Le management des connaissances : des clés pour comprendre

, par Stéphane Jacquet

Lors d’un récent entretien conseil de VAE, une responsable de rayon dans la grande distribution me racontait comment elle testait ses nouveaux vendeurs en les mettant en situation, tout en concluant que c’était « sa façon à elle de le faire » et qu’elle n’avait pas le pouvoir d’embaucher puisque celui-ci était dévolu au DRH « compétent dans le domaine », en précisant qu’elle ne savait pas recruter. Alors que je lui faisais prendre conscience qu’elle possédait des compétences de recrutement, elle me précisa « qu’elle ne s’était pas rendu compte qu’elle en avait », mais qu’en réfléchissant bien « elle avait présenté sa façon de tester » lors de la réunion des cadres et que certains de ses collègues avaient adopté cette approche, en l’adaptant à leurs rayons. On pourrait ainsi multiplier les cas concrets où des professionnels mettent en place des process en utilisant leur expérience et se les transmettent en les enrichissant au passage. Ce partage des connaissances est aujourd’hui devenu une nécessité pour les organisations car l’époque de l’emploi à vie est terminé et le temps passé dans une fonction par les cadres diminue, d’où la nécessité à un moment de transcrire les pratiques et de chercher à les fixer voire à les codifier, dans l’intérêt de l’organisation (qui devient donc apprenante) et des individus qui la composent (qui sont les acteurs du processus). Cette démarche a souvent été identifiée sous le terme de « knowledge management » ou management des connaissances en français. Elle découle de la prise en compte des connaissances comme véritables ressources des organisations en prenant le contrepied d’une approche classique fondée sur le capital et considérant la valeur travail de manière mécaniste. Cette préoccupation est relativement récente dans les entreprises et les premières prises de conscience ont eu lieu à la lumière des travaux de l’école des relations humaines dans les années 50. Ce n’est qu’en 1959, que la littérature managériale en fait état, à travers les recherches d’Edith Penrose qui met en avant le rôle important du savoir dans l’entreprise comme source de création de richesses. Depuis, différents courants ont poussé plusieurs approches du management des connaissances, qui s’est véritablement imposé dans les années 90 en entreprise. Ce concept est donc relativement récent mais on constate aussi qu’il est très utilisé par les organisations, car il est mobilisateur bien que non stabilisé (Grundstein 2003). C’est bien là le problème avec le management des connaissances : on en parle beaucoup, on l’utilise de plus en plus mais on ne sait pas réellement ce que c’est. Les recherches internet font ressortir de nombreux documents, souvent pratiques et appliqués à des cas précis, mais finalement assez peu d’articles de fond cherchant à définir les contours du management des connaissances. Qu’est-ce que le management des connaissances et comment a-t-il émergé ? Qu’en est-il aujourd’hui ? Il serait donc intéressant de se demander pourquoi un tel concept a émergé et quels sont les éléments qui le sous-tendent (1). On pourrait alors rechercher les courants qui ont poussé différentes approches et mettre en avant la conception dominante (2). Enfin, il s’agira de définir les notions clés et de présenter la démarche de conversion des connaissances, comme préalable à la mise en place du processus dans les organisations (3).

 1. L’émergence d’un nouveau concept managérial

Il convient de rechercher d’où vient ce terme et comment a émergé l’idée. Pour ce faire, nous devons partir un constat à fin de mettre en avant la nécessité d’un nouveau type de management puis d’en tracer l’historique à fin de montrer pourquoi il émerge à un moment donné.

1.1. Constat préalable et nécessité

Un célèbre proverbe africain prétend « qu’un vieillard qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle ». A l’époque d’Internet, des réseaux sociaux et des technologies numériques, ce proverbe pourrait faire sourire. Mais en réalité, il prend toute son actualité car la surabondance de l’information peut entretenir l’illusion de la connaissance sans se poser réellement la question de son identification, de son partage et de sa codification. Dans un récent article intitulé « mémoire vive », le journal Le nouvel Economiste rappelait l’importance stratégique du capital de connaissances des organisations mais également la difficulté de le partager et de le diffuser (Le nouvel Economiste n°1517 Avril 2010).

Ainsi le KM s’inscrit-il dans la stratégie de l’entreprise en permettant d’identifier, de collecter et d’organiser les connaissances et savoir-faire acquis par les individus dans l’organisation, pour mieux les restituer et pouvoir les partager. En cela il répond à des préoccupations importantes du monde professionnel en particulier lié à la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Telle organisation qui présente une pyramide des âges déséquilibrée peut se poser la question des départs massifs de seniors et ainsi craindre de perdre une partie importante des connaissances et du savoir-faire. A l’inverse, une « jeune pousse », implantée dans les technologies de l’information de la communication peut se poser la question de la fixation et du partage de connaissances à forte valeur ajoutée dans un contexte de turnover important de ses salariés. Dans les deux cas, l’émergence de ce concept montre la prise de conscience de l’organisation que la connaissance est un véritable capital immatériel à exploiter. Il cherche à améliorer la compétitivité de l’organisation en permettant une meilleure réactivité mais également des gains de productivité ainsi que l’amélioration de la qualité des services et de la production. Dans un contexte de gestion des compétences voire de gestion des talents (voir article précédent : « Manager les compétences : approches, enjeux et développements »), il permet de mettre en place de véritables dispositifs de transfert de la connaissance en particulier celles développées par les experts.

On voit bien de nombreux avantages pour les organisations, comme tout d’abord favoriser la gestion des connaissances explicites existantes. Mais il permet également de développer en la favorisant, la découverte des connaissances, par une prise de conscience de leur existence. À l’époque du développement des réseaux, le KM constitue un cadre collaboratif intéressant qui permet de soutenir les interactions sociales et collaboratives des employés. Celles-ci sont favorisées par le développement des outils informatiques et des différentes méthodes d’échange de la connaissance. On peut donc dire que ce concept existe implicitement depuis très longtemps, car information et connaissance ont toujours existé dans les organisations, mais que la prise de conscience de son importance est plutôt récente car elle supposait une autre approche du facteur humain dans l’entreprise. Il s’agit donc d’examiner historiquement comment le concept est apparu puis s’est développé.

1.2. Développement historique du KM

Même si l’on peut penser que le management des connaissances existe, implicitement, depuis très longtemps, les spécialistes s’accordent sur son émergence vers la fin des années 50. En effet, après une domination managériale de l’école classique et une conception mécaniste de l’homme au travail, les travaux des auteurs de l’école des relations humaines ont mis en avant, à partir des années 30, le rôle stratégique joué par l’humain dans l’entreprise. En 1959, dans son livre intitulé : « Theory of the growth of the firm », Edith Penrose propose une approche complètement nouvelle, fondée sur les ressources. Elle explique dans ce livre que l’organisation peut subir une perte de capital en cas de départ d’un salarié « capable », c’est-à-dire intervenant dans le processus de production. C’est une approche nouvelle car elle confère à la connaissance une valeur économique, au même titre que toutes ressources matérielles. La création de richesses n’est plus seulement l’apanage du capital au sens strict du terme, le savoir détenu par les salariés se retrouve au centre du processus de création de la richesse. De nombreux cas d’entreprises ont pu illustrer cette théorie, un des plus connus étant la mésaventure arrivée à l’entreprise Boeing dans les années 90. Après avoir licencié massivement des techniciens chevronnés, elle n’a pu faire face à une brusque reprise des commandes car une partie des savoir-faire avait disparu dans les licenciements. D’autres cas de rappel de salariés retraités (comme en l’an 2000 dans le secteur informatique) illustrent cette nouvelle façon de considérer l’humain dans l’entreprise. Des travaux divers vont venir étayer cette approche, comme ceux de Polanyi (1966) qui définit les deux types de connaissances dans les organisations (tacites et explicites) ou ceux d’Argyris dans les années 70 qui cherche à définir le statut de la connaissance dans les organisations. Peter Drucker (1966) le démontre également en précisant l’importance de l’analyse de l’information dans les organisations et le rôle que joue la connaissance pour la rendre pertinente. Dans les années 80, ce concept prend de l’importance en raison des incertitudes liées à la crise. C’est à ce moment qu’apparaît le terme d’entreprise apprenante. Peter Senge met en avant les processus d’apprentissage en équipe et montre l’intérêt d’un nouvel état d’esprit qui fait de la connaissance un atout concurrentiel indéniable. Avec les progrès de l’informatique, les années 80 marquent le développement de travaux sur l’intelligence artificielle et les systèmes experts. On se focalise alors sur la manipulation et la transmission de données ainsi que sur la problématique de sa conservation. De nombreuses innovations apparaissent à ce moment-là comme la gestion électronique des documents mais également le traitement automatique du langage, à travers la dictée vocale ou la traduction automatique. De nombreux travaux cherchent à explorer également les analogies entre l’ordinateur et le cerveau humain qui permettrait d’améliorer la productivité des salariés.

Un changement majeur va intervenir dans les années 90, sous l’influence des grands cabinets de conseil de gestion qui réalisent des prestations pour les plus grandes organisations mondiales. On cherche alors à mettre en place de véritables systèmes internes de gestion des connaissances, à vocation pratique, dans un but de productivité accrue. Au même moment, on observe une accélération de la recherche avec les travaux fondamentaux de Nonaka et Takeuchi au Japon (1995). C’est souvent cette date qui est prise pour présenter le développement du concept de management de la connaissance. En effet, les travaux japonais ont surtout mis en relief des interactions existantes entre les connaissances tacites et explicites mais également les approches possibles pour les développer. En même temps, cette approche japonaise apporte énormément au concept car elle s’oppose à l’approche américaine, orientée technologies. Nonaka et Kono présentent une nouvelle dynamique de création du savoir qui tient compte de l’environnement mais également du potentiel des personnes. Le contexte doit être porteur de sens, ce qui développe la nécessité d’une communauté stratégique de connaissances et met en avant l’intérêt d’une société en réseau. On peut dire que c’est cette école qui a véritablement permis de poser les bases de ce que peut être aujourd’hui le management des connaissances, même si l’apport des différents courants est indéniable. Le KM, à l’heure actuelle, est en profonde mutation. Il s’est longtemps focalisé sur la collecte et le classement des données mais s’intéresse aujourd’hui au partage à travers le concept d’intelligence participative en cherchant à la fois à décloisonner le management et connecter les personnes entre elles. On peut ainsi parler « d’organisation 2.0 » selon M. Roulleaux Dugage (2002) pour décrire les entreprises qui mettent en place des communautés de pratiques s’appuyant essentiellement sur le retour d’expérience. Pour bien mesurer les évolutions et l’émergence de ce concept on peut se pencher sur la difficulté de le définir précisément.

1.3. Emergence d’un concept de management difficile à définir

Tous les étudiants ou chercheurs s’intéressant au management des connaissances se sont retrouvés confronter à la difficulté de définir. Une revue de littérature fait apparaître plusieurs dizaines de définitions ! Sans chercher à être exhaustif, on peut en présenter les principales qui montrent déjà l’existence de différents courants et approches dans le management des connaissances.

On peut commencer par une définition globale, relativement répandue, selon laquelle le KM serait l’ensemble des initiatives, des méthodes et des techniques permettant de percevoir, d’identifier, d’analyser, d’organiser, de mémoriser, et de partager des connaissances entre les membres des organisations en vue d’atteindre un objectif fixé. Cette définition « fourre-tout » a le mérite de réunir différentes approches à travers les principales actions réalisées dans le cadre d’un système de management des connaissances. De manière plus générale on peut retenir la définition suivante : « le KM peut être défini comme l’ensemble des actions systématiques et organisées qu’une entreprise réalise pour obtenir une plus grande valeur des connaissances dont elle dispose » (Davenport 1998). Cette définition montre que le KM est avant tout un processus réunissant des actions dans un but très précis. Cette notion de processus est également reprise dans la définition suivante : « le KM est un processus organisationnel permettant l’acquisition, la structuration, l’intégration et la diffusion de la connaissance des individus à travers l’organisation, en vue d’offrir une aide au travail et d’accroître l’efficacité organisationnelle » (Quintas 1997). Dans cette dernière définition on peut relever l’importance du résultat à travers la notion d’efficacité et l’ancrage managérial à travers le principe de l’amélioration organisationnelle. René-Charles Tisseyre apporte une définition plus fondée sur la prise de conscience des acteurs dans l’entreprise, pour lui le KM est « la gestion consciente, coordonnée et opérationnelle de l’ensemble des informations, connaissance et savoir-faire des membres d’une organisation au service de cette organisation ». cf « théorie et pratique la gestion des connaissances » (1999). Ce qui est intéressant ici c’est à la fois l’approche consciente mais également coordonnée qui montre une véritable volonté des acteurs de partager des connaissances dans l’intérêt de l’organisation. Jean-Yves Prax va plus loin et montre la difficulté de définir le KM. Il préfère donner quatre types de définitions complémentaires. La première est utilitaire et voit le KM comme un système qui « sert à apporter l’information qu’il faut au moment où il faut, sans en faire la demande ». Une seconde définition, plus opérationnelle, présente le KM comme une « combinaison des savoirs et des savoir-faire dans les process des organisations pour créer de la valeur ». Il met également l’accent sur l’aspect fonctionnel en présentant le KM comme le fait de « manager le cycle de la vie d’une connaissance : l’émergence d’une idée, la formalisation, la validation, la diffusion, la réutilisation et sa valorisation ». Enfin, il n’oublie pas l’aspect économique en précisant que le KM permet de « valoriser le capital intellectuel de la firme » cf « le manuel du KM » (2000). De nombreuses définitions ont également été proposées, le blog suivant s’attache à les répertorier : http://blog.simslearningconnections.com/?p=279, pour en relever 43 ! Ce sont pour la plupart, des définitions de consultants mais également de chercheurs. Certaines vont très loin, prétendant que le KM est « une branche de la science qui traite de la gestion des moyens d’optimiser la production » (Castro 2008), ou encore « le processus d’amélioration du rendement des travailleurs du savoir en éliminant l’ignorance et l’incapacité le plus rapidement et économiquement possible en fournissant un environnement adéquat, une motivation et des modèles » (KM-experts 2008). L’intérêt de l’entreprise est rappelé clairement dans la définition suivante : « le KM fait l’effort de conserver, analyser et organiser l’expertise des employés à mettre à la disposition de l’organisation » (Stuart). Une autre s’attache plus particulièrement à l’intérêt de la mise en place d’un environnement favorisant le partage : « le KM permet d’offrir l’accès à la connaissance par la création d’un environnement qui encourage le partage des connaissances et la construction d’un désir d’apprendre » (Weik). La dernière approche est à mettre en parallèle avec la définition japonaise développée par Nonaka et Konno dans les années 90. Elle met en avant le concept de « Ba » dans la voie japonaise de la création du savoir. Le « Ba » est un idéogramme qui relie deux éléments ; un potentiel est un mouvement qui a pris une direction. Le « good Ba » présente une situation relationnelle permettant la créativité et les interactions. C’est donc à la fois un environnement physique mais également un état d’esprit. Nonaka le définit comme « un espace partagé de relations en émergence. Cet espace peut-être physique, mental ou la combinaison des deux. Il fournit une plate-forme, qui, dans une perspective transcendante, intègre toute information requise. C’est un contexte porteur de sens » (Nonaka 2002). Cette approche japonaise est centrée sur l’humain et tranche avec les définitions basées sur le but ou sur les outils, comme par exemple celle-ci : « le KM permet la distribution, l’accès et la récupération d’informations non structurées qui permet de créer un processus de transfert et de diffusion des connaissances » (eliteral).

Cette série de définitions nous paraît intéressante car elle montre à la fois la difficulté de trouver une définition globale et simple mais également l’aspect multiforme et complexe du KM. Cela s’explique par les différents courants et approches qui ont façonné progressivement le KM. 

 2. Des courants divers et des approches différentes

Le KM a subi l’influence de plusieurs courants qui lui ont permis de se construire et d’évoluer, surtout sous l’influence de certains auteurs et de certaines écoles. Si l’on peut relever 3 grands courants, on peut également relever 2 positionnements possibles ; l’un considérant le KM à travers la mesure du capital intellectuel et l’autre partant du KM comme processus de création de connaissances. Ces courants et positionnement ont généré des approches assez actuelles du KM, très différentes en termes de démarche et de contours.

2.1. Les 3 grands courants d’influence

2.1.1. Le courant technique

Chronologiquement, le KM a d’abord été influencé par un courant technique. Pour cette école, l’outil est premier et l’on recherche la solution à un problème technique. Il est difficile de le dater car on trouve les traces d’une réflexion s’apparentant au KM dans des travaux anciens de l’école classique. Cependant, c’est plus récemment que la question de l’importance de l’information dans la résolution de problème s’est posée, en particulier lors des renouvellements et modernisations d’outils de production. Ce courant a véritablement trouvé sa dimension lors du développement d’outils technologiques permettant une meilleure circulation de l’information. On a ainsi pu le taxer de « courant technologique ». Dans les années 50, l’information devient vraiment stratégique et on voit se développer des technologies permettant de la diffuser ou d’en multiplier l’impact. Il s’agit de la traduction automatique ou des premiers procédés de gestion électronique des documents. Avec le développement de l’informatique, ce courant va se focaliser sur l’outil, avec des ambitions importantes qui ne seront jamais vraiment respectées. Il s’agit de chercher à utiliser l’ordinateur pour faciliter la transmission de l’information et son traitement, via la dictée vocale par exemple, ou développer les logiciels de base de données. Cette vision laissait peu de place à l’analyse de l’environnement et au facteur humain en cherchant des certitudes. Le cadre de ce courant a été posé par les travaux de Simon dans les années 70, en particulier sur la décision (modèle IMC). La connaissance est devenue la matière première de l’informatique et on cherche à lier intelligence humaine et procédurale (le mythe de l’ordinateur qui pense dans « 2001, l’odyssée de l’espace de S. Kubrick en 1966). Les recherches ont été peu concluantes et cette approche a souvent été critiquée, « l’intelligence n’étant pas devenue artificielle mais artificieuse » F. Foussier cf « information and KM » (SchlumbergerSema consulting).

2.1.2. Le courant économique

C’est un courant important, aux prolongements actuels. Dès l’apparition du KM, on a cherché en quoi il pourrait permettre d’améliorer la rentabilité de l’organisation et d’optimiser la chaîne de valeur. On a d’abord mis en avant la nécessité d’évoluer rapidement, pour suivre la concurrence. Puis on a cherché à obtenir ou garder un avantage concurrentiel en pratiquant la veille informationnelle. Ainsi le diktat de la nouveauté s’est-il imposé, à travers l’innovation ou la recherche de l’information rare. On retrouve essentiellement ce courant à travers l’analyse de la valeur et l’analyse systémique. Dans l’analyse de la valeur, il s’agit de quantifier la valeur accordée aux biens intellectuels, en particulier lors de leur acquisition (brevets…). La connaissance est vue comme une marchandise dont on calcule le coût et le rendement. L’analyse systémique a cherché à représenter l’organisation à partir de son système. Elle est encore assez actuelle et montre les relations existantes entre les éléments d’un ensemble global. Aujourd’hui encore, lorsqu’on parle de « capital humain » ou de management des talents, on induit une réflexion quantitative car on sait que l’expert a un coût pour l’entreprise, tout comme les informations qui seront traitées, qu’elles soient entrantes ou sortantes. Ce qui importe, c’est la valeur générée, donc le bénéfice créé par l’organisation du fait du KM. (Penrose, 1959 « theory of the growth of the firm »), elle explique que l’entreprise subit une perte de capital lorsqu’un employé « capable » quitte l’entreprise. Elle confère une valeur économique à la connaissance. La problématique de la capitalisation des connaissances est ainsi posée et devient importante (Peter Drucker, 1993).

2.1.3. Le courant comportemental

Ce courant est le plus récent car il a cherché avant tout à stimuler l’échange de connaissances et la création, sans visée productiviste immédiate. Ce courant est lui-même subdivisé en différentes écoles. La première est plutôt organisationnelle et managériale car elle considère que l’échange de connaissances doit s’appuyer sur des communautés, le plus souvent interdisciplinaires. Ces communautés peuvent être internes ou même dépasser les limites de l’organisation (externes). Elles permettent alors un partage interprofessionnel très intéressant pour le secteur concerné. Il est à noter que des experts d’entreprises concurrentes peuvent participer aux mêmes communautés de réflexion ou de pratique, souvent déjà structurées autour de groupes d’anciens de grandes écoles. Les échanges permettent des mises en commun de process grâce à des effets de synergie et une certaine forme de partenariat, tout en maintenant la concurrence, ce qui a donné le néologisme « coopétition ». Ces échanges sont le plus souvent favorisés par des plates-formes informatiques ou même des blogs professionnels. Ce courant est très actuel, il avait déjà été imaginé par J. De Rosnay dans son livre : « La révolution du pronétariat » (sous licence Creative Commons et téléchargeable gratuitement à cette adresse : http://www.pronetariat.com/livre/. Il est également démultiplié grâce aux réseaux sociaux à finalités professionnelles, type viadeo, dans lequel les « hubs » (groupes à thème dans lesquels s’expriment des personnes partageant des idées sur un thème particulier) jouent un rôle important en termes d’échange de pratiques. Pour aller plus loin dans cette logique, l’école « spatiale » a proposé de repenser le lieu de travail et l’environnement des salariés afin de favoriser la création et l’échange de connaissances. Le cas le plus connu est celui de la disparition des bureaux fermés au profit de plateaux géants (open space) favorisant les échanges, mais également largement décriés par certains salariés. De grandes entreprises utilisant les services de nombreux chercheurs et ingénieurs ont organisé les lieux autour de pôles d’échange. On peut citer comme exemple Google ou de nombreuses entreprises de la « net économie ». On retrouve une réflexion déjà ancienne (l’agora des grecs !) autour de la meilleure façon de favoriser les rencontres prévues ou non pour décupler la création et l’échange.

En allant plus loin, certaines organisations se sont appuyées sur la théorie du capital humain en considérant que le management des connaissances était un vecteur de compétitivité par l’importance du capital intellectuel. On a considéré que ce courant était « orienté stratégie » car il cherchait à consolider l’avantage concurrentiel constitué par la connaissance. Certaines entreprises en ont fait le pilier de leur activité, comme Skandia ou encore Bioocop (voir l’article dans Management de Janvier 2010 : « Biocoop se structure en s’appuyant sur l’échange de compétences »). Chez Bioocop ce sont des groupes d’initiatives qui déterminent la stratégie de réseau sur un sujet donné. On voit donc bien l’intérêt accordé ici au capital humain.

On peut également envisager d’évaluer les différentes approches du management des connaissances, qui découlent directement de ces courants en les adaptant au terrain. Nous choisissons d’évoquer d’abord les approches basées sur la technologie et l’aspect organisationnel. L’approche qui nous semble la plus intéressante ; celle centré sur le facteur humain, fera l’objet d’une troisième partie.

2.2. Les principales approches du management des connaissances

Il existe différentes façons de considérer ces approches, selon les auteurs, celle de Gilles Balmisse est très intéressante car elle permet d’étudier le management des connaissances sous l’angle système. Quatre approches ont été identifiées par Ouni et Dudézert (2004).

2.2.1. L’approche technologie de l’information

Dans cette approche, c’est l’aspect technologique du KM qui va être mis en avant, essentiellement sous l’angle des outils utilisés. L’utilisateur du système prend alors un rôle secondaire à l’opposé des théories sur le capital intellectuel qui défendent l’apport en termes de création d’un tel système. On voit bien l’intérêt d’un tel système qui pousse à employer des outils et des process, en particulier informatiques, de plus en plus complexes. Cependant, on peut lui reprocher de nier l’essence même du management des connaissances en mettant au second plan l’humain qui est le détenteur des connaissances, son pourvoyeur et aussi un relai d’échanges. Dans cette approche, des modes opératoires ont été mis en place afin de faciliter la transmission des données mais aussi, avant tout, leur conservation en vue d’un « recyclage » ultérieur. Parfois complexes, ceux-ci ont parfois découragé toute forme de créativité nécessaire au management des connaissances. Dans un premier temps le champ a été investi par les sociétés de conseil en informatique. Celles-ci y ont vu un formidable marché qui s’ouvrait à elles et leur but a été bien souvent la vente d’un « système informatique propriétaire ». La promesse de ces technologies était de capter de manière presque invisible (en GED, bases de données et autres applications) des informations qui pourraient être par la suite récupérées, recyclées et réutilisées plus tard, sur d’autres projets ou chez d’autres clients. De nombreuses entreprises informatiques aujourd’hui se rendent compte que même leurs propres utilisateurs ne sont pas intéressés par le recyclage de vieilles informations.

2.2.2. L’approche système d’information

Ce courant est assez ancien, il s’est développé en même temps que les systèmes d’information. Pour bien le comprendre, il faut revenir à la définition même de l’information « formule écrite susceptible d’apporter une connaissance » (Arsac, 1970). L’ingénierie des systèmes d’information cherche avant tout à mettre en place des systèmes pour faciliter l’information, en particulier en la codifiant. Cette codification est censée permettre une meilleure manipulation, donc développer la communication de l’information. Cette approche dépersonnalise l’information pour la rendre utilisable par tous, grâce à une codification partagée et comprise par la collectivité. Un premier problème apparait dans la mise en place de la codification mais il est également difficile d’en assurer l’appropriation par tous. On peut l’illustrer par la résistance de certains salariés lors de la mise en place de nouveaux systèmes informatiques devant permettre une meilleure exploitation des bases de données clients. Le temps d’appropriation est important et passe par la formation mais aussi la présentation de la logique de la codification, qui peut ne pas convenir à tous. Mais la principale critique à adresser au système, c’est justement que la recherche de la codification va « dépersonnaliser » la connaissance et gêner son appropriation par le salarié, ce qui est paradoxal pour un système censé faciliter son utilisation !

2.2.3. L’approche tactique

Cette approche s’intéresse avant tout aux aspects organisationnels. Elle vise à optimiser le KM afin d’atteindre les objectifs stratégiques de l’entreprise, en particulier en s’appuyant sur la culture d’entreprise. On observera alors surtout cette approche dans les entreprises pour lesquelles le savoir est un élément déterminant de la « valeur ajoutée ». Par exemple, dans les entreprises de formation ou les cabinets d’audit, les connaissances constituent un matériau de base de la prestation vendue aux clients. Leur codification mais surtout leur échange doivent être facilités, surtout en direction du client pour lequel s’effectue la prestation. Certaines entreprises ont basé leur développement actuel sur la mise en place d’un véritable système de mutualisation, de collaboration et d’échanges entre consultants. De plus, cette culture est souvent partagée par une communauté de formation mais aussi de pratiques, fréquente dans ce genre de structure. Les « millénials » (travailleurs du savoir nés dans les années 80 selon Le journal du Net) sont sensibles à cette approche. Cependant, on peut relever un paradoxe puisqu’elle s’appuie sur une culture partagée par des salariés aux caractéristiques analogues mais qui sont souvent dans une dynamique de développement personnel et individuel, cherchant à optimiser leurs avantages compétitifs et risquant de pratiquer la rétention d’information. De plus, ce genre de structure met en avant l’expertise de ses salariés, rendant leurs connaissances et pratiques difficilement échangeables puisqu’elles constituent leur capital personnel, justifiant le plus souvent leur salaire et conditionnant leur évolution dans l’entreprise. Cette problématique a été évoquée par Pierre Miralès dans plusieurs articles de recherche sur la gestion des talents (voir [article du CREG « manager les compétences : approches, enjeux et développements »-399]).

2.2.4. L’approche systémique

Comme son nom l’indique, cette approche préconise la mise en place d’un système de management des connaissances qui évolue par rapport aux contraintes de l’environnement. Cette approche est contingente et suppose une adaptation permanente de l’entreprise. Dans les années 90, des systèmes ont été mis en place afin de remédier à la faible productivité par une meilleure organisation et par la recherche de process de travail moins lourds et plus facilitants. La recherche de la réactivité a souvent conduit à l’allègement des structures par le développement de petites unités de travail plus réactives et plus flexibles dans lesquels le KM représentait la base de fonctionnement. Ces systèmes ont souvent émergé suite à des opérations de « reengineering », ce qui n’a pas toujours été bien vécu par les salariés, le KM représentant souvent un prétexte pour licencier et mettre en place un système finalement assez contraint. De plus, l’évolution rapide de l’environnement a rendu difficile le fonctionnement de tels systèmes, condamnés à s’adapter en permanence. De nombreux process mis en place à cette époque ont été progressivement modifiés, voire abandonnés.

 3. Une véritable démarche managériale dans les organisations

Après avoir montré les différentes approches, souvent liées à l’évolution du KM, force est de constater qu’il a évolué en 2 phases et qu’une conception s’est imposée aujourd’hui. La présenter pourra permettre de mesurer les principaux enjeux actuels du KM et d’insister sur l’intérêt du partage des informations.

3.1. La conception dominante du management des connaissances : une approche centrée sur le facteur humain

Dans cette approche, l’idée qui domine est celle de la création de connaissances nouvelles. Nous avons vu plus haut que le courant comportemental met en avant l’importance du contexte, des comportements d’échanges et de collaboration des salariés en vue d’être dans la meilleure situation possible pour créer de la connaissance. On peut donc considérer le management des connaissances comme le processus nécessaire à la transformation des compétences humaines en capital incorporé et imbriqué dans la structure de l’entreprise. Cette approche est clairement centrée sur le facteur humain et c’est celle qui sert de référence lorsqu’on aborde le KM pour la première fois, en particulier avec des étudiants de premier cycle. Dans le nouveau programme de management des entreprises en BTS, nous abordons les travaux de Nonaka et Takeuchi, dans les années 90. Il s’agit de savoir comment la connaissance peut être créée, utilisée et partagée pour augmenter la valeur de l’entreprise. Le principal outil de Nonaka est la représentation qu’il donne de l’aller-retour continuel qui existe entre le savoir tacite et le savoir explicite. On la retrouve sous la forme d’un schéma célèbre qui relie ces deux types de connaissances par quatre sortes d’opérations : la socialisation, l’internalisation, l’externalisation et la combinaison.

Ces quatre opérations et les interactions permanentes entre deux formes de connaissances s’enrichissent mutuellement. Il s’agit de bien comprendre que deux formes de connaissances existent, chacune sous la forme individuelle (propre au salarié) et collective (propre à l’équipe de travail).

Le savoir tacite est intégré dans l’expérience d’un individu, et donc difficilement formalisable par les mots. Il s’agit de réflexes, d’automatismes, de manifestations de l’instinct ou d’une connaissance pratique qui se matérialisent par le geste ou les pratiques. Parfois, le travailleur n’en a pas conscience, il « ne sait pas qu’il sait », ce qui rend le partage peu évident, surtout avec un nouveau salarié, sauf à passer par des modalités particulières (tutorat, mentorat).

Quant au savoir explicite, il passe par la médiation du langage. Il peut être déclaratif, narratif, ou basé sur le raisonnement. On en trouve une « trace » dans l’organisation, orale ou, le plus souvent, écrite. Il sera le plus souvent formalisé après validation. C’est le matériau principal des bibles de procédures, livres blancs et autres modes opératoires. On utilise ici les connaissances liées à l’expérience mais également à la formation (initiale et continue), pour favoriser la productivité.

C’est ce modèle qui a permis le « décollage » du management des connaissances dans les entreprises au milieu des années 90. Ce qui visait au départ c’est la création de valeur et plus particulièrement l’innovation dans les processus de l’entreprise. La connaissance tacite doit donc être rendue explicite mais à un degré nécessaire pour permettre la mise en place du processus d’innovation. Contrairement à ce qui a été parfois mal interprété, toutes les connaissances tacites n’ont pas vocation à devenir explicites. Certaines entreprises ont d’ailleurs commis l’erreur dans les années 90 de chercher à stocker et à formaliser la totalité des connaissances tacites, ce qui a abouti à mettre en place des systèmes extrêmement complexes et basés sur le stockage d’informations, au détriment de la collaboration entre les individus seule source réelle de création de valeur. En effet, les connaissances tacites n’ont de valeur que si elles sont partagées et transmises grâce à leur application ou alors mises en pratique. On souligne souvent dans l’entreprise le poids de l’informel qui crée de la valeur mais dont on ne peut formaliser les processus, Nonaka et Kono ont montré l’importance de la création de lieux réels ou virtuels au sein desquels un groupe d’individus pouvait interagir dans un processus créatif (le « Ba », 1998). Les quatre modes de conversion des connaissances dans les organisations sont décrits par Nonaka.

  • Du savoir tacite vers le savoir explicite par externalisation :
    Il s’agit ici d’identifier les connaissances essentielles tacites qui sous-tendent les process d’innovation et de les rendre « officielles », en particulier en les qualifiant de bonnes pratiques et en les répertoriant dans des guides ou fiches de process.
  • Du savoir explicite vers le savoir tacite par internalisation :
    Les éléments de connaissance issus de ces guides mais également fournis aux salariés sont intégrés par celui-ci, modelés et permettent, par leurs appropriations, la création de valeur. Ce processus est difficile à schématiser parce que le salarié n’en a pas nécessairement conscience (il ne sait pas qu’il sait ou il ne croit pas savoir qu’il en sait plus !). Cette appropriation émerge souvent à l’issue de processus de bilan de compétences ou de validation des acquis de l’expérience. Selon Nonaka, il est nécessaire et il ne faut pas chercher à le systématiser et à qualifier et quantifier les connaissances. Il faut également donner le temps aux salariés de cette appropriation. On peut également l’observer lors d’événements inhabituels de problèmes professionnels car le salarié va s’adapter et réagir professionnellement dans un premier temps sans forcément pouvoir expliquer comment il a fait. La méthode des incidents critiques de Flanaghan peut servir à faire prendre conscience de cette intégration et de la compétence acquise par le professionnel.
  • Du savoir tacite vers le savoir tacite par socialisation :
    Au sein d’une même communauté de pratiques, la socialisation permet la mise en place du partage des connaissances. Leur mutualisation permet de générer des effets de synergie et souvent de participer à la création de valeur pour l’entreprise. On peut prendre l’exemple d’entreprise mettant en avant des lieux de socialisation et partage permettant la création de connaissances (agences événementielles, entreprises de communication…). Le cas de Google est souvent présenté en exemple, car cette entreprise aime à se définir comme un lieu où il fait bon vivre et partager. On retrouve la même approche dans les entreprises de la « net économie ». Ce mode de transmission avait déjà été évoqué par Polanyi et repris par Argyris et Schön lorsqu’ils ont décrit le concept d’apprentissage organisationnel en « double boucle » (1978). Un effort d’investigation collective est donc nécessaire, il consiste à instaurer un climat de confiance entre les personnes pour qu’elles parviennent à communiquer entre elles d’une manière interactive et aboutir à une réflexion constructive.
  • Du savoir explicite vers le savoir explicite par combinaison :
    C’est une opération majeure, qui peut être aussi bien individuelle que collective. Elle consiste à mettre en relation des connaissances, le plus souvent stockées dans des bases de connaissances, en les combinant, c’est-à-dire en les associant dans un but recherché. Les structures matricielles et les groupes de projet illustrent par la pratique la recherche de cette combinaison en associant différents domaines d’expertise au sein de mêmes structures pour dégager des synergies. La combinaison, par le biais d’un langage commun, autorise la communication de connaissances explicites qui sont combinées, rapprochées pour produire, par induction, déduction, hybridation, des connaissances nouvelles et utilisables par l’organisation.

La première illustration concrète de ce modèle a été la mise en place du système « Lotus Notes » dans les entreprises, qui poussait à codifier et à stocker l’information, en utilisant les nouvelles configurations technologiques. Plus proches de nous, les plateformes collaboratives type Hermès vont plus loin dans la logique de combinaison, car l’utilisateur s’approprie et transforme les informations suivant ses besoins. On pense aux plateformes hébergeant les sujets d’examen ou mutualisant les travaux en formation continue.

3.2. Les principaux enjeux actuels du management des connaissances

L’entreprise qui avait plutôt mis l’accent sur la transmission et la diffusion des informations dans un premier temps, a pris conscience récemment de l’intérêt du management des connaissances dans une logique de gestion des compétences. Capitaliser réellement les connaissances peut apparaitre comme un premier enjeu majeur. En effet, l’évolution complexe des organisations rend difficile le marquage des connaissances utilisées et développées dans le cadre du travail. Il s’agit donc d’abord d’identifier ces connaissances mais aussi de chercher à les préserver puis de les valoriser auprès des salariés pour encourager cette dynamique. De plus, il faut aussi savoir les enrichir en les combinant pour en optimiser l’effet. Enfin, il s’agit d’assurer leur protection car ces connaissances peuvent représenter un véritable avantage concurrentiel pour certaines organisations ; on peut évoquer les cas de transfert d’activités dans les pays émergents qui supposent un partage de certaines connaissances qui peuvent ensuite être « réutilisées » par le sous-traitant au profit de son développement.

Gérer les connaissances constitue un autre enjeu, car s’il est important de faire émerger des connaissances et de les capitaliser, on doit également chercher à bien les exploiter pour éviter une sous-utilisation voire une dégradation par manque d’actualisation de ces connaissances. Cette problématique reste complexe et fondamentale et touche tous les types d’emplois mais plus particulièrement les emplois « intellectuels » à forte valeur ajoutée (chercheurs, ingénieurs, experts mais aussi formateurs…).

Plus globalement, le management des connaissances répond au besoin croissant de renforcement des compétences individuelles et collectives (Grundstein, 2003). En allant plus loin on pourrait même envisager une véritable logique d’innovation permanente, qu’on pourrait taxer d’innovation durable, dans la lignée des travaux de l’Ecole des Mines de Paris (Hatchuel, 2000).

On a donc bien deux grands types d’enjeux, l’un « statique » qui pose la question de la préservation des connaissances et l’autre plutôt « dynamique » qui évoque la thématique du développement et de l’innovation, en termes de connaissances.

3.3. La mise en place du partage des informations

Selon Michel Grundstein, le management des connaissances est un processus qu’il faut renforcer « selon un axe de progrès » (Grundstein, 2003). C’est-à-dire qu’il faut arriver à transformer des connaissances individuelles non formalisées en connaissances partagées et formalisées, permettant à l’organisation de progresser et innover. Nous avons présenté plus haut les quatre sortes d’opérations permettant de faire émerger la connaissance. On peut donc « classer » ces opérations dans une logique opérationnelle permettant de faire émerger la connaissance partagée. La socialisation est la première opération, permettant la mise en place de relations entre professionnels porteurs de savoirs tacites : c’est un préalable au partage et à la formalisation, par combinaison. Il faut donc mettre en place les conditions favorisant ces processus de formalisation mais aussi de production des savoirs, en particulier à travers l’identification des savoir-faire. Il faut donc favoriser les interactions et le travail en réseau. Grunstein propose également de repérer les « connaissances enfouies » et promouvoir le retour d’expérience. Mais il faut également consacrer des moyens à ces actions, en particulier au niveau informatique mais aussi au niveau organisationnel. La mise en place de structures de partage est une piste qui peut donner de bons résultats. Les TIC ont permis l’accélération des échanges mais aussi et surtout le travail collaboratif. Au-delà des espaces de partage et de logiciels plus fonctionnels (documents partagés par exemple), les réseaux sociaux peuvent permettre d’optimiser ce partage par la mise en place d’ « hubs » spécialisés comme sur viadeo, ou l’organisation de conférences thématiques. On peut même aller plus loin en mettant en place de véritables actions de formation via ces outils, dans la logique du partage et de l’optimisation des connaissances. Des réseaux d’experts se sont ainsi créés sur le web en associant des professionnels parfois issus de différentes entreprises. Le partage peut donc parfois dépasser le cadre de l’organisation, ce qui peut poser le problème de la confidentialité. Si l’on cherche à élargir la question de la mise en place du partage, on peut envisager le cas des pôles de compétitivité, ensemble d’unités de production et de formation qui entretiennent des rapports professionnels et collaboratifs parfois très forts. La notion de cluster est plus actuelle car elle envisage des pôles composés d’organisations interconnectées, de fournisseurs spécialisés, d’organismes de recherche et de formation mais aussi d’institutions administratives. Ces organisations coopèrent mais peuvent aussi se concurrencer on parlera alors de coopétition. Le pôle constitue une source d’apprentissage à travers le partenariat mis en place, qui peut permettre de dégager des synergies autour de projets innovants. Il faut ainsi mobiliser plusieurs axes de recherche, dont celui de la création des connaissances. Certaines entreprises qui travaillent en commun sur des projets de recherche, réalisent des transactions inter organisationnelles, en association avec les organismes de recherche. Ici, le capital relationnel joue un rôle important pour l’apprentissage collectif. On peut aussi penser que, paradoxalement, un cluster dynamique va exacerber la concurrence en son sein et pousser les entreprises à innover plus donc à mieux utiliser les connaissances, comme pivot de l’innovation et du développement. On pourrait ainsi se demander, en élargissant le débat, quels bénéfices les entreprises recherchent à travers cette mise en place, mais aussi quel intérêt les salariés peuvent-ils avoir à adopter ce processus. Et en approfondissant, on pourrait alors rechercher si le discours favorable des différents acteurs du management des connaissances ne cache pas une réalité différente avec des effets pervers à cette démarche.

 Bibliographie annotée par l’auteur :

Manuels fondamentaux :

  • Jean-Yves Prax, Le Manuel du Knowledge Management , Editions Dunod, 2003, 473 p. : les fondamentaux du KM dans un ouvrage incontournable, à la fois théorique et concret, une fiche de lecture est disponible sur le site du CNAM
  • Claire Beyou, Manager les connaissances , Editions Liaison 2003, 206 p. : une première approche pratique du KM, si l’on manque de temps…
  • Jean-Pierre Bouchez, Les nouveaux travailleurs du savoir , Editions d’Organisation, Paris, 2004, 448 p. : ouvrage intéressant sur les « millénials » (personnes nées dans les années 80 selon Le Journal du Net), préfigurant l’ère du collaboratif et ses pratiques professionnelles
  • Yves Emery, David Giauque, Charles Amherdt, Françoise Dupuich Rabasse, Compétences collectives dans les organisations , Editions Presse Université de Laval : Un ouvrage de réflexion, axé sur la dimension « compétences », pour aller plus loin sur l’évolution du KM et sa dimension « humaine ».
  • Laurent VEYBLE et Patrick PRIEUR, Le knowledge management dans tous ses états : La gestion des connaissances au service de la performance , Edition : Editions d’Organisation Collection : Richesses Humaines (juillet 2003) : un ouvrage présentant le KM de la première génération, incluant une enquête menée sur 400 grandes entreprises, avec des analyses pratiques, en particulier sur les enjeux du KM et ses « chantiers » nécessaire ; toujours intéressant à lire pour évaluer ce qui n’a pas encore été fait.
  • René Charles Tysseire, Knowledge Management, Théorie et pratique de la gestion des connaissances , HERMES sciences publications (1999) : un ouvrage ancien mais essentiel, l’un des premiers à avoir précisément décrit les bases mais aussi les approches du KM ainsi que les apports (toujours d’actualité). Le KM y est présenté comme une véritable prise de conscience.

Articles de base :

  • Le management des connaissances , Gilles Balmisse, ( ) : un article très complet qui présente d’abord les différentes écoles, puis les approches, pour ensuite montrer les éléments du système de management des connaissances. Il insiste également sur les travaux de Nonaka et présente de manière très explicite les concepts de capitalisation et de collaboration. A lire en premier et à relire ensuite, pour mieux comprendre les cas d’entreprise.
  • Le management des connaissances dans un cabinet d’audit , Christine Toumieux, Nathalie Dupuis-Hepner, ÉCONOMIE et MANAGEMENT, Janvier 2008, n° 126 : un article assez court mais très concret qui permet d’illustrer l’intérêt et la méthode de mise en place du KM dans un cabinet d’audit
  • Le management des connaissances : état des lieux et perspectives , Bayad et Simen , XIIe Conférence de l’Association Internationale de Management Stratégique, 2003 : un article universitaire à lire en priorité (et en prenant son temps) car il présente les approches du KM, en citant les principaux auteurs et chercheurs, pour ensuite évoquer les perspectives d’évolution pour les entreprises.
  • Glossaire du management des connaissances , ÉCONOMIE et MANAGEMENT, Janvier 2008, n° 126 : les principaux concepts, surtout technologiques (tags, CRM, métadonnées, folkosonomie…) rapidement définis (sources : Wikipédia et Balmisse) pour une première définition

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