Synthèse du Rapport du haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie

, par Jean-Bernard Ducrou

En vertu du décret du 7 octobre 2003, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie a réuni 55 personnes d’horizons différents pour « évaluer le système d’assurance maladie » et apprécier « les conditions requises pour assurer la viabilité des régimes d’assurance maladie ». Le rapport établi le 23 janvier 2004 (155 pages) présente l’ensemble des résultats et des réflexions du Haut Conseil et constitue ainsi à la fois un état des lieux et un diagnostic de l’assurance maladie. Les annexes au rapport sont rassemblées dans un second document (327 pages).

Rapport disponible en intégralité sur le site du Ministère de la Santé http://www.sante.gouv.fr/ à l’adresse http://www.sante.gouv.fr/ass_maladie/haut_conseil/ind_rapport.html

Introduction

En préambule, le rapport rappelle que l’enjeu est non seulement de maintenir l’assurance maladie mais encore de « bâtir quelque chose de neuf et d’encore meilleur ». Dans cette perspective, le Haut Conseil invite à dépasser la représentation de l’assurance maladie comme simple dispositif de paiement autorégulé pour l’envisager comme un système organisé et coordonné par des acteurs mettant en oeuvre des politiques d’assurance maladie concertées. Ce changement de perception impose dès lors de faire des choix en matière de couverture de l’offre de soins si l’on ne veut pas que soit remis en cause le financement du système voire le principe de redistribution de la richesse collective.

Cette considération première implique par conséquent « un discernement et une optimisation dans l’emploi des fonds qui relèvent, en dernière analyse, d’une exigence éthique ». Plus concrètement, la perpétuation du système rend indispensable de prendre en considération « la qualité et l’utilité de ce que l’on rembourse » et de hiérarchiser les priorités de financement afin de garantir la qualité et l’efficience de l’assurance maladie.

Enfin, le Haut Conseil rappelle que ces évolutions impliqueront nécessairement une évolution des comportements de tous les acteurs : institutions, professionnels de santé, et assurés sociaux

Les raisons des interrogations sur l’évolution de l’assurance maladie

S’il est indéniable que la généralisation de l’assurance maladie a contribué à l’amélioration de l’état de santé de la population française, ce résultat ne serait pas observable si les progrès de l’offre de soins n’avaient pas été prise en charge par la collectivité au prix d’une progression des dépenses de santé et d’une augmentation des recettes prélevées essentiellement sur les revenus d’activité

Ainsi, les régimes obligatoires remboursent 76% des dépenses globales de santé et atteignent un taux de prise en charge de 81% résultant « de la combinaison de taux de remboursement et d’un très puissant système d’exonérations qui aboutit à un remboursement quasi-complet dès que les dépenses sont élevées ». C’est le cas par exemple de la prise en charge des soins d’hospitalisation qui atteint un taux moyen de 97%. De sorte que « Chaque année, 5% des personnes couvertes par l’assurance maladie mobilisent 60% des remboursements » qui s’élèvent en moyenne à près de 20 000€ par personne. Si cette logique d’exonération ne doit pas être remise en cause au risque d’évincer les ménages qui ne pourraient accéder aux soins de qualité faute de moyens financiers, le Haut Conseil invite cependant à en discuter les paramètres.

Entre 1960 et 2002, les dépenses de soins ont augmenté à un rythme annuel de 3,5% du produit intérieur brut à 8,9% du PIB, soit 2 points de plus que la croissance de la richesse nationale. Aujourd’hui, le déficit de l’assurance maladie devrait atteindre 11 Md€ de déficit en 2004 entraînant un endettement croissant du système.

Certes, des causes conjoncturelles comme le ralentissement de la croissance économique peuvent expliquer l’importance de ce déséquilibre, mais celui-ci reste lié pour une large part à des problèmes structurels, ce qui laisse supposer que le taux de croissance des dépenses de santé devrait être supérieur de 1 à 2 points à l’évolution du PIB. Si l’on retient cette hypothèse de croissance des dépenses, « le déficit annuel (en euros constants 2002) passerait à 29Md€ en 2010 et à 66Md€ en 2020 (hors charges de la dette) ».

L’ajustement des conditions de prise en charge et l’action sur les recettes

Selon le Haut Conseil, l’amélioration du fonctionnement du système de soins implique d’abord une meilleure organisation du système de soins. Deux orientations doivent donc être résolument écartées : le recours systématique à l’endettement qui représenterait alors 20% du déficit de l’année 2020 et l’augmentation du ticket modérateur qui installerait une forme de rationnement insidieux des soins.

En effet, la seule augmentation des recettes par le doublement de la CSG (5,25 à 10,75 points à l’horizon 2020, soit un prélèvement supplémentaire de 66 Md€) générerait un effet d’éviction au détriment des autres besoins collectifs. De même, la seule baisse des remboursements (de 76% à 55% de la dépense) porterait atteinte aux principes de solidarité et d’égalité de l’assurance maladie. C’est donc par « la maîtrise des dépenses injustifiées et l’optimisation de l’offre de soins » que se dégageront les solutions durables à l’équilibre du système.

L’amélioration du fonctionnement doit donc passer par la recherche d’un « meilleur rapport qualité/prix » et d’une « meilleure réponse aux besoins de la population », ce qui implique d’agir d’abord sur « l’optimisation en volume et en qualité de la dépense globale de biens et services médicaux ». Cet optimisation peut passer par l’ajustement des conditions de prise en charge ou des taux de remboursement sans que soit remis en cause les principes de solidarité du système, ce qui exclut la modulation de prise en charge en fonction du revenu.

Les recettes des régimes de base proviennent des cotisations et de la CSG sur les revenus d’activité et de remplacement (18,8% sur le salaire brut et de 0% à 6,7% sur les revenus sociaux), de la CSG sur les revenus du capital, ainsi que des taxes sur le tabac, les vins et alcools représentant environ 8% des recettes. Selon le Haut Conseil, si l’assiette salariale constitue une bonne assiette, « robuste et bien rodée », « ce système de recettes ne saurait suffire si la dépense s’accroît plus vite que le PIB ». Et même si « la CSG, par son assiette large et le principe de proportionnalité qui la sous-tend, est, jusqu’à présent, apparue comme une réponse », il serait souhaitable de prendre en considération un principe « de parité des efforts contributifs et des droits entre les régimes et leurs ressortissants », ces réflexions pouvant conduire à étudier « une modification de l’assiette des prélèvements ».

L’obligation de faire des choix de remboursement

Tout d’abord, l’assurance maladie ne doit « assurer que le remboursement de biens et services qui ont fait la preuve de leur efficacité » appréciée selon « des critères objectifs élaborés et reconnus par la communauté scientifique ». Ce critère doit néanmoins être articulé avec le critère d’efficience qui suppose d’apprécier l’efficacité de l’acte ou du produit par rapport à son coût, c’est à dire en fonction des dépenses supplémentaires qu’il implique. Toutefois, ce critère d’efficience ne saurait répondre à « une logique d’enveloppe définie ‘a priori’, le rapport utilité / coût ne servant alors à définir ce qui peut rentrer dans un volume de dépenses fixé à l’avance ». Alors que l’efficacité d’un produit apparaît comme un critère objectif, l’efficience relève d’un choix collectif.

Ensuite, l’assurance maladie doit imposer des choix de périmètre des actes et produits remboursés. Ces choix doivent dépasser la seule question de l’inscription d’actes et produits au remboursement pour s’exercer plus largement à travers « un regard critique et sélectif sur des biens et services déjà inscrits », ce qui suppose de pouvoir exclure du remboursement et sur des bases scientifiques « les produits ou les services considérés moins prioritaires, ou simplement devenus moins utiles du fait de l’introduction d’une nouveauté ».

Le système de soins et de remboursements doit résolument être orienté vers la qualité « face au malade », ce qui impose la mise en place d’une « démarche d’évaluation périodique des pratiques professionnelles, systématiquement articulée à une offre de formation professionnelle plus substantielle et plus indépendante » contribuant à éliminer la non-qualité à l’origine de dépenses injustifiées (opérations inutiles, séquelles invalidantes, maladies non dépistées, aux infections nosocomiales, etc...)

Selon le Haut Conseil, un effort collectif doit être engagé afin de limiter la surconsommation de médicaments, ce qui suppose l’implication de tous les acteurs de la « chaîne du médicament » (Etat, laboratoires pharmaceutiques, prescripteurs, pharmaciens, caisses d’assurance maladie, organismes complémentaires ... et assurés sociaux), la valorisation de traitements substitutifs aux médicaments, la prévention, l’éducation et le suivi adapté de la posologie...

Une meilleure utilisation des instruments tarifaires

Pour le Haut Conseil, « la fixation administrative des prix ne repose pas suffisamment sur des évaluations rigoureuses des coûts et des conditions d’exercice ». Ainsi, les écarts de coûts entre les établissements hospitaliers peuvent être très importants (couramment plus de 10%, et jusqu’à 30%) et on constate d’importantes inégalités au sein d’une même profession médicale. La rémunération des actes devrait prendre en compte des paramètres tels que les coûts des différents facteurs de production, la part entre les coûts fixes et les coûts variables, la pénibilité et le temps passé, ou encore le profil des patients...

Malgré les réticences s’agissant de certaines modalités de tarification (tarification « à la pathologie », rémunération pour des tâches ou des missions particulières, accords de bon usage des soins, contrats de bonne pratique...), il semble nécessaire de « faire évoluer les instruments tarifaires [...] dans le cadre d’une politique conventionnelle, en faveur d’une qualité mieux définie et contrôlée. »

Les principes d’efficacité en fondement du système de soins

L’efficacité du système de soins passe par « l’efficacité dans l’emploi des moyens : mobiliser les justes compétences aux justes niveaux, utiliser les ressources sans excès inutiles ». Selon le Haut Conseil, cette recherche de la performance n’implique pas pour autant de renoncer aux « valeurs du monde soignant » mais au contraire de lier efficacité et éthique dans une « dynamique commune ».

Sur ce point , le Haut Conseil invite à remettre en question certains clivages et à imposer des changements organisationnels « permettant une prise de décision [...] pour faire face aux défis techniques, démographiques ou financiers qui se profilent ». Plus encore, il insiste sur les enjeux d’une politique de redéploiement visant à rééquilibrer l’offre aujourd’hui « très inégalement répartie sur le territoire français, et dépourvue de véritable organisation et d’outils de gestion ».

En outre, même si l’efficacité du système strictement curatif consiste à mieux orienter les moyens et coordonner leur emploi, l’efficacité du système de soins en général doit passer des actions médico-sociales et sociales en amont et en aval de la prise en charge sanitaire : action sur l’environnement, dans la vie privée et au travail, sur les modes de vie, les comportements de prévention, l’éducation sanitaire... Pour une optimisation de la répartition des moyens sur le territoire

Face au constat des fortes disparités d’installation des professionnels libéraux sur le territoire (entre régions, entre départements ou au sein des départements), le Haut Conseil invite à s’interroger sur « le contraste qui existe entre la stricte régulation par l’Etat de l’effectif total annuel de chaque spécialité de la santé [...] et la totale absence, ensuite, d’orientation territoriale des jeunes professionnels formés ». Poursuivant le raisonnement, le Haut Conseil estime qu’il faut s’interroger « sur le bien fondé de la totale liberté d’installation des professionnels de santé libéraux ».

Pour le Haut Conseil, il faut recomposer l’offre de soins hospitaliers pour l’adapter aux vrais besoins de la population ; non pas par une suppression des moyens, mais par leur redéploiement ou par la création de structures nouvelles sous réserves « de viser toujours une organisation plus utile et efficiente ». Une bonne recomposition de l’offre doit passer par le décloisonnement des deux secteurs de l’activité médicale : soins « de ville » et soins hospitaliers et par leur meilleure articulation

L’articulation du travail des différents acteurs de la santé au service du patient

Le Haut Conseil estime qu’il faut mettre fin aux « césures qui existent entre les prises en charge successives dont un même patient peut faire l’objet » par la généralisation du dossier médical partagé et du réseau de soins virtuel, et par la systématisation des soins coordonnés entre ville et hôpital pour certaines pathologies. Ces dispositifs suppose avant tout de cesser de percevoir l’hôpital et la ville comme « deux secteurs étanches ayant chacun, en propre, une part de l’activité médicale. »

Le système de soins doit offrir une prise en charge coordonnée ses soins autorisant une « traçabilité » du parcours médical du patient et la complémentarité des différents intervenants qui ont à le prendre en charge. De même, « l’exercice des soins de ville devrait s’exercer davantage dans des cadres moins individuels et moins isolés ».

Parallèlement, il convient « de réfléchir à des formes nouvelles de ticket modérateur pour développer au sein du système des incitations à une meilleure utilisation de l’offre de soins ». Cette modulation prendrait en considération les différentes formes de prise en charge valorisant « la meilleure organisation, et donc le meilleur emploi des fonds collectifs ». Bref, « l’application systématique d’un ticket modérateur uniforme et sans possibilité de choix ne permet pas à l’assuré d’adapter son comportement. »

La nécessaire information des usagers

Bien qu’au fondement du système de soins, le choix « libre et éclairé » du patient n’est pas effectif dans la pratique. A défaut d’informations objectives, la concurrence « passe aujourd’hui par les aléas du bouche à oreille, les classements très imparfaits de la presse généraliste, voire par la recherche d’introductions privilégiées ». Ainsi, des indicateurs statistiques objectifs et pertinents pourraient être portés à la connaissance de tous : taux de réadmission dans un service hospitalier, fréquence des infections nosocomiales, niveau d’activité, nature des moyens et des équipements.... L’enchevêtrement des compétences à l’origine des dérives du système

En ce qui concerne le système institutionnel chargé de mettre en oeuvre les conditions et modalités de la prise en charge des soins remboursables, le Haut Conseil estime que l’empilement et l’enchevêtrement des compétences de l’État et des organismes d’assurance maladie « gêne l’action de chaque institution, mais surtout conduit à ce que certaines fonctions ne sont pas correctement assurées. »

Ainsi, pour le Haut Conseil, les organismes nationaux d’assurance n’ont jamais pleinement la fonction de cadrage financier, qui consiste à « tenir » l’équilibre des dépenses et des recettes. En outre, bien que la réforme de 1996 a confié au parlement, dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, le soin de fixer un objectif annuel de dépenses, celui-ci n’a jamais été respecté. Il faut donc « redonner de la légitimité à l’objectif voté par la représentation nationale » dans le cadre par exemple de la pluri-annualité et surtout par la mise en œuvre de mécanismes de redressement garantissant la tenue de l’objectif fixé.

En général, il semble que « ni le Parlement, ni le gouvernement, ni les caisses d’assurance maladie n’exercent ni ne disposent de responsabilité claire sur la tenue des objectifs de dépenses. »

Des graves carences dans les outils de « pilotage » du système

Le Haut Conseil a relevé que des manques dus à l’absence de responsable explicitement désigné ou à l’absence de répartition précise des tâches font obstacles à l’amélioration de la qualité et l’efficience des soins. Ainsi, « des insuffisances notoires en matière d’élaboration, et plus encore, de diffusion des références de bonnes pratiques de soins » sont constatées.

Une collaboration efficace entre l’assurance maladie obligatoire et les organismes d’assurance complémentaire ainsi que la participation active des professionnels de santé à la gestion du risque passent par l’organisation d’un « large accès aux informations médicalisées sur la consommation de soins. » Certes, il ne s’agit pas de remettre en cause le secret médical individuel considéré comme une liberté fondamentale, mais de partager ou de rapprocher des données « dont la divulgation ne peut ni porter atteinte au secret médical, ni servir, à l’insu de l’assuré, à une sélection du risque. »

Enfin, les outils d’audit et de contrôle de la gestion du système sont jugés « notoirement insuffisants » par le Haut Conseil. Ces outils devraient constituer de vrais instruments de pilotage et de gestion destinés à optimiser la dépense publique d’assurance maladie.

L’association transfert de compétences et transfert de responsabilité

Le Haut Conseil déplore « les étanchéités et les rigidités d’organisation au sein même des institutions, à commencer par l’Etat » conduisant à des confusions de pouvoirs et de responsabilités ou encore à l’accumulation d’organismes de gestion notamment au niveau régional. Ces phénomènes aboutissent à l’absence d’identification du décideur ou du responsable et nuisent finalement à la mise en œuvre de réformes organisationnelles (volet médical de la carte Vitale, dossier médical partagé, tarification à la pathologie, réforme de la nomenclature, système national d’information, etc.)

Selon le Haut Conseil, il convient donc de « mieux répartir, par entités cohérentes, les pouvoirs et les responsabilités » et de définir sur des bases claires les frontières de compétence entre les institutions appelées à se coordonner. Il faut instaurer en outre « des formes de délégation et de responsabilisation plus nettes à l’égard des cadres dirigeants » et favoriser l’émergence « d’expressions démocratiques et de représentations des usagers et des professionnels de santé, dans différentes instances du système d’assurance maladie. »

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