Le prix pour les consommateurs perception et comportements face aux pratiques des entreprises dans un contexte de tensions sur le pouvoir d’achat et de compétition accrue.

, par Catherine Guillien

Le contexte économique, les nouvelles possibilités offertes par les technologies de communication et les évolutions réglementaires de ces dernières années ont accru la compétition en matière de prix. La communication sur les prix et les promotions sont devenues omniprésentes : les pratiques de prix différenciés se sont développées. Dans ce contexte de tension, le prix est particulièrement important pour les consommateurs mais la perception des prix est un phénomène complexe, mettant en jeu de multiples notions, image-prix des enseignes, utilité d’acquisition mais aussi de transaction, prix de référence, donnant lieu à de multiples biais. Par ailleurs, les pratiques des entreprises peuvent créer une certaine confusion et amener les consommateurs à s’interroger sur le prix juste notamment dans le cadre de prix différenciés. Ainsi, certains consommateurs adoptent un comportement « malin » et d’autres deviennent « avisés ». Des comportements de consommation collaborative émergent en lien avec les problématiques de pouvoir d’achat voire une certaine forme de déconsommation.

 Introduction

Le contexte économique (crise, tension sur le pouvoir d’achat), les nouvelles possibilités offertes par les technologies de communication (internet et mobile) et les évolutions réglementaires de ces dernières années ont accru la compétition en matière de prix et conduit distributeurs et producteurs à s’engager dans une guerre des prix pour maintenir leurs volumes de ventes et leurs parts de marché. La communication sur les prix est devenue omniprésente qu’il s’agisse de mettre en avant des prix bas permanents ou des politiques promotionnelles. Parallèlement, facilitées par les progrès technologiques, les pratiques de prix différenciés selon les contextes d’achat et les niveaux de demande se sont développées.

La perception des prix par les consommateurs est un phénomène complexe. Différentes études menées montrent un décalage entre perception des prix par les consommateurs et réalité de l’évolution des prix. La compréhension des indicateurs utilisés par les consommateurs lors de l’évaluation des prix des produits ou de l’image prix des enseignes est nécessaire. La sensibilité aux prix et sa perception dépendent de caractéristiques individuelles mais aussi contextuelles. Des recherches issues de l’économie comportementale permettent de mettre à jour les biais intervenant dans la perception des prix par les consommateurs. Par ailleurs, un certain nombre de pratiques actuelles (promotions et opérations de déstockage plus fréquentes, yield management) entrainent une perte de repères et amènent les consommateurs à s’interroger sur le prix juste et à modifier leurs comportements. Cet intérêt pour le prix ne signifie cependant pas forcément la recherche du prix le plus bas. La recherche de qualité ou de sens de la consommation reste présente.

Ainsi, certains consommateurs adoptent un comportement « malin » et d’autres deviennent « avisés », profitant au mieux des pratiques promotionnelles ou planifiant leurs achats et restant sur leurs gardes face aux pratiques tentantes des entreprises. De nouveaux comportements de consommation émergent en lien avec les problématiques de pouvoir d’achat voire une certaine forme de déconsommation. Les valeurs évoluent, les consommateurs se préoccupant de l’usage plutôt que de la possession. Se développent les pratiques de location, de troc, d’achat et revente de produits d’occasions.

 I- Un contexte de tension sur le pouvoir d’achat et de compétition accrue

De 2008 à 2013, le pouvoir d’achat des ménages en France a baissé régulièrement à l’exception de 2009 d’après les chiffres de l’INSEE. La tendance de cet indicateur semble au redressement, soutenu par la désinflation, mais le contexte de consommation reste fragile. L’indicateur de confiance des ménages de l’INSEE poursuit une tendance longue à la baisse jusqu’à mi 2013 (perte de 40 points depuis 2000) puis se redresse mais reste en dessous du niveau de 2007. D’après l’enquête commerce Credoc 2012, la situation financière des ménages se dégrade entre 2005 et 2012, la part des ménages déclarant arriver juste à boucler leur budget est en augmentation et atteint 39 %. La part des dépenses pré-engagées donc difficilement renégociables à court terme dans le revenu des ménages continue à augmenter, les comportements de recours au crédit diminuent et le taux d’épargne reste élevé. En tenant compte de la démographie, la consommation par ménage a été en baisse sur presque toute la période 2008-2013. D’après le Credoc le poste de consommation qui subit les plus fortes baisses depuis le début de la crise est celui du textile habillement, les dépenses alimentaires sont la variable d’ajustement.

L’évolution de la législation en matière de commerce sur la période favorise la concurrence par les prix.

La loi Galland de 1996 interdisant l’intégration des remises fournisseurs de type coopération commerciale dans le calcul du seuil de revente à perte avait peu à peu conduit à une augmentation des prix aux consommateurs. La modification progressive du calcul du seuil de revente à perte par l’intégration de ces remises à partir de la loi Dutreil-Jacob de 2005 puis la négociabilité des conditions générales de vente autorisée par la Loi de Modernisation de l’Economie (LME) d’août 2008 permettant aux distributeurs d’obtenir des conditions tarifaires différentes renforcent la concurrence et conduisent à la baisse des prix.

D’autre part la LME a donné de la flexibilité à la règlementation en matière de promotions et de soldes en autorisant les commerçants à tout moment de l’année à procéder à des réductions de prix et annoncer des rabais, à l’intérieur ou à l’extérieur de leur magasin, et en instaurant les périodes de soldes flottants. Ce dernier point a été annulé depuis le 1er janvier 2015 suite au bilan réalisé.

La Loi Hamon permet une protection accrue des consommateurs en matière d’information sur les prix et services facturés et introduit à partir du 1er janvier 2015 l’affichage du prix d’usage pour les produits à titre expérimental et des éléments de libéralisation supplémentaire par exemple en supprimant la limite de 7 % pour la valeur des primes offertes dans le cadre des opérations promotionnelles.

En parallèle, l’évolution des technologies de la communication a permis aux consommateurs d’avoir accès à une offre élargie et de comparer les prix lors de leur recherche chez eux mais aussi au moment de l’achat en magasin grâce au mobile. Les comparateurs de prix (propres aux enseignes ou indépendants) se sont développés donnant à la variable prix plus de visibilité même si les consommateurs semblent accorder un crédit limité à ces comparateurs considérant qu’il s’agit pour partie de publicité.

Dans cet environnement le rôle du prix a progressé au sein de la stratégie marketing des entreprises et plus particulièrement des distributeurs. Plusieurs phénomènes sont à souligner.

De nombreux secteurs ont vu le développement des modèles low cost. Après le secteur aérien, l’automobile, l’hôtellerie, le secteur alimentaire, le secteur du prêt-à-porter voit arriver son modèle Low cost avec Primark implanté en France depuis décembre 2013 ; de même le secteur cosmétique avec Kiko arrivé en France, il y a 4 ans, qui dispose aujourd’hui d’une centaine de boutiques. Ces enseignes font le choix de mettre tout leur savoir-faire dans le produit, de négliger l’accessoire, et de limiter les coûts notamment de marketing et de communication afin de proposer des prix bas. Selon une étude menée fin 2013, Primark se situe ainsi sur deux produits phares (jean basique et tee-shirt médian), 37 % au-dessous de la moyenne des principales enseignes de textile et devient la nouvelle référence [1].

Dans la distribution alimentaire la guerre des prix s’est accentuée sur plusieurs fronts.

La compétition entre discounteurs et GMS traditionnelles s’est faite plus vive. Selon Patricia Coutelle-Brillet et Arnaud Rivière [2] dans un contexte où le pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations des ménages ces dernières ont déployé de nouvelles stratégies en s’intéressant davantage à la problématique prix. Les deux types d’enseignes ont eu tendance à mettre en place des stratégies de prix hybrides EDLP/Hi-Lo (Every day low price réservées habituellement aux hardiscounteurs et High-low prices pratiquées habituellement par les enseignes classiques).

Les enseignes traditionnelles ont choisi de mener des politiques tarifaires agressives [3] notamment en développant les marques de distributeurs et les offres premiers prix et en multipliant les campagnes de publicité comparatives. La guerre des prix entre les principales enseignes a été constante pour maintenir leurs parts de marché et a conduit afin de mieux négocier les prix au rapprochement des centrales d’achat système U- Auchan et Casino-Intermarché à l’automne 2014.

D’autres initiatives voient le jour comme l’apparition des « fruits et légumes moches » chez Intermarché en 2014, consistant à proposer à moindre prix des produits hors calibre, initiative reprise ultérieurement par les concurrents.

De son côté, Géant casino souhaitant améliorer son image-prix, s’est converti aux prix ronds sur 10 000 articles (3, 4 ou 9 euros) après avoir mené des baisses de prix drastiques ces deux dernières années notamment sur ces produits MDD.

Sur l’ensemble des secteurs, les pratiques promotionnelles se sont intensifiées en magasin physique et plus encore sur internet. A titre d’exemple, en 2013, dans l’habillement près de 40 % des achats concernent des soldes ou des promotions sur l’ensemble des circuits soit plus 15 points depuis l’année 2000 [4] et 55 % des ventes sur internet concernaient déjà des soldes ou des promotions en 2010. Des enseignes telles que Darty qui historiquement se refusaient à pratiquer les promotions ont fini par en proposer. Les pratiques des commerçants, déstockage fréquent , ventes privées à prix réduit réservées à la clientèle fidèle et développement de sites de vente en ligne à prix réduit tels que « Ventes privées » ont élargi le recours aux promotions à tous les secteurs et à toutes les catégories de clients.

L’évolution technologique a eu pour effet d’améliorer pour les distributeurs la connaissance qu’ils ont des consommateurs, de leurs réactions face à l’annonce d’un prix et permis la mise en œuvre aisée de prix différenciés et de pratiques promotionnelles individualisées.

Les places de marché telles que Amazon, Price minister, Cdiscount sont expertes de ce type de pratiques. Les prix peuvent être testés sans risques, le « retargeting » qui consiste à envoyer une proposition commerciale à un client potentiel qui a montré son intérêt en naviguant sur un site internet est fortement utilisé et le prix adapté à l’intérêt que semble porter le client potentiel au produit. Les politiques promotionnelles sont ciblées en fonction des caractéristiques individuelles. Des coupons de réduction sont mis à disposition des consommateurs qui y sont sensibles, les ventes flash qui mixent réduction de prix et pression temporelle se développent.

Internet a également facilité le développement du yield management dans les secteurs de services tels que les transports et l’hôtellerie, donnant lieu à des écarts de prix très importants comme par exemple sur les trajets TGV à la SNCF. Cet outil de gestion permet en effet de rentabiliser de façon optimale des capacités limitées. Il repose sur une segmentation de la demande et une modulation tarifaire en temps réel en fonction des capacités restant disponibles.

 II- La perception des prix : un processus crucial, complexe, source de biais et questionnant la notion de justice

Dans un contexte de tension budgétaire pour les ménages et d’arbitrages nécessaires, le prix est particulièrement important pour les consommateurs. D’après la dernière étude Cetelem [5] 8 européens sur 10 déclarent « être plus attentifs aux prix qu’avant la crise et « faire d’avantages d’achats malins ». Dans le cadre d’une étude menée en France en 2014 auprès de 800 acheteurs interrogés en rayon sur leurs critères de choix d’un magasin hormis la proximité, le prix est le premier critère cité (26 % des répondants) suivi par le large choix (25 %) puis les promotions (17 %).

Par ailleurs les pratiques des entreprises consistant à communiquer de manière excessive sur des prix toujours moins élevés que ceux des concurrents et sur des réductions de prix permanentes aboutissent à une certaine perte de repères pour les consommateurs et risquent d’être dommageables à plus long terme. Les consommateurs particulièrement sensibles au prix (d’après Diller et Ivens « l’intérêt pour le prix est défini comme le besoin de chercher de l’information sur les prix et d’en tenir compte lors de la décision d’achat ») font par ailleurs preuve d’une certaine méconnaissance des prix. La mémorisation y compris immédiate des prix est faible et d’après cette même étude en baisse ces dernières années. Seuls 29 % des consommateurs connaissent le prix d’un produit qu’ils viennent d’acheter. Plus encore, une étude de 2014 [6] montre que les français ne perçoivent pas les baisses de prix survenues dans la grande distribution. Alors que la baisse effective des prix représente 0,81 % sur un an au moment de l’étude, 17 % des personnes interrogées pensent que les prix sont restés stables, 48 % qu’ils ont un peu augmenté et 35 % qu’ils ont beaucoup augmenté.

La perception des prix, comme tout phénomène de perception, est complexe et ne reflète pas toujours des caractéristiques objectives. Elle est éminemment subjective, dépendant de caractéristiques individuelles mais aussi contextuelles. La compréhension des processus en jeu et des indicateurs utilisés par les consommateurs lors de l’évaluation des prix des produits ou de l’image prix des enseignes est nécessaire.

Le concept d’image prix constitue l’une des dimensions de l’image d’un point de vente. Celle-ci est particulièrement importante dans la grande distribution. En effet, les produits proposés étant en grande partie les mêmes d’une enseigne à l’autre, le choix d’une enseigne en dehors des contraintes d’accès est souvent lié à l’image prix. Ce concept correspond à la façon dont une enseigne ou une marque est perçue par les consommateurs en termes de prix. Différentes études mesurent régulièrement l’image prix des enseignes. Celle menée par Audirep à l’automne 2014 montre que les consommateurs ont une idée fausse des prix des grandes et moyennes surfaces. Leclerc est l’enseigne ayant la meilleure image prix parmi les hypermarchés ce qui correspond à la réalité mais la comparaison entre l’indice prix réel et l’indice prix perçu montre un écart favorable à l’enseigne Auchan et défavorable à Géant Casino.

Les premières définitions de l’image prix l’assimilaient à la cherté globale du point de vente. Patricia Coutelle-Brillet [7] identifie trois dimensions de l’image prix dans la distribution alimentaire. La première dimension est nommée « sécurité prix ». Elle correspond au fait pour les consommateurs de rechercher les prix les plus bas possibles au sein d’une enseigne sans regarder la qualité ou la marque. Ce niveau de prix inférieur aux enseignes concurrentes doit être homogène. La deuxième dimension est représentée par le rapport qualité prix des produits. Elle est nommée « bonnes affaires ». La troisième dimension correspond au panier acheté par le consommateur, il s’agit d’une dimension « budget ». Pour cette dernière dimension, un mécanisme compensatoire peut intervenir, certains produits étant plus chers, d’autres moins chers que chez les concurrents. L’important est la dépense globale. Ces différentes dimensions contribuent plus ou moins à la formation de l’image prix selon les types de point de vente et les caractéristiques individuelles des consommateurs telles que la sensibilité au prix, l’implication et le degré de fréquentation du point de vente.

L’étude menée en 2014 par IRI a permis d’interroger les clients sur les indicateurs prix. Les résultats montrent un score écrasant pour l’item « montant de votre caddie final » avec 75 % de réponses positives. L’item « promotions intéressantes » obtient 37 % de réponses positives, « un grand nombre de promotions » 30 % de même que le « large choix de petits prix ».

Le processus d’évaluation des prix proprement dit fait intervenir la notion de valeur perçue. La valeur perçue par l’acheteur résulte de la comparaison entre les sacrifices perçus (argent, temps, effort, risque encouru…) et les bénéfices ou avantages associés à l’achat (utilité de la transaction) au magasinage (valeur utilitaire et valeur hédonique) et à la consommation ou expérience (valeur d’usage ou utilité de l’acquisition) du produit. Le sacrifice que l’acheteur est prêt à faire dépend donc de plusieurs éléments.

L’utilité de l’acquisition du produit est fonction de la valeur attendue du produit et d’autres valeurs complémentaires, mais aussi des substituts disponibles sur le marché. L’acheteur est dans ce cadre limité par son pouvoir d’achat. Cette utilité d’acquisition est liée à la qualité ou performance perçue du produit. Pour qu’un consommateur accepte un sacrifice plus important il est nécessaire qu’il perçoive une qualité ou une performance supérieure et non simplement qu’elle existe objectivement. A contrario lorsqu’il ne dispose pas d’assez d’informations le consommateur peut s’appuyer sur le prix pour déterminer la valeur. Par exemple, Ariely a montré au travers d’une expérience [8] concernant des analgésiques que le prix peut devenir lui-même un indicateur de la valeur et auto déterminer la volonté de payer : les doses à 2,50 $ étant déclarées plus efficaces que les doses à 0,10 $. Pour les auteurs, le prix est alors générateur d’utilité, il fait partie intégrante du produit en intégrant une promesse.

L’utilité de la transaction mesure le fait que le consommateur ait le sentiment de faire une bonne affaire. Ce type d’utilité permet d’expliquer l’achat spontané de produits en promotions dont les consommateurs n’ont pas forcément l’utilité (usage) et à l’inverse peut freiner l’achat d’un produit pourtant très utile au consommateur. L’écart entre le prix affiché et le prix de référence est un levier important de motivation ou de démotivation d’achat.

La détermination de cette valeur perçue passe donc par la connaissance des prix par les clients. Cette connaissance peut se fonder sur la mémoire ou résulter d’une recherche d’information. Lors du processus d’évaluation, l’acheteur va comparer le prix du produit proposé au prix de référence externe (PRE) s’il est établi à partir de l’observation de l’environnement (publicités, prix de produits similaires), interne (PRI) s’il est stocké dans sa mémoire (dernier prix payé pour le même produit, prix espéré…). Pour Pierre Desmet et Monique Zollinger il existe dix formes de PRI [9] : le prix espéré, le prix payé antérieurement, le juste prix, le prix rappelé, le prix de réserve (maximum que la personne est prêt à payer), le prix attendu, le prix futur attendu, le prix de marché normal, le prix le plus haut et le prix le plus bas, les prix contextuels. M. Zollinger précise que les facteurs d’environnement (promotions, prix de référence externes crédibles et marques ont un impact sur le prix de référence interne).

Le consentement à payer (CAP) est le prix maximum qu’un acheteur consent à payer pour une quantité donnée d’un bien ou d’un service. De nombreuses variables manipulables par les manageurs peuvent influencer le consentement à payer. Il est différent d’un individu à l’autre et peut donc servir de base dans le cadre des pratiques de prix individualisés.

Dans leur ouvrage « psychologie des prix » E. Trevisan et F. Jacquet s’appuient sur les travaux menés en économie comportementale notamment par Daniel Kahneman, Richard Thaler et Amos Tversky sur les stratégies mentales de simplification, de sélection et de traitement des informations incomplètes pour remettre en cause la rationalité des consommateurs dans leurs prises de décision et mettre en évidence les biais d’évaluation lors des décisions d’achat et de l’appréciations des prix.

Les biais d’évaluation reposent sur la représentativité, la disponibilité et l’ancrage. L’effet représentativité consiste à surévaluer les probabilités d’occurrence d’un évènement par effet d’association (du fait d’une ressemblance avec des caractéristiques) sans tenir compte des réalités statistiques. L’effet disponibilité est lié à la facilité avec laquelle on peut se rappeler ou imaginer quelque chose. L’effet d’ancrage quant à lui est lié au fait que l’on évalue par rapport à une valeur de référence et que différentes valeurs de références vont donner lieu à différentes valeurs finales.

Ces différents biais vont avoir une influence sur l’évaluation des prix faite par le consommateur.

Kalwani et Yim [10] ont étudié l’impact de la fréquence des promotions sur une marque et l’importance de ces remises sur la volonté de payer de ses consommateurs. Leurs conclusions montrent que la volonté de payer pour une marque diminue lorsque la fréquence des offres promotionnelles augmente. En effet lorsqu’une marque fait trop souvent l’objet d’offres promotionnelles, les consommateurs s’attendent à bénéficier de cette remise chaque fois qu’ils se rendent en magasin, sont déçus si ce n’est pas le cas et cela peut diminuer leur probabilité d’acheter la marque.

La fidélité à une marque a également une influence sur les évaluations. En effet les clients fidèles à une marque ont tendance à utiliser cette marque comme référence lorsqu’ils réalisent des comparaisons de prix.

Le contexte d’achat influence le prix de référence. Thaler a mené sur ce point une expérience consistant à interroger les participants sur leur consentement à payer pour une bière alors qu’ils sont installés sur la plage dans deux cas de figure. Le produit est identique de même que le contexte de consommation, seule la situation d’achat qu’ils n’expérimentent pas diffère. Un ami va chercher cette bière soit dans une petite épicerie soit dans un hôtel de luxe à proximité. Du point de vue de la théorie du choix rationnel les réponses auraient dues être identiques or le prix moyen consenti est près de 2 fois supérieur pour l’achat à l’hôtel.

L’évaluation des remises fait elle aussi apparaitre des biais. La valeur de la remise est perçue et mesurée relativement au prix d’origine. Pour l’illustrer, Enrico Trevisan et Florent Jacquet rapportent l’expérience menée par Tversky et Kahneman concernant l’achat simultané d’une veste et d’une calculette. Pour un même prix final réduit de 5 euros soit 135 euros au lieu de 140, 68 % des participants sont prêts à marcher 20mn pour obtenir cette remise si celle-ci est présentée comme liée à un produit valant 15 euros au départ mais seulement 29 % dans le cas où elle est associée au produit valant au départ 125 euros. L’effort et la réduction obtenue sont identiques. La rationalité voudrait que le consommateur compare simplement 5 euros au temps et à l’effort nécessaire pour obtenir ces cinq euros ce qui n’est pas le cas. La présentation des prix et des promotions que ce soit graphiquement en libre-service ou dans le cadre de l’argumentation d’un vendeur a donc des conséquences importantes sur la perception qu’en auront les clients.

Selon la configuration des gammes et des prix l’acheteur va modifier son référentiel. Dan Ariely en fait une démonstration en se basant sur l’exemple d’un abonnement à un hebdomadaire. Dans un premier cas, trois options sont proposées : un abonnement internet à 59 $, un abonnement papier à 125 $ et un abonnement combiné à 125 $ également. Dans cette présentation, le coût de l’abonnement internet est nul pour ceux qui avaient l’intention d’acheter une version papier. 16 % des participants ont choisi la version internet et 84 % la formule combinée. Dans un deuxième cas, seules deux options sont présentées : l’abonnement internet et la version combinée. Les choix des étudiants ont été totalement différents puisque 32 % seulement ont choisi l’option combinée. La présentation a rendu la formule moins attractive.

Le cas du produit proposé gratuitement est également particulièrement intéressant dans la mesure où il modifie considérablement les préférences des consommateurs. Dans ce cas, la comparaison bénéfices attendus de l’achat /sacrifice (contrepartie monétaire) devient inutile. Il n’y a plus de calcul à faire et la décision d’accepter le produit à coût zéro devient évidente. Les offres illimitées sont à rapprocher de cette situation car les consommateurs perçoivent la consommation marginale comme gratuite. Mais Les stratégies de gratuité présentent certains risques. Tout d’abord elles ont pour effet d’attirer surtout les clients opportunistes (anti sélection) qu’il est ensuite difficile de faire acheter autre chose selon la technique des offres premium ou ventes croisées. Par ailleurs, il existe un risque de sous-estimation de la demande. D’après les auteurs, les banques ont créé un ancrage particulièrement difficile à faire évoluer en créant des offres en ligne gratuites.

E. Trevisan et F. Jacquet citent un autre point qui vient remettre en cause la théorie de la rationalité économique. Le mode de paiement envisagé pour l’achat d’un produit ou service et en particulier le découplage entre l’acquisition, l’utilisation et le paiement affecte la perception des consommateurs. Le découplage de l’achat et du paiement augmente le niveau de dépenses et l’usage de la carte de crédit diminue la mémorisation des sommes dépensées, il dédramatise l’acte de paiement et rend plus difficile l’individualisation des dépenses (dépenses mélangées sur le relevé de compte). Un paiement ultérieur influence généralement le consommateur de façon positive mais dans certains cas le paiement anticipé de type forfait pour une prestation loisirs ou abonnement à un club de gym peut être favorable à la consommation car il libère l’esprit.

Plusieurs auteurs ont également étudié l’effet de présentation des prix (forme et terminaison) sur la perception des consommateurs dans la mesure où les commerçants utilisent souvent une terminaison par 0, 5 ou 9. Les résultats sont assez peu convergents. On peut cependant retenir que Les terminaisons en 0 ou 5 sont plus facilement mémorisables et leur utilisation diminue l’effort des acheteurs. D’après Schindler et Kirby [11] un chiffre se terminant par 9 met en avant le gain offert au consommateur. En effet celui-ci percevrait un prix de 19 $ comme un prix de 20 $ incluant une remise de 1$. Une autre explication réside dans la façon dont sont traitées les informations soit sur la base de l’arrondi soit sur un principe de troncature. Dans ce dernier cas, les chiffres étant lus par la gauche, le prix perçu peut être très éloigné du prix réel un prix de 799 pouvant être codé comme 790 voire 700. Ozer et Philippe montrent que les consommateurs accordent plus d’importance aux chiffres de gauche lorsqu’ils comparent deux prix. De leur côté, Coralie Damay, Nathalie Guichard et Amélie Clauzel ont comparé les effets de forme et de terminaison de prix sur les enfants, les adultes actifs et les adultes non actifs. Il en ressort que les enfants ayant une expérience commerciale plus limitée que les adultes et concernant quasi exclusivement des produits aux prix peu élevés recherchent des prix faciles à traiter (ronds ou à terminaison nulle). Les commerçants pourraient donc envisager de proposer des prix ronds pour ce type de produit. En ce qui concerne les adultes, ils plébiscitent les prix ronds pour les produits à forte valeur unitaire. Le choix fait par l’enseigne Casino de communiquer sur de nombreux prix ronds peut ainsi se justifier par la volonté de limiter le recours au calcul, et faire référence à un achat plaisir.

L’étude de la perception des prix mérite également que l’on s’interroge sur la notion de prix juste ou de prix injuste. En effet, le sentiment de justice ou d’injustice peut avoir une influence sur la décision d’achat. Pour Desmet, la perception d’injustice à l’égard d’un prix est déterminante dans l’acceptation du prix. Une étude menée par le Credoc [12] permet de préciser certains éléments. Pour Kahneman, le prix juste est le prix de référence. Pour d’autres auteurs, la perception du caractère juste du prix dépend de l’origine de l’écart. Celui-ci doit être raisonnable, acceptable ou justifiable. Cela renvoie à deux types de justice : distributive et procédurale. La justice distributive se fonde sur la proportionnalité entre les contributions des parties (pour les clients efforts consentis en argent, temps, risque / pour l’entreprise coût du produit) et leur rétribution (performance produit/marge). La justice procédurale porte sur les procédures qui ont donné lieu à la répartition des gains.

La littérature s’intéresse dans les faits plutôt au prix injuste. Pour Xia Monroe et Cox, la perception d’injustice a un effet négatif sur l’intention d’achat et le bouche à oreille tout en influençant les plaintes. Dans les magasins, une faible équité perçue à l’égard des prix génère un souhait de changer de point de vente ou de se plaindre auprès du manageur (Huppertz, Arenson et Evans 1978 [13]). Cette attitude peut être rapprochée des comportements actuels des clients face aux tarifications différenciées selon les canaux de distribution d’une enseigne multicanale.

L’enquête menée par le Credoc en 2008 puis reprise par l’OBSOCO en 2014 fait apparaitre les résultats suivants :

Tableau N° 3 : « Selon vous, comment se définit le prix juste auquel vous trouveriez normal qu’un produit soit vendu ? » (1 réponse possible) (en %)

20052014
C’est le prix le plus bas possible 4,8 7
Un prix qui assure un gain raisonnable à son vendeur 11,9 14
C’est le prix généralement constaté pour ce type de produit 4,3 6
C’est le prix qui assure une rémunération satisfaisante aux salariés et permet d’assurer la protection de l’environnement 40,3 28
C’est le prix qui assure le meilleur rapport qualité-prix 37,8 39
NSP 0,8 -
Source : CRÉDOC, Enquête « prix juste », Septembre 2008 et OBSOCO 2014

Le prix est donc bien porteur d’une information sur la qualité. Le prix juste n’est pas le prix le plus bas possible mais celui qui maximise la valeur client (représentée par le rapport qualité/prix) pour près de 40 % des répondants. Ces deux items ont très légèrement augmenté en 2014 par rapport à 2008. La dimension distributive apparait au travers de l’item qui recueille le plus de suffrage en 2008, la dimension socialement responsable mais aussi par celui concernant la rémunération du vendeur. En ce qui concerne les considérations altruistes, on peut cependant noter une baisse significative même si les pourcentages de réponses restent élevés compte tenu du contexte actuel de tension sur le pouvoir d’achat.

Pour préciser cette notion, sept produits ont été testés en 2008 et en 2014. Pour chaque produit, les enquêteurs rappelaient le prix auquel il est généralement vendu. Aucun produit n’est considéré comme vendu à un prix totalement juste par une majorité des consommateurs.

Pourcentage de réponses « tout à fait juste » et « plutôt juste »
Prix 2005/2014 En 2008 En 2014
une voiture Logan/Dacia Sandero vendue à 7600/7900 euros. 80 77
une bouteille de Coca-Cola vendue 1,40 /1 euros le litre 32 61
un paquet de café Arabica Commerce Équitable vendu 2,5 / 3,5 euros 70 54
un menu "Best-of" de chez McDonald’s vendu 6,50 euros 34 45
un pack de 6 yaourts Actimel vendus autour de 3 euros 24 24
un téléphone iPhone d’Apple vendu autour de 500 / 700 euros 12 5
un jean Diesel vendu autour de 150/140 euros 10 4

En 2008, les prix de seulement deux produits sont considérés comme juste par une majorité de répondants : celui de la voiture et celui du paquet de café commerce équitable. Il est intéressant de noter que ces deux évaluations ne relèvent pas sur le plan de la justice de la même idée. L’évaluation de la voiture fait appel à des déterminants utilitaristes, la seconde à l’adhésion à des valeurs, une dimension éthique. En 2014, on retrouve ces deux produits parmi ceux jugés justes mais la dimension éthique recueille malgré tout moins de réponses positives. Par ailleurs, le score obtenu par la bouteille de Coca cola dont le prix a beaucoup baissé est en forte augmentation de même que le menu « Best of » alors que l’Iphone et le jean Diesel déjà très bas chutent encore.

L’étude menée par l’OBSOCO faisant ressortir l’importance du rapport qualité/prix dans le contexte actuel, l’observatoire a mené un test pour vérifier l’influence de l’aspect qualité face au prix dans le contexte de l’achat d’un lave-linge (un modèle à 599 euros et un modèle à 999 euros ont été présentés). 90 % des consommateurs choisissent le modèle le moins cher sans mise en avant particulière. Lorsque des signaux de qualité tels que le lieu de fabrication et la durée de la garantie sont soulignés plus de 20 % optent pour le modèle le plus cher.

Quatre auteurs [14] ont analysé la valorisation par les consommateurs de promotions-prix sur des produits équitables dont les « justes prix » sont censés garantir une juste rémunération des petits producteurs. Si la promotion prix est trop avantageuse elle ne permet plus au consommateur de retirer une expérience affective de l’utilisation de la promotion. On peut supposer que cela résulte d’une inquiétude quant au maintien du juste prix censé garantir une juste rémunération. Une promotion mesurée permet cependant d’accroitre le volume de ventes. Une réduction immédiate de 1 euro pour l’achat d’un lot de trois produits équitables (d’environ 2,5 ou 3 euros chacun) semble un levier d’action efficace.

Les pratiques de tarification différenciées et notamment le yield management ont suscité également des questionnements en lien avec la notion d’injustice. Si l’optimisation du revenu est l’enjeu majeur du yield management, Sandra Camus, Lubica Hikkerova et Jean Michel Sahut [15] ont cherché à mesurer les enjeux en termes d’image de l’entreprise. Ils rappellent que la valeur perçue d’une transaction est généralement positive lorsque le client bénéficie d’un prix diminué et négative lors d’une transaction désavantageuse (lorsqu’il paye le prix fort) mais que dans les deux cas le risque d’injustice perçu est élevé. Le client peut être satisfait d’avoir la chance de payer un service moins cher mais considérer cette situation comme injuste ce qui pourrait avoir pour conséquence d’amener des stratégies de riposte dans le but de punir l’entreprise. Les auteurs ont donc cherché à analyser l’influence du profil client d’une part et des caractéristiques de l’offre d’autre part sur la perception d’injustice. Deux caractéristiques clients avaient déjà été mises en avant : la non familiarité du client à l’égard du yield management et l’effort fait par le client pour obtenir un prix. L’étude menée montre que l’injustice perçue est moins forte lorsque les clients sont peu sensibles au prix, ont un pouvoir d’achat élevé ou consomment dans le cadre d’un voyage d’affaires. Par contre, l’injustice perçue augmente pour les clients détenteurs d’une carte de fidélité qui s’attendent à ce que leur fidélité soit récompensée. Pour éviter la déception de clients peu familiers avec le yield management, il est conseillé d’une part de ne pas être seul à pratiquer cette politique tarifaire et d’autre part de vérifier que les clients comprennent les prix pratiqués. Concernant l’impact des caractéristiques de l’offre, le yield management doit reposer, pour être perçu comme juste, sur une relation gagnant-gagnant entre l’entreprise et le client et équitable entre clients (justice distributive). Par ailleurs, l’aspect justice procédurale semble très important. Parmi les clients jugeant un scénario comme injuste, 22 % justifient leur réponse par un manque d’explications sur la variation de prix. Les procédures considérées comme injustes ou manquant de clarté conduisent à une perception de prix injuste. A contrario, la relation de confiance entre un vendeur et son client peut conduire à une meilleure acceptation d’un accroissement des prix. Enfin l’injustice perçue dépend de l’attribution de la responsabilité de la variation du prix. Lorsqu’un client s’attribue la responsabilité d’une variation de prix (par exemple lorsqu’il réserve à la dernière minute) cela réduit l’injustice perçue [16].

 III- Comportement clients malins, avisés et pratiques de consommations émergentes

Afin de regagner du pouvoir d’achat ou du moins de réduire les tensions en la matière les consommateurs ont peu à peu modifié leurs comportements et certaines pratiques tout d’abord marginales ont réellement émergé ces dernières années.

La recherche de bons plans est devenue un mode de consommation. Le smart shopping (achat malin) est le fait d’investir un temps et un effort considérable dans la recherche et l’utilisation des informations sur les promotions dans le but de réaliser des économies de prix [17]. Ce comportement associe les aspects ludiques et utilitaires du magasinage. L’aspect utilitaire est constitué de l’économie réalisée par rapport aux achats prévus, de l’utilité des produits achetés grâce à l’économie réalisée et de l’utilisation du prix comme indicateur de la qualité. L’acheteur malin prend par ailleurs plaisir à l’activité achat et est donc prêt à y investir du temps et de l’énergie. Il éprouve notamment un plaisir important dans la recherche de la bonne affaire. L’achat malin permet au consommateur de se sentir fier, compétant voire victorieux face aux entreprises. Les acheteurs malins connaissent le marché, sont très informés sur les produits ou les marques, connaissent les produits en promotion ou remboursés, savent où et quand les acheter et savent mieux évaluer le prix d’un produit. Ils mènent une recherche d’information intensive aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des points de vente en utilisant bien évidement activement les comparateurs de prix. Ils sont par ailleurs à leur tour fournisseurs d’information (produits, prix, lieux de vente) auprès des autres consommateurs notamment en initiant des discussions sur les réseaux sociaux ou répondant à des questions. Les brocantes et les magasins de seconde-main sont très fréquentés par les acheteurs malins de même que les soldes ou les sites de ventes à prix réduit en ligne. Les chercheurs ont identifié un groupe particulier de consommateurs chercheurs de bonnes affaires, opportunistes et particulièrement organisés, les Odiristes tenant leur nom de leur pratique qui consiste à détourner les offres de remboursement (ODR) faites par les entreprises dans le but de faire essayer un produit.

Selon une étude menée par Souad Djelassi, Isabelle Collin Lachaud et Philippe Odou, les professionnels constatent également un comportement plus avisé des consommateurs « Le Wise shopping ». Ceux-ci achètent toujours mais différemment. Le « wise shopping » vise à maitriser les dépenses en utilisant différentes tactiques destinées d’une part à restreindre les achats et d’autre part à diminuer le coût des produits achetés. Le wise shopping est donc défensif alors que le smart shopping est offensif. Le comportement du consommateur avisé est motivé par un besoin de sécurité. Il cherche avant tout à respecter son budget et raisonne en termes de perte. Il est méfiant vis-à-vis de la communication et n’achète des produits en promotion que si ceux-ci font partie de sa liste de course. Il peut par exemple comparer les prix des produits en s’aidant du prix au kg. Il évite d’acheter des produits superflus, évite les magasins ou rayons tentants et attend de l’ambiance du magasin qu’elle facilite l’achat mais ne suscite pas la tentation.

La « déconsommation » est évoquée comme une solution comportementale des consommateurs dans le contexte de baisse perçue de pouvoir d’achat. Gilles Séré de Lanauze et Béatrice Siadou-Martin [18] analysent les pratiques et motivations en lien avec les dimensions de la valeur perçue. Du point de vue du consommateur, la déconsommation peut se définir comme un comportement visant à réduire de façon volontaire sa consommation par la réduction des sommes dépensées ou des quantités, du fait de contraintes budgétaires, par réduction des besoins, par refus du gaspillage dans une démarche de qualité ou encore par transfert de consommation de certains produits vers d’autres. Il s’agit selon les auteurs de quatre formes de comportement traduisant des relations différentes au marché, recherche d’une allocation optimisée des ressources, de simplicité volontaire, de consommation socialement responsable ou encore de recours à d’autres modes d’échange pour donner une seconde vie aux objets. Ces comportements traduisent une certaine prise de distance par rapport aux stratégies des marques. Ils résultent pour partie d’une attitude critique à l’égard de la société de consommation qui peut donner lieu à des attitudes de résistance [19] mais peuvent également correspondre à la recherche de valorisations individuelles. Pour les auteurs, la déconsommation pourrait ainsi se comprendre comme « découlant d’une utilité perçue trop faible du produit au regard des coûts mais aussi comme résultant de la perception d’une valeur de plaisir, sociale ou spirituelle insuffisante procurée par le bien ou service consommé ». Dans l’étude qualitative menée, les motivations évoquées pour expliquer les pratiques de déconsommation sont multiples et l’on retrouve les quatre sources de motivation citées ci-dessus. Le premier groupe de motivation est en rapport avec les raisons économiques et financières afin d’optimiser un budget global et maintenir un pouvoir d’achat. Déconsommer revient alors à consommer moins ou moins cher grâce à la recherche de promotions, de bonnes affaires, au choix de produits sans marques ou encore au recours à d’autres circuits de distribution (discount, direct du producteur).

Jean-Pierre Lacour illustre ce dernier aspect dans le cadre de son étude sur les motivations et freins des consommateurs fréquentant les magasins de déstockage alimentaire [20]. Si ceux-ci sont apparus à la fin des années 70, ils se sont développés ces dernières années du fait de l’intérêt des consommateurs [21]. Ils proposent des produits en fin de vie avec des réductions de prix de plus de 30 %. Les magasins de déstockage et de démarque sont devenus (tous produits confondus) un lieu d’achat régulier pour 38 % des français dès 2009 (Enquête Ipsos). La majorité des consommateurs fréquente ce type de magasin « pour trouver des prix ». La recherche de prix bas est une nécessité pour certains mais d’autres souhaitent simplement réaliser des arbitrages entre leurs postes de consommation. Les motivations évoquées sont cependant à la fois économiques et hédonistes. Le plaisir associé à la « bonne affaire » est souvent cité. Ces magasins permettent aussi d’acheter des produits de marque que les consommateurs n’auraient pas pu acheter ailleurs. D’autres consommateurs préfèrent essayer de nouveaux produits, sans risque de le regretter compte tenu du faible prix. Les auteurs ont établi une typologie des acheteurs de produits déstockés. Les « occasionnels » connaissent mal les produits mais sont sensibles au prix. C’est le motif de la visite pour plus de la moitié d’entre eux. Les « habitués » viennent plus régulièrement pour voir les arrivages mais n’ont pas de véritable stratégie d’achat et fréquentent également les autres types de magasins. Les experts fréquentent prioritairement les magasins de déstockage pour leurs courses alimentaires et ont développé une « véritable expertise de l’achat à bas prix ». Ils profitent des tarifs réduits liés aux grandes quantités en utilisant la congélation. Ils font « la tournée » des magasins de déstockage dans un certain ordre puis complètent leurs achats par les hard-discounteurs pour finir par les magasins traditionnels. Les adeptes du déstockage ont un comportement qui relève de l’achat malin mais sont cependant plus méfiants vis-à-vis des promotions. Dans le même esprit, la pratique du déstockage par les grandes surfaces traditionnelles elles-mêmes qui soldent des produits frais proches de la DLC suscite un fort intérêt de la part des consommateurs permettant de combiner motivations économiques et éthiques (moindre gaspillage).

D’autres pratiques se développent en lien avec d’une part la nécessité de réaliser des arbitrages de consommation et d’autre part une évolution des valeurs des consommateurs pour lesquels la valeur d’usage remplace peu à peu la valeur de possession.

Une étude menée par L’OBSOCO à l’automne 2013 [22] et les enquêtes menées semestriellement par le Credoc mettent en évidence cette évolution des comportements vers de nouvelles formes de consommation collaborative. Ainsi près de la moitié des consommateurs ont eu une pratique de consommation collaborative en 2014 (47 %) [23]. Une typologie est réalisée. Dans le cadre de leur arbitrage, les Contraints (18 %) acceptent de rogner sur la qualité en achetant des produits d’occasion ou sur la quantité pour acheter plus d’autres produits. Les Utilisateurs (19 %) ne s’intéressent qu’à l’usage. Ils empruntent, louent et pratiquent le covoiturage car la consommation collaborative est le moyen économique d’assouvir une consommation vécue comme un plaisir. Parmi ces consommateurs Utilisateurs il y a beaucoup de jeunes, de femmes, d’urbains, de hauts diplômés et de classes moyennes supérieures. Les Redistributeurs (10 %) achètent des produits neufs qu’ils revendent ou troquent en fonction de la mode. Ce sont surtout des hommes, des jeunes et des résidents de grandes villes. Les pratiques de consommation collaborative sont en hausse entre 2013 et 2014 qu’il s’agisse de livres achetés d’occasion, loués, empruntés, échangés ou de produits électroménagers, de meubles, de produits audio-visuels de produits de jardinage ou de bricolage achetés d’occasion. Pour le Credoc, les perspectives faibles d’évolution du pouvoir d’achat de ménages ne feront « qu’amplifier et pérenniser ces changement de comportements de la part des ménages.

Selon la dernière enquête menée par LSA et MarketingScan les français attendent beaucoup des distributeurs en matière de pouvoir d’achat. L’enjeu sur le prix est primordial pour 53 % d’entre eux et 59 % pensent que les distributeurs détiennent entre leurs mains la solution pour faire évoluer leur pouvoir d’’achat.

Il est donc important pour les entreprises dans ce contexte sous tension d’accompagner les consommateurs dans leur évolution de comportement en développant par exemple des offres de location, ou de produits d’occasion en parallèle de produits neufs mais aussi de réfléchir à des formes de tarification sécurisantes pour les consommateurs comme l’abonnement pour les produits consommables leur permettant ainsi de maitriser par avance leur budget. L’amélioration de la communication pour mieux justifier le prix des produits notamment dans le cadre de pratiques de prix différenciés est nécessaire, qu’il s’agisse de la communication écrite ou des argumentaires développés par les personnels de vente ou encore d’améliorer globalement leur image-prix en renforçant une communication pédagogique.

Plutôt que de s’enfoncer dans une guerre des prix préjudiciable à tous par le biais d’une communication comparative excessive et de pratiques promotionnelles permanentes ayant pour conséquence la confusion et la diminution progressive des prix de référence, il semble possible pour les entreprises de trouver des pistes de valorisation, le prix le plus bas n’étant pas forcément le plus juste et l’aspect qualité-prix demeurant voire redevenant important pour les consommateurs.  

 Bibliographie

Sandra Camus, Lubica Hikkerova et Jean-Michel Sahut 2014 Décisions Marketing Numero : 73 L’injustice perçue à l’égard du yield management : antécédents et stratégies de réduction

Jean- Pierre Lacour 2014 Décisions Marketing Numero : 75 La fréquentation des magasins de déstockages alimentaire. Une nouvelle façon d’arbitrer ses dépenses.

Souad Djelassi, isabelle Collin Lachaud Philippe Odou 2009 Décisions Marketing Crise du pouvoir d’achat : les distributeurs face au wise shopping

Philippe Odou, Souad Djelassi et Bertrand Belvaux 2009 Décisions marketing N° 55 De l’achat malin au détournement de la promotion

Coralie Damay Nathalie Guichard Amélie Clauzel 2014 Management et avenir Effets de forme et de terminaison des prix : une comparaison enfants-adultes

Patricia Coutelle-Brillet Arnaud Rivère 2013 RFG Entre prix bas et nouvelles sources de différenciation

Gilles Séré de Lanauze Béatrice Siadou-Martin 2013 RFG n°230 Pratiques et motivations de déconsommation. Une approche par la théorie de la valeur

Florence de Ferran Blandine Labbé-Pinlon Cindy Lombart Didier Louis 2013 RFG n° 230 La valorisation des promotions prix sur des produits équitables

Patricia Coutelle-Brillet Marine le Gall-Ely Caroline Urbain 2013 RFG N° 230 Gratuité et prix, nouvelles pratiques nouveaux modèles

Enrico Trévisan et Florent Jacquet 2015 De Boeck Psychologie des prix « le pricing comportemental »

Marine le Gall-Ely Caroline Urbain 2009 Dunod Prix et stratégie Marketing

Kantar World panel Février 2015 Tendances de consommation et performances des enseignes généralistes

Yvon Merlière DG Crédoc dominique Jacomet DG IFM Juin 2014 Credoc Soldes : une pratique qui ne faiblit pas grâce à internet

Anne Corcos-philippe Moati Décembre 2008 Credoc La perception du prix juste par les français

L’OBSOCO Octobre 2014- focus Au-delà du prix le plus bas, une certaine recherche de qualité

L’OBSOCO Octobre 2013- étude Consommations émergentes

Marketing magazine Février 2015 Dossier le prix sacrifié

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Notes

[1L’épouvantail Primark. LSA Juin 2014

[2Patricia Coutelle-brillet et Arnaud Rivière. Entre prix bas et nouvelles sources de différenciation. Quelle stratégie pour les hard discounteurs ? RFG n°230 / 2013

[3Baisse des prix de 0,8% sur un an fin Août 2014 dans la grande distribution d’après l’Insee, baisse des prix de 3,1% des PGC et de 7% sur les grandes marques chez Auchan (source Auchan). LSA septembre 2014.

[4Crédoc Consommation et mode de vie juin 2014

[5Observatoire Cetelem 2015

[6Baromètre shopperscan effectué par IRI en rayon auprès de 800 shoppers en février et mai 2014.

[7Patricia Coutelle-brillet et Arnaud Rivière. RFG 230 Idem

[8Cité dans Enrico Trevisan et Florent Jacquet. Psychologie des prix. De Boeck 2015.

[9Cité par Caroline Urbain et Marine Le Gall-Ely- Dunod 2009

[10Cité dans Enrico Trevisan et Florent Jacquet. Psychologie des prix. De Boeck 2015.

[11Cité dans Enrico Trevisan et Florent Jacquet. Psychologie des prix. De Boeck 2015.

[12Synthèse source Credoc : La perception du prix juste par les français 2008 et enquête L’OBSOCO octobre 2014 citée par Marketing magazine

[13Cité par Sandra Camus, Lubica Hikkerova et Jean-Michel Sahut DM N°73 -2014

[14Florence de Ferran, Blandine Labbé-Pinlon, Cindy Lombart, Didier Louis RFG 2013

[15L’injustice perçue à l’égard du yield management : antécédents et stratégie de réduction. Décision marketing janvier 2014

[16Xia , Monroe et Cox 2004 Cité par Sandra Camus, Lubica Hikkerova et Jean-Michel Sahut DM N°73 -2014

[17Philippe Odou, Souad Djelassi et Bertrand Belvaux.2009 DM N° 55 De l’achat malin au détournement de la promotion.

[18Gilles Séré de Lanauze et Béatrice Siadou-Martin. Pratiques et motivations de déconsommation RFG 2013.

[19Définie par D. Roux comme « un état motivationnel qui pousse le consommateur à s’opposer à des pratiques, à des logiques ou des discours marchands jugé dissonants »

[20Jean-Pierre Lacour. La fréquentation des magasins de déstockage alimentaire. Une nouvelle façon d’arbitrer ses dépenses. Décisions Marketing Juillet septembre 2014.

[21Idem 300 magasins en France en 2009 pour le secteur alimentaire.

[22L’Obsoco Octobre 2013 Consommations émergentes

[23Credoc. Enquêtes consommation.

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