PRATIQUE REFLEXIVE EN SECONDE TERTIAIRE Article 1/2 : une posture de praticiens-expérimentateurs en classe de seconde famille de métiers.

, par Diab Fatima-Zohra, Kada ZOUAOUI

Nous avons fait le choix de proposer une série de deux articles dont ce premier étudiera la posture de l’enseignant praticien-expérimentateur dans sa classe et la méthodologie mise en œuvre à l’aune de l’expérimentation menée. Un second article étayera cette démarche, avec une approche empirique grâce aux données brutes qualitatives collectées et analysées.

Dans la formation professionnelle des métiers de l’enseignement, la notion de réflexivité a gagné du terrain. On la retrouve dans le référentiel des métiers du professorat mais elle est également visible dans celui du statut de formateur académique. C’est devenu une compétence certaine faisant consensus, et qui transparait en filigrane également dans des rapports internationaux bien connus (UNESCO, OCDE ou encore celui de l’Union Européenne) relatifs aux compétences qui doivent être enseignées au 21e siècle. Dans le système éducatif, son développement embrasse même les nouveaux référentiels de formation des élèves de certains baccalauréats professionnels de la filière économie gestion.

Ainsi, s’inscrivant dans une logique d’évaluation par compétences, on parle de plus en plus dans ladite filière, notamment de portfolios, d’incitations au développement des fonctions métacognitives de l’élève lors de dispositifs d’accompagnements personnalisés, ou encore de renforcement du degré d’autonomisation des apprenants dans leurs capacités à s’auto-évaluer.

Ces dispositions rattachées au développement de la compétence réflexive sont louables car elles se réfèrent à la recherche scientifique qui en a démontré les avantages pour le développement de l’élève/du sujet en situation de formation


Sophie Q. (2021). Réflexivité ?[Vidéo]. https://www.youtube.com/watch?v=h90fH8ifld8

Pour autant, le développement de cette compétence phare du 21 siècle est-il suffisamment accompagné dans les classes ? Quel dispositif pourrait permettre aux élèves de gagner en réflexivité et de pouvoir répondre aux exigences de certaines épreuves du domaine professionnel ? En partant d’un dispositif d’oralisation, nous nous sommes interrogés, en déployant une méthodologie de recherche, sur l’impact que peut avoir un tel dispositif sur le développement de la compétence réflexive chez l’élève. La classe seconde famille de métiers (famille de métiers de la relation client ; famille de métier de la gestion administrative, du transport et de la logistique) représente notre terrain de recherche.

Dans ce premier article, nous développerons d’abord notre cadre théorique en précisant les concepts clés utilisés avant de nous pencher sur l’analyse de la posture de l’enseignant praticien expérimentateur engagé en classe avec une méthodologie qui se veut ordonnée, rigoureuse et en phase avec le terrain professionnel.

 1) METHODOLOGIE DE L’EXPERIMENTATION MENEE :

Dans cette partie, nous nous efforcerons de présenter le constat partagé par nos pairs au sujet de la réflexivité puis les cadres théoriques et les auteurs convoqués pour la réalisation de cette expérimentation.

Dans ce diaporama, le lecteur trouvera une version plus concise de la méthodologie dépliée ci-après :

a) Cadre théorique :

Cette expérimentation permettant le développement de la pratique réflexive s’inscrit dans différents courants scientifiques. Nous retenons la psychologie avec les apports de la théorie du socio constructivisme de Lev Vykotski(1896-1934 ) selon laquelle le développement des fonctions psychiques supérieures chez l’individu est fondamentalement ancré dans ses dimensions historiques et sociales. Aussi, nous prenons appui sur les concepts développés par Nadine Faingold, issus de l’analyse de pratiques professionnelles : décentration et conscientisation. Enfin, dans la lignée des travaux proposés par Mme Faingold, nous avons puisé nos réflexions dans la technique d’entretien d’explicitation, œuvre de Pierre Vermeersch (1944-2000), à laquelle nous avons emprunté quelques bases théoriques, utiles pour la construction de notre dispositif.


b) Constat :

Tout d’abord, il convient de noter que la réflexivité est devenue un point central dans le développement des compétences professionnelles des élèves de seconde famille de métier de la filière économie gestion. En interrogeant un panel d’enseignants au sujet de la réflexivité, ces derniers s’accordent sur trois constats. Tout d’abord, ils notent que les élèves peinent à se positionner en posture réflexive dans les épreuves professionnelles qui exigent la mise en œuvre de cette démarche. Aussi, ils affirment que cette posture mentale n’est pas innée et demande de l’entrainement dès l’entrée en seconde professionnelle. Enfin, ils se sentent démunis face à l’accompagnement de cette compétence.


c) Définitions des concepts manipulés et problématisation :

Après lectures de quelques écrits scientifiques qui nous permettent de faire des connexions avec le dispositif que nous souhaiterions développer, il a été important pour nous de définir les concepts que nous allons manipuler avec les élèves. Tout d’abord, pour pouvoir être capable de les vulgariser dans notre communication aux élèves mais également afin de nous permettre in fine de donner de l’épaisseur à notre analyse qui se fait dans et en dehors du dispositif à travailler. Rappelons que selon le modèle de Schon (1984), la réflexivité se définit comme le fait de réfléchir dans l’action et sur l’action. Deux moments qui permettent au professionnel de travailler sa posture de praticien réflexif. Un deuxième concept a retenu notre attention, il s’agit de l’effet perlocutoire. Nadine Faingold (2014) le définit comme l’effet produit par la production de l’énoncé sur le co-énonciateur ou sur ses actes. Enfin, il convient de noter le troisième concept qui est le dénominateur commun à tous ces auteurs sus cités. Il s’agit du concept de conscientisation. C’est le fait de rendre conscient, alerter l’esprit. Cela va de pair avec le phénomène de décentration de Piaget (1985) : Déplacer son centre et comparer une action avec d’autres possibles. Ces étapes sont nécessaires pour amorcer la dynamique de problématisation, gage de réussite de l’expérimentation menée. En parallèle, aux lectures menées, aux observations du terrain professionnel, nous avons problématisé le projet en stabilisant notre objet de recherche. Nous sommes conscients qu’il faille également élucider notre posture de praticien expérimentateur pour éviter de biaiser les résultats mais aussi et surtout prendre conscience nous même de notre positionnement en classe et tout au long de cette expérimentation.


d) Le dispositif d’oralisation créé :

Ce protocole donne les contours d’un espace psychique que nous avons voulu cadrer au travers d’un contrat de communication (non-jugement, circulation de la parole, bienveillance, écoute). Ce protocole est composé de 10 étapes qui permettent aux élèves d’entrer petit à petit dans une phase d’analyse et d’interprétation de la situation professionnelle dépliée. Tout d’abord, nous avons opté pour un aménagement de la salle de classe en format U afin de faciliter les échanges et la communication. Le protocole est lancé, identifions ses composantes :

Classe : MRC 2 lycée Eugene Ronceray à Bezons (95870)

 2) ANALYSE DE LA POSTURE DE L’ENSEIGNANT EXPERIMENTATEUR EN CLASSE :

Le livrable (photo, article, vidéo…) constitue la partie visible de l’expérimentation. Il n’ échappe à personne que la partie cachée de l’iceberg importe tout autant. Elle pose en effet les fondations sur lesquelles l’expérimentateur bâtit son expérimentation, sa recherche. L’expérimentation soulève bien souvent des inquiétudes de la part des enseignants : références théoriques, temporalité, volume de travail dédié, modalités méthodologiques... En effet ils soulignent volontiers l’importance des expériences dans l’enseignement, mais pour autant ils déplorent des difficultés pour les conduire. Il est important dans cet article de remonter à la surface notre subjectivité avec un regard socio-clinique pour montrer qu’une posture expérimentatrice n’ouvre pas seulement à une trajectoire linéaire. Le doute, la sensation d’entre deux, l’incertitude, l’angoisse, les vas-et-viens sont autant de marqueurs forts du comportement d’une personne en voie d’expérimentation. C’est ce que nous avons vécu. Il est donc important de prendre conscience de ces effets pour tendre vers l’objectivation des données recueillies. Expérimenter c’est tout simplement décrypter notre environnement professionnel, un terrain fertile de nouvelles compréhensions.

Nous avons oscillé entre observations externes et internes au dispositif mis en œuvre. L’expérience menée nous a permis de conclure qu’il ne s’agit pas de deux moments totalement scindés. En effet, dans le cadre de notre méthodologie d’expérimentation, nous adoptons une posture de praticiens-expérimenteurs en observant dans et en dehors de notre dispositif établi. Ce sont deux positions en totale « interdépendance » (Ruth Canter Kohn, 2001, p.34).

Chacun de nous peut expérimenter, avec une organisation accessible et une méthodologie tirée du contexte de la classe. Nous œuvrons chaque jour dans un terrain fécond, abondant d’éléments de compréhension utiles autant pour les élèves que pour notre propre professionnalisation dans le métier de professorat.


Bibliographie :

  • Carine Dierckx. (2015). Réflexivité et épistémologie des pratiques : Enjeux pour la construction et la « résolution » des problèmes sociaux en travail social. Une discussion de D.A. Schön et de J. Dewey.
  • Faingold, N. (2014). Un dispositif d’analyse de pratiques centré sur la question que se pose le narrateur. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 3, pp 3-12.
  • Kohn, R. C. (2001). Les positions enchevêtrées du praticien-qui-devient chercheur. Dans Mackiewicz, M.-P. (Éd.). Praticien et chercheur. Parcours dans le champ social. (pp.15-38). Paris : L’Harmattan.
  • Paillé, P. Mucchielli, A. (2016). L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales. Paris : Armand Colin.
  • Perrenoud P. (2012). Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignement. ESF sciences humaines.11-80 et 101 à 145
  • Le socio constructivisme de Masson D. (2017). 12 approche socio culturelle du socio constructivisme (Lev Vygotski) [Vidéo]. https://www.youtube.com/watch?v=9eoPWN_dGDk
  • L’entretien d’explicitation de Pierre Vermersch. P. (2020). L’entretien d’explicitation [Vidéo]. https://www.youtube.com/watch?v=3mJPKH1jnuY

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