L’intelligence économique

, par Anne-Gaëlle Saiah

Maîtrise de l’information, sécurité des données, menaces économiques... les thèmes de l’intelligence économique sont au cœur des préoccupations de toutes les organisations, États, entreprises, ONG... Sans toujours dire son nom, le concept est devenu un élément fondamental de leur démarche stratégique en offrant une certaine visibilité sur le flux d’opportunités et de menaces qu’implique un environnement en perpétuelle évolution.

I. Le concept d’intelligence économique

A. L’émergence du concept

La démarche de recherche et d’exploitation de l’information dans le but d’en retirer un avantage économique est très ancienne - commerçants vénitiens, explorateurs...- mais le concept moderne de l’intelligence économique ne date que d’une quinzaine d’années.
Apparu aux Etats-Unis l’intelligence économique s’est imposée rapidement dans les plus grandes entreprises à travers le monde mais peine à trouver sa place dans les PME où le concept est souvent perçu, à tort, comme abstrait et inaccessible.
L’acception anglo-saxonne du terme d’ « intelligence » à comprendre dans le sens « connaissance approfondie », la récence de la démarche, la confusion avec l’espionnage économique - sans objet car par définition l’intelligence économique n’utilise que des moyens légaux...- , expliquent sans doute en partie la difficulté d’appropriation par les plus petites organisations. La prépondérance des PME dans notre tissu économique et l’internationalisation de la concurrence à laquelle elles doivent faire face militent cependant en faveur d’une sensibilisation de l’ensemble des entreprises à la démarche d’intelligence économique.
Cette analyse était au centre du rapport du Commissariat général du Plan, présidé par : Henri Martre, « Intelligence économique et stratégie des entreprises » en 1994, - www.arphi.fr/Martre.htm -. Il jetait alors les bases du concept en France et nous en proposait une définition  : « ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement, de distribution et de protection de l’information utile aux acteurs économiques obtenue légalement ».

B. De la veille à l’intelligence économique

Malgré cette première impulsion forte et ce travail de définition, la démarche n’a pas vraiment trouvé sa place dans les entreprises françaises dans les années qui suivirent trop souvent confondue avec le concept de veille.
La veille se définie comme la collecte d’informations en vue de leur analyse et de leur diffusion au sein de l’entreprise. Il s’agit de recueillir de l’information « blanche » pour la mettre à disposition de l’ensemble des décideurs de l’organisation. L’information « blanche » qualifie une information publique et accessible, ne faisant l’objet d’aucune sécurisation particulière et se distingue de l’information « grise » qui ne fait pas l’objet de publicité et que l’on trouve de manière indirecte ou détournée mais légale et de l’information «  noire » qui fait l’objet d’une haute sécurisation et relève de l’espionnage industriel.
Mais l’intelligence économique va bien au-delà de ce premier savoir-faire analytique car elle suppose en outre la mise en place d’un processus de gestion et de protection de l’information. La gestion de l’information -organisation de la rareté de l’information, orientation du sens de l’information, travail d’influence...- illustre le caractère offensif de la démarche d’intelligence économique alors que la protection du patrimoine informationnel et le processus de sécurité économique constituent la face défensive de cette même démarche.
C’est la complémentarité des démarches offensives et défensives qui permet à l’intelligence économique de surpasser les possibilités de la veille et de devenir une arme efficace de l’organisation pour faire face aux nouveaux défis économiques.

II. Les fondements de l’intelligence économique

A. Un nouveau contexte économique mondial

Depuis la fin de la guerre froide - 1991- on assiste à une globalisation des marchés et à l’émergence d’une situation d’affrontements économiques mondiaux dont les protagonistes sont à la fois les blocs économiques supranationaux, les États et les entreprises. Il en résulte un durcissement de la concurrence alors même que la création de valeur des entreprises repose de plus en plus sur la conquête de marchés au-delà de leurs frontières. A une économie de production a succédé une économie de marchés.
Dans le même temps les NTIC - Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication-, issues du mariage de l’informatique, de l’électronique, des télécommunications et de l’audiovisuel, ont révolutionnées l’accès à l’information. Internet permet aujourd’hui d’accéder à 10 milliards de données entraînant une baisse constante du coût de l’information primaire (brute et directement disponible).
L’émergence de l’intelligence économique accompagne donc la convergence des situations nouvelles de guerre économique et d’explosion de l’information. L’information devenue ressource stratégique pour les acteurs publics et privés, la difficulté n’est plus de l’obtenir mais de la gérer et de la protéger car ce sont ces deux dimensions qui en font un avantage compétitif et qui font de l’intelligence économique un outil stratégique indispensable.

B. La montée en puissance des systèmes d’information dans les entreprises

Le système d’information est l’organe central de toute organisation car en diffusant l’information il est le support toutes les décisions. Il fait partie intégrante de la démarche d’intelligence économique car il intègre les technologies de l’information qui ont permis le développement du concept : il met la technique au service du contenu informationnel. Grâce au système d’information, l’organisation peut récupérer, stocker, et analyser une quantité d’informations qui excède largement la capacité du raisonnement humain. Le système d’information intègre une fonction décisionnelle qui automatise le processus de recherche de l’information et la mise en forme des données nécessaires à la prise de décision. Cette fonctionnalité est au coeur de la démarche globale d’intelligence économique car si Internet a considérablement augmenté la quantité de données externes disponibles il n’en garantie aucunement la qualité.
Les données recueillies, structurées (fichiers, tableaux, base de données...) ou non structurées (articles, séquences vidéo...), gratuites ou payantes sont rarement confidentielles, il faut donc les croiser avec d’autres sources de données - partenaires, fournisseurs, sources publiques, presse...- avant d’en obtenir une ressources informationnelle de dimension stratégique. Le système d’information décisionnel permet également de combiner des données passées avec des données événementielles ce qui participe au processus d’intelligence économique car c’est la combinaison des éléments informationnels qui importe plus que la qualité des données brutes. Ceci permet à l’entreprise de prendre des risques calculés. Cependant on déplore souvent des problèmes de cohérence et d’interconnections des différentes applications qui composent le système d’information décisionnel qui nuisent à l’homogénéité de l’ensemble informationnel. Il faut alors urbaniser le système d’information préalablement à la démarche d’intelligence économique.
Malgré tout quelque soit la qualité du système d’information de l’entreprise, l’information n’a aucun sens en elle-même, ce sont les hommes avec leurs connaissances qui lui donnent du sens par leur interprétation. L’intelligence économique nécessite donc avant tout une coopération entre les acteurs de l’organisation et donc une certaine culture managériale.

III. Les champs d’application de l’intelligence économique

A. L’intelligence économique au service des entreprises.

Au cœur de la guerre économique mondiale, les entreprises constituent le premier champ d’application de l’intelligence économique.
Au sein de l’entreprise la démarche repose sur le partage et la valorisation de l’information par l’ensemble des acteurs. Il s’agit donc d’un processus de recherche, d’analyse, de diffusion puis d’enrichissement des ressources informationnelles qui s’appuie sur le système d’information de l’organisation. In fine chaque décideur dispose d’une information à forte valeur ajoutée qui optimise son processus de prise de décision.
L’intelligence économique joue un rôle d’interface entre l’entreprise et son environnement. L’entreprise est réceptive aux moindres évolutions de son environnement tout en préservant ses informations stratégiques. Elle peut alors batir des stratégies de différenciation de plus en plus complexes pour préserver sa compétitivité et assurer sa pérennité.
Certain groupes de grande taille dispose d’une « direction de l’intelligence économique » mais cette responsabilité est plus généralement confiée au Directeur du Système d’Information -DSI-. En effet le DSI maîtrise l’ensemble des flux informationnels de l’entreprise, il peut donc grâce à ses compétences techniques et organisationnelles, optimiser et sécuriser les flux d’information. Il est également en mesure de proposer des solutions pour mettre en place une démarche globale d’intelligence économique dans l’entreprise.
Cependant l’intelligence économique est avant tout une affaire de culture managériale car elle repose sur la volonté des acteurs de l’entreprise de coopérer afin de mieux agir collectivement. Ceci ne peut s’envisager que sous l’impulsion du dirigeant entraînant avec lui l’ensemble de directions opérationnelles.

B. L’intelligence économique au service de l’État.

L’histoire montre que les grandes puissances commerciales (le Japon après-guerre, l’empire colonial anglais...) se sont toujours appuyées sur un système de renseignement économique performant et un partage de l’information efficace entre État et entreprises nationales. Aujourd’hui l’information est facilement disponible mais l’État garde un rôle prépondérant sur la scène économique mondiale : il doit protéger les atouts économiques de la nation dans la compétition économique internationale.
L’intelligence économique se doit donc d’être une politique publique comme le souligne le Rapport de la Mission Parlementaire du député Bernard Crayon en juin 2003 et comme en témoigne la nomination de Monsieur Juillet le 31 décembre 2003 comme Haut Responsable chargé de l’Intelligence Économique HRIE au Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN) par le Président de la République.
En dehors de nos frontières, les entreprises attendent de l’État qu’il défende les positions commerciales nationales mais également qu’il intervienne dans la définition des normes et réglementations qui pèsent sur leur compétitivité, auprès des organisations qui organisent le commerce mondial - UE, OMC...-.Dans la lutte d’influence que se livre les États et les blocs économiques, l’intelligence économique joue un rôle tout à fait stratégique.
A l’intérieur de nos frontières, le conseil économique et social souligne le rôle de l’État en matière de sensibilisation des entreprises françaises, tout particulièrement les PME, aux enjeux de l’intelligence économique - compétitivité, sécurité, financement de l’innovation...-.

IV. L’intelligence économique : opportunités et risques

A. L’intelligence économique un outil de compétitivité

En utilisant tous les moyens d’information disponibles, l’intelligence économique permet à l’entreprise d’appréhender son environnement : les stratégies de ses concurrents, les tendances des marchés à venir, les dynamiques territoriales, les pratiques locales et internationales ...
Au delà des décisions stratégiques, elle concerne l’ensemble des acteurs de l’entreprise à qui elle permet d’identifier et de minimiser les risques commerciaux, financiers, juridiques... .
L’intelligence économique induit tout à la fois des décisions offensives - recherche et développement, transfert de technologie, conquête de nouveaux marchés - et défensives - protection du patrimoine, sécurité, maîtrise des risques industriels, commerciaux, d’altération de l’image...-. Ainsi l’intelligence économique constitue le socle de la compétitivité de l’entreprise et une condition à sa survie dans un contexte de concurrence mondiale exacerbée.

B. La gestion des risques liés à l’intelligence économique

La sécurité économique fait intrinsèquement partie de l’intelligence économique comme pendant exact des opportunités qu’elle offre.
La richesse de l’organisation provient de la circulation des savoirs et des savoir-faire mais également de leur protection - partage sélectif, segmenté, organisé et sécurisé de l’information - car ce qui fait la valeur d’une entreprise doit rester inconnu pour ses concurrents avérés ou potentiels.
Or au quotidien les entreprises de toutes tailles sont confrontées à des risques réels de déstabilisation : attaques au niveau des fournisseurs, fuites de cerveaux, fausses informations, offres d’emploi fictives, tentatives d’intrusions dans le système d’information...
Internet a multiplié les risques d’opérations malveillantes. Le processus d’intelligence économique doit donc permettre à l’entreprise de veiller à la sécurité de son système d’information sur lequel pèse des menaces tant accidentelles - catatrophes naturelles, erreurs humaines...- qu’intentionnelles - espionnage, intrusions, sabotages ...-.


Bibliographie :

  • L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE : La comprendre, l’implanter, l’utiliser, JAKOBIAK FRANÇOIS, Paris, Éditions d’Organisation, , 2006.
  • LA VEILLE TECHNOLOGIQUE ET L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE, ROUACH DANIEL, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, n° 3086, 2005.
  • Application de l’Intelligence Économique dans un Système d’Information Stratégique universitaire : les apports de la modélisation des acteurs, THÈSE présentée et soutenue publiquement le 16 novembre 2006 par Frédérique PEGUIRON http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/11/72/80/PDF/peguiron_these.pdf

Pour aller plus loin :

  • L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE. Quelles perspectives ?, DAGUZAN JEAN-FRANÇOIS (dir. de)  ; MASSON HELENE (dir. de), Paris, L’Harmattan, coll. Perspectives stratégiques, 2004.
  • L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE DANS LA PME. Visions éparses, paradoxes et manifestations, GUILHON ALICE (coordonné par), Paris, L’Harmattan, 2004.
  • LE MANAGEMENT DE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE. Vers une nouvelle gouvernance, ZARA OLIVIER, Paris, M2 Éditions, 2004.
  • MODELE D’INTELLIGENCE ECONOMIQUE, AFDIE (Association française pour le développement de l’intelligence économique), BESSON BERNARD ; FONVIELLE DOMINIQUE  ; FOUREZ MICHEL ; LIONNET JEAN-PIERRE ; MOUSNIER JEAN-PHILIPPE, Paris, Économica, coll. L’intelligence économique, 2004.

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