Réflexions autour du co-enseignement

, par Muriel Mahler

Nos référentiels nous incitent de plus en plus au « co-enseignement », vertueux, il semblerait, dans les situations de groupes hétérogènes, favorisant notamment l’inclusion, par une facilitation de la différenciation pédagogique.

Co-enseigner, c’est avant tout s’interroger sur le sens de cette terminologie. Si co-animer consiste à animer un groupe à deux ou plusieurs personnes, qui trouvent les modalités pour faire participer les membres de ce groupe, et favoriser notamment l’apprentissage, les termes de co-enseignement et de co-intervention méritent une clarification.

La co-intervention met en jeu un enseignant et une autre personne, elle-même enseignante ou non. Cette modalité ne nécessite pas forcément une unité de lieu, ni une unité temporelle. Le groupe-classe peut ainsi être scindé en sous-groupes. Le co-enseignement est quant à lui défini (Lynn Cook et Marylin Friend – 2007) comme « deux professionnels ou plus qui dispensent un enseignement de fond à un groupe d’élèves diversifié ou mixte, dans un seul espace physique ». Ainsi, les objets d’apprentissage sont communs, de même que la planification et l’évaluation des élèves. La responsabilité des intervenants vis-à-vis des élèves s’en trouve donc partagée.

« Un travail de co-enseignement favorisera l’utilisation de pratiques destinées à tous, tout en étant efficace auprès des élèves en difficultés alors que la co-intervention favorisera l’utilisation de pratiques individualisantes et remédiatrices » - Philippe Tremblay (Professeur à l’université Laval, Québec - 2017). Le co-enseignement semble ainsi résoudre certaines des difficultés engendrées par la co-intervention (voir article du Cnesco – « Comment mettre en place un co-enseignement efficace ? »). Réalisant un bilan de l’efficacité des deux systèmes, cet article est très éclairant et nous permettra de mieux comprendre l’intérêt d’un co-enseignement, aujourd’hui encouragé dans nos classes de STMG et de BTS tertiaires, à la condition, par ailleurs, qu’une réflexion approfondie sur les conditions de sa conduite soit menée par les co-enseignants.

Les modalités des deux formes précitées sont précisées selon les situations (voir le schéma Cook and Friend - Toullec-Théry). On notera enfin que la co-présence, permet à l’un d’enseigner, et à l’autre d’observer.

Voir aussi les travaux de Claire Boniface, académie de Nancy.

Nous parlons donc bien ici de co-enseignement. Pour autant, il s’agit de « co-animer », terme générique, un groupe. Le cadre d’une bonne « co-animation » peut se penser autour de quatre questions : qui (anime) ? avec qui (quel public) ? comment, à l’intérieur de la classe ? comment, en dehors de la classe ? Les réponses à ces questions doivent tendre vers une animation qui permettent aux deux (ou plus) animateurs (enseignants dans notre cas), de trouver les modalités pour faire participer les membres de ce groupe, et favoriser notamment l’apprentissage. Désormais, ils doivent penser au « nous », ce que nous pensons dans nos classes, habituellement au « je ». « Enseigner conjointement implique non seulement la co-instruction, mais également la co-planification et la co-évaluation d’un groupe classe » nous indiquent Murawski, Hughes et Locher (2009, 2011, Angleterre) dans Philippe TREMBLAY « Comment mettre en place un co-enseignement efficace ? » - 2017.

Préalablement à l’écriture de cet article un sondage a été effectué auprès d’enseignants chargés de l’ETLV (enseignement technologique en langues vivantes) en classe de STMG, et d’enseignants de BTS (professions immobilières) coenseignant dans « communication et langue étrangère ». Les résultats sont assez disparates, et une enquête de plus grande ampleur serait intéressante à mener. Les questions concernaient le contexte des séances et leur organisation, la préparation des séances, le déroulement et l’après séance, et plus généralement les avantages et inconvénients ressentis. Les résultats démontrent que la question du choix du co-intervenant est centrale. A la question « Le choix du co-intervenant vous semble-t-il important ? », les réponses récurrentes sont : « Oui » ; « Quelqu’un avec qui s’entendre », « Quelqu’un qui travaille dans le même sens ». Une bonne entente permet en effet des ajustements plus faciles, moins d’appréhension à se « découvrir » devant un collègue, et rendra plus fluide l’organisation des séances et leur suivi. Pour autant, n’est-ce pas en filigrane la question de la formation à la « co-animation » qui se pose là ? D’autres sources, (voir par exemple le dossier très intéressant publié par « Les cahiers pédagogiques » de janvier 2021 : « Co-intervenir, co-enseigner, co-animer »), relatent, notamment, les craintes liées à la perception de notre enseignement, de notre rapport à l’élève par « l’autre », révèlent un questionnement de fond sur la conduite des séances « à plusieurs », que seule la formation serait à même de traiter.

Ainsi, on peut déjà citer quelques axes de réflexion, à réfléchir ensemble, au sein du « couple », du « duo » de professeurs, à conjuguer au « nous », avant de rencontrer le groupe :

  • Le cadre général des séances : le nombre d’heures, l’espace utilisé, la ou les classes concernées et leurs effectifs… Il est intéressant d’appréhender ce cadre en tenant compte, également, de la manière dont ont été « choisis » les co-intervenants. Se connaissent-ils ? Ont-ils manifesté le souhait de travailler ensemble ou non ? Il est sans doute préférable de reconnaître que l’on ne se connait pas et qu’il faudra des temps d’échanges pour parvenir à aligner les points de vue, les méthodes de travail, les contraintes liées au référentiel… ; d’une manière assez générale, ce partage est l’un des aspects, reconnu comme très enrichissant du co-enseignement : s’enrichir de l’autre ;

  • La question du « meta-cadre », représenté par l’institution : très en lien avec le point précédent, l’organisation peut être travaillée en amont de la rentrée avec la direction de l’établissement : la préférence pour telle ou telle organisation du temps, la concordance des emplois du temps, permettant des échanges en dehors des séances, indispensables à l’ajustement des objectifs et à la définition des contenus de séances au fur et à mesure ;

  • Les objectifs généraux : ils seront à travailler conformément aux référentiels, tout en pensant à deux voix, deux « matières ». Des objectifs intermédiaires seront posés régulièrement, au fil des séances, au cours des échanges « post-séances », également indispensables ;

  • La prise en compte du groupe ou des groupes tant au plan quantitatif que qualitatif, il ne s’agit plus de penser le groupe et un professeur, mais deux professeurs et le groupe. L’impact de cette nouvelle donne sur les équilibres relationnels n’est pas négligeable, tant au sein du groupe des élèves, qu’entre les collègues, ou entre les professeurs et les élèves. Cet aspect mérite des partages notamment « post séance », sur les ressentis de chacun, les perceptions, afin d’adapter et adopter un comportement « duo » qui soit équilibré et solide face au groupe ; sur ce sujet on ne saura se priver de la lecture de Didier Anzieu « La dynamique des groupes restreints ».

  • La réflexion sur les modalités d’organisation des séances, aux plans spatial, temporel, relationnel, et au plan du ou des types d’animation choisis.

  • La question de l’évaluation : quel rythme, quelles modalités (orale – écrite), quels supports, qui les produit, quelle notation…

  • La question de ce qui se passe en-dehors des séances, avant et après leur déroulé. On l’aura compris, ce dernier point est très important. Le temps que l’on passe de manière formelle ou informelle à échanger est primordial à la réussite d’une co-animation. Tant sur le fond et l’organisation des séances, les échanges doivent porter aussi sur les ressentis de chacun, au sujet des séances, au sujet des élèves.

Le sujet du co-enseignement soulève de nombreuses questions, qui nous conduisent à réfléchir non seulement à la pédagogie mais plus largement à l’organisation des relations humaines.

En conclusion, on peut avancer que le co-enseignement est très enrichissant tant pour les élèves que pour les enseignants. Ainsi le Comité National de suivi du dispositif « Plus de maîtres que de classes » indique en 2016 que le co-enseignement semble répondre à deux enjeux « (…) à savoir réduire les disparités de réussite scolaire et induire une évolution des pratiques enseignantes ». (Comité National de suivi du dispositif « Plus de maîtres que de classes » 2016). Les canadiens Janin M et Couvert D ont également mené une enquête aux résultats plutôt positifs : enquête 2020 – Enquête Janin et Couvert 2020 – bénéfices constatés par les enseignants mettant en pratique le co-enseignement :


Bibliographie

Revue

  • Les cahiers pédagogiques – N°566 – Co-intervenir, co-enseigner, co-animer – Janvier 2021 – Rachel Harent – Céline Walkowiak

Livre

  • ANZIEU Didier – MARTIN Jean-Yves – « La dynamique des groupes restreints » - aux PUF

Articles

  • CNESCO (Conseil National d’Evaluation du système scolaire) – Philippe TREMBLAY « Comment mettre en place un co-enseignement efficace ? » - 2017

Sites

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