des stratégies d’apprentissage. Le développement des savoir-faire se fait par des méthodologies d’apprentissage en particulier auprès de compagnons afin d’intégrer les principales techniques. Quant au savoir-être, il se développe grâce à l’échange et suppose un travail d’interaction. Les trois dimensions sont interdépendantes. On peut rappeler que Piaget a démontré que la connaissance se construit par l’action (1948). Il est donc indispensable que le savoir s’appuie sur l’action et pour éviter de se fragiliser. Mais le savoir doit être incarné et s’appuyer sur le savoir-être qui lui-même est inutile sans compréhension de la situation. Enfin, les savoir-faire et les savoir-être sont liés, les savoir-être étant inopérant sans savoir-faire et le savoir-faire collectif supposant des savoir-être.

En fait, quelles que soient les actions mises en place par le management, il s’agit de rester dans cette logique tridimensionnelle et de ne pas isoler un des facteurs du développement de la compétence sous peine de prêter le flanc aux critiques décrivant ces actions comme inutiles ou dénuées de sens. Les différents travaux dans ce domaine montrent qu’une réelle implication de tous les acteurs est la clé du développement des compétences par la réussite des différentes actions évoquées. Si l’action sur les savoirs et celle sur les savoir-faire parait évidente, les développements récents du management par les compétences ont beaucoup mis en avant les savoir-être. Cependant, une question importante se pose dès que l’on rentre dans le champ comportemental : peut-on rationaliser les comportements ? Il convient donc de savoir jusqu’où on peut manager des compétences et émissions peut véritablement manager les savoir-être.

3.2. Peut-on manager les savoir-être ?

Hersey et Blanchard ont développé en 1968 une théorie alternative au management directif et au management participatif : le management adaptatif. Celle-ci est basée sur un nouveau modèle de leadership s’adaptant aux compétences et aux besoins des collaborateurs. Cependant, si le modèle a fait recette pendant une trentaine d’années parmi les managers c’est aussi parce qu’il supposait une approche pragmatique assez simple et peu théorique. En effet, ils postulaient qu’il fallait adapter le leadership aux capacités psychologiques des subordonnés. Cependant, ce modèle a rencontré de nombreuses critiques surtout dans sa difficulté à proposer une évaluation précise de la capacité à travailler de l’engagement face au travail. De plus, le fait de tenir compte des comportements peut sembler intéressant mais pose la question de la métrologie des savoir-être et de la construction de grilles d’analyse. Les faiblesses du modèle sont liées à la difficulté de poser un bon diagnostic mais également à l’absence de travaux théoriques sur la question (Proulx, 2006).

La question est donc posée de savoir si l’on peut véritablement manager les comportements, ce qui n’a pas donné lieu à de nombreuses recherches sur la question, le domaine comportemental restant difficile à explorer au niveau théorique. Ainsi les « savoir-être » ont-ils été considérés comme un « angle mort » des débats sur la compétence (Ségal, 2006). À partir de l’étude de quelques cas d’entreprises l’auteur a ainsi essayé de montrer les grandes lignes de ce mode de rationalisation du travail par la rationalisation de la subjectivité. Elle s’est attachée à étudier les modèles de contraintes utilisées par le management en vue d’obtenir certains comportements des salariés. Différentes réactions de ceux-ci peuvent apparaître (différentes formes d’adhésion, le retrait, voire la simulation...) Mais elles ne remettent pas fondamentalement en cause ce mode de rationalisation. Cette logique a pu permettre de développer des notions de « compétences relationnelles » mais également « d’aptitude » et de « savoir-être ». Ce constat a entraîné certains chercheurs à s’intéresser à la construction de repères le plus souvent sou forme de gris ou de référentiels des compétences relationnelles (Labruffe, 2005, pour l’AFNOR). L’enjeu est important car on a pu se demander si ces compétences relationnelles pouvaient devenir stratégiques (Persais, 2004). On a même pu parler à un moment donné de « compétence-clé ». Les chercheurs rappellent que la construction d’une compétence relationnelle suppose que l’entreprise agisse simultanément sur les trois dimensions qui la feront progressivement émerger (savoirs, pratiques et attitudes). L’accent est mis sur les interactions, la communication entre les individus (Durand, 1996). Le développement des compétences relationnelles serait donc subordonné à la présence de relations continues entre les différents acteurs d’entreprise, à travers le dialogue mais également la volonté de remise en cause. Elle porterait en elle-même son propre potentiel de changement (Feldman, 2000). Cependant, on ne peut parler de compétences relationnelles sans l’existence d’un savoir-être de départ. Celui-ci suppose le développement conjoint d’une certaine loyauté du salarié mais également d’une attitude active de l’entreprise, le tout dans un certain climat de confiance et de compréhension mutuelle. La plupart des auteurs retiennent le rôle joué par le leadership sur les acteurs de l’entreprise et donc l’importance du management de proximité. La notion d’effet d’entraînement revient souvent en référence à un système de valeurs partagées. Il a été démontré que les salariés pouvaient fonctionner à l’aide de modèles dans une logique identitaire qui intéresse la culture d’entreprise. La répétition de comportements communs aboutit à l’émergence d’une culture commune et à la constitution d’un savoir-être collectif.

Plus concrètement on peut se demander comment acquérir certaines compétences comportementales qui constitueraient le cœur de certains métiers. Il est ainsi intéressant de se demander si ces compétences relèvent de la personnalité ou si elles peuvent s’acquérir par la formation et l’expérience (voir l’article de Maguy Perea pour le CRCOM : http://www.crcom.ac-versailles.fr/spip.php?article449). On peut donc dire que les compétences comportementales peuvent s’acquérir car elles correspondent à certaines actions concrètes de travail et donc se développe sur le terrain, par la pratique. Elles peuvent cependant être travaillées lors de formation, que ce soit en amont lors de la formation initiale même si cela reste une simple ébauche (à travers les ateliers métiers du BTS AM, par exemple ou par des jeux de rôle en STS MUC ou NRC) ou lors de formations continues ponctuelles, plus axées sur le retour d’expérience. Ce qui intéresse surtout l’entreprise c’est la possibilité d’évaluer ces compétences comportementales au même titre que les autres types de compétences. Le management a souvent recours à ce champ d’évaluation lors de l’entretien annuel d’évaluation en utilisant certaines situations rencontrées. La méthode des incidents critiques (Flanagan, 1954). Cette technique permet de sélectionner des informations correspondant aux aspects cruciaux du comportement et de faire apparaître des comportements essentiels à travers l’évocation d’incidents critiques. Le manager cherchera à en tirer des déductions et des prédictions sur la personne qui a effectué l’acte. Les compétences qui sont extraites de ces récits peuvent être mises en exergue lors des entretiens d’évaluation mais également dans une logique de démarche individuelle du salarié (par exemple lors du montage d’un dossier de VAE). Ainsi, pour bien comprendre la notion de savoir-être, on peut chercher à travailler sur ses différentes composantes, cognitives, psychologiques et environnementales. Il s’agit ainsi de bien comprendre en quoi elle peut être indispensable pour l’entreprise (Penso-Latouche, 2000). L’auteur a ainsi cherché à la visualiser en menant une investigation approfondie permettant de confronter les problématiques de différents secteurs mais aussi de différents salariés (ouvriers, techniciens, cadres). Dans cette recherche-action plusieurs hypothèses ont été avancées. Le savoir-être se décomposerait ainsi en éléments cognitifs mais cette décomposition ne permet pas de l’expliciter dans sa totalité et réclame de trouver d’autres facteurs explicatifs. Ce qui veut dire que même si les savoir-être ont acquis un statut de concept, ils restent vides d’une définition exacte. D’autre part, l’auteur s’interroge sur la partie d’inexplicable concernant les comportements et qui pose un véritable problème pour leur évaluation, lors de l’entretien annuel par exemple. Nous sommes donc face à un paradoxe puisque l’entreprise cherche à standardiser les comportements qui par nature ne peuvent l’être puisqu’ils sont en interaction constante avec l’environnement. À la question de savoir comment l’opérationnaliser, l’auteur avance une démarche sous un angle cognitif, menée en profondeur lors d’une investigation, par les différents managers du salarié. On pourra également s’intéresser aux caractéristiques individuelles du salarié et les mettre en relation avec les éléments identitaires de l’entreprise. Enfin il conviendra de chercher à évaluer correctement ces compétences.

On peut alors se référer aux travaux menés lors de la définition des différentes normes AFNOR. Nous avons évoqué plus haut les travaux menés dans le cadre de la mise en place de référentiels de savoir-être (Labruffe, 2005) pour l’AFNOR. Ils permettent de dépasser l’approche procédurale classique et technique du management de la qualité, mais également de dépasser les comportements tels que les horaires. L’AFNOR définit les savoir-être comme : « un savoir-faire relationnel décrivant des comportements et attitudes attendus dans une situation donnée ». Cette conception implique que le savoir-être souscrit à une procédure, un protocole ou un mode d’emploi clairement identifiés. L’enjeu de cette identification, c’est de permettre l’apprentissage et le perfectionnement de ses savoir-être. On peut citer les travaux de Deming (1984) sur le management relationnel qui doit, selon lui, se substituer au management par objectif ; dans une logique qualitative permettant de tisser et renforcer les relations du réseau d’acteurs de l’entreprise. Mais la formalisation de savoir-être ne doit pas conduire à « étiqueter » les individus. Cela reste difficile car les premiers travaux sur les savoir-être ont fait émerger des notions comme l’intelligence et l’affectivité qu’on a tout de suite cherchée à étalonner (en particulier à travers le quotient intellectuel ou le quotient émotionnel). Lévy-Leboyer dénonçait déjà dans un rapport ancien (1973) l’évaluation traditionnelle des salariés, avec des tests psychologiques, qui produisait l’effet inverse à celui recherché. L’évaluation de savoir-être réclame donc d’être effectuée par des experts très compétents en maîtrisant des outils conceptuels et méthodologiques dénués de toute subjectivité. Il convient donc dans un premier temps de mettre en place des grilles d’analyse permettant aux salariés de mieux se connaître. Ensuite, la formalisation de savoir-être passera par l’élaboration d’un référentiel qui utilisera la même méthodologie que pour les autres référentiels de compétences. On pourra alors affiner l’appréciation en indiquant pour chaque thème, 1 degré d’apprentissage minimal, 1 degré d’apprentissage approximatif, 1 degré évolué et 1 degré d’apprentissage parfaitement maîtrisé, voire automatisé qui permet de faire face aux imprévus et aux difficultés de tous ordres. On retrouve bien ici la logique d’évolution dans chaque compétence et le passage de paliers. Nous avons vu plus haut les domaines qui composaient le pôle de compétences relationnelles, leur nombre et le développement de leurs différentes unités peuvent constituer un gage de précision permettant de manager une véritable analyse des savoir-être dans une logique de qualité. Là encore la responsabilité est portée par les managers. Cependant, avec de tels outils on peut penser que l’entreprise cherche, plus qu’à évaluer, qu’à détecter des potentiels évolutifs (de futurs experts par exemple). Dans cet esprit, on pouvait aller encore plus loin que le management par les compétences, en cherchant, comme le font les grands clubs sportifs, à trouver de véritables talents professionnels.

3.3. Après la gestion des compétences, la gestion des talents ?

Lors de l’université d’été de l’éducation nationale, consacrée, en 2005, à la gestion des ressources humaines, Pierre Miralès a présenté un concept jusque-là peu développé en France : la gestion des talents (lire : http://eduscol.education.fr/cid46099/le-management-des-talents -une-nouvelle-formede-grh-adaptee-aux-professionnels-autonomes .html). Ce travail a donné lieu à une recherche doctorale de l’auteur qui a cherché à définir la notion de talent, à montrer en quoi elle dépassait le management par les compétences et à présenter les conditions de sa mise en place dans les entreprises. Dans ce modèle de management, le talent est défini comme « l’excellence conjuguée à la différence ». Ce modèle avait été présenté dans la revue Economie et management (« la gestion des compétences au management des talents » n°115, 2005) par l’auteur. Si le modèle de la compétence a succédé au modèle de la qualification, il n’a pas permis de répondre aux nouveaux enjeux de l’entreprise en particulier dans certains domaines (high tech, communication, recherche…). En effet, dans de nombreux secteurs de l’économie la performance des organisations repose aujourd’hui de plus en plus sur l’excellence individuelle d’un petit nombre de personnes clés qui disposent d’atouts personnels exceptionnels et contrôlent des processus déterminants pour l’organisation. On peut faire facilement le lien avec certaines équipes sportives qui recherchent systématiquement deux ou trois talents exceptionnels pour « faire la différence ». Ce peut être aussi le cas de certaines entreprises de très haut niveau dans leur « chasse au cerveaux » ou de chaînes de télévision qui cherche à recruter le meilleur présentateur du journal de 20 heures. De nombreuses études se sont penchées sur le cas de la Silicon Valley et de sa façon de gérer les personnes dans une recherche de l’excellence. Le modèle Apple et plus récemment celui de Google ont souvent été évoqués. Chez Google par exemple le recrutement s’apparente à une véritable compétition permettant l’émergence de talents très pointus qui ont ensuite libre cours pour travailler sur des processus innovants permettant de développer le modèle économique de Google. Ainsi, si la compétence d’un individu peut se définir par ce qu’il sait faire, son talent est caractéristique de ce qu’il sait faire mieux que les autres. C’est donc une excellence qui est le fruit de caractéristiques personnelles rares le plus souvent liées à une passion pour une activité (on peut prendre pour exemple les « geeks » qui composent les services informatiques des grandes sociétés américaines de la Silicon Valley). Cette passion permet un effort qui est entretenu par une pression compétitive, d’autant plus forte que les enjeux sont élevés. Selon Miralès : « il n’est de talent qui vaille que ce que rapporte l’activité dans laquelle il excelle ». Le cas actuel des traders fait couler beaucoup d’encre, car certaines entreprises sont prêtes à payer des bonus faramineux pour embaucher des « stars » du domaine. Le talent n’existe que parce qu’il est rare, faiblement imitable et très spécifique à la personne qui la détient. Ainsi, si l’attitude correspond au pouvoir de faire, la compétence correspond à l’utilisation d’une aptitude en référence à un domaine professionnel. Nous avons vu plus haut que l’expertise correspondait au niveau supérieur de compétences c’est-à-dire à un niveau d’excellence normalisé. Le talent serait donc défini de manière comparative par une différence, ce qui le distinguerait de l’expertise. Il est donc difficile à détecter. Ce qui suppose pour l’entreprise de développer des techniques permettant de le trouver et de l’embaucher. On peut ainsi utiliser le terme de « casting » pour l’ensemble d’actions permettant de détecter et d’embaucher les talents. À l’image des clubs sportifs on peut également dire que l’entreprise doit chercher à les capter le plus tôt possible mais également à les protéger de la tentation de partir vers une autre entreprise (ce qui peut se passer dans le cadre d’une « chasse de tête ») ou de les faire évoluer dans un cadre permettant l’expression de leur talent (conditions de travail, matériel…). Il est intéressant de voir que si le talent est un ensemble de dispositions exceptionnelles incorporées à l’individu et lié à une passion, il représente pour l’entreprise avant tout un haut potentiel est une ressource rare, dont l’utilisation doit être optimisée. Ce qui suppose d’utiliser réellement les talents (contrairement à certaines équipes sportives qui font parfois « végéter » des talents sur le banc de touche, voir à ce sujet le dernier numéro du magazine « sport et vie » consacré aux remplaçants, n°117 sur : http://www.sport-et-vie.com/). Il s’exprime dans un environnement d’incertitude dans une logique de haute performance (voir figure 1).

Source : Pierre Mirallès

Cependant, le management des talents suppose quatre grands types d’actions de la part de l’entreprise. Il faut d’abord le sélectionner (« scouting »), puis l’associer à d’autres (« casting »), en le préparant (« coaching »), sans oublier de le protéger (« cocooning »). L’entreprise devra donc veiller à mettre en place un véritable « paysage du talent » (voir figure suivante).

Source : Miralès, présenté lors de l’université d’été consacrée au management des RH

Cependant, ce qui peut sembler plus difficile pour les organisations c’est d’associer le talent à d’autres compétences dans une logique de management d’équipe. C’est le rôle assigné au « casting ». Il s’agit donc de composer une équipe équilibrée, par addition de contributions individuelles. Le travail d’équipe supposera donc la complémentarité par harmonisation des styles individuels mais aussi par entraînement collectif (à travers les groupes de projets par exemple). Mais l’impact des aptitudes individuelles se rallie à la nature des tâches collectives (Steiner, 1972) et le modèle compensatoire (basé sur la recherche d’une meilleure performance que la plupart) classique ne donnera pas toujours de bons résultats. Dans un modèle conjonctif, chaque membre devra nécessairement contribuer à la performance et le résultat du groupe dépendra du membre le moins compétent (le fameux « maillon faible » !). Le « casting » s’avère donc complexe pour les entreprises car l’environnement évolue, comme la concurrence et les dispositions des individus qui forment l’équipe. Cette recherche de la meilleure combinaison possible reste complexe pour l’entreprise et est devenue un enjeu majeur du management moderne. De plus, sa gestion reste spécifique (Thévenet, 2000) et reste basée sur le triptyque : reconnaître, protéger et exploiter. Cependant, trop d’efforts dans ce domaine peuvent générer des jalousies et des conflits d’intérêts importants (comme dans les banques par exemple avec le problème des traders) qui peuvent nuire à la cohésion de l’entreprise. Ensuite, tous les secteurs ne sont pas forcément concernés par la gestion des talents qui s’exprime surtout dans la haute technologie et dans certains secteurs en pointe. Enfin la mise en place d’une telle gestion suppose des coûts importants, en particulier dans leur rémunération mais également pour leur détection (chasse de tête spécifique) et leur accompagnement (coaching adapté).

 Conclusion :

Aborder un travail portant sur les compétences n’est pas une tâche aisée car la difficulté première est la définition du terme principal. Cependant, le mouvement est aujourd’hui bien ancré dans les entreprises et certaines conceptions de la compétence se sont imposées permettant la mise en place de référentiels de plus en plus complets. Ceux-ci vont continuer à évoluer pour s’adapter de manière constante aux exigences du marché ce qui veut dire que le management des ressources humaines va aussi changer de manière très rapide à ce niveau. Les nouvelles générations de DRH sont aujourd’hui habituées à utiliser ces concepts et ont bien perçu l’intérêt, tant pour les individus que pour les organisations d’un tel mode de management par les compétences. Cependant, des efforts restent à faire en particulier dans l’information pour que le système ne soit pas vécu comme une contrainte par les individus. Seule l’adoption d’une logique « gagnant/gagnant » permettra d’utiliser avec efficacité les différents leviers de la compétence. Les managers devront donc utiliser au service de l’entreprise mais sans oublier les intérêts des acteurs qui la composent. L’optique plus poussée de la gestion des talents mettra en relief de nouveaux problèmes liés à l’allocation des moyens importants consacrés à l’excellence dans l’entreprise et surtout à leur répartition inégale. On peut donc s’attendre à de nombreux développements dans ce domaine dans les prochaines années qui permettraient de répondre à la problématique de la performance. Il serait d’ailleurs intéressant de cerner les liens entre compétence et performance.

 Bibliographie indicative :

Ouvrages généraux :

  • Ressources humaines (Peretti chez Vuibert)
  • Les ressources humaines (Sous la direction de Weiss aux éditions d’organisation)
  • Guide pratique RH et compétences (Chaminade, AFNOR éditions)
  • Encyclopédie des RH (Allouche, Vuibert)
  • Le principe de Peter (Peter et Hull, livre de poche)

Ouvrages insistant sur un aspect de la question :

  • Management par les compétences : le cas Manpower (Dejoux et Dietrich, Pearson)
  • Savoir-être : compétence ou illusion (Penso-Latouche, éditions Liaison)
  • Le savoir-être dans l’entreprise (S. Bélier, Vuibert)
  • Gestion de l’emploi et évaluation des compétences (Gilbert et Thionville, ESF)
  • La gestion des compétences (Lévy-Leboyer, Eyrolles)
  • La compétence, guide de formation (Millet, éditions d’organisation)

Articles de recherche :

  • L’alchimie de la compétence (Durand, Janvier 2000)
  • L’introduction de la notion de compétence dans les grilles de classification : Genèse et évolution (Tallard, 2001, IRIS-CNRS)
  • Le système de preuves verbales des compétences (Damée, 2009, Idemedia.fr)
  • Les savoir-être, un angle mort des débats sur la compétence ? (Ségal, L’homme et la société)
  • Les enjeux de la logique compétence (Durand, université d’Evry)
  • Skills and Competencies as Representable Meta-knowledge for Tele-learning Design G.Paquette. Cet article a été présenté à un atelier international du groupe « Structural Learning » de l’AERA, à Seattle en avril 2001 et il est soumis pour publication à la revue Artificial Intelligence and Education.
  • Les compétences relationnelles peuvent-elles être stratégiques ? (Persais, RFG)
  • Le DRH de demain face au dossier compétences (Retour, Management et avenir)
  • La codification des compétences organisationnelles (Rouby et Thomas, RFG)
  • Evaluer des compétences ou des performances ? Une distinction opérationnelle en GRH (Nagels, ADMEE Europe)
  • Modélisation des activités et des compétences (Plaquette, PROMACEF)
  • De la notion de qualification à celle de compétence (Zarifian, Cahiers français)
  • The core competenties of the corporation (Prahalad et Hamel, Harvard Business Review)
  • Manager les competences pour stimuler l’engagement individuel (Monchatre, Bref-Cereq, Problèmes économiques n° 2. 873)
  • GRH et management des compétences (Roger, Cahier français, n°321)

Autres articles :

Travaux pour l’AFNOR :

  • Compétences relationnelles (Labruffe)
  • Les compétences : 100 questions pour comprendre et agir (Labruffe)
  • Les nouveaux outils de l’évaluation des compétences (Labruffe)
  • Ressources humaines dans un système de management de la qualité (norme FD X 50-183)

Articles de Pierre Miralès sur le management des talents :

  • De la gestion des compétences au management des talents (Economie et management, n°115)
  • La gestion des talents : émergence d’un nouveau modèle de management ? (Management et avenir)
  • Le management des talents : une nouvelle forme de GRH adaptée aux professionnels autonomes ? (Actes du séminaire de l’éducation nationale consacré au management des RH : http://eduscol.education.fr/cid46099/le-management-des-talents -une-nouvelle-formede-grh-adaptee-aux-professionnels-autonomes .html).
  • Le casting : une compétence clef pour le management d’équipes ? (IDATE)
  • Gestion et management des talents dans le sport professionnel (Thèse, université de Montpellier II)
  • Manager les talents au service de la haute performance (CREGO)

Pour télécharger cet article au format pdf, cliquer sur le lien ci-dessous :

Manager_les_compétences_:_approches,_enjeux_et_développements

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