Groupe, réseau et socialisation

, par Christophe Lechaptois

 Introduction :

« Pour que les hommes restent civilisés ou le deviennent, il faut que parmi eux l’art de s’associer se développe et se perfectionne dans le même rapport que l’égalité des conditions s’accroit ». Il est plutôt singulier de faire référence à ce passage d’Alexis de Tocqueville dans son texte « de la démocratie en Amérique » publié en 1840, pour faire état du déterminisme des interactions entre les hommes sur la socialisation. Il est aussi intéressant de rappeler que 50 ans plus tôt, en 1791, la loi Le Chapelier et le décret d’Allarde supprimaient les corporations. L’objectif de l’époque était d’effacer tout aspect contraignant, toute rigidité en lien avec une quelconque organisation hiérarchisée, considérée contraire à la liberté du travail, à la liberté du commerce et de l’industrie. Avec comme conséquence malheureuse, la destruction des usages et coutumes de ces corps.

Ce rappel historique inscrit le thème de notre réflexion : d’un côté, les corporations, groupes hiérarchisés, au sein desquels chaque membre est défini par ses caractéristiques, son statut et son rôle, groupes capitalisant un savoir semble-t-il réservé exclusivement à ses membres. De l’autre, le développement de réseaux d’échanges commerciaux que le pouvoir politique d’alors souhaite encourager. Le réseau ainsi formé apporte la richesse - bien public - partagée entre tous, laquelle richesse véhicule la paix.

Cet exemple n’est pas là pour opposer les deux entités collectives que sont le groupe et le réseau. En effet tout individu est inscrit, avant même sa naissance, dans ses groupes familiaux, sociaux et culturels. Il en hérite des histoires, des valeurs, qui le constituent comme sujet du groupe familial et social, avant de devenir un sujet en soi. Le groupe, ensemble d’individus dont les activités convergent vers un but commun est ainsi le transmetteur des normes et des valeurs. Mais l’individu n’interagit pas uniquement avec les membres des groupes auxquels il appartient. Premièrement, de nombreux groupements d’individus existent et ne peuvent être qualifiés de groupes sociaux lorsque les personnes se retrouvent par hasard. Dans d’autres collections d’individus, ceux-ci entretiennent des relations, avec un objectif individuel mais sans objectif commun. Ils se retrouvent exclusivement pour échanger, Ils sont simplement en inter-relation, en réseau, situation que Barnes en 1954 qualifie de réseau social. Dans ces deux contextes le processus de socialisation se veut tout d’abord celui de l’acquisition de codes résultant de transactions entre l’individu et l’entité collective (transmission des normes et des valeurs pour le cas d’un groupe). Mais c’est aussi le siège d’un apprentissage au gré des interactions répétées entre individus qui se prolonge tout au long de la vie (Bandura). Depuis Barnes, le recours à la notion de réseau pour désigner des ensembles de relations entre personnes ou entre groupes sociaux, s’est largement répandue. Mais c’est surtout l’explosion de la diffusion des technologies de l’information et de la communication qui a permis le développement fulgurant des réseaux sociaux en ligne.

Sans nous arrêter sur le succès de Facebook, nous pouvons nous interroger sur le rôle de ces deux contextes sociaux différents : le groupe d’un côté, le réseau de l’autre dans la socialisation des individus. Si la socialisation est déterminée par les contextes sociaux dans lesquels s’inscrivent les individus, Il nous importe dès lors de savoir comment se positionne l’individu dans ces contextes : est-il « agi » par eux ou acteur de sa socialisation ? Il nous importe également de savoir comment l’individu va se servir de ces instances sociales pour acquérir les codes et procéder à l’apprentissage, les deux étapes de la socialisation. Il est en outre intéressant de préciser la nature de cet apprentissage et comment l’individu va en tirer profit, conjuguant ainsi le produit des échanges obtenus avec le capital préalablement constitué.

Dans une première partie, nous allons évoquer les fondamentaux du processus de socialisation au travers du groupe ou du réseau, nous réfléchirons ensuite aux enjeux de la socialisation propres au réseau.

I. De la socialisation prescrite à la socialisation construite
A. De la transmission des règles au sein des groupes
B. À la socialisation par l’apprentissage et la construction du capital social

II. Les enjeux de la socialisation par le réseau.
A. La socialisation professionnelle, valorisation économique du capital social
B. La socialisation vise à développer les liens sociaux d’amitié ou de solidarité

 I. De la socialisation prescrite à la socialisation construite

Comment nous appelons-nous, d’où venons-nous, quelle est notre religion ? Ces informations nous permettent d’établir un aspect de notre identité sociale. La transmission de normes et de valeurs par le processus de socialisation, permet ainsi de nous identifier à une catégorie sociale particulière. Pourtant, d’une génération à l’autre, les croyances, les valeurs, les manières de vivre évoluent, conséquence du processus de socialisation comme suite d’interactions au gré des apprentissages.

A. De la transmission des règles au sein des groupes.

Pour Durkheim, la socialisation est un processus de transmission par la contrainte extérieure, fondé sur une autorité et un sentiment du sacré. Cette contrainte permet d’inculquer à l’individu les comportements attendus. La socialisation que Durkheim identifie à l’éducation favorise et renforce l’homogénéité de la société. Dans ce cadre, l’individu est passif. Il s’apparente à une « cire » que la société - ici le groupe- modèle par l’intermédiaire des contraintes qu’elle lui impose.

Bourdieu, lui, envisage la socialisation comme processus d’intériorisation par l’individu des manières de faire et de penser propre à son groupe primaire (la famille, l’école).

Dubar, enfin, distingue la socialisation primaire et la socialisation secondaire par les groupes de pairs, médias et entreprises.

D’une façon générale, ces approches culturelles et fonctionnalistes caractérisent une socialisation contrainte, une identification sociale de l’individu aux valeurs du groupe. L’identité sociale nait de la conscience qu’a l’individu d’appartenir à un groupe ainsi que de la valeur et du sens qu’il attache à cette appartenance. Dans ce cadre, le groupe est une « collection d’individus qui se perçoivent membres d’une même catégorie, qui attachent une certaine valeur émotionnelle à cette définition d’eux-mêmes et qui ont atteint un certain degré de consensus concernant l’évaluation de leur groupe et leur appartenance à celui-ci » (Tajfel et Turner). Le regard et le jugement des autres renforcent cette conscience collective.

Alors que nous avons rappelé le rôle de la socialisation au sein du groupe, il est intéressant de revenir sur les conséquences de cette socialisation « prescrite ». La socialisation différencie les individus dans le groupe et d’un groupe à l’autre. D’une part, par besoin de simplification, les individus se classent naturellement, se catégorisent et cette catégorisation sociale définit finalement la place de chacun dans la société. D’autre part, la distinction entre les groupes auxquels on appartient (ou endogroupes) et ceux auxquels on n’appartient pas (exogroupe) a pour effet une perception biaisée des individus d’un groupe à l’autre. Nous exagérons les ressemblances intra catégorielles et les différences extra catégorielles. Nous avons une meilleure opinion à l’égard de notre endogroupe qu’à l’égard des exogroupes car nous connaissons mieux les membres de notre groupe que les autres. Ensuite, pour que la socialisation puisse être effective, la vie du groupe doit être assurée, son existence ne doit pas être remise en question. Festinger définit la cohésion du groupe comme la somme de toutes les forces agissant sur ses membres afin de les y maintenir. Ces forces sont de deux types : l’attraction que le groupe exerce sur l’individu et la satisfaction d’en faire partie. Plus le degré de cohésion du groupe est élevé, plus les membres en respectent les normes, et plus l’impact sur son efficacité est important.

Enfin, le groupe n’est pas seulement une collection d’individus, c’est aussi une collection d’individus qui interagissent. Même si ces interactions sont prescrites et contraintes par la limite du groupe, ces relations en permettent le fonctionnement et notamment celui du processus de décision. Pour Dubar, les membres d’un groupe entretiennent des relations régulières qui permettent de maintenir le lien social, ce qui est sa raison d’être. Qui plus est, lorsqu’on s’intéresse aux processus relationnels internes, aux phénomènes d’influence, qui guident les prises de décisions et les positions des membres, on constate que plus la taille d’un groupe est importante, plus les échanges d’idées, d’opinions et d’informations sont possibles et variés ; les prises de décision sont alors moins faciles. De manière générale, les affinités entre les individus et l’attrait pour l’objectif commun génèrent ou renforcent le sentiment d’appartenance au groupe. Quand ce dernier est valorisé, l’individu a une perception positive de son identité. Dernière contrainte et non des moindres, le groupe exerce une fonction de contrôle sur l’individu. En cas d’écart par rapport à la norme, celui-ci subit de la part du groupe une pression destinée à le convaincre, il est éventuellement rejeté, exclu par les autres. Le contrôle social vise en effet à assurer le respect des règles de la vie en société et à en sanctionner les transgressions (déviances).

Evoquer les interactions entre individus, est révélateur de la dynamique du groupe. Tajfel et Turner se sont, à ce propos, interrogés sur le contexte amenant les individus à adopter un comportement intergroupe, « produit par un ou plusieurs individus à l’encontre d’un ou plusieurs individus basé sur l’identification des protagonistes comme appartenant à différentes catégories sociales ».

En situation intragroupe, les interactions entre individus apparaissent entièrement déterminées par les caractéristiques des personnes et les relations entre elles. Leur appartenance à un groupe ou une catégorie quelconque n’affecte en aucun cas ces interactions. En situation intergroupe, les individus interagissent en tant que membres de l’un ou l’autre groupe et non plus en fonction de leurs caractéristiques personnelles.

Par exemple, les relations entre deux adolescents qui se rencontrent lors d’une fête seront déterminées par leurs caractéristiques individuelles ; ils parleront de leurs loisirs respectifs, des cours qu’ils suivent, de leurs goûts musicaux, etc. Ils observeront chacun les traits physiques et l’apparence vestimentaire de l’autre. En revanche, si ces deux mêmes adolescents se rencontrent à l’occasion d’un match de football, chacun jouant dans une équipe différente, leurs interactions seront davantage déterminées par cette appartenance. Ils interagiront davantage en tant que membre de leur équipe, vantant par exemple ses mérites, parlant des matches gagnés et perdus jusqu’ici, etc. En d’autres termes, dans ce cas, ce ne sont plus les caractéristiques des individus qui orientent le contenu des échanges, mais les caractéristiques de l’équipe à laquelle chacun d’eux appartient.

L’approche de la socialisation que nous avons abordée jusqu’ici, de type fonctionnaliste, est contrainte par la structure du groupe, définie comme ensemble d’attributs strictement individuels aux possibilités réduites. Les structures sociales groupales sont construites par agrégations d’individus aux attributs jugées similaires (les jeunes, les femmes, la famille, le groupe de travail…). Les frontières du groupe sont déterminées, ce qui limite les relations (liens forts) entre individus. D’une manière ou d’une autre, cette approche fonctionnaliste favorise la « reproduction sociale ». Elle n’élimine pas pour autant les possibilités de changement social, favorisé par la migration d’un individu vers d’autres groupes, les groupes de référence notamment. La socialisation ne peut s’envisager comme stable dans le temps. Elle est dès lors le résultat d’une dynamique. Piaget parle de socialisation comme construction coopérative où l’individu joue un rôle actif.

B. La socialisation par l’apprentissage et la construction du capital social : le cadre du réseau

Si l’on envisage les structures sociales en termes de réseaux, la socialisation consiste, en revanche, en un apprentissage favorisé par les interactions répétées entre individus. Cet apprentissage est contingent à la structure du réseau. Pour mieux comprendre comment il s’opère, il est important d’en étudier les facteurs.

Tout d’abord, rappelons au préalable que l’objet de l’analyse n’est plus l’individu et ses caractéristiques, mais les relations entre individus, leurs caractéristiques et leur dynamique dans le temps. Quelle structure sociale pourrait, mieux que le réseau, valoriser les relations entre les individus ? Ce n’est pas un hasard si la notion de réseau connait une popularité croissante à la mesure de l’imperfection de modèles où les acteurs sont réduits à leurs attributs individuels. Prenant l’exemple de la pauvreté, Simmel démontrait en 1908, longtemps avant Barnes, qu’elle n’était pas un attribut des individus mais une caractéristique produite par la relation d’assistance envers ceux que l’on qualifie de pauvres.

Le réseau est constitué d’un ensemble d’unités sociales et des relations que ces unités sociales entretiennent les unes avec les autres. Les unités sociales désignent les individus, les groupes formels ou informels. Les relations désignent tout type d’interaction entre les individus : les relations marchandes et non marchandes de biens et services, les échanges d’informations… A partir de là, on peut distinguer les réseaux personnels et les réseaux complets. Un réseau « personnel » est, pour Moreno, le système formé par les relations que l’individu entretient avec d’autres : « ensemble formé d’un individu, des individus qui sont en relation directe avec lui, et des relations que ces individus entretiennent les uns avec les autres ». Quant au réseau complet, de taille restreinte, il est délimité par les mêmes frontières qui limiteraient le groupe. Le réseau personnel semble ouvert, le réseau complet est fermé.

La différence entre réseau complet et groupe tient à la caractérisation de ses relations et non de ses membres. Pour être clair, Il existe une différence majeure entre un groupe et un réseau social : dans le premier cas, en tant que membre, vous savez immédiatement ce qui se passe dans le groupe. Tandis que dans le cas du réseau, il ne se passe rien sans « amis ». Pour exemple, des étudiants débutants décrivent la disparition de leurs réseaux relationnels qu’ils avaient constitués lorsqu’ils étaient au lycée. « Au lycée, tout le monde se connait. A l’université, personne ne nous connait et on ne connait personne ». En effet, leurs camarades de lycée sont partis dans diverses formations, dans des endroits différents ou au même endroit mais à des horaires différents. Les rencontres ne sont pas faciles et restent superficielles. A cette occasion, les jeunes élaborent un nouveau réseau, une nouvelle étape de la socialisation débute et s’envisage comme apprentissage né des interactions entre individus rencontrés.

A partir du postulat caractérisant les acteurs sociaux par leurs relations plutôt que leurs attributs, l’analyse structurale des réseaux permet de revisiter les concepts sociologiques. Ce qui est nécessaire pour comprendre l’apport du réseau sur la socialisation.

Pour commencer, l’utilisation des schémas fait partie des outils de l’analyse de réseaux. Moreno a pour cela élaboré un instrument de représentation : le sociogramme, permettant de figurer la position qu’occupe chaque individu.

A la question « combien d’amis a-t-on ? », la réponse - malaisée - a le mérite de distinguer les relations qui sont souvent mises en œuvre (les amis proches), des relations qui ne le sont que très rarement (les connaissances), caractérisant ainsi la force des liens.

  • Granovetter, considéré comme l’un des principaux représentants de la sociologie des réseaux a qualifié les liens qui unissaient les individus d’un réseau : Les liens forts sont ceux que l’on a avec des « amis » proches (il s’agit de relations soutenues et fréquentes), les liens faibles avec de simples connaissances. Friedkin, quant à lui, a défini précisément ces liens. Quand dans une paire donnée d’individus, l’un des deux seulement déclare à l’autre ce qu’il fait, le lien est faible. Quand chacun des deux parle à l’autre de ce qu’il fait, le lien est fort. Mais les liens faibles ont une force : une fois activés, ils permettent d’entrer dans d’autres réseaux sociaux. Un vendeur par exemple aura intérêt à utiliser la force de ses liens faibles s’il souhaite développer ses ventes.
  • Dans un réseau, un lien peut être redondant entre deux individus si un autre lien, par voie détournée, lui procure les mêmes informations. C’est l’exemple des relations triangulaires. La multiplication des liens (augmentation de l’efficience) n’améliore pas l’efficacité. Pour un commercial par exemple, il vaut mieux ainsi développer un réseau efficient non redondant pour une même efficacité de ses ventes. Mais si l’absence de redondance est souhaitée, elle n’est pas toujours possible. C’est le cas dans des réseaux trop petits (peu de contacts), ou dans des réseaux trop denses (les personnes sont trop fortement interconnectées entre elles). Et c’est sans compter par ailleurs, sur la présence de « bruits » qui accompagnent la communication entre deux personnes : l’information transmise se dégrade et aboutit à une efficacité moindre. La redondance peut éviter cette déperdition d’informations.
Exemple des relations triangulaires

http://edbrenegar.typepad.com/leading_questions/2011/06/the-future-of-trust.html

  • La théorie de la force des liens faibles débouche sur la théorie des trous structuraux (Burt). Dans une relation triangulaire, un trou structural correspond à une absence de lien entre deux des trois protagonistes (schéma ci-dessus). L’individu au centre du réseau (dans notre schéma ci-dessous le broker ou pont local) possède l’information de qualité, inconnue de l’un des deux réseaux, il contrôle la mise en relation des deux autres. Il peut décider quand et à qui il transmet l’information. Bref, il est en situation de pouvoir, il est acteur de son apprentissage. Qui plus est, il maitrise le réseau, et peut le valoriser.
Théorie des trous structuraux

http://petewarden.typepad.com/searchbrowser/2008/05/how-social-netw.html

Pour résumer, à nombre de relations identiques, un réseau comportant davantage de trous structuraux est plus efficace en termes de gains issus des échanges et ceci a des implications immédiates en termes de management.

Alors que nous avons caractérisé les réseaux et défini les outils d’analyse, il est nécessaire à présent de préciser quelle est la nature de l’échange attaché aux relations entre individus, quel est le contenu des informations véhiculées à travers les échanges, et en quoi ils peuvent déterminer l’apprentissage et la socialisation.

Les sciences sociales ont défini le capital social comme l’ensemble des relations sociales afférentes à un acteur. Pour certains, le capital social se transmet par la socialisation. Mead parle de la socialisation comme construction d’un Soi dans la relation à autrui, en tant que membre d’une communauté participant à son existence. Pour Percheron, la socialisation consiste en l’acquisition d’un code symbolique résultat de transactions entre l’individu et la société, entre le socialisé et le socialisateur. Ces transactions sont réciproques dès lors que l’on envisage les réseaux comme mise en œuvre de la sociabilité. Pour Simmel, il s’agit de « l’ensemble des relations qu’un individu entretient avec les autres, jeu sans contraintes au cours duquel on fait comme si tous étaient égaux ». Pour Tocqueville, c’est le « processus dans lequel tous les individus qui occupent des positions différenciées inégalitaires s’imposent des relations égalitaires ».

Deux approches découlent de la définition du capital social. La première envisage la perspective désintéressée de ces relations sociales à travers la notion de sociabilité que nous venons d’évoquer, la capitalisation portant sur l’augmentation du nombre de relations. La deuxième vision envisage, dans une perspective utilitariste, la valorisation de ces relations. Cela rejoint la proposition proposée par Bourdieu : « le capital social est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’interreconnaissance ». De nombreux auteurs ont donné leur définition de la notion de capital social. Nous retiendrons celle consensuelle de Mercklé, tenant compte des deux aspects présentés : « le capital social est constitué du réseau des relations sociales d’un individu et des volumes des différentes sortes de capital détenus par les agents qu’il peut ainsi atteindre et mobiliser pour son propre intérêt. »

Depuis 2005, les technologies de réseaux sociaux suivant le développement des technologies de l’information se sont déployées partout dans le monde et ont été adoptées par les internautes.

En avril
2010, le
journal
Les
Echos
indique
que
100 %
des
étudiants
américains ont un compte sur Facebook. Ces
technologies
ont
même
accompagné
certaines
mutations
 sociales
 et
 politiques
 de
 pays
 émergents. L’utilisation des réseaux sociaux sur Internet permet de développer très facilement et grâce aux technologies de la communication des nouvelles relations par rapport à la situation antérieure où il fallait faire la démarche de contact. L’utilisation des réseaux sociaux sur Internet a fait évoluer la socialisation. Une mise en relation prend considérablement moins de temps sur Internet et s’affranchit des distances. A titre de comparaison, dans les campagnes et sans technologie de communication, deux voisins peuvent être distants de plusieurs kilomètres. Dans ces conditions, les contacts ne sont guère fréquents. Sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare d’avoir des relations avec des individus vivant de l’autre coté de la planète. Cela n’a pas fondamentalement transformé la nature des liens de notre réseau personnel. Du moins a-t-elle permis sa densification. Comme l’a démontré l’expérience du « petit monde » conduite par Milgram en 1967 : à cette époque, deux individus, choisis au hasard parmi les citoyens américains, sont reliés en moyenne par une chaîne de six relations. Si cette expérience peut être considérée comme l’origine du principe fondateur des réseaux sociaux actuels, nos moyens de communication ont modifié les résultats de cette expérience. Tous ceux qui aujourd’hui utilisent les réseaux sociaux peuvent vérifier qu’il est très facile d’entrer en contact avec des relations de relations… et constater que la longueur moyenne des intermédiaires à été réduite par rapport à la théorie historique des « 6 degrés de séparation ». C’est ce que la société Facebook a pu d’ailleurs démontrer en novembre 2011, en partenariat avec l’Università degli Studi di Milano, dans une étude traitant, en partie, du sujet du petit monde. Sur la base d’un échantillon de 721 millions de personnes (soit l’ensemble des utilisateurs du réseau social, à cette époque), on apprend que, désormais, chaque personne est reliée en moyenne par une chaîne de 4,74 relations à n’importe quelle autre.

Avec Internet, dans une société de masse, pratiquement tous les individus sont reliés ensemble dans un vaste réseau. Le nombre de liens qu’un individu maintient avec les autres a augmenté réduisant ainsi les degrés de séparation. Pour autant ces liens sont faibles ou lâches (souvent des liens professionnels ou de vagues connaissances).

Toutes les sociétés sont marquées par l’avènement de l’individu et de sa construction identitaire. Dans les sociétés traditionnelles, la socialisation est essentiellement déterminée par les valeurs religieuses, professionnelles, ethniques. Elles assurent la force des liens qui unissent les membres d’un groupe. Au sein des sociétés modernes, le passage d’un contexte social de groupe à un contexte de réseau conjugué à l’intériorisation des valeurs, modifient la socialisation. Le rôle du patrimoine culturel commun est alors de permettre aux membres de la collectivité d’entretenir et favoriser des relations sociales au sein non plus de groupe mais de communautés ou de réseaux : communautés de pratique en réseau, réseaux en ligne, réseaux sociaux. Nous allons maintenant en analyser les enjeux.

 II. Les enjeux de la socialisation par le réseau

En sciences humaines, le réseau social est un ensemble d’entités (personnes, groupes ou institutions) qui échangent entre elles par l’intermédiaire de liens forts ou faibles créés lors d’interactions sociales. Ce réseau se manifeste dans le cadre :

  • de relations de proximité, d’amitié, de collaboration professionnelle ou scientifique, etc.
  • de relations accessibles et mises en œuvre via les technologies de l’information et de la communication et notamment Internet, souvent qualifiées de réseautage social.

Si la finalité de la socialisation, consiste en partie à développer et améliorer le capital social de l’individu, l’utilisation du réseau pour atteindre cet objectif, suscite de nombreux débats, en sociologie, mais aussi en économie. L’efficacité d’un individu en effet, ne dépendrait pas tant de la quantité de capital économique dont il dispose, que de la qualité du tissu de relations sociales au sein duquel il s’insère. On peut dès lors s’interroger sur la dimension qu’il faut privilégier dans l’idée de capital social : la dimension du capital ou celle du social. L’idée, que la socialisation vise à développer les liens sociaux d’amitié ou de solidarité ? Ou bien, à l’inverse, l’idée que la socialisation par les réseaux a pour but d’exploiter au mieux le capital social développé.

A. La socialisation professionnelle comme valorisation économique du capital social

Pour Moore, un emploi est un construit social qui implique une série de rôles à tenir. Dans ce cadre, la socialisation consiste à la fois en un apprentissage cognitif et une internalisation des normes appropriées. Pour Nahapiet et Ghoshal, la socialisation professionnelle se situe, au sein de l’organisation, entre le management des connaissances et la création de capital social. Cependant, l’organisation n’a pas pour vocation déclarée de socialiser les individus, son rôle est de produire des biens et services, parallèlement à la valorisation du capital social. Pourtant, l’organisation n’est pas capable de fonctionner sans cohésion, sans groupe social interne. Les intérêts divergents des parties prenantes à l’organisation nécessitent des négociations constantes « pour parvenir à des compromis codifiant à la fois les exigences requises pour les employeurs et les qualités acquises par les salariés. Il y a donc partage d’un processus conjoint de socialisation impliquant une action commune, des représentations communes et des interactions positives » (Dubar). Pour atteindre ainsi ses objectifs, l’organisation et ses membres doivent se socialiser mutuellement.

Et alors que l’organisation « s’étend » de plus en plus au-delà de ses frontières, le réseau qu’elle développe est là pour démontrer sa flexibilité en réponse à la complexité de l’environnement. De la même manière, l’action des membres de l’organisation n’est pas limitée par ses frontières.

Ainsi, Lecoutre met en avant le réseau social comme outil de la gestion des relations dépassant les frontières des organisations :

  • Ces relations peuvent s’inscrire sous forme de travail coopératif par la constitution d’équipes projet (projet dit « sorti » : tous les acteurs du projet quittent la structure physique dans laquelle ils se trouvaient préalablement). Le travail sur le projet se fait souvent en plateau (open-space) réunissant tous les acteurs du projet pour une meilleure circulation de l’information. La hiérarchie est clairement identifiée, il n’y a pas de redondance, l’utilisation de l’outil informatique de gestion de projet garantit une efficacité planifiée. La socialisation se réalise à travers l’intégration des individus dans l’équipe et l’apprentissage de nouvelles compétences spécifiques au projet. Pour garantir cette intégration, les membres du projet sont souvent choisis par cooptation. Le problème qui se pose cependant est celui de la reconversion des différents acteurs à la fin du projet puisqu’ils auront perdu leur compétence métier en ayant passé parfois plusieurs années sur des actions variées. En outre, si l’entreprise n’a pas de projet à proposer directement à la suite, ces acteurs risquent d’être débauchés par des concurrents qui lancent leur projet.
  • Dans le cadre de projets à durée plus courte, le réseau peut être totalement décontextualisé. C’est le cas des consultants qui revendiquent la valeur du nomadisme comme une dimension majeure de leur identité professionnelle, et dont ils font l’apprentissage dès leur entrée dans la profession. Les consultants apprennent le travail par une socialisation au sein d’équipes réduites – moins d’une dizaine de personnes – composées le temps d’une mission et installées dans les locaux de l’entreprise cliente. Cette socialisation est clairement orientée vers la valorisation forte du capital social. Ce nomadisme se caractérise par un changement régulier de lieu, de client, de travail, dans certains cas à un rythme soutenu : le travail nomade peut également s’envisager par l’organisation des bureaux en « open space », sans place attitrée, justifié en cela par des considérations économiques (limitation des coûts immobiliers). Si les directions des firmes souhaitent prévenir les réflexes sédentaires, les consultants concernés soulignent le sentiment d’appartenance incertain qui en résulte :
    « On peut rester des mois sans retourner au bureau, on ne connaît plus que l’équipe et le client, on ne sait plus trop où on habite ». « Quand on est en « open space », on a des « chiens » (« caisson » roulant qui permet au consultant de stocker ses affaires), on n’a pas de lieu à soi, ni d’attache ». Ce manque paraît souvent comblé par des liens affectifs entre coéquipiers. « Je garde un affect fort avec les personnes avec qui j’ai travaillé. […] Il y a une importance capitale, plus qu’au niveau de l’organisation ». Pourtant l’exercice du métier ne s’accommode pas forcément de ces « attaches » et les amitiés professionnelles sont souvent évoquées comme un sentimentalisme un peu honteux, entrant en contradiction avec un impératif de contrôle des affects. Finalement, on est un peu bringuebalé dans tous les coins » (Consultante senior, 28 ans) [1].
  • Le cas du développement des grappes d’entreprises et des pôles de compétences (clusters) est un autre exemple de l’exploitation des échanges dans les réseaux sociaux. Ainsi, à partir de l’analyse des échanges entre les acteurs économiques de la Silicon Valley (région ou se concentrent de nombreuses entreprises de la haute technologie), Ferrary a montré après Mauss, que la nature des liens échangés et la densité des réseaux qui caractérisent ce contexte font de l’échange par le don le mode principal d’explication de la circulation des biens. L’analyse structurale de ces réseaux montre que ceux-ci sont globalement peu redondants du fait de la présence d’acteurs économiques complémentaires : universités, petites entreprises indépendantes, laboratoires de recherche, grandes entreprises, juristes, capital-risqueurs, comptables, banques d’affaires, chasseurs de têtes… Dans le cas de la Silicon Valley, c’est la présence des capital-risqueurs, acteurs centraux de ces réseaux d’échanges, acteurs clé du contrôle des trous structuraux qui semble permettre le lancement de projets innovants. Le « capital risqueur » agit en collecteur de fonds, et mobilise son réseau par le biais de sa connaissance interpersonnelle des individus, afin de collecter des informations sur les risques liés aux projets en démarrage. Les « capital risqueurs » interviennent aussi dans les choix managériaux des entreprises dans lesquels ils investissent. Ils favorisent les mises en contact avec des clients et des fournisseurs potentiels. Ils participent à la socialisation de toutes les parties prenantes au projet. La redondance ponctuelle des réseaux du fait de la densité des relations, participe à la construction de la confiance et la réputation du « capital risqueur ».
  • La mise en œuvre des réseaux comme valorisation économique du capital social concerne également les collaborateurs qui cultivent des compétences communes et spécifiques et qui se rencontrent à l’extérieur de l’organisation : réseau de juristes, réseaux de chef de projets, de logisticiens, de chercheurs, d’anciens élèves … La socialisation dans ces réseaux est effectuée préalablement à l’entrée dans l’entreprise. Elle ne se déconstruit pas. Elle est stabilisatrice. Le capital social développé a une dimension sociale forte avec une option de capitalisation non négligeable. Ces réseaux sont de plus en plus sollicités du fait de l’exigence de mobilisation de connaissances nouvelles, l’accès sélectif, rapide, en confiance, à des ressources, des services, des informations. La capacité d’action et de décision des individus au sein de leur organisation devient alors plus qu’avant tributaire de leurs réseaux de relations, et de la forme de leur réseau. Le recrutement de spécialistes est ainsi déterminé par leur réseau personnel et le capital social afférent à ce réseau.
  • Enfin, la recherche d’emploi, le développement de nouveaux projets professionnels sont l’occasion de mettre à profit les réseaux par l’activation des liens dits faibles. « 30 % des personnes ayant trouvé un emploi récemment l’ont trouvé grâce à leur réseau : famille, autres relations personnelles… ». Ce réseau social, construit au cours de leur expérience passée est une ressource mobilisable d’importance. En effet, les réseaux de relations professionnelles, s’enrichissent au cours de la vie active, ils représentent une ressource de plus en plus mobilisée au fur et à mesure que l’âge s’accroit. Lors d’une recherche d’emploi, lors de l’élaboration d’un nouveau projet, l’idée est de redynamiser pour un temps les trous structuraux afin d’étendre le réseau. Il s’agit de transformer les liens faibles en lien forts, par la communication à travers les liens ouverts, et faire passer l’information : promotion du capital social, écoute du marché et des éventualités d’embauche. La bonne circulation de l’information est une hypothèse essentielle. Dans ce contexte, les acteurs centraux sont des personnes connues du sujet, en contact personnel avec lui dans un contexte autre que la recherche d’emploi. Ces personnes en situation de « pont local » vont servir d’intermédiaires auprès d’un employeur potentiel. Là encore, pour Granovetter, la force les liens faibles est mobilisée. Cependant pour Langlois : « la diffusion efficace des informations sur les emplois à travers les liens faibles dans les réseaux personnels semble surtout caractériser une certain type d’occupations, les cadres et les administrateurs, tandis que les liens forts continuent de jouer un rôle important dans les autres catégories d’emploi ». De plus, par l’utilisation du réseau, l’employeur réduit l’incertitude sur le comportement du salarié, en vue d’une productivité maximum. Le salarié, quant à lui, cherche à obtenir les conditions de travail et de rémunération aussi favorables que possible, ainsi que les chances d’accroissement de son capital humain.

Nous avons vu comment pouvait être utilisée la socialisation professionnelle à travers le réseau. Directement ou indirectement, cette socialisation participe finalement à la recherche d’une position de « pont local » (maitre du réseau) pour une valorisation économique optimale du capital social.

Nous allons à présent développer l’idée, que la socialisation à travers les réseaux vise à développer les liens sociaux d’amitié ou de solidarité.

B. La socialisation vise à développer les liens sociaux d’amitié ou de solidarité

Le réseau, nous l’avons vu, peut être instrumentalisé lors de la socialisation pour des finalités économiques mais le réseau est aussi une opportunité de développer une socialisation dont la dimension reste sociale.

  • En ce qui concerne la socialisation par les réseaux d’amitié en ligne, comment expliquer que Facebook a franchi la barre du milliard d’utilisateurs (source Le Monde 4 octobre 2012), soit plus de 12 % de la population mondiale ? Et plus généralement quelle est la motivation des individus qui consacrent autant de temps aux réseaux sociaux en ligne ?
    Pour Balague et Fayon, à travers l’utilisation des réseaux en ligne, les individus recherchent la satisfaction des besoins non assouvis dans leur vie réelle au regard de la typologie des besoins établie par la pyramide de Maslow. Les réseaux en ligne permettent en effet aux individus de répondre aux besoins d’appartenance et de reconnaissance. Ils leur permettent aussi de s’accomplir. Sur Twitter, les membres obtiennent la reconnaissance comme témoins de l’information, par la publication de reportages en concurrence directe avec les grands médias. Sur Facebook, c’est la course au plus grand nombre d’amis, à la densité de son réseau. Chacun essaye de se distinguer en mettant en valeur sa page personnelle par son originalité et sa créativité. En mai 2011, chaque membre de Facebook avait une moyenne de 190 amis. Pour Larry Rosen, c’est une vitrine pour les narcissiques, un refuge pour les timides. C’est tout simplement le contexte idéal pour maintenir des relations sociales sans courir le risque de l’exposition inhérente à la vie réelle, un laboratoire social où de nombreux enfants apprennent à se socialiser tout en favorisant leur débrouillardise. C’est aussi une réelle opportunité d’agrandir son périmètre de relations pour ceux qui sont isolés, ou de rester en contact avec la famille éloignée.
    Mais les réseaux sociaux sont aussi un casse-tête pour les parents d’adolescents alarmés par des études faisant un lien avec l’échec scolaire et la dépression, ainsi que la disparition de la vie sociale familiale.
    Pour le docteur Azzi, psychologue au Liban, ce qui caractérise les adolescents c’est leur remise en question des valeurs, le conflit avec ce qui est stable, la recherche de la différence, de la nouveauté pour s’affirmer en tant que jeunes différents. D’où leur appétence pour Internet et les technologies de la communication qui leur permettent de s’évader, d’entrer en contact avec d’autres, d’initier une relation avec l’autre sexe plus facilement, de former des projets. Ceci est encore plus vrai dans un contexte où les normes sociales sont rigides, encore plus vrai dans une société ambivalente, mitigée entre réel et imaginaire, une société en mutation qui cherche de nouvelles valeurs. Finalement, cette socialisation virtuelle participe à la construction de leur socialisation réelle, pour autant que les jeunes ne délaissent pas leur appartenance aux réseaux classiques.
    Avec Internet et les réseaux en ligne, le nombre de liens a augmenté, les degrés de séparation d’un individu à un autre qui ne se connaissent pas, se sont réduits. Mais les liens sont en général des liens faibles ainsi que nous l’avons défini plus haut. Les relations développées sur les réseaux en ligne n’ont pas la même force que celles développées dans la vie réelle. Mais aussi, comme sur tous les réseaux sociaux, les relations ne sont pas toutes du même type : elles ne sont pas les mêmes en fonction des individus avec qui nous sommes en contact, elles obéissent à des nombreuses règles de contingence. S’établit ainsi une hiérarchie entre les membres du réseau, qui peuvent s’expliquer par les phénomènes de trous structuraux.
  • Quant à la socialisation du fait des relations amicales, elle n’est pas tout à fait la même du fait de la nature même de cette relation. Nous avons évoqué à travers la socialisation - que l’on peut qualifier de virtuelle - la notion d’ami. On pourrait penser que la relation d’amitié, dans laquelle « tous les individus qui occupent des positions différenciées inégalitaires s’imposent des relations égalitaires » (Tocqueville), est libre et gratuite. Mais Allan distingue la solidarité instrumentale (l’ami est celui sur lequel on peut compter) de la solidarité expressive (l’ami est celui à qui on peut se confier). C’est également le constat que l’on peut faire lorsqu’on analyse les relations d’entraide. On aide plus facilement les personnes âgées que les autres personnes. Les ressources qu’on leur apporte ne sont pas les même que celles qu’on pourrait apporter à la famille. De manière générale, concernant l’entraide, on fait plus souvent appel à l’entraide familiale pour tout ce qui touche à la vie privée et l’espace domestique. Et lorsqu’on fait appel aux amis, l’entraide reste confinée au jardinage et les soins aux animaux.
  • On peut à présent s’intéresser à l’aspect dynamique de la socialisation d’un individu. Pour Bidart, la socialisation « peut être vue comme le processus par lequel se construit et se renouvelle l’entourage social d’un individu et par lequel cet entourage contribue à orienter son parcours. L’individu choisit les personnes et les cercles sociaux qu’il fréquente, ces personnes et ces cercles en retour font de lui ce qu’il est. C’est par l’entretien de relations avec les autres que l’individu travaille son inscription sociale » : les réseaux évoluent ainsi avec le temps, avec le cycle de vie (études, travail, formation du couple, naissance...), avec l’imprévisibilité des évènements (chômage, séparation…). Avec l’âge, on a moins de connaissances et de contacts. Les liens forts sont privilégiés au détriment des liens faibles. La mise en couple entraine une réduction des relations : mariés, nous privilégions les amis mariés. Avec l’arrivée des enfants, les relations se resserrent sur la famille. Nous privilégions finalement les relations qui nous ressemblent et notre socialisation évolue sans cesse. Comme le constate Bidart, la vie change le réseau.
  • Inversement, le réseau peut changer la vie, et les membres du réseau d’une personne peuvent intervenir comme force ou handicap sur le cours de celle-ci. Pour Bidart, les liens forts sont influents et déterminent le cours de la vie. Pour Bernard Lahire, l’individu combine plusieurs répertoires sociaux, issus des contextes de socialisation qu’il a traversés et des groupes divers auxquels il appartient. Encore faut-il qu’il ait pu adhérer à une diversité de réseaux. Si cette chance ne s’est pas présentée, son unique réseau d’appartenance peut constituer un enfermement dont il semble impossible de s’extraire. Epstein montre que le capital social construit à travers le réseau des jeunes de banlieue est un handicap dès lors que ces jeunes tentent de le quitter. Pourtant leur désir est fort de s’extraire de ce réseau dense, peu ouvert sur l’extérieur donc peu efficient. Preuve en est leur scolarisation hors de leur cité. Mais leur échec fréquent à l’école diminue leurs possibilités de socialisation externe. La force centripète qui les ramène au sein de leur réseau, conjuguée à des évènements imprévisibles (chômage) augmente leur enfermement dans un réseau unique, groupe informel, rigide et hiérarchisé. Pourtant réussir, c’est la possibilité d’aller voir ailleurs. Finalement, La socialisation en œuvre dans les cités est analogue à celle qu’on peut trouver dans les groupes. Le processus de formation de capital social cède la place à celui d’intégration de normes.

 Conclusion :

Du constat que les individus vivent toujours en groupe, l’analyse des sociologues a pendant longtemps porté sur le groupe, ses membres et leurs caractéristiques. Dans ce contexte, la socialisation, intégration des individus au groupe, se révèle statique et passive. Mais cette analyse trouve aujourd’hui ses limites. Dans un environnement de plus en plus instable, le contexte social du groupe cède sa place à celui de réseau au sein duquel l’analyse porte sur les relations interindividuelles et les caractéristiques de ces relations. Dans des réseaux en perpétuel mouvement, la socialisation est alors le processus d’inscription sociale de l’individu, de construction de son capital social, qu’il valorise tout en développant ses liens sociaux. Si un réseau trop dense, peut l’enfermer, restreindre sa socialisation et ses choix de vie, à l’inverse un réseau étendu détermine ses capabilités, terme de Amartya Sen exprimant sa liberté de pouvoir choisir la voie qu’il veut suivre.

 Bibliographie :

Bibliosite :

  • The Anatomy of the Facebook Social Graph, Johan Ugander, Brian Karrer, Lars Backstrom, Cameron Marlow).

Livres :

  • Sociologie des réseaux sociaux - Pierre Mercklé - Collection repères La découverte
  • Dynamique des communications dans les groupes - Gilles Amado, André Guittet - Sciences Humaines et sociales Collection U Armand Colin
  • Innover avec des communautés d’utilisateurs - Thèse présentée en décembre 2009 par Guy Parmentier UNIVERSITE DE GRENOBLE
  • La socialisation - Dominique Bolliet, Jean Pierre Schmitt - Éditions Bréal, collection Thèmes & Débats sociologiques, 2002.
  • Les réseaux sociaux - Alain Degenne, Michel Forsé - Collection U Armand Colin
  • L’identité sociale, De Jean-Claude Deschamps, PUG (Presses Universitaires de Grenoble) - Collection : Vies sociales - janvier 1999
  • La communication Etat des savoirs - Editions Sciences humaines
  • La socialisation : Construction des identités sociales et professionnelles - Claude Dubar- Armand Colin (fiche de lecture Nadia Petitjean chaire DSO http://mip-ms.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877017955)
  • La vie en réseau - Dynamique des relations sociales - Grossetti Michel, Degenne Alain, Bidart Claire - PUF - Collection : Le lien social ISBN-10 : 2130590640
  • Facebook, Twitter et les autres : intégrer les réseaux sociaux dans une stratégie d’entreprise (2e édition) - Balague, Fayon - Pearson education
  • Brokerage and Closure An introduction to social capital Oxford University Press - Burt Ronald - (2005) (Fiche de lecture par Anne Lambert http://socio.ens-lyon.fr/agregation/reseaux/reseaux_fiches_burt_2005.pdf)

Revues

  • Identité(s) : l’individu, le groupe, la société, Editions sciences humaines
  • Dynamiques des réseaux personnels et processus de socialisation : évolutions et influences des entourages lors des transitions vers la vie adulte - Claire Bidart 2008 - Revue française de sociologie Vol 49 - 3 pp. 559-583
  • Réseaux personnels et processus de socialisation - Claire Bidart - Revue Idées économiques et sociales 2012/3 (N° 169)
  • Pour une théorie de l’échange dans les réseaux sociaux. Un essai sur le don dans les réseaux industriels de la Silicon Valley - Michel Ferrary - Cahiers internationaux de sociologie 2001/2 (n° 111)
  • Un capital social handicapant : les antagonismes d’une socialisation en cité et d’une insertion professionnelle et scolaire - Muriel Epstein - Revue Sociétés et jeunesses en difficulté printemps 2008 n°5
  • Réseau personnel, personnalité du dirigeant et accès aux informations sur le marché - Barthélemy Chollet, Mickael Geraudel Revue Finance Contrôle Stratégie, 2010, vol. 13, issue 2, pages 5-32.

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Notes

[1Pratiques et identités professionnelles dans le conseil en management en France : entre ethos du service au client et pression du « up or out » http://sociologies.revues.org/3072

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