Les notions de participation consommateur et plus encore coproduction ou co-création apparaissent de plus en plus fréquemment dans les publications scientifiques. Un article publié en 2015 dans la revue RAM [1] visant à clarifier la notion de co-création de valeur, ses composantes, ses moteurs, ses conséquences s’appuie pour ce faire sur 181 publications de chercheurs en marketing, management ou innovation réalisées lors de la dernière décennie dans les principales revues académiques.
Le développement de la participation active du consommateur c’est-à-dire sa contribution à un processus de production ou création repose à l’origine sur des justifications économiques (volonté de l’entreprise de réduire le poste personnel et d’améliorer la productivité) et s’est intensifié ces dernières années dans de nombreux secteurs grâce aux progrès en matière d’automatisation, à la digitalisation croissante de l’univers marchand, au développement des réseaux sociaux et plus récemment aux innovations exponentielles en matière d’objets connectés. Le développement des systèmes de libre- service et la mise en place de plateformes de stockage de données et d’échange renforcent en effet les possibilités et occasions de « travail » du consommateur.
L’intérêt marketing est autre. Au-delà de l’aspect économique et des réductions de coût donc de prix potentiels, l’intérêt pour la participation du consommateur « travailleur » ou « collaborateur de l’entreprise [2] » se justifie sur le plan marketing en matière d’innovation, de distribution, de services, mais aussi de gestion de la relation client, de gestion de l’image de marque et bien sûr dans le cadre des communautés en ligne. Différents courants théoriques s’intéressent au rôle du consommateur en matière de production, de création de produit, de service, d’expérience et/ou de valeur. Les divers termes utilisés et les notions qu’ils recouvrent ne font pas toujours consensus ce qui complexifie un peu la compréhension des enjeux et quelques auteurs tentent de clarifier ces notions émergentes dans la littérature scientifique. La notion de participation des consommateurs et les concepts liés renvoient d’une part à des choix organisationnels de l’entreprise (volonté de faire participer le client et organisation de cette participation) d’autre part au comportement du consommateur et à sa volonté d’être actif, de contribuer à la création mais également à une vision de la valeur, les consommateurs étant à l’origine de la création de valeur d’usage, de la création d’expérience, plus globalement de la création de valeur. Des classifications de la participation permettent d’éclairer différents aspects, notamment la question de la motivation des consommateurs à participer. Les pratiques marketing récentes font une place de plus en plus grande au consommateur acteur qu’il s’agisse d’une réalité à prendre en compte et gérer au mieux afin de faciliter le rôle du consommateur et son adhésion, ou d’une opportunité à saisir pour une meilleure adéquation des offres aux besoins des consommateurs, une amélioration de la satisfaction, de l’engagement, un levier de création de valeur. Ainsi, de plus en plus, le consommateur est-il mis à contribution au sein même du processus marketing. Cependant, si la participation consommateur peut sembler « un nouvel eldorado pour le marketing [3] », sa mise en œuvre comporte un certain nombre de risques pour l’entreprise et ses parties prenantes et, mal gérée ou inadéquate, peut être perçue par le consommateur comme une forme d’exploitation. Un certain nombre de publications s’efforcent d’envisager des recommandations pour optimiser la participation consommateur.
I. Notions de participation, coproduction, co-création et autres pratiques de collaboration consommateurs
1) Les courants historiques
Dans leur article « Dix ans de co-création de valeur : une revue intégrative » Thomas Leclercq, Wafa Hammedi et Ingrid Poncin identifient trois courants de recherche : le comportement des consommateurs, les services, la gestion des innovations. Cela s’applique plus largement à l’ensemble des notions ci-dessus.
Pour le marketing des services, la co-production client-entreprise est inhérente au processus de fabrication. Le processus de Servuction théorisé par Eric Langeard et Pierre Eiglier [4] les consommateurs de plus en plus actifs et informés sont acteurs d’une personnalisation de l’expérience de consommation. Leur article publié en 2004 est considéré comme fondateur de la notion de co-création de valeur. L’interaction entre l’entreprise et le consommateur est le lieu de création et d’extraction de valeur. Les entreprises doivent s’efforcer de proposer des interactions de grande qualité permettant aux consommateurs de créer une expérience unique, tout au long de la vie du produit, se différenciant ainsi des offres concurrentes. Pour Prahalad et Ramaswamy, le simple transfert d’activités au consommateur dans le cadre d’un self-service, la personnalisation de masse, le co-design (activités mettant en jeu la participation du consommateur) ne relèvent pas de la co-création. La co-création est plus que le co-marketing. Le rôle des consommateurs et des collaborateurs des entreprises converge, la valeur est co-créée à de multiples points d’interaction. Le marché n’est plus une cible mais « un forum pour des conversations et interactions entre les consommateurs, les communautés et l’entreprise ».
Dans le cadre de la CCT (Consumer Culture Theory Arnould et Thompson 2005) un certain nombre de travaux de recherche ont été menés autour du rôle du consommateur : expérience, appropriation, détournement de produits et de marques, confusion des rôles personnel/consommateur, rôle des communautés de consommateurs. Dans un article paru en 2009 sur « les figures du nouveau consommateur » Bernard et Véronique Cova [5] montrent comment la figure du consommateur créatif se construit au milieu des années 2000, après celles du consommateur individualiste puis hédoniste, requérant toujours plus de compétences de la part du consommateur. Ainsi celui-ci doit savoir non seulement dialoguer (marketing relationnel), jouer un rôle (marketing expérientiel) mais aussi intégrer des ressources (marketing collaboratif).
Le courant du marketing de l’innovation met lui aussi en lumière le rôle des consommateurs. Le premier, Von Hippel (1978), étudie le rôle des « lead users » dans la définition des nouveaux concepts ou produits. Ces consommateurs présentent une forte expérience et expertise dans un domaine donné. Ils participent à l’évolution de ce marché. Ainsi les entreprises ont intérêt à mobiliser ces « lead users » dans le cadre d’une innovation collaborative. Les recherches récentes [6] montrent, pour de très nombreuses catégories de produits, moments de vie ou passions, le développement de communautés de « lead users » qui échangent et travaillent sur des projets innovants et créatifs grâce à Internet.
2) Typologies de participation et motivations des consommateurs
De multiples critères permettent de caractériser le phénomène de participation et, selon Cadenat et al. [7], « celui-ci se trouve fragmenté en de multiples modalités dont il est difficile de trouver le dénominateur commun ». La participation consommateur peut intervenir à différents moments, prendre différentes formes, être plus ou moins suscitée et encadrée par les entreprises. Les motivations des consommateurs à participer, « moteurs de la participation » selon Leclercq, Hammedi et Poncin diffèrent selon les cas de figure et les profils consommateurs. Les typologies proposées permettent de clarifier les notions.
Autoproduction dirigée versus coproduction collaborative
La distinction établie par Marie-Anne Dujarier [8] peut servir de point de départ à une classification.
Marie-Anne Dujarier distingue trois types de travail du consommateur :
- des tâches simples externalisables dans le cadre de la production, de la distribution et de l’après-vente. Le consommateur réalise seul à l’aide d’un outil un travail opérationnel. Dans ce cas, l’entreprise « repousse » vers le client un certain nombre de tâches faites auparavant par le personnel (utilisation des automates ou du site Internet bancaire, self scanning au supermarché, édition de billets de cinéma ou de transport…). Il s’agit d’une « autoproduction dirigée » c’est-à-dire réalisée par le consommateur pour lui-même, fortement encadrée par l’entreprise et pas forcément récompensée. Par exemple, les services bancaires sur Internet peuvent être payants car présentés comme un service supplémentaire.
- un ensemble de tâches regroupées sous le terme de « coproduction collaborative ». L’entreprise dans ce cas « aspire » les informations, les idées, les créations des consommateurs. Elle pratique le crowdsourcing [9] grâce à des consommateurs volontaires souvent non rémunérés. Il s’agit alors de co-création, co-production, co-design, de marketing participatif, collaboratif. Ce travail de collaboration peut être individuel mais a bien souvent lieu dans le cadre de communautés de marques, de consommateurs, d’utilisateurs.
M.A. Dujarier insiste sur l’opposition entre ces deux premières formes de participation, entre le travailleur, ni décisionnaire ni même parfois volontaire, et le collaborateur associé aux décisions. - Enfin un « travail d’organisation » peut être réalisé par le client pour pallier les contradictions et les insuffisances de l’entreprise (former un autre client à un nouveau système, mettre la pression sur un salarié, contrôler la qualité d’une prestation, rechercher le meilleur rapport qualité prix…).
Volonté de l’entreprise versus initiative du consommateur
La participation n’a pas toujours pour origine une volonté de l’entreprise mais peut être à l‘initiative du consommateur. Les travaux de Bernard Cova mettent en lumière les formes de participation à l’initiative du consommateur. Il définit la notion de « Consumer made [10] » comme « le résultat de la mise en jeu de compétences par des consommateurs afin de modifier ou d’améliorer l’offre des entreprises et arriver ainsi à une création originale ». L’évolution de la société et des technologies permet l’émergence du « prosumer » (producteur-consommateur) décrit par le sociologue et futurologue alvin Toffler en 1979. Après les postures de détournement (comportement déviant) ou de contournement (posture de rébellion), les consommateurs adoptent aujourd’hui des postures de « retournement ». La consommation étant centrale et source d’identité pour l’individu, ce dernier veut jouer un rôle actif, collaborer avec l’entreprise, soit par participation immédiate à la conception ou production soit par réinterprétation a posteriori de l’offre de l’entreprise (comme le font par exemple les fanatiques du tuning [11] dans l’industrie automobile). Pour les sociologues, il s’agit d’un retour de la passion de créer venant compenser la chute du rôle du travail. La créativité peut être individuelle ou collective. Bernard Cova reprend le terme de « bricoleurs » pour parler des consommateurs créatifs et les différencie des lead users préfigurant les besoins de la masse, achetant régulièrement et recherchant la reconnaissance de l’entreprise. Le consommateur créatif, lui, recherche son plaisir personnel, la reconnaissance des autres passionnés, collectionne les objets culte et ne cherche ni à améliorer l’usage des produits ni la reconnaissance de l’entreprise. Les entreprises doivent donc apprendre à tirer profit de ces initiatives spontanées des consommateurs plutôt que de les subir.
Formes d’autoproduction en fonction des choix d’entreprise et des compétences consommateurs
Bernard Cova, Pascale Ezan et Gregorio Fuschillo [12] ont distingué plusieurs formes d’autoproduction.
- L’autoproduction dirigée décrite par M.A. Dujarier s’étend à double titre ces dernières années en concernant un nombre croissant d’activités (au-delà des activités de service et de distribution) et d’autre part parce que les consommateurs réalisent des tâches de plus en plus nombreuses. L’autoproduction dirigée nécessite un « apprentissage technique et social pour faire du consommateur un acteur compétent et productif » et favorise plutôt l’individualisation des activités.
- La deuxième forme de participation, nommée autoproduction accompagnée est issue à l’origine d’initiatives à vocation sociale qui se sont développées dans l’univers marchand. Des initiatives collectives ou individuelles donnent naissance à des lieux permettant d’apprendre à faire soi-même. Les notions d’autonomisation et de passion sont clés, qu’il s’agisse de garages automobiles pour apprendre la mécanique, d’espaces culinaires ou de communautés de jeux.
Une étude de type ethnographique, permet aux auteurs de mettre en évidence deux autres types d’autoproduction : l’autoproduction facilitée par l’entreprise et l’autoproduction émancipée. - Lors de l’auto production facilitée (cas de passionnés de Warhammer chez Games workshop jouant entre eux autour d’une table mise à disposition en magasin), le rôle de l’entreprise est de fournir une plateforme physique ou virtuelle permettant de faciliter l’autoproduction des consommateurs. Il s’agit du modèle que l’on retrouve chez e-Bay, Le Bon Coin, Blablacar ou encore Airbnb. Le système d’offre encourage l’autoproduction mais limite le périmètre des activités. La liste des entreprises proposant ce type de service ou bâtie autour de l’autoproduction connait actuellement un développement fulgurant.
- L’autoproduction émancipée (cas d’un passionné de Playmobil/Klikobil ayant créé et commercialisé de nouvelles figurines à partir de récupération) regroupe quant à elle les situations où le consommateur crée selon ses propres aspirations tout en s’appropriant les valeurs de la marque et en détournant les produits de l’entreprise. Selon les auteurs, l’entreprise admet ce détournement sans pour autant le faciliter car il démontre la fascination que peut exercer la marque auprès des passionnés. L’entreprise peut capitaliser sur ces activités mais ne peut pas les canaliser comme le montre le dynamisme de sites comme Ikeahackers.net ou Brickfair.com pour Lego.
En synthèse, l’autoproduction représente un continuum en fonction du rôle respectif de l’entreprise, de la communauté et du consommateur allant de l’autoproduction dirigée à l’autoproduction émancipée correspondant progressivement à une baisse du contrôle de l’entreprise et une augmentation des compétences des consommateurs.
Typologie liée aux motivations et ressources des consommateurs
Audrey Bonnemaizon et al [13] proposent une typologie des pratiques de participation en fonction de la motivation et des ressources des consommateurs.
Les auteures mobilisent pour cela la théorie de la motivation intrinsèque versus extrinsèque. La première forme est due à l’intérêt, au plaisir, à la curiosité éprouvée dans la pratique de l’activité (sentiment de réussite, de prestige, besoin d’expression personnelle), la seconde à l’espérance d’un gain extérieur à l’activité comme un cadeau, un gain de temps, une réduction de prix. Ces deux types de motivations n’ont pas le même effet sur le comportement, la mise en œuvre de facteurs de motivation extrinsèque pouvant d’ailleurs avoir pour effet de réduire la motivation intrinsèque. Ainsi, le fait que la technologie soit ludique a un impact fort sur la motivation à participer (Curran et Meuter 2007) de même que la possibilité de personnaliser le service.
Par ailleurs, le fait de disposer des compétences et de la confiance nécessaires pour réaliser une activité est un facteur explicatif d’une prédisposition à participer (Mills et Margulies 1980). Les ressources mises en œuvre par les consommateurs dans le cadre de leur participation peuvent être physiques, culturelles, communicationnelles, temporelles, financières et matérielles, sociales, marketing et logistiques. Ces ressources peuvent être ordinaires (tout le monde ou presque en dispose et elles permettent de mener des actions banales comme pousser son caddie au supermarché) ou extraordinaires (monter un spot publicitaire dans le cadre d’un jeu concours). Pour les auteures, les ressources ordinaires permettent aux consommateurs de réaliser les tâches prévues par l’entreprise, les ressources extraordinaires apportant un supplément de valeur à l’entreprise. Ces facteurs explicatifs amènent les auteurs à proposer une matrice des formes de participation : client exécutant, relais sous-traitant, assistant marketing opérationnel, ou apporteur de solutions.
La participation en tant que client exécutant (montage de meuble, retrait de marchandises au Drive, utilisation d’un automate d’impression de billet…) n’a d’intérêt pour le client que parce qu’elle lui permet de gagner du temps, de l’argent ou lui donne un sentiment de liberté par exemple du fait de l’amplitude horaire accrue.
La participation du client en tant qu’assistant marketing opérationnel (test de produit, participation à des jurys, customisation de produits comme le choix des couleurs, l’ajustement des tailles, le flocage proposés par exemple par Adidas, l’impression des initiales ou de sa propre photo sur une coque de téléphone) suppose un plaisir du consommateur à participer mais ne mobilise finalement que des ressources ordinaires.
Un client sous-traitant doit être motivé financièrement. Il s’agit par exemple de promouvoir les produits d’une entreprise ou l’entreprise elle-même moyennant rétribution. Par exemple les membres de venteprivée.com partagent leur carnet d’adresse. Cette action peut être motivée par des considérations altruistes mais également par la rétribution sous forme de bon d’achat. De nombreuses entreprises s’appuient sur ce mécanisme de parrainage pour élargir leur fichier client.
Lorsque le client apporte son expertise en participant à des forums d’aide ou sa créativité pour co-déterminer, co-innover, co-promouvoir (client apporteur de solutions) il est motivé par le plaisir de faire, son épanouissement personnel, l’envie de partager et non par des raisons financières. Les motivations peuvent être personnelles ou altruistes.
Les différents vécus consommateurs
Dans le cadre d’une autre étude [14], Florence Benoit-Moreau, Audrey Bonnemaizon et Sandrine Cadenat ont exploré le vécu du consommateur pour mieux comprendre son adhésion à la participation ordinaire. Les vécus des dispositifs de participation ordinaire sont fortement dépendants des ressources des clients (compétences) et par là de leur perception d’efficacité personnelle. Trois thèmes sont évoqués par les consommateurs : l’essor de la participation, l’emploi, la perte de contact humain.
Les consommateurs résignés subissent la participation, considèrent que son évolution est inéluctable et adoptent un comportement « moutonnier », sans réflexion individuelle. Les consommateurs du registre participation fonctionnelle la vivent très positivement, l’intérêt personnel dominant sur l’intérêt citoyen, la participation est associée à la modernité mais il est important d’avoir le choix de participer ou non selon les situations. La participation révoltée correspond aux consommateurs réfractaires « au système capitaliste », ils tentent de résister et déplorent la perte de contact humain. La participation voie d’émancipation correspond à un plus grand contrôle de la consommation du fait de la moindre présence de vendeurs, les emplois supprimés sont jugés peu valorisants et ne sont donc pas déplorés. Le dernier registre la participation, idéal de collaboration, est vécu positivement à titre personnel mais négativement au niveau sociétal car le lien humain est important et ces consommateurs déplorent la perte de qualité de service. Il est donc important pour eux qu’il y ait une contrepartie claire. Les auteures soulignent que selon les situations (client-dispositif-contexte) les consommateurs peuvent changer de registre.
Les formes de participation à l’expérience
Antéblian, Filser et Roederer [15] ont proposé une typologie qui distingue trois cas de figure : La collaboration interprétative, l’autoproduction dirigée (Dujarier 2008) et la coproduction créative. La collaboration interprétative est un premier niveau de participation nécessaire au consommateur pour s’approprier le contexte auquel il est exposé. Il s’agit d’une activité mentale de construction de sens et des réponses émotionnelles. Le deuxième niveau correspond aux actions accomplies par le consommateur dans le respect du processus prévu par l’entreprise. Le troisième niveau lui confère de l’autonomie et sollicite sa créativité. Il est mobilisé lorsque les expériences permettent au consommateur de faire des choses intéressantes, non standardisées qui ont du sens et qui lui plaisent.
Coproduction versus co-création de valeur
Dans un ouvrage paru en 2016, Gilles Marion différencie les notions de coproduction et co-création. Pour lui, la coproduction est un processus banal et fréquent alors que la co-création correspond à l’apparition d’une innovation radicale. Cette distinction n’est cependant pas faite par de nombreux auteurs qui utilisent le terme de co-création de façon plus large. Pour Leclercq et al., dans leur article de synthèse, la notion de co-création de valeur recouvre les phases de consommation et de production et de fait englobe la co-production. Le terme de prosommation est proposé pour décrire la participation des consommateurs à la production par opposition à l’innovation ouverte qui est un phénomène de coproduction impliquant d’autres parties prenantes.
Par ailleurs, s’appuyant sur les définitions du marketing données d’un côté par l’AMA en 2007, de l’autre par les représentants du marketing standard, Gilles Marion souligne une confusion qui consisterait à croire chez les tenants du marketing standard que le marketing est créateur de valeur, pouvoir qui ne peut appartenir qu’au consommateur. Le rôle du marketing consiste à créer ou co-créer des offres permettant au consommateur de produire de la valeur lors de l’usage de celles-ci (composition d’un repas à partir d’ingrédients ou décoration intérieure par exemple). Dans cette optique, le consommateur contribue de fait systématiquement à la création ou production de valeur.
Dans le cadre de leur synthèse sur la co- création de valeur Thomas Leclercq et al. proposent un cadre théorique du processus de co-création de valeur centré sur l’aspect collaboratif en ligne mettant en évidence les motivations, les freins, les processus et les conséquences de cette co-création.
3) Zoom sur la participation du consommateur au processus marketing
Les pratiques de participation peuvent intervenir sur l’ensemble de l’activité de l’entreprise de la phase de conception jusqu’à la distribution voire au-delà (montage de meubles en kits ou composition d’un repas à partir d’ingrédients à domicile). Lorsqu’elles concernent le processus marketing lui-même, il devient collaboratif selon Dujarier ou participatif selon Divard [16]. Ce type de participation redonne du pouvoir au consommateur (il ne s’agit plus de faire du marketing vers les consommateurs mais avec les consommateurs). Il s’agit pour certaines entreprises d’un « véritable levier stratégique [17] ». Il s’est développé avec les technologies de l’information et Leclercq et al. montrent le rôle essentiel des plateformes d’échange. Plusieurs auteurs détaillent les différentes phases du processus marketing au cours desquelles les consommateurs peuvent être amenés à apporter leurs compétences. Divers termes sont utilisés de façon plus ou moins consensuelle.
Divard propose de présenter les pratiques de marketing participatif à partir des différentes variables du mix marketing. Bonnemaizon et al listent les différents cas de figures rencontrés au sein des entreprises selon ce schéma.
Leclerc et al. distinguent dans leur synthèse les étapes suivantes : l’idéation, l’évaluation, le design, le test, le lancement et les activités de support.
Participation lors de la phase de pré-conception
Lors de la pré-conception de l’offre plusieurs types de participation sont recensés : l’entreprise peut, en lien avec les principes du knowledge marketing [18], chercher à apprendre non sur le consommateur mais du consommateur et de ses expériences. Cette participation peut être involontaire de la part du consommateur, l’entreprise extrayant de l’information déjà existante au sein de forums. L’entreprise peut également, à partir des informations transmises par les consommateurs (réponses à des enquêtes, paramétrage de profil…), déduire les préférences consommateurs et personnaliser des offres sans pour autant que le consommateur ait toujours conscience de participer au processus marketing). Enfin la co-détermination (Cova) implique une participation volontaire et consciente au processus marketing.
Participation à la phase de conception
Lors de la phase de conception et amélioration de l’offre, on distingue la co-innovation qui s’appuie sur des leads users ou des consommateurs créatifs et la customisation de masse qui offre des choix au consommateur ordinaire au sein d’un ensemble de modules de choix préconçus (couleurs, accessoires…).
Emmanuelle le Nagard et Fanny Reniou [19] se sont attachées à préciser la notion de co-innovation et les pratiques d’entreprise s’y rattachant. Les auteures distinguent trois nouvelles tendances : le passage d’une logique de test pour laquelle le client réagit à un projet à une logique de création par le client sur la base d’instructions générales, le recours à l’ensemble des consommateurs et non plus seulement aux leads users et un rôle de plus en plus important joué par les plateformes en ligne permettant des interventions clients tout au long du processus d’innovation. Un brief posté en ligne peut donner lieu à une génération d’idées (Ex HSBC futur de la banque numérique : 178 contributions et 87 visuels en 3 semaines) ou des ébauches de design (concours de Calvin Klein pour un flacon de parfum utilisé ultérieurement dans le brief fait à l’agence), des kits d’outils peuvent être mis à disposition des clients pour leur permettre de créer, des beta tests offrent aux clients de tester des versions non finalisées afin qu’ils proposent des améliorations (ex plateforme imagine TGV), le recours à des clients peut avoir pour objectif de générer des noms de marques, logo, slogan...
Participation à la fixation des prix
Selon Divard un certain contrôle peut être donné au consommateur en matière de fixation des prix dans le cadre des enchères, du modèle Name Your Own price (NYOP, le consommateur fixe auprès d’un intermédiaire le prix qu’il est disposé à payer pour un bien ou service donné) du modèle Pay what you Want (PWYW, dans lequel il existe une délégation complète au consommateur de la détermination des prix), des achats groupés qui permettent au consommateur de faire baisser le prix d’un article en s’associant et du benchmark lorsque l’on demande aux clients de signaler les prix moins chers trouvés ailleurs.
Participation à la promotion
La co-promotion consiste à obtenir du consommateur des visuels ou films publicitaires pour une marque ou un produit, généralement au moyen de concours. Les consommateurs travaillent comme des agences de communication, avec leurs propres outils. On distingue les jurys de consommateurs qui départagent des projets, les castings participatifs, les concours de création publicitaire encadrés par un brief de l’entreprise et enfin la participation à la démarche sociétale de l’entreprise. La démarche est similaire à celle d’innovation produit.
Participation à la distribution ou au SAV
La participation à la distribution ou au service après-vente se traduit par des actions d’affiliation commerciale, la contribution à des forums d’entraide, le parrainage.
II. Enjeux de la participation consommateur
Selon Leclercq et al. les différentes contributions des chercheurs mettent en évidence la nécessité d’une évolution du marketing vers un processus de co-création de valeur qui se fait à travers l’échange de connaissances et de compétences. Plusieurs auteurs marketing ont mis en évidence les bénéfices attendus mais également les freins et risques de la participation consommateur pour l’entreprise qu’il s’agisse de faire collaborer le consommateur au processus marketing ou de l’amener à coproduire la prestation de service ou encore de personnaliser le produit acheté. L’impact de la participation peut être évalué en termes de performance en matière de production ou innovation mais également d’image de l’entreprise, de création de lien avec le consommateur, de rapport de pouvoir, ou encore d’impact au niveau des salariés ou d’autres parties prenantes. Il est nécessaire de distinguer les différentes formes de participation, tant en ce qui concerne les bénéfices attendus que les freins et les risques.
Marketing collaboratif et performance du processus d’innovation
Pour Von Hippel [20], grâce aux outils Internet, le bénéfice principal d’une co-innovation avec les clients est une meilleure adaptation aux besoins dans des délais réduits et à un coût moindre comparé aux études de marché classiques. Le taux d’échec sur le marché est réduit. Emmanuelle Le Nagard et Fanny Reniou [21] ont réalisé une étude qualitative et quantitative auprès d’experts en innovation d’une vingtaine de secteurs d’activité. Celle-ci montre que les entreprises font état d’un intérêt pour la co-innovation avec les clients mais que la démarche est rarement formalisée en particulier dans les activités B to C. L’enquête menée par les auteures confirme cependant que les entreprises ont pour motivation première d’améliorer les chances de succès du produit en vérifiant le caractère réaliste des usages envisagés et en multipliant le nombre d’idées grâce à la créativité des clients. Le lancement de la plateforme de crowdsourcing d’AXA « monassurancecitoyenne.com » en 2016 a bien pour objectif de valider des idées de produits auprès de consommateurs et prospects pour affiner et enrichir les offres mises sur le marché [22]. Pour sa première campagne auprès des TPE PMI une centaine de clients a choisi de participer et 200 idées et commentaires ont été recueillis. La complémentarité des savoirs faire est également recherchée comme chez Orange Business Service qui a bénéficié de plus de 500 « bêta-testeurs » pour développer un assistant de mobilité personnel.
La création ces dernières années de plusieurs plateformes spécialisées dans le crowdsourcing comme Eyeka [23] et leur activité croissante tant en nombre de participants (350 000 membres au niveau mondial chez Eyeka) que d’opérations menées (plus de 1000 concours réalisés pour Eyeka) au profit de tout type d’entreprises, y compris des leaders sur leur marché, démontre l’ampleur du phénomène et fait présumer de son efficacité.
Cependant des freins existent au niveau des entreprises qui ne semblent pas toujours assurées de cette performance comme le révèle l’enquête menée par Emmanuelle Le Nagard et Fanny Reniou. Les entreprises craignent un manque de compétence du client : des informations manquant de fiabilité, un manque de créativité, d’expertise pour des produits techniques, une incapacité à se projeter dans le futur, une faible implication parfois dans la catégorie de produits. Contrairement à ce qui est relevé en général par les auteurs marketing, les entreprises voient la démarche de co-innovation comme une source de coût, d’autant que le retour sur investissement est difficile à mesurer.
Coproduction et performance
La participation client au processus de production, qu’il s’agisse de services ou de produits, présente, dans la mesure où il correspond à un transfert de tâches vers les clients, un avantage certain en termes de productivité. Ces pratiques apportent en outre de la flexibilité et permettent aux entreprises de mieux gérer les flux (périodes de pointe par exemple) en adaptant de fait les moyens (travail du client) aux besoins. Elles permettent également des gains en termes d’amplitude horaire (7/7, 24/24). Cependant, la participation des clients nécessite qu’ils disposent de compétences et respectent le rôle prescrit. Généralement l’entreprise conçoit et organise la coproduction du service et décrit donc les comportements souhaités des clients. Cependant ces comportements peuvent être déviants ou dysfonctionnels, le client ne voulant pas, ne sachant pas, ou ne pouvant pas réaliser les tâches prévues. De façon volontaire ou non, il affecte dans ce cas la performance du service pour lui-même ou pour les autres clients. La question est plus présente encore dans le cadre des plateformes mettant en relation des particuliers dont le cœur de métier au quotidien consiste à mettre en relation et contrôler la participation client (Blablacar, Airbnb) ainsi que le montrent Pénéloppe Codello-Guijarro et al. [24] dans leur étude sur les entreprises d’autopartage. Dans ce type de contexte, où les clients sont aussi bien fournisseurs qu’acheteurs, leur défaillance (fourniture d’un véhicule en mauvais état ou à l’inverse dégradation d’un véhicule emprunté) peut en effet ruiner la société de par la perte de confiance qui en résulte.
Marketing collaboratif et image de marque
La mise en œuvre de processus marketing collaboratifs est en soi une opération de communication. Le marketing collaboratif semble globalement être positif pour les consommateurs dans la mesure où cette pratique leur accorde plus de place dans les décisions. Cependant, selon les situations, la perception des consommateurs diffère. L’étude menée par Sophie Renault [25] auprès d’étudiants participant à un concours créatif pour le compte de Kinder Maxi révèle un impact plutôt positif sur l’image. En effet, pour les étudiants, la démarche dénote un esprit convivial, une proximité de la marque à ses clients. Par ailleurs, les étudiants ne considèrent pas leur apport comme un travail et n’ont donc pas le sentiment d’être exploités. Ce type de collaboration n’est cependant pas toujours vécu comme tel ainsi que le montre Bernard Cova lors de son étude sur la mise en place de la communauté des Alfistes par Alfa Roméo. Du fait notamment d’un encadrement trop pesant de la part de l’équipe projet d’Alfa Roméo (objectifs fixés à la communauté, règles rigides) un sentiment d’exploitation individuel et collectif s’est développé. De plus, la non prise en compte des pratiques préexistantes a abouti à la co-destruction de valeur au lieu de co-création.
B. Cova a montré, dans le cadre des communautés de marques, que les clients fortement impliqués aspirent à être respectés pour leurs productions et estimés c’est-à-dire rétribués d’une façon ou d’une autre. L’absence de respect ou d’estime peut selon lui créer du ressentiment et entraîner les consommateurs à dénigrer la marque.
Plus largement, les pratiques de crowdsourcing qui se développent notamment grâce à la mise en place de plateformes d’intermédiation telles Eyeka ou 99design, basées sur la compétition, suscitent de la part des créateurs participant des revendications de même type comme le montre Sophie Renault [26] au travers d’une étude netnographique (Kozinets). Il s’agit souvent d’amateurs, qualifiés de « pro-ams » par Divard du fait de la récurrence de leur participation, voire de travailleurs indépendants ou à temps partiel. Même si le « consommateur » qui co-crée avec l’entreprise a d’autres motivations que l’argent, la question de la rémunération de la valeur créée est posée. Dans la mesure où il s’agit d’un concours, le travail fourni par le plus grand nombre n’est pas du tout rémunéré, pratique que certains nomment du « travail spéculatif ». Le mouvement de contestation est alimenté par des professionnels qui voient dans ces pratiques une concurrence déloyale, qu’ils se refusent à y participer ou y participent mais jugent les rémunérations dérisoires. Sophie Renault relève que la grogne est particulièrement vive vis-à-vis de grandes entreprises, accusées d’exploiter la foule alors qu’elles auraient les moyens de faire travailler des créatifs professionnels. Par ailleurs J. Gebauer [27] souligne un risque de distribution inéquitable de la valeur générée ainsi que la question des droits de propriété intellectuelle.
Enfin les entreprises craignent de décevoir les consommateurs si elles ne développent pas leurs idées et de subir de ce fait des critiques de la part des clients qui ont participé.
L’impact de la co-production sur la valeur créée pour les consommateurs
Arnaud Rivière et Remi Mencarelli [28] analysent l’impact sur la valeur du recours aux dispositifs technologiques de type SST (self-service technologies). Cette pratique peut en effet altérer l’expérience de consommation puisque qu’elle supprime l’interaction avec le personnel et exige de la part du client une maîtrise des instruments. Les auteurs présentent une typologie des bénéfices et sacrifices recensés dans le cadre d’entretiens qualitatifs. Les bénéfices ou sacrifices identifiés peuvent être de types traditionnels (identiques à ceux de services en face à face) ou spécifiques aux SST : bénéfice d’autonomie (choix du moment, indépendance vis-à-vis du personnel), a contrario coût relationnel, coût informationnel, coût éthique (destruction d’emplois), coût d’équité (travail masqué).
Ainsi pour les auteurs la participation n’est pas toujours source de création de valeur et au contraire peut en détruire. « L’apparente simplicité d’utilisation des dispositifs cachant une grande variété de coûts et d’efforts pour les consommateurs, la technologie est donc à la fois un frein et un facilitateur de l’implication du client dans la servuction » [29].
De façon générale, la participation des clients à la personnalisation des produits qu’ils achètent ou leur contribution active à l’expérience de consommation permet de créer de la valeur supplémentaire. De plus, lorsque les clients partageant leurs expériences de consommation comme des recettes, des parcours sportifs etc. ils créent de la valeur pour la communauté de clients avec lesquels ils partagent.
Le cas du tourisme est particulièrement intéressant à étudier car la personnalisation et la participation client y sont centrales. Etudiant les effets de la co-création sur le bien-être du touriste, Sihem Dekhili et Yousra Hallem [30] rappellent que lors de la co-création les consommateurs peuvent renforcer leur statut social par la reconnaissance qu’ils sont une source d’information pertinente, se créent des contacts sociaux, génèrent des sentiments de plaisir et de fierté. Cela peut augmenter la valeur perçue et la satisfaction vis-à-vis des services de l’entreprise. Par exemple, lorsque les consommateurs sont conduits à co-créer leur voyage sur-mesure, cela implique une activité relationnelle importante, notamment à travers d’espaces de communication créés spécifiquement. Les touristes collaborateurs participent, en recherchant de l’information, partageant des informations personnelles avec l’agence, puis co-créant l’offre, mais également en ayant un comportement que les auteurs nomment « citoyen » : retour d’information auprès de l’agence, spontané ou sollicité par le biais de questionnaires ou de liens sur un espace témoignage, recommandation, aide aux autres clients, tolérance envers l’agence. Le plaisir procuré par l’implication dans la préparation du voyage est source de motivation à co-créer ; le voyageur obtient par ailleurs plus de contrôle et de maitrise des différentes étapes et enfin les réactions émotionnelles (joie, satisfaction) sont plus fortes lorsque les consommateurs se sont beaucoup investis, « sorte de consécration d’un effort fourni », sentiment de fierté et de valorisation de soi du fait de l’implication et de l’engagement. Les touristes collaborateurs créent alors de la valeur pour eux-mêmes, pour l’agence mais aussi pour les autres touristes en partageant leur expérience sur les réseaux sociaux. Les auteurs soulignent cependant que cette co-création n’est positive qu’avec les clients intéressés.
L’impact de la participation sur le lien et l’attachement client
Le développement des communautés de marque tant par les marques de producteurs (AlfaRoméo, Nutella, Nike, Pampers…) que les distributeurs (Décathlon, Casino, Auchan…) ou les entreprises de service (SNCF, Axa…) dans le cadre de sites web propres à la marque, ou sur les réseaux sociaux (pages Facebook par exemple), a pour conséquence de susciter une participation active des consommateurs et de renforcer les échanges entre la marque et les consommateurs. Qu’il s’agisse de proposer des idées, de participer à des jeux ou de voter pour les propositions préférées, ceci renforce le lien et l’attachement à la marque. La participation aux actions de co-création aurait pour effet d’impliquer les consommateurs dans la vie de l’entreprise et de développer le sentiment d’appartenance comme le souligne Sophie Renault [31]. Dans certains cas, la prise en charge du SAV de l’entreprise par les consommateurs experts, leur permet de se valoriser et de s’identifier comme par exemple l’opération « clients experts » de la SNCF où près de 400 clients se mobilisent gratuitement pour répondre tous les jours sur le chat communautaire et qui a valu à la directrice relation clients de Voyage SNCF.com le prix du Directeur client de l’année 2015. Autre exemple, la réflexion menée à la poste, ayant mobilisé conjointement consommateurs et personnel pour améliorer l’accueil en agence a de fait renforcé la relation client et l’attachement.
La co-création dans le cadre de la customisation de masse (choisir sa couleur, faire ses assemblages, faire graver son prénom ou ses initiales sur un flacon de parfum…) parce qu’elle permet de personnaliser le produit et en parallèle rend le client coproducteur partiellement responsable du résultat, renforce l’attachement aux produits ainsi créés et par suite à la marque.
De même, la mise en œuvre de contextes ouverts d’expériences client, très participatifs permet à ces derniers de mieux s’approprier le lieu ou les objets et renforce la relation.
Sous réserve donc d’être choisie par les clients, respectée et valorisée par l’entreprise et non imposée sans contrepartie, la participation client est de façon générale facteur de lien entre les consommateurs et les marques.
L’impact de la participation client sur le personnel
Mathieu Hocquelet [32] montre comment en hypermarché, forme d’activité à l’origine du self-service, qui a vu se développer de plus en plus de dispositifs de participation clients tels pesage, self scanning, encaissement, contrôle des anomalies en magasin, la participation consommateur peut poser problème aux salariés. Il identifie trois difficultés que ressentent les salariés en libre-service : la rupture dans le rythme de leur travail du fait des sollicitations clients, l’isolement face des injonctions contradictoires (être disponible et serviable vis-à-vis du client mais parallèlement améliorer l’efficacité mesurée par le nombre de palettes mises en rayon par heure), et la nécessité de faire face à des comportements déviants (produits reposés dans un autre rayon, prise de produits aux DLC (date limite de consommation) plus lointaines au fond du meuble, dégradation de produits lors de leur manipulation…)
De leur côté, Bernard Cova et Pascale Ezan [33] mettent en évidence les risques liés à la confusion des rôles entre le personnel en contact et les clients, au « brouillage des représentations », dans le cadre des communautés de marques composées de passionnés. Si les interactions clients/personnel aboutissement à la création d’un lien durable, positif pour la marque, des revendications peuvent se faire jour, tant du côté du personnel, impliqué au-delà de son travail en tant que salarié, que du côté des clients contribuant fortement au sein de la communauté.
Enfin dans le cadre du marketing collaboratif et en particulier lors de la co-innovation, Emmanuelle Le Nagard et Fanny Reniou [34] rapportent deux conséquences opposées possibles. L’apport d’idées par les consommateurs peut stimuler les équipes en interne mais peut également provoquer un phénomène de rejet (syndrome du not invented here) de la part des chercheurs ou ingénieurs qui accorderont moins d’attention, et consacreront moins d’efforts aux idées non développées en interne, ou accepteront difficilement les critiques de néophytes semblant remettre en cause leur légitimité. La co-innovation nécessite en effet un changement de culture, il faut abandonner l’idée de l’omniscience. Un expert en innovation managériale interrogé par les Échos estime que ces pratiques entraineraient 10 à 20 % de démission chez les manageurs concernés.
Le risque de prise de pouvoir et de concurrence des consommateurs acteurs
Le développement des formes et occasions de participation, et parallèlement l’amélioration de la compétence des consommateurs formés par l’entreprise à la prise en charge d’activités de plus en plus diverses, génère le risque « qu’ils deviennent difficiles à manœuvrer [35] » comme le montre les nombreux cas de détournement de la marque dont le célèbre exemple de la vidéo amateur mettant en scène les effets d’un bonbon Mentos dans du Diet coke [36]. Apparait le risque que les clients dictent leurs choix comme lorsque Gap a dû en 2010 renoncer à son nouveau logo sous la pression des internautes à peine 8 jours après l’avoir dévoilé. Les pratiques de crowdsourcing deviennent parfois contreproductives car certains consommateurs peuvent se moquer, détourner les démarches comme lors du lancement par Hasbro en 2007 de l’édition « Villes de France » du jeu Monopoly, où les consommateurs sollicités ont élu Montcuq ville préférée, ou lors de la mise en place par Mac Donald en 2012 sur twitter d’un hashtag McStories, espérant des messages positifs et obtenant des retours dévastateurs comme un récit d’intoxication alimentaire selon PC verhoef et al [37].
Dans le cadre du marketing collaboratif un risque de perte de contrôle doit être envisagé en lien avec la question des droits de propriété sur les co-créations mais également avec l’aspect confidentialité en particulier dans le cadre d’innovations de rupture.
Ainsi que le soulignent Aurelien Rouquet, Fanny Reniou et Kiane Goudarzi, Il apparaît un risque d’autonomisation des consommateurs grâce à leur montée en compétence en parallèle de supports technologiques de plus en plus nombreux accessibles au grand public. Les consommateurs, de plus en plus, peuvent faire concurrence aux entreprises par exemple en auto-assemblant leurs voyages, fabriquant des produits chez eux, grâce aux imprimantes 3D, ou échangeant entre particuliers des produits grâce aux technologies de la communication et aux réseaux sociaux. Il faut noter cependant que cela crée aussi des opportunités pour de nouveaux prestataires qui viennent faciliter encore cette activité.
III. Implications managériales
Les enjeux de la participation client, qu’il s’agisse de participation au processus productif en lien avec la recherche de productivité, de personnalisation ou de collaboration au marketing sont tels (bénéfices potentiels importants mais a contrario risques réels de dégradation d’image, d’impact sur l’organisation elle-même et de destruction de valeur) qu’il est nécessaire pour les entreprises de mener une réflexion tant sur le plan stratégique que plus opérationnel.
Nécessaire cohérence avec les choix stratégiques de l’entreprise
Qu’il s’agisse de définir le degré et le type de participation au processus de production ou d’impliquer la communauté des consommateurs dans une démarche d’innovation ou de communication, cela doit être fait en cohérence avec le positionnement de l’entreprise. L’entreprise doit s’interroger sur la pertinence de s’appuyer sur les ressources des consommateurs pour créer de la valeur.
En matière de collaboration, B. Cova précise qu’en fonction des caractéristiques de leur marque et de leur marché, les entreprises devraient favoriser la participation clients à différentes phases du processus marketing : co-détermination de produits pour acquérir de la légitimité (Dell) ou co-promotion pour acquérir des sympathisants dans un contexte où les freins réglementaires sont forts (Red Bull). Suite à leur étude terrain, E. Le Nagard et Fanny Reniou affirment qu’il est indispensable d’insérer la démarche de co-innovation dans le processus global d’innovation en complémentarité d’autres actions. Dans des contextes d’innovation stratégiques, d’innovation de rupture, il parait plus judicieux d’impliquer des salariés consommateurs que de simples consommateurs pour éviter une divulgation trop rapide des informations auprès de la concurrence.
Partant notamment de l’exemple d’Auchan, Cadenat et al. suggèrent de faire l’analyse des dispositifs de participation proposés aux clients selon leur matrice (type de ressources/ type de motivation), d’analyser les pratiques des concurrents et d’envisager une évolution des formes d’interaction « du client simple exécutant » vers une participation plus valorisante pour les clients (« assistant marketing » ou « client relais »). Pour les auteures, les dispositifs de participation doivent être intégrés dans une stratégie globale de gestion de clientèle en s’interrogeant sur la pertinence de s’appuyer sur les ressources du consommateur pour créer de la valeur.
Par ailleurs, les entreprises doivent apprendre à interagir avec les consommateurs créatifs comme le montre B. Cova au travers de l’exemple Mentos/CocaCola où des centaines de « youtubers » ont mis en scène l’expérience consistant à mettre des pastilles Mentos dans des bouteilles de Diet Coke, provoquant ainsi des geysers spectaculaires. Mentos a immédiatement exploité ce phénomène estimant qu’il équivalait à une énorme campagne de publicité ; l’entreprise Coca-cola a quant à elle été plus réticente. B Cova identifie quatre postures des entreprises face au « Consumer made spontané » : résister, désapprouver, faciliter, approuver. Or, pour bien fonctionner il est nécessaire selon lui d’adopter une attitude positive vis-à-vis des idées des consommateurs. Par ailleurs, dans les démarches plus volontaires de co-innovation, il faut adopter une posture d’humilité, ne pas encadrer trop strictement les modalités de la participation (design faible de l’interaction). « Il s’agit d’accepter la structuration des idées et des actions telles qu’elle émerge de leurs échanges », respecter les consommateurs dans leurs productions et faire confiance à l’autorégulation des consommateurs. Il ne s’agit pas de jouer à faire participer mais réellement utiliser les propositions.
Segmentation de la clientèle et mode de relation adapté
Il peut être nécessaire de segmenter la clientèle et de proposer différents modes de participation selon les profils clients, leurs compétences et leur appétence à participer. Ainsi que le soulignent Eric Vernette et Elisabeth Tissier-Desbordes [38], la segmentation du marché par les bénéfices consommateur est tout à fait pertinente dans ce cadre.
Par exemple, concernant les technologies self-service, il est pertinent de laisser le choix aux clients afin d’éviter le phénomène de résistance ou de rejet [39].
De même, lors d’un processus de co-innovation tous les clients n’ont pas les compétences pour collaborer et l’on peut distinguer différents cas de figures, s’adressant à des publics plus ou moins larges de consommateurs. Si E. Le Nagard et Fanny Reniou proposent de s’appuyer sur l’auto sélection du grand public dans les phases de recherche d’idées, elles suggèrent cependant de faire appel, selon les situations, à différents profils de consommateurs, dans le cadre de démarches plus ou moins ouvertes afin de limiter les risques d’incompétence mais aussi de perte de contrôle. Selon Hoffman et al [40] les clients « émergents » sont les plus susceptibles de développer des concepts attirants pour les autres clients. De leur côté, afin de faciliter la sélection de consommateurs créatifs, Cyrielle Vellera et Marie-Laure Gavard-Perret [41], s’appuyant sur des études menées auprès de créatifs et d’étudiants, identifient la notion de capacité d’imagerie mentale et proposent de l’utiliser comme indicateur des capacités créatives des individus.
Une cohérence entre les profils consommateurs, les résultats attendus et le cadre de la participation doit être respectée. Ainsi un encadrement trop strict, des règles trop rigides ne peuvent convenir à l’expression de créatifs bénévoles comme le montre entre autres l’étude menée par B. Cova sur la communauté des Alfistes.
La participation des consommateurs doit cependant être contrôlée afin de limiter les comportements déviants ou dysfonctionnels et ceci doit être fait en cohérence avec le modèle de coproduction et les profils clients. À partir de l’analyse de sociétés d’autopartage, Pénéloppe Codello-Guijarro et al. exposent trois modalités de contrôle. Celui-ci peut être exercé essentiellement par l’organisation, délégué au client (autocontrôle) ou délégué aux autres clients (contrôles mutuels ou par la communauté de clients).
Accompagnement approprié de la participation consommateur
La participation client nécessitant la mise en œuvre de ressources de la part des clients et par suite de compétences, il peut être nécessaire de les accompagner dans leur apprentissage du processus aussi bien lors de la coproduction ordinaire que lors d’une participation plus créative afin d’améliorer l’expérience vécue.
Selon Aurelien Rouquet et al., la principale suggestion en marketing pour optimiser la performance de la coproduction ou co-création a été de manager les clients comme des employés. Il s’agit de clarifier leur rôle pour qu’ils comprennent ce qui est attendu d’eux, de les former pour qu’ils apprennent ce qu’ils ont à faire au moyen de divers supports et par l’intermédiaire du personnel de contact, de les motiver pour qu’ils acceptent de mener les actions requises et de développer chez eux un sentiment d’appartenance et d’identification à l’entreprise.
Cet accompagnement passe également par la mise à disposition d’outils dont la prise en main est suffisamment aisée. Pour participer, les clients ou consommateurs doivent avoir confiance dans leur capacité à faire.
En conclusion de leur étude sur les SST (Self-Service technologies), Arnaud Rivière et Rémi Mencarelli recommandent, afin de convaincre des utilisateurs potentiels d’un self scanning par exemple, de communiquer non seulement sur les bénéfices de la technologie (gain de temps, contrôle des dépenses) mais aussi autour des coûts potentiellement associés afin de rassurer les consommateurs. Ils suggèrent également de proposer systématiquement une formation afin d’accélérer l’apprentissage et améliorer ainsi l’expérience utilisateur. Ils citent l’exemple de l’enseigne de distribution alimentaire G20 dont les hôtesses de caisse proposaient une démonstration.
Pour Audrey Bonnemaizon et al. [42], compte tenu des différents vécus possibles des consommateurs, il faut améliorer le dispositif de participation de façon à susciter l’adhésion d’une majorité d’entre eux, le succès d’un dispositif dépendant moins de sa performance technique que de sa capacité à intéresser les consommateurs. Il n’y aurait pas « une » bonne solution technologique mais des dispositifs à la fois humains et non humains, dispositifs technologiques mais aussi supports de communication, merchandising, rétributions, susceptible d’attirer les consommateurs, de favoriser l’acceptation de leur rôle de participants.
Dans le contexte du marketing collaboratif, Cyrielle Vellera et Marie Laure Gavard Perret proposent de stimuler les capacités créatives des consommateurs par la mise en place d’outils développant la capacité d’imagerie mentale (consignes d’imagerie mentale, présentation de stimuli visuels, entrainement à la visualisation mentale).
Rétribution équitable de la participation
En contrepartie de la participation client, se pose la question de la rémunération mais également d’autres formes de rétribution comme l’importance donnée au client.
Pour E. Le Nagard, il est important de concevoir une rétribution adaptée au profil du contributeur c’est-à-dire en fonction de sa motivation à participer. Un consommateur très impliqué dans la catégorie de produits recherchera avant tout la prise en compte de ses idées pour améliorer les produits commercialisés alors qu’un individu créatif accordera plus d’importance à la reconnaissance de son originalité.
Sophie Renault dans le cadre de son travail sur les plateformes de crowdsourcing a formulé des suggestions face aux mouvements de contestation. Il est nécessaire pour les plateformes ou les marques, dans un premier temps, de répondre à la critique comme le font par exemple 99designs ou Creads soit en contestant les critiques sur son blog pour le premier soit en apportant des réponses constructives pour le second. En parallèle, il s’agit de développer l’esprit communautaire en entretenant le lien via les réseaux sociaux et des évènements. Il est par ailleurs important de bien adapter les rémunérations financières au travail fourni (par exemple Lego verse 1 % du CA pour la création d’une nouvelle figurine commercialisée, Auchan partageait une partie des bénéfices entre les contributeurs lors de la création de nouveaux produit sur la plateforme Quirky). Les autres bénéfices tels que l’acquisition de compétences (grâce aux feedbacks des différents participants ou aux outils et tutoriels mis à disposition) ou le développement d’une expertise reconnue (concours gagnés, certificats de participation) doivent être mis en avant. Les gagnants doivent être valorisés sur le blog de la plateforme par exemple et les perdants doivent être considérés grâce à des lots de consolation. Le plaisir procuré par la participation grâce au côté ludique doit être souligné ainsi que le fait Eyeka qui accueille les visiteurs de la plateforme en leur souhaitant la bienvenue sur « le plus grand terrain de jeu créatif du monde ». Enfin, il est possible de proposer différents types de challenges correspondant aux compétences des créatifs participants comme le fait la plateforme Creads (projets standards, premium, élites, Solos) et de présélectionner les contributeurs pour certains niveaux en fonction des productions fournies précédemment, comme une forme de récompense.
Bibliographie
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- Mathieu Hocquelet Travailler avec des clients « déviants » L’expérience des salariés des hypermarchés RFG 2013
- Aurelien Rouquet, Fanny Reniou, Kiane Goudarzi Le client acteur de l’organisation RFG 2013
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- Renan Divard Le marketing participatif Economie et Management janvier 2016
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