Le kaléidoscope de la performance

, par Marie Caroline Morand

Qu’est-ce que la performance ? Est-elle une philosophie de vie, un concept de management, une idéologie, un état d’esprit ?
Cette notion est à la fois connotée positivement et négativement dans l’inconscient collectif, à la fois associée à l’épanouissement comme au stress, à la réussite comme à l’excès.
La notion de performance est entrée dans la langue française par le biais... des courses de chevaux, il s’agit d’un « mot anglais employé dans la langue du turf pour indiquer le tableau des épreuves subies dans l’hippodrome par un cheval de course » (Littré) Mais, selon le dictionnaire consulté, on perçoit toute l’ambiguïté de ce terme.
Le terme performance dérive du verbe « to perform », qui signifie « accomplir ».
La performance est donc un accomplissement, mot qui, en français est associé à une idée de plénitude. Le Petit Robert donne comme définition de la performance sportive « résultats chiffrés obtenus par un cheval de course, un athlète, à chacune de ses exhibitions en public ». On se trouve alors dans la conception où la performance est référée à un exploit, une réussite exceptionnelle, un coup de maître, lesquels sont de l’ordre de l’individualité brillante, du record.

 La notion de performance en sport

La notion

Dans le sport, est performant celui qui a su exprimer son potentiel - même en perdant son match, et obtenir ainsi non le meilleur résultat de tous, mais le résultat idéal, optimum, compte tenu de son physique, sa technique... On est proche de la notion de potentiel et de celle d’efficience.

Ses limites

Pour Benoît Heilbrun [1], sémiologue et professeur de marketing à l’ESCP – EAP, « l’impression pernicieuse naît qu’être performant consiste d’abord à montrer aux autres qu’on est capable de faire plus et mieux qu’eux. La performance devient alors manipulée, dévoyée, poussée à l’extrême. Elle peut s’incarner dans le record (perçu comme un défi, destiné au Guiness des records et non comme un accomplissement de soi). Dès lors la performance n’est plus associée à la qualité maximale mais à la réussite et au succès. Mais le dévoiement le plus important de la performance (de la sur-performance) est qu’elle instaure un rapport au temps tronqué, biaisée. La performance doit alors être immédiate, presque naturelle, spontanée. Il faut être en mesure non seulement d’atteindre les objectifs fixés, mais aussi de les réaliser dans un temps de plus en plus court. Comme si l’individu devait être toujours au maximum de ses capacités. Notre époque glorifie l’énergie, la capacité à être toujours en mouvement. L’urgence est ainsi érigée en raison d’être. Or, la performance ne peut espérer d’écho positif que si elle est ainsi inscrite dans une perspective, un projet. »

 La notion de performance dans la recherche

La notion

Pour Axel Kahn, directeur de l’Institut Cochin [2], être performant consiste à viser la meilleure qualité possible d’une action ou, sa qualité maximale. Maximale par rapport à ce dont on est réellement capable d’une part, c’est-à-dire utiliser au mieux ses dons et potentialités ; et maximale par rapport à la qualité atteinte par les « autres » (les concurrents).
Le but premier de la recherche scientifique est de répondre à une question de l’ordre des lois de la nature, de telle sorte que le monde scientifique se serve de cette réponse pour progresser. La justification de l’activité d’un chercheur est de contribuer à l’enrichissement du monde, sur le plan de la connaissance ou sur le plan de la technique. La recherche est un acte de création. En effet, le chercheur part de toutes les connaissances accumulées avant lui, y ajoute des observations et des découvertes personnelles, des visions intellectuelles, et accouche ainsi d’une nouvelle vision du monde connu. Il propose un réarrangement de l’existant.
La performance scientifique peut donc se définir comme le caractère performant d’un geste de création. Il y a performance tant que le monde des connaissances est significativement différent de ce qu’il était auparavant.
La performance peut être définie comme « exigence d’extraire de soi même le meilleur de ce dont on est capable ».
Le terme performance pourrait avantageusement être remplacé par celui de qualité. Le mot performance est essentiellement utilisé par les politiques ou les médias. Les chercheurs disent davantage qu’ils veulent « promouvoir l’excellence » ou « observer une exigence de qualité ».

Ses limites

« Notre société est par essence une société de la performance, car cette notion est consubstantielle à l’idée d’économie libérale. La pensée libérale est basée sur le fait que la compétition entre les performances des individus et des entreprises, suivi d’un mécanisme de sélection – en l’occurrence la sélection économique - est le meilleur moyen de parvenir à la satisfaction de la population. Mais quand on réfléchit à la pensée d’Adam Smith, de Bernard Mandeville, de Montesquieu, il va de soi que le terme de performance recouvre celui de qualité or aujourd’hui, la performance existe en soi, même lorsqu’elle cesse de recouvrir quelque qualité que ce soit. La performance devient ce que les autres seront incapables de faire. Le terme peut alors recouvrir des actions d’une parfaite inutilité, voire totalement nuisibles […]
La performance scientifique ne peut être caractérisée par les gros titres de la presse ou bien par le caractère scandaleux de telle ou telle découverte. Elle ne peut découler de prouesses qui dans la réalité ne modifieront en rien l’évolution ultérieure de la discipline. » Axel Kahn

  La notion de performance en gestion

La notion

Dans le discours commun, la notion de performance pour une entreprise semble simple. Elle est identifiée à la capacité de l’entreprise à gagner de l’argent pour ses actionnaires, elle-même directement liée à la capacité à vendre avec une marge suffisante des produits sur un marché.
En réalité, il existe une grande diversité de mots pour essayer de rendre compte du concept de performance : efficacité, efficience, productivité, compétitivité, rentabilité, ...

Le terme d’efficacité bien que très commun dans le discours gestionnaire renvoie à plusieurs concepts. Le Petit Robert propose déjà deux sens des mots efficace et efficacité.

a) qui produit l’effet qu’on en attend.

Cette définition renvoie la relation objective/résultats tels qu’on la trouve explicitée dans les systèmes d’appréciation anglo-saxon de management par objectif. Est efficace celui qui atteint ses buts, ses objectifs. On pourrait dans ce sens parler d’une efficacité/résultats.
Selon J. H. Jacquot [3], il y a lieu de distinguer :

  • le niveau « physique » ou de production, où se joue l’efficacité productive de l’outil industriel. Elle est mesurée par le concept de productivité. Cette dernière renvoie très clairement à la notion d’efficience, c’est-à-dire à la meilleure utilisation des machines et des hommes pour un niveau de production donnée. Elle a d’abord à voir avec les salariés.
  • le niveau « marchand » ou commercial, qui renvoie toujours à la compétition sur un marché et où le problème est alors de vendre moins cher que le concurrent (tout du moins dans une première approche). Le concept de base celui de compétitivité. La compétitivité s’évalue a priori par une comparaison du rapport qualité/prix en référence aux principaux concurrents. Elle peut aussi s’évaluer a posteriori par la croissance du chiffre d’affaires par les gains de parts de marché.
  • le niveau (financier), où l’on se préoccupe essentiellement du profit généré par l’entreprise rapporte le volume des capitaux investis par les actionnaires. Le concept pertinent est alors celui de rentabilité.
    Ici on est également sur une combinaison de la pertinence (satisfaction de l’actionnaire) et de l’efficacité (atteinte d’un objectif de résultat financier). Mais à la différence de la compétitivité, son évaluation ne soulève guère de difficultés. À partir des données rassemblées dans le cadre du plan comptable, la mesure de la rentabilité est immédiate (ROE -Return on Equity- ou retour sur capitaux propres et ROCE -Returned On Capital Employed- ou retour sur capitaux employés).

b) capacité de produire le maximum de résultats avec le minimum d’efforts dépensés.
Ici, la relation n’est plus entre attente et résultats mais entre résultats et ressources mises en oeuvre pour l’obtenir. Les notions-clés sont celles d’économie de moyens, de rendement, de productivité. On est passé d’une conception centrée sur les fins à une conception centrée sur les moyens. Cette seconde définition de l’efficacité peut être désignée plus justement par le mot d’efficience.

Ces définitions du dictionnaire sont reprises et précisées par de nombreux autres ouvrages classiques de management.
Dans le manuel de gestion d’Albane [4], qui a longtemps fait référence en Amérique du Nord, on peut lire : « nous utilisons souvent les mots efficience et efficacité en parlant de la performance. L’efficience signifie bien faire et faire sans perte, peu importe ce qu’il fait. C’est le côté « plus, mieux, plus vite, moins cher » de la performance. L’efficacité va plus loin que l’efficience et considère l’effet du travail sur les gens, la pertinence des objectifs, les résultats à long terme et les normes et valeurs implicites du travail des objectifs ».
Ce dernier point de vue quant à la supériorité de l’efficacité par rapport à l’efficience est partagé par Peter Drucker qui englobe dans le concept d’efficacité non seulement la capacité à atteindre ses buts mais aussi à bien les choisir.

Ses limites

Henry Mintzberg [5] fait quelques remarques sur « un bien vilain mot : efficience ». Il en déduit trois conséquences fondamentales :

  • l’efficience, bien souvent, se réduit à faire des économies
  • l’efficience entraîne trop fréquemment une escalade des coûts sociaux considérés comme « des effets externes »,
  • l’efficience conduit l’organisation à adopter une morale économique qui peut parfois signifier une immoralité sociale.

Pour G. Donnadieu [6], les méthodes par lesquelles on a mesuré jusqu’à présent les performances, qu’elles soient issues de l’ancienne organisation scientifique du travail (productivité apparente du travail, coût de la main-d’oeuvre directe,...) ou de l’analyse financière (ratio de rentabilité, retour sur investissement,...) produisent de plus en plus des effets pervers.
Beaucoup d’analystes dénoncent le fait que les grandes entreprises cotées sont obligées maintenant de rendre des comptes trimestriels car les autorités de régulation, dans un souci de transparence, réclament un maximum d’informations en un minimum de temps.
« Une entreprise n’a pas pour objectif de faire des profits mais des richesses, pour ses actionnaires, ses clients, ses collaborateurs. Il n’y a pas de fatalité à se soumettre aux conditions imposées aux marchés financiers, à condition d’être performant. Mais aujourd’hui on tourne en rond. Qu’une entreprise en soit à racheter ses actions pour doper son cours de bourse est tout de même un bel aveu d’impuissance », souligne Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider électrique.
La notion de rentabilité financière semble discutable à un certain nombre d’observateurs, surtout lorsqu’on la prend comme mesure exclusive de l’utilité de l’entreprise.
L’impératif de la rentabilité à court terme conduit ainsi à une réduction sans fin d’effectifs et le niveau élevé auquel se situe aujourd’hui la rentabilité financière des entreprises françaises - entre 16 et 17 % - pose la question de sa soutenabilité.
Pour Xavier Grenet [7] « Avec une pression sur les personnes pour toujours plus de performance, on touche du doigt la question des fragilités de chacun : limites psychiques, difficultés affectives, souci d’un enfant en crise, problèmes financiers, etc. La limite, dans la recherche de performances de nos collaborateurs c’est la fragilité des personnes. »
Pour N. Notat [8], « une société qui renverrait chacun exclusivement à ses capacités personnelles, qui exigerait de lui qu’il fasse en permanence la preuve du toujours plus et plus vite, ferait le choix d’une compétition de tous les instants avec les conséquences que l’on connaît. Ce serait une machine à produire de l’échec, de l’exclusion, de la souffrance et donc du coût pour la collectivité. […]
Il est difficile d’établir une relation systématique de cause à effet entre les conditions de travail, de pression sur le résultat, et les impacts sur la santé, et l’équilibre psychique d’un individu. Pourtant l’existence de cette relation n’est pas discutable. La solution passe par le dialogue au sein de l’entreprise. La qualité du dialogue du climat social influence la performance globale de l’entreprise, et là où ce climat est détestable la performance est affectée. »

La performance est reconnue par tous comme le moteur de la société, celui qui pousse l’homme à se développer lui-même et a développé son entreprise, sa carrière, son savoir-faire, son couple, ses relations sociales... Un moteur qui peut être fallacieux, vicieux, pervers voire mortifères pour certains, sain, salvateur, fécond et moral pour d’autres.


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Notes

[1B. Heilbrunn, La performance, une nouvelle idéologie ? Ed. La Découverte

[2In Entretiens de Valpré 2007 « La performance : à quel prix ? »

[3J.H. Jacot, À propos de l’évaluation économique des systèmes intégrés de production, Gestion industrielle et mesure économique, Ecosip 1990

[4Albane, Managing, Toward accountability for performance, Homewood, Irwin, 1978

[5Le management, 1990

[6In Les ressources humaines, éditions d’Organisation

[7In Cahiers – Tourments et joies d’un DRH, éditions du Cerf 2007

[8In Entretiens de Valpré 2007 « La performance : à quel prix ? »

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