« Le devoir de loyauté et de fidélité s’impose à tout dirigeant de société et s’inscrit dans un contexte de moralisation de la vie des affaires. Il vise à la création d’une certaine éthique de la gouvernance d’entreprise avec pour finalité de renforcer la sécurité juridique dans les activités industrielles et commerciales. ». Arrêt Vilgrain, 27 février 1996, Chambre commerciale de la Cour de Cassation.
En application de la jurisprudence, les mandataires sociaux ont l’obligation de défendre en permanence les intérêts de la société qu’ils dirigent, de la collectivité des associés mais aussi ceux des différentes parties prenantes. C’est pourquoi, ils sont soumis à des obligations de non-concurrence, d’information et de transparence qui constituent les principes sur lesquels repose le devoir de loyauté. Parce qu’ils sont tenus d’agir conformément à l’intérêt social, ils sont également soumis à une obligation d’abstention qui leur interdit de réaliser certains actes pouvant être considérés comme des fautes de gestion ou des infractions aux statuts.
Bien qu’il apparaisse évident que la loyauté constitue l’une des qualités essentielles sur lesquelles repose la légitimité du dirigeant, pour autant, certains d’entre eux n’ont pas su gérer leur société de façon à préserver durablement leur légitimité et c’est ainsi que, dans les années 2000, l’actualité s’est faite l’écho de nombreuses polémiques relatives aux rémunérations disproportionnées versées aux dirigeants de quelques grands groupes internationaux, soit pendant l’exercice de leur mandat, soit au moment de leur départ, qu’il s’agisse d’une révocation ou d’une démission forcée, conséquence, dans les deux cas, d’une mauvaise gestion et/ou d’un comportement déloyal.
En 2006, l’annonce du montant des indemnités versées à Noël Forgeard, à la suite de son départ de la direction du groupe EADS, provoque un tollé de la part de l’opinion publique et même du gouvernement de l’époque. Cet ex-dirigeant, considéré en partie comme responsable des pertes subies par la firme et suspecté de délit d’initiés, a pourtant bénéficié d’un « parachute doré » de 8,4 millions d’euros.
En 2013, la situation financière difficile dans laquelle Philippe Varin laisse le groupe PSA au moment de son départ, contraint cet ancien P-DG à renoncer à sa retraite chapeau qui fait scandale d’autant plus que, dans le même temps, le groupe vient de signer un accord gelant les salaires.
En 2014, les émoluments perçus par Carlos Goshn, le patron de Renault, ne manquent pas de déclencher une controverse dès lors que ses salaires sont jugés trop élevés au regard de la performance médiocre réalisée par le groupe en 2013.
Au travers de ces quelques exemples, c’est bien de la légitimité des montants exorbitants des rémunérations ou des indemnités de départ dont il est question et, in fine, de la légitimité de ces managers ou ex-managers à les percevoir. En effet, il apparaît peu cohérent de verser à des patrons de telles sommes d’argent alors même qu’on leur reproche d’avoir enregistré de mauvais résultats, d’avoir mal gouverné leur entreprise, d’avoir trompé ceux qui leur avaient fait confiance et d’avoir accepté des indemnités aussi élevées alors que des milliers de personnes qui dépendaient d’eux perdaient leur emploi ou leur épargne.
Cela induit donc la question de la légitimité du dirigeant au regard des performances de l’entreprise.
L’entreprise est un acteur économique fondamental, entité juridiquement autonome dont l’objet est de produire des biens et/ou des services marchands en coordonnant un ensemble de ressources humaines, financières, matérielles et immatérielles. L’entreprise n’est plus aujourd’hui considérée comme une « boîte noire » (théorie classique des organisations) mais comme un ensemble d’individus, mus chacun par des facteurs de motivations qui diffèrent les uns des autres (Ecole des Relations Humaines). L’entreprise est également considérée comme un système en interaction avec un environnement plutôt instable et complexe auquel elle doit en permanence s’adapter. Cette capacité à évoluer conditionne la survie et la pérennité de l’entreprise qui, au-delà de l’objectif de réalisation de profits, doit répondre, dans son mode de gouvernance, aux besoins de ses différentes parties prenantes.
C’est donc au vu de sa finalité économique, la réalisation de profits, mais aussi de la prise en compte des aspirations de ses parties prenantes que peuvent être définies les performances de l’entreprise.
La notion de performance recouvre la notion d’efficacité et d’efficience. Elle témoigne du rapport qui existe entre les objectifs fixés et les résultats obtenus mais également du rapport entre les résultats obtenus et les moyens utilisés. La performance consiste donc à atteindre un résultat au moindre coût, c’est-à-dire sans gaspillage de ressources.
Le concept de performance est multidimensionnel et, c’est pourquoi, le terme de « performance globale » est souvent employé car les performances de l’entreprise sont multiples : performances économiques, financières, commerciales, sociales, sociétales et environnementales.
La performance est également un concept relatif dans le temps et dans l’espace puisque l’évaluation de la performance est facilitée par des comparaisons entre périodes, entre secteurs, entre entreprises intra-sectorielles, entre unités ou filiales. Outre les indicateurs quantitatifs qui servent à mesurer la performance, cette dernière s’évalue également à travers des indicateurs qualitatifs qui mesurent la confiance que l’entreprise suscite à travers l’image qu’elle véhicule, à travers la réputation qu’elle s’est forgée.
L’amélioration des performances de l’entreprise constitue la mission première de son dirigeant. Partie prenante essentielle de l’entreprise, le dirigeant, qu’il soit directeur général d’une grande entreprise ou bien gérant d’une PME, est celui qui pilote l’organisation en lui fixant un certain nombre d’objectifs de long terme et en coordonnant les ressources nécessaires à la réalisation de ces objectifs.
Dans son ouvrage « Voyage au centre des organisations », H. Mintzberg définit dix rôles qui incombent au dirigeant autour de trois pôles essentiels d’activités : les activités de relations interpersonnelles, les activités d’informations et les activités de décision. Le dirigeant est détenteur d’un certain nombre de pouvoirs qui sont en relation avec ses compétences et ses fonctions (H. Fayol, H. Mintzberg, P. Drucker…) : le pouvoir de direction, le pouvoir réglementaire, le pouvoir disciplinaire et le pouvoir de représentation qui confère au dirigeant le droit de représenter l’entreprise à l’extérieur et de communiquer sur sa gestion tout en assumant la pleine responsabilité de ses actions. Car, comme le souligne J. McKinsey, « L’autorité doit aller de pair avec la responsabilité ».
Le dirigeant assure donc une fonction essentielle au sein de l’entreprise même si les règles de gouvernance et le rôle exercé par les différents contre-pouvoirs peuvent impacter sa légitimité. Diriger une entreprise n’est pas inné et, comme le constate P. Drucker, « Le management est un métier qui s’apprend car, si gérer consiste à bien faire les choses, diriger consiste à faire les bonnes choses ! ».
La légitimité est la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice ou en équité. La légitimité professionnelle est la reconnaissance, par d’autres personnes, explicite ou non, de la capacité d’une personne à réaliser une tâche, à remplir une fonction ou à exercer une mission. La légitimité, conférée au dirigeant par les membres du groupe, traduit donc leur consentement à voir celui-ci diriger l’entreprise en lui reconnaissant les compétences indispensables à la maîtrise de cette fonction.
Confronter légitimité du dirigeant et performances de l’entreprise permet de s’interroger sur l’interaction existant entre ces deux notions. Dès lors, il est possible de se poser les questions suivantes :
Quels sont les déterminants de la légitimité du dirigeant ?
Comment la légitimité du dirigeant impacte-t-elle les performances de l’entreprise ?
Les performances de l’entreprise ont-elles une influence sur la légitimité du dirigeant ?
Comment maintenir durablement la performance globale de l’entreprise afin de pérenniser la légitimité du dirigeant ?
La légitimité du dirigeant impacte les performances de l’entreprise (I) … qui, elles-mêmes, ont une influence sur la légitimité du dirigeant (II).
I - LA LEGITIMITE DU DIRIGEANT IMPACTE LES PERFORMANCES DE L’ENTREPRISE …
A/ Les fondements de la légitimité du dirigeant
1. Les fondements théoriques
a) L’Ecole classique des organisations
Selon l’économiste et sociologue M. Weber (1864-1920), il existe une différence entre le pouvoir et l’autorité. Le pouvoir est une aptitude à forcer l’obéissance alors que l’autorité est l’aptitude à faire respecter des règles acceptées par tous. Le dirigeant sera légitime s’il dispose de l’autorité nécessaire au sens de Weber. Cet auteur décline trois formes d’autorité :
- L’autorité traditionnelle fondée sur le respect des coutumes et qui rend incontestable la détention du pouvoir par son titulaire en vertu de la tradition.
- L’autorité charismatique fortement liée à la personnalité d’un individu qui fait preuve d’un véritable leadership et auquel une communauté reconnaît des qualités exceptionnelles.
- L’autorité rationnelle-légale qualifiée de bureaucratique parce qu’elle est fondée sur des règles formelles et écrites et non sur la soumission à une personne ou le respect de la tradition. M. Weber considère que cette forme d’autorité est rationnelle parce que l’existence de règles écrites et le caractère impersonnel de l’autorité sont, selon lui, une garantie de rigueur et d’efficacité.
b) La théorie néo-institutionnaliste
Selon W. Powell et P. DiMaggio, 1991, la légitimité est ce qui fonde l’organisation et elle s’acquiert à travers des processus d’institutionnalisation, c’est-à-dire des processus qui, peu à peu, font prendre le statut de règles à des phénomènes : institutionnalisation de la qualité, de normes, de fonctions… Les institutions opèrent dans un environnement contenant d’autres institutions et, par conséquent, pour réussir et assurer leur survie, ces dernières doivent établir leur légitimité au sein de cet environnement institutionnel dans lequel elles évoluent.
Pour C. Oliver, 1991, la légitimité est une conformité aux valeurs dominantes et aux constructions sociales.
M.C. Suchman, en 1995, définit la légitimité comme « La perception générale que les actions d’une unité sont désirables, convenables et adéquates par rapport à un système de normes et de valeurs ». L’auteur distingue trois formes de légitimité :
- La légitimité pragmatique qui résulte, soit de la satisfaction des attentes des parties prenantes, soit de l’anticipation de leurs besoins éventuels.
- La légitimité cognitive qui est liée au respect des normes et structures favorisant l’acquisition des connaissances et reconnues par l’environnement extérieur.
- La légitimité morale qui repose sur une évaluation normative des activités de l’organisation, lesquelles doivent être conformes aux valeurs socialement acceptées.
2. Les fondements endogènes
a) Les qualités personnelles
« Les trois qualités qui me paraissent les meilleures : l’instinct, l’imagination et le courage. » A. Riboud
La forte personnalité du dirigeant est une composante essentielle de sa légitimité managériale. Son dynamisme, sa motivation, son esprit entrepreneurial, ses facilités relationnelles, son charisme, son leadership, ses qualités de visionnaire et de stratège, son aptitude à anticiper l’avenir, sa capacité à faire face aux problèmes, sa facilité d’adaptation au changement, son aptitude à animer des équipes et à tisser des réseaux qui favorisent le développement de synergies positives sont autant de qualités requises chez un dirigeant.
Le charisme, bien que source de pouvoir, n’est pas synonyme d’autorité. C’est une qualité qui découle de beaucoup d’autres telles que la cohérence, la confiance en soi, la sérénité, l’engagement et le courage et qui permet au dirigeant, par ses discours, son tempérament, ses attitudes et ses actions, de séduire et d’influencer son entourage. Il confère au dirigeant un leadership naturel qu’il convient de développer et d’entretenir.
Le leadership est cette capacité que doit avoir le dirigeant à fasciner et à susciter l’adhésion de ses collaborateurs et ce, sans les contraindre et encore moins les menacer. Son charisme est tel qu’il suffit à convaincre les collaborateurs du bien-fondé de son action. Le leadership repose sur des compétences intellectuelles, techniques et relationnelles (Ecole Socio-technique - E. Trist et F. Emery).
Au Royaume-Uni, la personnalité de Richard Branson, P-DG du groupe Virgin, vaut à celui-ci d’être régulièrement cité comme modèle par les jeunes qui souhaitent réussir dans les affaires sans pour autant compromettre leur éthique personnelle. Richard Branson a pourtant mené des études médiocres obtenant des résultats scolaires très mauvais mais cela ne l’a pas empêché de réussir car, doté d’un sens des affaires exceptionnel et d’un leadership hors du commun, il a su tirer parti des opportunités qui s’offraient à lui notamment en diversifiant ses activités.
b) Les compétences professionnelles
Comme le souligne G. le Boterf : « Il n’y a de compétence que de compétence en acte » ce qui signifie que « La compétence professionnelle ne se réduit ni à un savoir ni à un savoir-faire, elle est de l’ordre du savoir-mobiliser. Elle ne réside pas dans les ressources à mobiliser mais dans la mobilisation même de ces ressources face à une situation professionnelle. Elle est un savoir-agir ».
Les compétences que possède le dirigeant d’entreprise doivent lui permettre de remplir pleinement ses fonctions telles que décrites par H. Fayol en 1916 : prévoir, organiser, coordonner, commander et contrôler.
En termes de savoirs, les connaissances sont acquises par le biais de la formation suivie et l’obtention d’un diplôme qui atteste du suivi de cette formation à laquelle se rattache un niveau de qualification bien précis qui légitime le dirigeant dans ses fonctions. C’est pourquoi, la majorité des dirigeants des grandes entreprises est issue d’un petit nombre de grandes écoles : ENA, polytechnique, HEC… C’est le cas de Bernard Arnault, ancien polytechnicien qui, après avoir occupé des postes de dirigeant dans de nombreuses entreprises, est, depuis 1990, P-DG de LVMH, premier groupe mondial de luxe dont il est le fondateur, ou bien encore, celui de Benoît Potier, ingénieur diplômé de l’Ecole centrale de Paris, qui occupe, depuis 2006, le poste de P-DG au sein du groupe Air Liquide.
En termes de savoir-faire, le niveau d’expérience constitue un facteur de légitimité qui s’acquiert « sur le terrain, en gravissant les échelons un par un » et l’on peut citer l’exemple de Carlos Goshn, l’actuel patron de Renault-Nissan. Cet industriel, après avoir suivi une formation à l’Ecole Polytechnique puis à l’Ecole des Mines de Paris dont il détient les diplômes d’ingénieur, a bénéficié d’une solide formation et expérience dans le secteur de l’industrie automobile, d’abord chez Michelin puis ensuite chez Nissan où il a occupé les postes de Directeur général puis de P-DG avant de prendre légitimement la tête du groupe Renault, entreprise automobile considérée comme l’un des fleurons de l’industrie française.
Les compétences que doit détenir un dirigeant sont pluridisciplinaires :
- La compétence stratégique consiste à planifier le développement de la firme, via la mise en place d’une stratégie, en s’adaptant en permanence aux perpétuelles mutations de son environnement. Pour ce faire, le dirigeant doit élaborer un projet d’entreprise, mettre en œuvre les moyens nécessaires à sa réalisation et, par la suite, contrôler les résultats obtenus. Le manager est celui qui exerce ou délègue un pouvoir de décision à des spécialistes, celui qui prend des décisions stratégiques, celles qui, par nature, sont des décisions non structurées, non programmables, uniques, irréversibles ou difficilement réversibles et qui, parce qu’elles conditionnent la survie de l’entreprise, revêtent une importance capitale pour son devenir. Le dirigeant dispose donc de compétences intellectuelles qui lui permettent d’analyser un problème et de trouver une solution satisfaisante (modèle IMC – H. Simon). Pour autant, il lui faut assumer, dans le cadre de sa responsabilité managériale, les décisions de ses subordonnés. C’est pourquoi, de même qu’il doit savoir s’entourer de personnes compétentes auxquelles il peut accorder toute sa confiance, il doit aussi savoir se séparer des collaborateurs qui ne sont pas à la hauteur.
- La compétence technique est liée à la maîtrise d’un ou plusieurs domaines d’expertise. Elle requiert, de la part du chef d’entreprise, qu’il connaisse parfaitement son métier, c’est-à-dire, qu’il possède des compétences en matière de gestion administrative, comptable, financière, juridique, commerciale et managériale. Sa légitimité repose sur son niveau de spécialisation mais aussi sur sa polyvalence car celle-ci lui permet de connaître, dans le détail, le travail et les domaines de compétences de chaque personne travaillant sous sa responsabilité. C’est pourquoi, le dirigeant recruté à l’intérieur de l’entreprise bénéficie d’une légitimité accrue face à celui qui arrive de l’extérieur car son parcours en interne lui a permis de se forger une vision globale de l’entreprise.
- La compétence humaine fait appel à la qualité d’animateur d’équipes. Le dirigeant doit mettre en place un management des ressources humaines qui vise à favoriser l’adhésion des membres du groupe autour d’un projet d’entreprise. Les politiques de gestion du personnel doivent permettre de renforcer la cohésion au sein de l’entreprise en motivant les équipes et en stimulant le middle-management et l’opérationnel. Il s’agit, pour l’équipe dirigeante, de coordonner les initiatives individuelles et d’orienter l’action collective vers la réalisation des objectifs fixés en organisant le travail du mieux possible tout en optimisant la gestion des ressources.
La roue des compétences de Claude Flück
[/Source : http://reseau-competences.net/laroue.html/]
c) Les valeurs et les motivations
Le dirigeant est légitime s’il est porteur et vecteur de la culture d’entreprise. E. Schein définit la culture d’entreprise comme « L’ensemble des hypothèses fondamentales qu’un groupe donné a inventé, découvert et constitué en apprenant à résoudre ses problèmes d’intégration interne et d’adaptation à son environnement ». En regroupant tout un ensemble de valeurs, mythes, signes, croyances et tabous partagés par les membres de l’entreprise, la culture d’entreprise contribue à une vision commune de tous les salariés. Les valeurs ainsi véhiculées peuvent être, par exemple, la loyauté dans les relations contractuelles, le respect de la parole donnée, l’équité dans la gestion des ressources, l’exemplarité dans la gestion des personnes, l’engagement, la ponctualité dans les rendez-vous ou bien encore le respect de l’environnement…
La culture d’entreprise favorise l’implication du personnel dans le projet d’entreprise et vise à améliorer la performance des personnes, donc la performance de l’organisation, par une relation plus étroite à celle-ci et à ses valeurs. Elle développe la cohésion interne en créant un lien social entre les salariés, renforçant ainsi leur sentiment d’appartenance à l’entreprise.
Les entreprises de type familial s’appuient, entre autre, sur cette forme de légitimité qu’elles associent à l’autorité traditionnelle. La fonction de dirigeant se transmet de génération en génération permettant ainsi de préserver, au fil du temps, les valeurs qui ont cimenté l’organisation. Ainsi, le groupe Bonduelle est dirigé, depuis 2001, par Christophe Bonduelle, membre de la famille Bonduelle et représentant de la sixième génération à la tête du groupe. Cette filiation légitime ses fonctions de dirigeant dans le sens où il incarne les valeurs originelles de l’entreprise.
On peut citer également, le groupe Bouygues dirigé aujourd’hui par Martin Bouygues, fils de Francis Bouygues, fondateur de l’entreprise qui porte son nom, ou bien encore, les magasins E. Leclerc, dirigés par Michel-Edouard Leclerc, descendant direct de Monsieur Edouard Leclerc, dans lesquels la direction est transmise de père en fils. Les motivations qui animent le dirigeant sont également sources de légitimité du pouvoir à condition que celui-ci œuvre dans le sens de l’intérêt social c’est-à-dire, qu’il prenne en compte les intérêts de toutes les parties prenantes et non pas simplement l’intérêt de quelques proches. De même, le dirigeant trouve sa légitimité dans sa volonté de conserver durablement son poste car, pour les salariés, cela traduit tout à la fois son désir d’implication et celui de stabiliser les organes de direction, gage de continuité et de cohérence dans les actions qui sont menées (W. Boecker, 1997).
3. Les fondements exogènes
a) Le statut
Le statut même de dirigeant confère à la personne qui occupe ce poste une légitimité légale ou juridique indiscutable (C.M. Daily et J.L. Johnson, 1997). Il résulte de :
- La nomination à ce poste, dans les entreprises managériales, où la légitimité des dirigeants repose sur le vote du Conseil d’administration lui-même légitimé puisque élu par les actionnaires en Assemblée Générale. Les dirigeants exécutifs sont alors investis d’une autorité liée à leur statut mais ils sont dépendants de la confiance que leur accordent les actionnaires.
- La propriété du capital qui légitime le pouvoir des entrepreneurs car il semble normal que les créateurs d’entreprises figurent parmi les membres de la direction de l’entreprise qu’ils ont fondée et qu’ils ont su, par la suite, développer et pérenniser. En 1979, Norbert Dentressangle fonde et dirige, jusqu’en 2010, la Société Norbert Dentressangle, entreprise internationale de transport et de logistique. Aujourd’hui, bien que n’occupant plus le poste de Président du directoire du groupe, Norbert Dentressangle continue à exercer un contrôle permanent de la gestion de sa société par le biais du Conseil de surveillance dont il est le Président.
b) Le marché
Les marchés opèrent un contrôle sur les dirigeants et, par le biais de leviers d’actions, valident ou non la légitimité de ces derniers. Ainsi, tandis que, sur le marché des biens et des services, l’éviction des entreprises non performantes est inéluctable, sur le marché financier, ces mêmes entreprises peuvent faire l’objet de prises de participation hostiles. Alors que, sur le marché monétaire, elles peuvent se heurter à un rationnement du crédit ou bien devoir supporter des taux d’intérêt élevés, sur le marché boursier, elles prennent le risque de subir une très nette dévalorisation de leurs actifs financiers.
Ceci explique, qu’en 2007, le scandale « de délits d’initiés massifs », dans lequel étaient impliqués sept cadres dirigeants du groupe aéronautique AIRBUS GROUP, ait fait perdre au titre EADS jusqu’à 27 % de sa valeur en une seule séance.
Il en va de même, sur le marché du travail des cadres dirigeants, et ces derniers, parce qu’ils doivent faire face à la concurrence exercée par leurs pairs, doivent être suffisamment performants s’ils souhaitent occuper durablement leurs fonctions. Car, comme l’affirme J. Welch : « Soit vous êtes le meilleur dans ce que vous faites, soit vous ne le faites pas très longtemps ! ».
B/ La légitimité du dirigeant conditionne les performances de l’entreprise
La légitimité du dirigeant se mesure par l’obéissance, le soutien, l’adhésion et la confiance que lui accordent les parties prenantes internes et externes. E. Freeman, en 1984, définit la notion de « parties prenantes » comme « L’ensemble des groupes vitaux pour la survie et la réussite de l’entreprise ». Il distingue les parties prenantes de premier rang (salariés, dirigeants, actionnaires), les parties prenantes de second rang (fournisseurs, clients) et les parties prenantes plus éloignées (l’Etat, les groupes de pression, la société civile).
1. Une plus grande implication du personnel
« Le monde des années 90 et au-delà n’appartiendra pas aux managers ou à ceux qui savent faire danser les chiffres. Le monde appartiendra aux leaders motivés, passionnés – de gens qui ont, non seulement une énergie incroyable, mais qui savent aussi transmettre cette énergie à ceux qu’ils dirigent. » J. Welch
La légitimité du dirigeant peut, sans nul doute, être considérée comme un facteur de performances dès lors qu’elle contribue à renforcer la mobilisation des salariés et leur adhésion aux objectifs de l’entreprise. La mobilisation des salariés s’exprime à travers leur envie de faire évoluer les choses au sein de l’entreprise, leur investissement personnel, la fierté de parler de leur entreprise et leur parfait accord avec la stratégie et les valeurs de l’entreprise.
Parce que la légitimité du dirigeant impacte positivement la réputation de l’entreprise, celle-ci aura plus de chance de recruter des ressources humaines de qualité, présentant un haut niveau de qualification mais aussi de les fidéliser et de les inciter à agir conformément aux intérêts de l’organisation.
La théorie comportementale de la firme de R. Cyert et J. March part du constat que seuls les individus ont des objectifs et que l’organisation, en elle-même, n’en a pas. Pourtant, comme l’organisation permet aux individus de mettre en œuvre une action collective, elle va exercer une influence sur ses membres. Or, ces derniers ont des objectifs qui divergent et il n’est pas certain que les buts fixés par les dirigeants soient partagés par les membres de l’organisation. C’est pourquoi, si les managers veulent réellement voir leurs projets aboutir, il leur faut trouver des moyens d’influence. La légitimité du pouvoir constitue l’un de ces moyens parce qu’elle s’appuie notamment sur les qualités personnelles, les compétences professionnelles, les valeurs et les motivations du dirigeant, autant de leviers qui vont permettre à celui-ci de fédérer son équipe autour d’un dessein commun.
La théorie de l’implication de M. Thévenet met en évidence la relation étroite qui existe entre l’organisation et les personnes. L’implication des personnes et les compétences relationnelles sont des éléments essentiels à la création de la performance organisationnelle. Dans un contexte en perpétuel changement, caractérisé par des évolutions permanentes dans le travail et l’apparition de nouveaux besoins auxquels sont confrontées les entreprises, l’engagement des personnes devient un enjeu majeur. Or, l’engagement de servir au mieux les intérêts de l’organisation ne peut être pris par les salariés que si ces derniers trouvent du sens à leur travail et s’ils ont confiance dans leur supérieur hiérarchique. Il appartient donc au dirigeant de « donner du sens au travail » pour espérer bénéficier de cette reconnaissance de légitimité qui créera les conditions propices à une augmentation de la productivité du travail, conséquence d’une plus grande motivation et facteur de performances.
En 2013, alors que Stéphane Richard, P-DG d’Orange depuis 2011, est mis en examen pour escroquerie en bande organisée dans l’affaire Adidas-Crédit-Lyonnais, il bénéficie d’un large soutien de son état-major mais aussi de la plupart de ses salariés, qui craignent de perdre un patron globalement apprécié auquel ils reconnaissent le mérite d’avoir réussi à modifier les pratiques managériales mettant ainsi fin au climat social détestable qui a suivi « la crise des suicides » entre 2007 et 2009. Les témoignages de plusieurs d’entre eux confirment leur attachement au maintien de S. Richard à son poste de direction : « M. Richard a mis en place une école de formation des managers. On nous y répète : le salarié d’abord, le client après » ou « M. Richard a réussi à faire cohabiter des contraintes de rentabilité, qui n’ont pourtant jamais été aussi fortes ces derniers mois, avec un pilotage humain du groupe » ou bien encore « M. Richard a pacifié les relations sociales dans l’entreprise. Je suis moins stressé quand je vais au bureau le matin, c’est vrai »…
2. Un pouvoir de négociation accru
a) Au plan interne
La légitimité du dirigeant lui permet de mieux gérer les contre-pouvoirs internes mais également de réduire certains coûts cachés. Un contre-pouvoir se définit comme « un pouvoir qui s’organise pour faire échec à une autorité établie, contrebalancer son influence ».
Les contre-pouvoirs internes s’expriment notamment à travers les conflits avec les partenaires sociaux. Les grands mouvements sociaux expriment des revendications qui concernent les conditions de travail des salariés mais, au-delà, ils contestent la légitimité du dirigeant. Il appartient alors au manager qui souhaite conserver sa légitimité et, par là-même, sa réputation de « bon chef d’entreprise », de trouver rapidement, avec les syndicats, un accord qui mettrait fin aux hostilités.
L’approche socio-économique de l’entreprise a mis en évidence un certain nombre de dysfonctionnements dans l’organisation à l’origine des coûts cachés (H. Savall et V. Zardet). Ces dysfonctionnements, de nature structurelle, organisationnelle ou managériale, traduisent le mal-être ressenti par les salariés et sont sources d’inefficience. Les coûts cachés, générés par l’absentéisme, le taux de rotation du personnel ou bien encore la non qualité, équivalent à des coûts de non performance et, parce qu’ils ont des retombées négatives sur le résultat de l’entreprise, il convient de les éliminer.
L’absence de légitimité du dirigeant peut être à l’origine de ces perturbations et conduire à l’échec du dialogue social entraînant, de ce fait, de tels coûts. A l’inverse, la crédibilité accordée au dirigeant par les partenaires sociaux accroît son pouvoir d’influence dans la négociation et conduit à trouver plus rapidement un arrangement qui évite à l’entreprise d’une part, d’avoir à supporter les pertes financières induites par la survenance d’un conflit social et, d’autre part, de ternir son image et sa réputation.
La grève, entamée par le personnel navigant commercial de la compagnie aérienne EasyJet, en décembre 2014, vise à faire pression sur la direction de l’entreprise afin d’obtenir de meilleures conditions de travail. C’est dans ce contexte de crise, que la légitimité de François Bacchetta, directeur d’EasyJet France, va s’avérer être déterminante dans la tournure que vont prendre les négociations syndicales. L’enjeu est d’autant plus élevé pour ce Directeur Général que « son honnêteté et sa loyauté » ont déjà été éprouvées après qu’EasyJet eut été condamnée pour travail dissimulé en 2010.
Les théories managériales évoquent les conflits d’intérêts pouvant naître entre dirigeants et actionnaires. A. Berle et G. Means ont montré que l’entreprise est constituée de groupes aux intérêts divergents. Dans la théorie des droits de propriété, A. Alchian et H. Demetz ont identifié les rapports entre actionnaires et dirigeants, les premiers déléguant un mandat de gestion de leurs droits de propriété aux seconds.
La théorie de l’agence (W.H. Meckling et M.C. Jansen), qui décrit la relation principal/agent, montre que les actionnaires (le principal), qui demandent au dirigeant (l’agent) de gérer l’entreprise en tenant compte de leurs intérêts, vont devoir lui déléguer un certain pouvoir. Parce que l’action du dirigeant est difficilement observable et contrôlable, les actionnaires vont devoir supporter des coûts d’agence pour contrôler que le comportement du manager va dans un sens qui sert leurs intérêts. Il s’agit pour eux d’éviter, dans le cadre d’une situation caractérisée par des asymétries d’informations, que le mandataire social n’adopte un comportement opportuniste qui, ex post, se traduit par l’aléa moral (J. Stigliz et G. Akerlof).
De même, les jeux de pouvoirs et la présence de zones d’incertitude (M. Crozier et E. Friedberg) permettent au dirigeant de s’écarter, souvent de manière significative, du rôle qu’il est censé jouer au sein de l’organisation. Ainsi, parmi l’équipe managériale, certains peuvent être tentés de profiter de certaines failles dans les règles, de certaines défaillances techniques pour adopter un comportement déviant nuisible à l’entreprise et aux actionnaires.
C’est ainsi, qu’en 2004, la justice condamne Jean-Marie Messier, l’ancien P-DG de Vivendi Universal, à une amende d’un million d’euros pour avoir « délibérément communiqué des informations inexactes et trompeuses aux actionnaires en vue de leur dissimuler la mauvaise situation financière dans laquelle se trouvait l’entreprise entre 2000 et 2002 ».
Compte-tenu de la difficulté à établir une relation de confiance pérenne et afin d’éviter les conflits d’intérêts entre propriétaires et dirigeants, les premiers recherchant la rentabilité, les seconds arbitrant plutôt en faveur de la croissance, le dirigeant doit affirmer sa légitimité dans l’exercice de ses fonctions en démontrant la pertinence de la stratégie mise en place et en délivrant une information parfaitement sincère et accessible.
b) Au plan externe
La légitimité du dirigeant lui permet également de renforcer et d’améliorer la qualité de ses relations extérieures, contributives, elles-aussi, aux performances de l’entreprise.
Représentant de l’entreprise et promoteur de celle-ci, le dirigeant doit être légitime afin de traduire, en termes de performances, les relations entretenues avec des parties prenantes externes ou des partenariats. Cette expression de la crédibilité de l’entreprise est particulièrement importante auprès de la communauté financière mais elle l’est également auprès d’autres partenaires ou contre-pouvoirs potentiels telles les associations, les ONG, les collectivités locales et la société civile en général.
La communauté financière est constituée de tous les partenaires financiers vers lesquels l’entreprise peut se tourner pour asseoir son développement ou gérer ses actifs. La crédibilité de l’entreprise est le fondement de la confiance que vont accorder les banques ou les investisseurs institutionnels. Le rôle du dirigeant est donc fondamental dans cette relation. La légitimité sera d’autant plus importante dans ce rapport que les performances de l’entreprise sont fragiles. Ainsi, dans ce cas de figure, les qualités du dirigeant, sa compétence, son expérience, sa transparence et son respect d’une certaine éthique dans les affaires, autant d’éléments sur lesquels est bâtie sa réputation, favoriseront la confiance de la communauté financière. Selon M.H. Westphalen, la différence entre la valeur perçue d’une entreprise et sa valeur réelle est l’enjeu de la communication financière. La légitimité du dirigeant est incontestablement à la source de cet enjeu.
Plus généralement, la légitimité du dirigeant facilitera les relations avec ses partenaires privés ou publics dans le cadre de relations conflictuelles on non. Elle lui confèrera un pouvoir de négociation accru, de telle sorte qu’il pourra plus facilement imposer son point de vue et parvenir à orienter les débats afin que l’issue de la négociation lui soit favorable. Le dirigeant légitime, parce qu’il jouit d’une grande crédibilité, pourra élargir son champ d’action. Il pourra représenter l’entreprise auprès d’instances professionnelles, répondre aux sollicitations des pouvoirs publics, voire même influencer leurs décisions. L’audience et la reconnaissance extérieure valident la compétence et, par là-même, la légitimité du dirigeant.
On peut citer, à titre d’exemple, Louis Gallois, ex-dirigeant de la SNCF et d’EADS et, depuis 2013, Président du Conseil de surveillance de PSA, qui, en 2012, via son rapport sur la compétitivité, a influencé la politique industrielle du gouvernement de l’époque.
Les remises en cause de la légitimité des dirigeants d’entreprise peuvent avoir un impact positif dès lors qu’elles incitent ces derniers à adopter de nouveaux modes de gouvernance. G. Charreaux, en 2006, définit la gouvernance d’entreprise comme « L’ensemble des institutions, des règles et des pratiques qui légitiment le pouvoir des dirigeants ». Il propose de prendre en compte une vision pluraliste de la firme contenue dans « la théorie des Stakeholders ».
II – … QUI, ELLES-MEMES, ONT UNE INFLUENCE SUR LA LEGITIMITE DU DIRIGEANT
« Chaque fois que vous voyez une entreprise qui réussit, dites-vous que c’est parce qu’un jour, quelqu’un a pris une décision courageuse » P. Drucker
A / Les performances de l’entreprise, facteurs de légitimité du dirigeant
1. La performance économique et financière
a) La création de valeur pour le client
C.K. Prahalad et Y.L. Doz (1997) présentent le dirigeant comme « La main visible de la création de valeur » soulignant ainsi le rôle actif des pratiques managériales dans le processus de création de valeur.
La « création de valeur pour le client » consiste, pour l’entreprise, à répondre au mieux aux attentes des consommateurs et à leur procurer le plus haut niveau de satisfaction. Lorsque ces derniers perçoivent une qualité supérieure à un prix plus favorable à celui qu’ils trouvent habituellement sur le marché, ils vont souhaiter acquérir les produits de cette entreprise. C’est donc cette plus grande sensibilisation au rapport qualité/prix qui est à l’origine de la création de ce client « demandeur de valeur » (M. Montebello, 2003).
Outre le prix et la qualité, la « valeur relative » perçue par le client peut concerner la sécurité des produits mais aussi l’information et la protection du consommateur ou bien encore l’offre de produits et services associés. Elle devient alors une source de performance concurrentielle pour l’entreprise car elle lui permet de capter et de fidéliser sa clientèle.
L’analyse de la chaîne de valeur (M. Porter, 1986) consiste, pour l’entreprise, à repérer les différentes étapes de ses processus de création de valeur, de la conception du produit ou du service à sa mise à disposition au client final. La chaîne de valeur, qui porte sur les processus internes à l’entreprise et sur les interactions entre ses différentes composantes, montre où et comment se crée la valeur ajoutée au sein de l’entreprise. Sa capacité à coordonner de manière optimale ses processus tout en minimisant les coûts mais, pour autant, en donnant la priorité à la satisfaction du client, doit lui assurer un avantage concurrentiel.
L’analyse de la chaîne de valeur permet à l’entreprise d’estimer dans quelle mesure et dans quelle proportion un maillon concourt spécifiquement à la valeur créée et perçue par le client tout en tenant compte des coûts. L’entreprise doit veiller à ce que toutes les étapes de ses différents processus financiers, administratifs, de production, économiques et commerciaux, culturels et humains ou bien encore décisionnels créent suffisamment de valeur pour le client. Parce que le capital client est un actif immatériel clé de l’entreprise puisqu’il apporte le chiffre d’affaires et la rentabilité, l’entreprise doit porter une attention toute particulière aux deux composantes essentielles que regroupe le « capital client », à savoir : le capital marque et le capital relationnel.
Schéma de la chaîne de valeur (M. Porter)
[/Source : http://www.succes-marketing.com/management/notion/chaine-valeur/]
La maîtrise de la chaîne de valeur doit permettre à l’entreprise de mettre en évidence ses compétences distinctives mais aussi ses faiblesses. Sa capacité à améliorer ses différents processus, à développer de nouveaux portefeuilles d’activités, à trouver de nouveaux débouchés et à développer la R&D, favorisant ainsi les innovations, générera une augmentation de la valeur créée pour les clients et, de ce fait, contribuera à donner une image positive du dirigeant considéré alors comme légitime dans le poste qu’il occupe.
C’est le cas de Michael Dell, P-DG et fondateur de l’entreprise informatique Dell, troisième plus grand constructeur d’ordinateurs au monde. Cet industriel a développé un avantage concurrentiel en cherchant à maximiser la satisfaction du client. Pour cela, il a mis en place une stratégie qui consiste à vendre au client final un produit sur mesure, à un coût modique. Sur le marché de l’informatique, l’entreprise est la seule à ne vendre qu’en direct, sans aucun intermédiaire, en utilisant principalement l’internet, comme canal de vente, à ne produire que le matériel effectivement commandé et à proposer la personnalisation de l’offre puisque chaque client peut configurer très exactement la machine qu’il commande en fonction de ses besoins précis. La stratégie mise en place consiste à désinvestir dans ce qui est peu important pour les clients, à savoir, la distribution, pour investir dans ce qui leur paraît être essentiel : la fiabilité et la maintenance.
b) La création de valeur pour l’actionnaire
L’approche, aujourd’hui encore dominante, en terme de gouvernance d’entreprise, est l’approche « shareholder » qui repose sur une logique actionnariale. « Les décisions des dirigeants sont principalement influencées par les actionnaires. L’objectif principal consiste à créer de la valeur pour ces actionnaires ». J. Caby et G. Koenig
Les actionnaires sont des parties prenantes essentielles à la survie de l’entreprise puisque ce sont eux qui apportent les capitaux dont l’entreprise a besoin pour financer ses investissements. Détenteurs d’actions, titres qui leur confèrent un droit de propriété sur l’entreprise, leurs intérêts doivent assurément être pris en compte. Ces derniers, dans le cadre de la répartition de la valeur ajoutée, exigent de percevoir de gros dividendes et ils fixent comme objectif au dirigeant de créer de la valeur actionnariale.
Le dirigeant doit alors agir dans l’intérêt des actionnaires tout en préservant les intérêts des autres parties prenantes, notamment ceux des salariés, mais il se heurte à des difficultés pour opérer des choix qui permettraient de concilier des intérêts divergents et ce, en raison de sa rationalité limitée (H. Simon, 1947).
Des profits conséquents, une croissance profitable, une rentabilité actionnariale acceptable, la protection des investissements financiers mais aussi la diffusion d’une information exacte et sincère, imposée par le devoir de loyauté et de fidélité du dirigeant à l’égard des actionnaires, consolident la légitimité de celui-ci aux yeux des investisseurs.
C’est ainsi que la confiance accordée à Lyndsay Owen-Jones par les actionnaires du groupe l’Oréal, et notamment celle de la famille Bettencourt, actionnaire majoritaire, a permis à cet ex-patron de diriger l’entreprise en toute légitimité pendant dix-huit ans.
A l’inverse, lorsqu’une très forte méfiance s’instaure de la part des actionnaires à l’égard des dirigeants, cela conduit inéluctablement à la révocation de ces derniers puisqu’ils perdent tout crédit et toute légitimité pour occuper leur poste de direction.
C’est ainsi, qu’en 2009, le conseil d’administration de l’équipementier français Valéo décide de se séparer de son P-DG, Thierry Morin en invoquant comme motif des « divergences stratégiques ». Les reproches qui sont adressés à cet ex-patron concernent, d’une part, « son refus d’accepter les changements de gouvernance proposés par le CA » et, d’autre part, « sa volonté d’être présent sur trop de marchés et, par conséquent, de refuser de se concentrer sur le cœur de métier de Valéo. »
Autre exemple, en 2012, le conseil d’administration de Thales met fin aux fonctions de P-DG de Luc Vigneron dont « le style de management autocratique », « le manque d’empathie à l’égard du personnel » et « le manque de vision stratégique » sont fortement critiqués par les salariés qui, relayés par les syndicats, en appellent aux deux principaux actionnaires que sont l’Etat et le groupe Dassault Aviation pour « prendre les décisions nécessaires au rétablissement de la confiance et de la cohésion au sein du groupe ».
La valeur créée par l’entreprise, pour l’actionnaire, est essentielle mais elle ne suffit pas, à elle-seule, à asseoir la légitimité du dirigeant. R. Perez prône des modèles alternatifs de gouvernance d’entreprise qui donnent la priorité à « la responsabilité sociale et l’investissement socialement responsable des entreprises ».
2. La performance sociale et sociétale
a) La performance sociale
« On ne motive pas les hommes avec des discours mais en respectant leurs aspirations profondes ». A. Riboud
La légitimité du dirigeant s’exprime à travers un certain nombre d’outils et de moyens dédiés à la gestion des ressources humaines en matière de recrutement, de formation, d’évaluation des compétences, de rémunération, de gestion de carrière, de mobilité interne, de communication et de santé et sécurité au travail. Ces politiques de gestion du personnel doivent permettre de promouvoir la non-discrimination et l’équité dans le partage de la valeur ajoutée tout en garantissant de bonnes conditions de travail.
L’Ecole des Relations Humaines s’oppose à la vision mécaniste et scientifique de l’organisation du travail (F.W. Taylor, H. Ford, H. Fayol, M. Weber) préférant mettre en valeur l’individu dans l’organisation. Les expériences réalisées par E. Mayo, dans les années 30, ont montré que « la quantité de travail accomplie par un individu n’est pas déterminée par sa capacité physique mais par sa capacité sociale, c’est-à-dire, son intégration à un groupe. Le sentiment d’être considéré par la direction contribue à l’augmentation de sa productivité ».
Parce qu’il est prouvé que, plus le collaborateur a d’interactions avec son dirigeant, plus il tend à le considérer comme légitime. K. Lewin puis R. Likert préconisent l’adoption d’un management participatif (ou démocratique). Les managers qui obtiennent les meilleurs résultats ont choisi ce style de direction car, basé sur une confiance réciproque entre le dirigeant et les salariés, ce mode de gestion encourage la communication dans les deux sens, renforce le sens des responsabilités et favorise les initiatives.
De même, puisqu’il est avéré que la légitimité du dirigeant est étroitement liée à sa capacité de déléguer, à sa capacité d’associer les salariés, les cadres et les partenaires sociaux aux décisions, O. Gélinier, faisant suite à P. Drucker, propose la Direction Participative Par Objectifs, l’idée étant que les salariés vont s’impliquer davantage dans la réalisation des objectifs à atteindre s’ils ont participé à leur définition et s’ils disposent d’une autonomie réelle quant à la façon de s’y prendre pour les réaliser.
La mise en place d’une organisation qualifiante (P. Zarifian) va permettre aux salariés d’élargir leurs connaissances, préalable indispensable pour accroître leur capital humain (G. Becker) et ainsi, accéder à plus de responsabilités. La formation professionnelle, à l’initiative de l’employeur, renforce sa légitimité dès lors qu’elle constitue un investissement immatériel incontournable qui, d’une part, conditionne la productivité du travail, et donc la performance économique et qui, d’autre part, répond au besoin « d’accomplissement de soi », gage de performance sociale (Pyramide des besoins des travailleurs – A. Maslow).
La reconnaissance et l’acceptation de l’autorité et du pouvoir reposent aussi sur la faculté du chef d’entreprise à communiquer avec les salariés via les supports classiques de communication interne mais également par un mode de communication informelle. La communication doit porter sur les missions, la vision et les valeurs de l’entreprise mais elle doit également permettre, à l’employeur, de mieux connaître les salariés, leur métier, leurs aspirations et leurs difficultés. Le dirigeant, parce qu’il favorise ainsi une plus grande proximité et qu’il se montre à l’écoute de son personnel, satisfait deux besoins ressentis par les travailleurs, celui d’estime et celui d’appartenance (Pyramide des besoins des travailleurs – A. Maslow).
La prévention des risques professionnels doit également être une priorité pour le manager car, la maîtrise, voire l’élimination, des ambiances de travail dangereuses, à défaut de générer véritablement de la satisfaction au travail, permet d’éviter l’apparition d’une insatisfaction, source de contre-productivité et de remise en cause de la légitimité du manager (la théorie des deux facteurs - F. Herzberg).
Le rapport « Développement durable 2013 » de la société Heineken France fait état des actions mises en place par la Direction dans le cadre de sa responsabilité sociale. Sont mentionnés, par exemple, la baisse significative du nombre d’accidents du travail depuis 2010 ainsi que les efforts déployés pour assurer la sécurité au travail, l’importance accordée au bien-être des collaborateurs via l’amélioration continue des conditions de travail ou bien encore, la transparence en matière de politique de rémunération.
La légitimité du dirigeant trouve, en partie, son origine dans la prise en compte et l’assouvissement des besoins manifestés par les travailleurs. Générer de la satisfaction au travail contribue à accroître la productivité des salariés et, par suite, les performances de l’entreprise.
b) La performance sociétale
« La RSE est un véritable levier de performance pour l’entreprise, un moyen d’améliorer son efficacité économique, financière et sociale, sa compétitivité, ses profits à long terme. C’est un levier de préservation de la valeur de ses actifs, de maîtrise de ses risques, donc en définitive un facteur de pérennité. » L. Parisot
Dans le cadre de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), A.B. Carroll, en 1979, propose de classer, les responsabilités des entreprises en quatre catégories : la responsabilité économique, juridique, éthique et discrétionnaire.
S’il est indéniable que la finalité première de l’entreprise est d’ordre économique, pour autant, celle-ci doit réaliser son activité en respectant des règles de droit et en accordant de l’importance à certaines valeurs. La loi et l’éthique sont étroitement liées puisqu’en respectant « La loyauté et la bonne foi dans les affaires » le dirigeant d’entreprise respecte une loi édictée dans le Code du commerce tout en se conformant à une certaine éthique qui consiste, par exemple, à fournir une information complète et exacte au-delà des obligations légales.
Dans le cadre de la mise en œuvre de sa responsabilité discrétionnaire, l’entreprise montre son désir de s’impliquer dans l’amélioration du bien-être de la société en développant des actions citoyennes et philanthropiques. Dans la théorie des stakeholders, il existe, en effet, un contrat implicite qui lie l’entreprise à la société et, en cas de rupture de ce contrat, l’entreprise perd toute légitimité et ne peut alors plus agir de manière efficace. C’est donc au travers des actions de développement durable et de mécénat que le dirigeant démontre son engagement en matière de RSE et conforte ainsi sa légitimité auprès des différentes parties prenantes internes et externes.
On peut citer, à titre d’exemple, la stratégie RSE de BNP-Paribas qui s’articule autour de 4 piliers :
- Sa responsabilité économique, qui consiste à financer l’économie de manière éthique, et qui intègre trois axes : le financement durable, l’éthique commerciale et une offre de services et de produits responsables ;
- Sa responsabilité sociale qui la conduit à développer une gestion engagée et loyale des ressources humaines par : le recrutement et la formation, la diversité, une gestion solidaire de l’emploi ;
- Sa responsabilité environnementale qui l’incite à agir contre le changement climatique en soutenant des programmes de recherche ;
- Sa responsabilité discrétionnaire qui s’exerce à travers les actions de mécénat menées par sa fondation telles que : la lutte contre l’exclusion et le soutien à l’entrepreneuriat social, une politique de mécénat axée autour de l’éducation, la santé, la culture et la solidarité et le respect des principes directeurs de l’ONU sur les Droits de l’Homme.
La politique de RSE
[/Source : https://www.google.fr//]
Attendu que performances organisationnelles et légitimité du pouvoir sont deux notions étroitement liées, il appartient, au dirigeant, de maintenir durablement un niveau élevé de performance globale s’il veut pérenniser sa légitimité.
B/ La nécessité de maintenir un niveau élevé de performance globale
1. La recherche d’avantages concurrentiels
« La stratégie d’une entreprise est l’ensemble des décisions destinées à adapter, dans le temps et dans l’espace, les ressources de la firme aux opportunités et aux risques d’un environnement et de marchés en mutation constante. » O. Gélinier
La légitimité du dirigeant repose, en partie, sur ses qualités de visionnaire qui, dans le cadre de l’élaboration de la stratégie d’entreprise, vont lui permettre d’optimiser le présent tout en préparant l’avenir. Selon la théorie évolutionniste de la firme (R. Nelson et S. Winter), le comportement adopté par l’entreprise découle directement des signaux informationnels qu’elle perçoit dans son environnement. Tandis que la théorie de la contingence (P. Lawrence et J. Lorsch) appréhende l’environnement comme une contrainte qui détermine la structure et les performances d’une organisation, H. Mintzberg distingue les principaux facteurs de contingence propres à chaque organisation (son âge, sa taille, sa technologie, son environnement et son style de pouvoir), des facteurs de contingence de l’environnement (sa variabilité, sa complexité, sa turbulence et son incertitude).
La connaissance du milieu dans lequel l’entreprise évolue est essentielle car elle conditionne le choix des objectifs de long terme qui lui procureront un « avantage concurrentiel », facteur clé de succès. Celui-ci, défini par M. Porter comme étant « Un facteur de réussite que l’entreprise doit maîtriser mieux que la concurrence pour pouvoir en tirer une meilleure position sur le marché », doit être durable dans le temps, parfaitement identifiable et défendable face à la concurrence. C’est pourquoi, le dirigeant doit, au préalable, réaliser un diagnostic stratégique à la fois interne et externe qui le renseigne sur l’existant.
Le diagnostic interne consiste à identifier les forces et les faiblesses de l’entreprise via l’analyse de sa chaîne de valeur et l’étude de ses ressources disponibles qu’il s’agisse des ressources humaines, financières, matérielles ou immatérielles (La théorie des ressources – G. Hamel et C.K. Prahalad). L’exercice légitime du pouvoir dépendra de l’adéquation qui existera entre l’utilisation de ces ressources et les différentes composantes de l’organisation : sa structure, son système de gestion et d’information, sa technologie, sa culture, son style de management, ses processus…
Le diagnostic externe prend tout son sens au regard des opportunités, des contraintes et des menaces de l’environnement :
- L’analyse du micro environnement va consister à collecter des informations sur les différents acteurs externes que sont principalement, les clients, les fournisseurs, les sous-traitants, les intermédiaires et les concurrents.
- L’analyse du macro environnement apportera, quant à lui, un éclairage sur les mutations, les évolutions et l’impact, plus ou moins réel sur l’entreprise, des facteurs démographiques, politiques, juridiques, économiques, socio-culturels et technologiques.
La pertinence du diagnostic stratégique ainsi que celle des décisions prises, dès lors qu’elles permettront l’ajustement de la firme à son environnement, confirmeront les compétences du manager à exercer son rôle. Le dirigeant peut choisir entre plusieurs stratégies pour développer un avantage compétitif durable : la différenciation, la domination par les coûts, la spécialisation, la diversification, l’externalisation ou bien encore l’intégration…
Le modèle des cinq forces (ou menaces) de M. Porter recense les facteurs qui influent sur la performance d’une entreprise et, par conséquent, sur la légitimité du dirigeant : le pouvoir de négociation des clients, la menace d’entrants potentiels, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des produits de substitution et l’intensité de la concurrence intra-sectorielle. La capacité du manager à mettre en place une stratégie qui influencera positivement l’action des différents groupes d’acteurs à l’origine de ces cinq forces, transformant ainsi les menaces en opportunités, confirmera sa légitimité à occuper la fonction de direction.
2. L’élaboration et le suivi des outils et indicateurs de performances
« L’expérience prouve que les entreprises les plus performantes sont celles qui ont changé, en même temps, la technologie, le contenu du travail et les rapports sociaux internes. » A. Riboud
Pérenniser les performances de l’entreprise et, par là-même, la légitimité du pouvoir, requiert l’utilisation de plusieurs outils de gestion et d’indicateurs qui sont à la disposition du dirigeant pour lui permettre d’évaluer les résultats économiques et financiers obtenus mais aussi ceux en matière de RSE.
La veille stratégique, et plus généralement la veille informationnelle, dès lors qu’elle est réalisée de façon pertinente, constitue un outil qui permet, à l’entreprise, de collecter des informations générales (veille passive) ou ciblées (veille active) sur son environnement. Une fois l’information collectée, il convient de l’analyser, de la stocker puis de la rendre disponible pour qu’elle devienne un outil efficace d’aide à la décision.
Les audits internes et externes vont renseigner la firme sur ses résultats quantitatifs et qualitatifs mais aussi sur l’image qu’elle véhicule auprès des différentes parties prenantes. Le rapport d’audit aidera, par la suite, à déterminer les actions spécifiques à mener pour accroître la performance organisationnelle dans tel ou tel domaine d’activité.
Dans le cadre de l’élaboration du diagnostic stratégique, la matrice SWOT se révèle être un outil d’audit marketing très utile qui permet d’obtenir une vision synthétique d’une situation en recensant les forces et les faiblesses de l’entreprise ainsi que les opportunités et les menaces potentielles. Cet outil permet également de rassembler et de croiser les analyses interne et externe avec les environnements micro et macro de l’entreprise.
Le modèle PESTEL, outil dédié au diagnostic stratégique externe, permet d’étudier l’influence, négative ou positive, que peuvent exercer, sur une organisation, les facteurs macro-environnementaux.
Modèle PESTEL : outil d’analyse stratégique
[/Source : http://www.surfeco21.com/?p=1585/]
Le contrôle de gestion joue un rôle essentiel dans le pilotage de la performance de l’entreprise puisqu’il contribue à la mise en œuvre de la stratégie et au suivi de son efficacité. Il implique l’élaboration de tableaux de bords qui sont des outils de mesure de la performance mais qui sont, avant tout, des instruments de pilotage de la démarche de progrès continu dans laquelle s’inscrit la firme. Ces documents récapitulent l’ensemble des indicateurs retenus pour juger des performances de l’entreprise et évaluer ses apports face à ses différentes parties prenantes. Tous les domaines d’activité de l’entreprise possèdent leurs propres indicateurs et, l’on peut citer, à titre d’exemples, des indicateurs économiques et financiers tels que le taux de rentabilité des investissements, le cashflow opérationnel (CFO) ou bien encore le taux de croissance du chiffre d’affaires. En matière de RSE, on peut retenir comme indicateurs, dans le domaine social, les dépenses en formation, le taux de turn-over, le nombre d’accidents du travail… et, dans le domaine sociétal et environnemental, le taux des émissions de CO2 ou bien le nombre d’actions destinées à la protection de la biodiversité ou à la lutte contre le gaspillage des ressources naturelles…
Le benchmarking est un outil au service de l’amélioration de la performance car il s’agit d’une technique qui consiste, pour l’entreprise, à reprendre à son compte, les pratiques efficaces utilisées par d’autres organisations évoluant dans son secteur d’activité ou en dehors de celui-ci (benchmarking externe) ou bien, qui consiste en la diffusion des connaissances et des bonnes pratiques entre ses différentes unités ou différents services (benchmarking interne).
Le respect des normes est un gage de performance et donc de légitimité du dirigeant car la normalisation garantit, à l’ensemble des parties prenantes, que les critères de qualité des produits et des processus ainsi que ceux liés aux domaines social, sociétal et environnemental sont bien pris en compte par l’entreprise.
Dans l’hypothèse où des écarts entre prévisions et réalisations sont constatés, s’il apparaît que les pratiques usitées sont moins efficaces que celles utilisées par d’autres, ou bien encore, que l’absence de conformité aux normes impacte négativement les performances de l’entreprise, les instances de pilotage engagent une réflexion sur les changements à apporter de façon à rendre l’organisation la plus efficiente possible. Si le dirigeant se montre efficace dans la façon de conduire le changement et s’il parvient à le faire accepter par l’ensemble des salariés, alors, il augmente sa crédibilité et, par voie de conséquence, bénéficie d’une plus grande légitimité.
Le recours aux agences de notation renforce la légitimité du manager qui prouve, de cette façon, sa volonté de rendre transparente toute l’information financière. En effet, la note attribuée par ces organismes indépendants, tels que Standard & Poor ‘s, Moody’s ou Fitch Ratings, dès lors qu’elle est bien fondée, va permettre de rassurer les investisseurs en leur permettant d’estimer le risque qu’un investissement comporte. D’autres agences de notation, telles que Vigéo, Ethifinance ou Core Ratings, évaluent les entreprises au regard de leurs pratiques environnementales, sociales et sociétales. Les entreprises qui obtiennent des notes élevées jouissent alors d’une bonne réputation et d’une forte notoriété auprès des différentes parties prenantes sensibles au concept de développement durable.
La création d’un comité de rémunération, dont la composition exclut les cadres dirigeants de l’entreprise, a permis d’assainir la gouvernance d’entreprise en rendant transparente la politique de rémunération des dirigeants. M. Conyon et S. Peck ont démontré que la présence de ce comité renforçait la relation entre revenus du dirigeant et performances de l’entreprise. La rémunération du manager, aussi élevée soit-elle, est alors perçue comme légitime par l’ensemble des collaborateurs au regard des exigences liées à la fonction et dans un contexte de résultats positifs de l’entreprise.
En conclusion et en réponse aux différentes questions soulevées au sujet de la relation qui existe entre : « la légitimité du dirigeant et les performances de l’entreprise », il est possible d’affirmer que la légitimité du dirigeant impacte les performances de l’entreprise et que, inversement, les performances de l’entreprise contribuent à légitimer le dirigeant dans l’exercice de ses fonctions. C’est pourquoi, il apparaît essentiel que le dirigeant évite de commettre certaines erreurs qui, parce qu’elles nuiraient à la performance globale de l’entreprise, porteraient inévitablement atteinte à sa légitimité.
La théorie de l’enracinement (A. Shleifer et R.W. Vishny) montre que le dirigeant peut chercher à rendre coûteux son remplacement obligeant ainsi les actionnaires à le maintenir dans sa fonction. Le manager cherche à se rendre irremplaçable ou incontournable par sa position pour empêcher certaines évolutions ou actions de contrôle. Ce faisant, tenté d’exploiter sa position de manière opportuniste, il peut développer des stratégies destinées à préserver son statut mais qui se révèleront préjudiciables pour l’entreprise et ses propriétaires.
La théorie de l’encastrement (M. Granovetter) repose sur l’importance des relations sociales et des réseaux formels ou informels de relations et d’influences qui permettent à des dirigeants, capables de construire des alliances et de développer des axes de solidarité, de durer dans leurs fonctions alors même qu’ils ne possèdent pas le niveau de compétences requis.
L’excès de légitimité du dirigeant peut constituer un facteur d’inefficience et de dégradation des performances dès lors que la confiance aveugle que lui portent les actionnaires, les salariés, voire même toutes les parties prenantes, va provoquer, de la part de ces derniers, une adhésion sans discussion aux objectifs du dirigeant. Cet excès de confiance, et ce fut le cas chez Vivendi Universal et chez Enron, peut alors conduire à des désastres stratégiques par aveuglement.
Lorsque le dirigeant est sollicité en permanence par l’actionnaire, et plus particulièrement par l’actionnaire majoritaire, pour entreprendre des actions et prendre des décisions qui servent les intérêts à court terme de cet acteur au détriment de l’intérêt social, il peut prendre des décisions inappropriées provoquant le déclin de l’entreprise et, partant, de sa légitimité.
Le manque de confiance du cadre supérieur, provoqué par l’apparition de situations inconfortables auxquelles il est immanquablement confronté, peut amener celui-ci à douter de sa légitimité. Même si le doute n’est pas forcément mauvais car il oblige à des remises en cause de la légitimité qui peuvent avoir un impact positif puisqu’elles incitent à une réflexion approfondie sur le sens à donner à l’activité de l’entreprise, il peut, s’il devient envahissant et anesthésiant, fragiliser la santé physique et mentale du décideur. La baisse du niveau de performances, induite inévitablement par l’incapacité du manager à assumer sereinement ses fonctions, constituera inéluctablement un facteur destructeur de sa légitimité.
La recherche excessive de performances peut également devenir un facteur de dégradation de la légitimité du dirigeant car ce dernier va être incité à exercer, en permanence, des pressions insoutenables sur ses fournisseurs ou bien sur ses salariés, d’où l’apparition de conflits et une dégradation de la coopération interne et externe qui peut se traduire par une remise en cause des contrats et, au fil du temps, par une remise en cause de sa capacité à gérer efficacement l’organisation.
De même, l’arbitrage effectué par le dirigeant entre, d’une part, performances économiques et, d’autre part, performances sociétales et environnementales peut entraîner une perte de sa légitimité dès lors que le choix opéré est contesté par une majorité d’acteurs. L’absence de prise en compte par le dirigeant de la RSE va assurément conduire les associations et les ONG, défenseuses de l’environnement ou des droits de l’Homme, à s’ériger en contre-pouvoirs, mettant en place des actions qui nuiront à la réputation de l’entreprise et altéreront la crédibilité du dirigeant dans le rôle qui lui incombe.
Enfin, beaucoup d’autres pratiques susceptibles d’être adoptées par les dirigeants, sont destructrices de légitimité et l’on peut citer, de manière non exhaustive, la nomination de personnes proches de lui qui le conduirait à « faire du favoritisme », la fixation d’objectifs trop élevés, une vision qui se bornerait à l’exécution de plans sur le court terme mais sans une véritable projection sur l’avenir, l’élaboration de plans d’action qui manqueraient de consistance, l’hésitation dans la prise de décision voire même la fuite face aux responsabilités, un désaccord affiché, des conflits récurrents ou des rivalités au sein de l’équipe de direction, une communication peu cohérente et peu convaincante…
C’est pourquoi, et c’est bien parce qu’il apparaît, sans équivoque, que la légitimité du dirigeant est essentielle à la bonne marche de l’entreprise que l’on peut, sans détour, adhérer aux propos de Simone Weil, philosophe française du 20e siècle qui s’exprime ainsi : « L’obéissance à un homme dont l’autorité n’est pas illuminée de légitimité, c’est un cauchemar ! ».
Bibliographie :
Charreaux G. : « Le Gouvernement d’entreprise », Encyclopédie des ressources humaines, Paris, Economica (2001).
Charreaux G et Desbrières P. « Gouvernance des entreprises : valeur partenariale contre valeur actionnariale », Finance contrôle stratégie (1998).
Granovetter M. : « Economic action and social structure : the problem of embebdedness » (1985).
Suchman M.C. : « Managing legitimacy : strategic and institutional approaches » (1995).
Weber M. : « Economie et société » (1922).
Sitographie :
Patrick Gabriel et Christian Cadiou : « Responsabilité sociale et environnementale et légitimité des entreprises : vers de nouveaux modes de gouvernance ? » Disponible sur : http://www-connexe.univ-brest.fr/iae/mut-coop/docs/RSE_RSG_2005.pdf
Valérie Petit et Romain Saguy : « Les dirigeants légitimes font des collaborateurs mobilisés ! » Disponible sur : http://professoral.edhec.com/servlet/com.univ.collaboratif.utils. LectureFichiergw ? ID_FICHIER=1328885974086
Valérie Petit et Isabelle Mari : « La légitimité des équipes dirigeantes : une dimension négligée de la gouvernance d’entreprise. » Disponible sur : http://professoral.edhec.com/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw ? ID_FICHIER=1328885973240
Valérie Petit et Véronique Boulocher : « Equipes dirigeantes : Comment développer la légitimité managériale ? » Disponible sur : http://www.groupe-edhec.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw ? ID_FICHIER=1328885973270
Liens possibles :
http://www.creg.ac-versailles.fr/spip.php?article694 : Présentation des grands courants d’explication du leadership. Le leadership, un état personnel, des capacités ou une réelle intelligence situationnelle ?
http://www.creg.ac-versailles.fr/spip.php?article476 : Le métier d’entrepreneur : des compétences à développer, acquérir et maîtriser
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