La dynamique du groupe-classe

, par Dana Moor

« Le groupe est un tout dont les propriétés sont différentes de la somme des parties ; le groupe et son environnement constituent un champ social dynamique, dont les principaux éléments sont les sous-groupes, les membres, les canaux de communication, les barrières ». La théorie des champs de forces de Kurt Lewin [1].

La gestion de classe est un élément prépondérant du métier d’enseignant. Une étude d’un an menée sur deux classes de secondaire a permis de tirer quelques enseignements tant théoriques que pratiques sur la dynamique qui « se joue » au sein d’un groupe classe. Ces enseignements, en permettant de mieux comprendre ces dynamiques ont permis d’élaborer quelques conseils pouvant aider l’enseignant dans sa gestion quotidienne de la classe.

A travers deux questionnements, cet article va tout d’abord permettre de mieux comprendre le groupe classe en tant que groupe. Il va par la suite, suggérer quelques pistes pouvant contribuer à l’élaboration d’une meilleure dynamique du groupe classe, dynamique plus propice au travail et aux apprentissages.

 1. Que nous apprennent les théories relatives au groupe et au groupe classe ?

On peut identifier trois grandes catégories de travaux sur la notion de groupe. Une approche sociologique, une approche psychosociologique et enfin une approche plus psychanalytique.

1.1) L’approche sociologique : Le « groupe restreint », modèle du groupe-classe

Dans leur ouvrage, Didier Anzieu et Jacques-Yves Martin proposent une classification des groupes humains (voir document 1).

Document 1 : Classification des groupes humains selon, Anzieu et Martin [2].

Cette classification organise les différentes catégories groupes suivant différents critères : le degré de leur organisation interne (de très faible à très élevé), la durée du regroupement (de quelques minutes à plusieurs décennies), le nombre d’individus (de petit à grand), les relations entre les individus (de contagion des émotions, relation riches, fonctionnelles…), les effets sur la croyance et les normes, la conscience des buts et enfin les actions communes. Le groupe-classe au regard de cette classification pourrait faire partie de ce que les auteurs appellent le « groupe primaire ou restreint ». Pour les auteurs, un groupe restreint est caractérisé par un degré d’organisation interne important et par une différenciation des rôles (dans le cadre de la structuration) très marquée. De plus, sa durée d’existence va de trois jours à dix ans. Dans le groupe restreint, les relations entre individus sont qualifiées par les auteurs de « relations humaines riches » et l’effet du groupe sur les croyances et les normes individuelles est générateur de changement. La conscience des buts du groupe restreint est élevée et les actions communes sont qualifiées d’importantes, spontanées voire novatrices.

On pourrait être tenté de classer le groupe-classe dans la catégorie « groupe secondaire ou organisation » mais compte tenu notamment des relations humaines riches et du changement des croyances et des normes induit par le groupe restreint (alors que les relations sont strictement fonctionnelles et les effets sur les croyances et les normes sont induits par la pression dans le « groupe secondaire »), il paraît plus opportun de rattacher le groupe classe à la catégorie des groupes restreints et de classer l’institution scolaire, à savoir le « groupe-élèves » d’un lycée dans la catégorie de « groupe secondaire ». Au-delà des caractéristiques spécifiques à tous les groupes restreints, il existe pour les auteurs au sein des différents groupes, des « phénomènes groupaux communs ». A savoir « l’émergence de leaders, l’identification des membres les uns aux autres à des degrés divers et enfin, l’adhésion inconsciente à des représentations sociales imaginaires, des clichés, des stéréotypes » [3]. Ainsi dans un groupe-classe, il y a mixité des rôles des élèves et des comportements. Les relations et les échanges sont intenses. De plus, le groupe a conscience des buts communs et les actions communes étant importantes et spontanées, le pouvoir du groupe sur les croyances et le comportement de l’élève en tant qu’individu est très fort. Ces caractéristiques du groupe-classe en tant que groupe restreint influencent donc fortement le comportement des élèves. On commence à percevoir les dynamiques qui vont se jouer au sein du groupe. Ce phénomène s’explique tant par des raisons psychosociologiques développées notamment dans les travaux de Kurt Lewin que par des raisons psychanalytiques abordées dans les recherches de Wilfried R. Bion ou de Stanley Milgram.

1.2) L’approche psychosociologique : le groupe influence et transforme

Deux travaux majeurs de Kurt Lewin (psychologue, 1890-1947) nous éclairent sur les interactions qui existent au sein d’un groupe. Il s’agit de sa théorie sur les champs de force du groupe et sa théorie sur la recherche d’équilibre.

Les champs de forces : Les psychosociologues dont Lewin en premier lieu, s’accordent sur le fait que le groupe n’est pas réductible aux individus qui le composent. Ils soulignent que ses membres sont interdépendants et qu’au sein du groupe, il existe des champs de forces. Ainsi, le groupe est un lieu où « l’être humain peut se reconnaître par la reconnaissance de ses semblables différents, la place qu’il y prend, les fonctions qu’il y assure » [4]. Selon l’approche psychosociologique, il est important que les membres du groupe ressentent des intérêts communs puis des intérêts en commun, le groupe s’imposant alors car il est une nécessité.

De plus, si le groupe est un « champ de forces », toute pression extérieure peut le modifier en intégrant une nouvelle information dans le « champ perceptif » du groupe et ainsi provoquer le changement du groupe. Lewin a mené diverses expériences pour tenter de comprendre ces phénomènes. L’une des plus connues est celle menée en 1943 aux États-Unis suite à la pénurie de viande liée au rationnement en faveur de l’armée. L’Etat souhaitait à l’époque orienter les foyers américains vers la consommation de morceaux de viande moins « nobles » que sont les abats mais sans grand succès. Lewin s’est alors intéressé à travers des réunions de groupe de ménagères, aux freins liés à ce rejet des abats et aux leviers pouvant amener les foyers américains à se tourner vers cette viande. Une des principales conclusions de Lewin souligne que la prise de décision en groupe engage plus à l’action qu’une décision individuelle car les membres du groupe sont prêts à adhérer à de nouvelles normes dès lors que le groupe y adhère. Anzieu et Martin généralisent ce concept et soulignent que concernant le « changement des habitudes alimentaires, de rendement au travail, d’alcoolisme, de préjugés, tout montre qu’il est plus aisé de changer des individus constitués en groupe que de changer chacun d’eux séparément » [5]. Ainsi, partant du postulat que la conformité au groupe est un des éléments de la résistance interne au changement, il faut selon Lewin, réorienter cette force au service du changement. Ce changement se fera alors à travers trois étapes qui sont :

  1. Décristalliser (unfreezing) qui consiste à informer, expliquer, sensibiliser.
  2. Changer (moving) qui permet de déplacer les résistances, réduire les tensions.
  3. Recristalliser (freezing) qui crée un nouvel état d’équilibre satisfaisant pour les membres du groupe et consolide cet état.

De plus, au cours de ces expériences, Lewin constate que certaines personnes ont un rôle de « facilitation du changement » une fois qu’elles sont convaincues de l’utilité du changement. Dans son exemple, il s’agissait des ménagères de quarante ans, bénéficiant de l’image de la « bonne ménagère », et donc d’un statut particulier. Elles étaient donc les personnes à convaincre en priorité. Les facilitateurs du changement « filtrent les informations, se comportent en ‘portier’, en leaders d’opinions et jugent les informations acceptables pour le groupe » [6]. Il est à noter que ce type d’expérience a été souvent répété et qu’il a conduit à des résultats dans l’ensemble identiques.

La recherche d’équilibre : Lewin avait une seconde théorie majeure selon laquelle « les individus interagissent dans un système d’équilibre. Chaque groupe possède son champ dynamique avec ses canaux de communication, ses frontières, ses barrières, ses portiers. Une information nouvelle ne sera acceptée que dans la mesure où elle s’intègre dans l’équilibre du champ psychologique du groupe » [7]. Partant de cette recherche de l’état d’équilibre par le groupe, Lewin et son équipe se sont intéressés à la « bonne forme » du groupe, ou autrement dit au type d’organisation souhaitable qui intégrerait un bon « climat » au sein du groupe. Ses recherches sont illustrées par l’expérience des trois climats, résumée dans le tableau du document 2 [8].

Document 2 : L’expérience des trois climats de Lewin, Lippit et White

Trois groupes d’enfants volontaires pour construire des maquettes de théâtre sont regroupés par affinité, il y a donc cohésion et motivation initiale des groupes. Les résultats relatifs notamment à la production du groupe dépendent de l’organisation mise en place. Les auteurs distinguent trois types de groupes (ou ‘climats’). Dans le groupe « autocratique », l’expérimentateur définit les objectifs et les moyens pour les atteindre, les enfants doivent obéir aux consignes, l’organisation du groupe est donc définie par l’extérieur. Dans le groupe « démocratique », l’expérimentateur définit avec les enfants les buts, les moyens et la répartition des tâches. Les individus interagissent alors pour trouver l’organisation idéale. Enfin dans le groupe « laissez-faire », l’expérimentateur n’impose ni ne propose rien, le groupe est donc livré à lui-même. Lewin avait prévu que le climat autocratique était générateur d’agressivité (car frustrant), or il s’est avéré que dans ce contexte, il y eut selon les séances, soit une réaction d’apathie (sans aucune agressivité), soit de grandes explosions de rage (avec destruction de matériel) que Lewin attribue à l’accumulation de l’agressivité latente des séances précédentes liée au style de commandement. L’agressivité fut la plus faible dans le groupe démocratique conformément aux attentes mais elle ne fut pas nulle. En effet, comme elle s’est déchargée au fur et à mesure, elle a permis le maintien d’un niveau régulier d’agressivité relativement bas. Ainsi ce « maniement » de l’agressivité a permis à ce groupe d’atteindre le plus fort taux de productivité dans ses tâches. Enfin, en ce qui concerne le climat « laissez-faire », pour lequel le taux d’agressivité attendu était modéré, les résultats atteignirent en moyenne le taux le plus élevé. Cela s’explique par le fait que les enfants attendaient l’aide du moniteur et que l’abandon du moniteur générait chez eux une forte agressivité entre eux et contre le moniteur. La conclusion de cette étude, souligne le fait que la frustration entraîne des réactions agressives mais que ces dernières ont des nuances particulières en fonction des climats sociaux et que ces derniers dépendent eux-mêmes du style de commandement ; le climat « démocratique » étant le plus favorable à une bonne entente et une bonne productivité des tâches.

« De la théorie à la pratique » : Les travaux de Lewin transposés au groupe-classe nous apprennent donc qu’il est plus facile de changer les habitudes du groupe-classe que celles des élèves pris séparément. Pour obtenir un changement, il faut réduire les résistances au changement plutôt qu’augmenter les pressions externes. Il faut pour cela également repérer les « portiers » ou facilitateurs du changement. De plus, un climat « démocratique » est le plus favorable à une bonne entente et une bonne productivité de tâche. Enfin, le groupe-classe ne serait pas la somme des élèves qui le compose présentant une similitude de buts et de tempéraments mais un système d’interdépendance, entre les membres du groupe et entre les éléments du champ (buts, normes, perception du milieu extérieur, division des rôles et des statuts, etc.) qui sera à l’origine de la dynamique du groupe.

Selon le modèle de Lewin et ses conclusions, la « bonne » forme d’un groupe est la forme démocratique car elle répond aux valeurs idéologiques et aux types de comportements intériorisés au cours de l’éducation. Mais selon Gilles Amado, il peut s’avérer que la forme « autocratique » soit dans un autre contexte la « bonne forme » à adopter. Pour trancher, l’auteur propose de prendre en compte les valeurs et modèles intériorisés des personnes [9]. Pour cela, une approche plus psychanalytique des individus du groupe est nécessaire.

1.3) L’approche psychanalytique : de la recherche d’autorité à l’emprise d’autorité

Une approche plus psychanalytique du groupe nous invite à aborder deux notions fondamentales que sont la recherche innée d’autorité et la disparition de l’individu dans le groupe. Ces théories ont notamment été développées par Wilfred Ruprecht Bion (psychanalyste, 1897 - 1979) puis confortées par les travaux de Stanley Milgram (psychologue social, 1933-1984).

1.3.1) L’autorité dans le groupe, les trois présupposés de Bion

Les trois présupposés de base d’un groupe selon Bion : Bion décrit trois présupposés de base auxquels un groupe se soumet sans les connaître : la dépendance, le combat, le couplage. La dépendance : le groupe s’attend à être protégé par le leader dont il se sent dépendre pour sa nourriture intellectuelle ou spirituelle. Si le leader accepte son rôle, les pouvoirs et devoirs associés, le groupe peut subsister sans conflit mais ne progresse pas foncièrement. En revanche, si le leader refuse d’assumer son rôle, le groupe se sentant abandonné, développe un sentiment d’insécurité. Cette dépendance selon Bion est une régression vers le stade de l’enfance où étant totalement à la charge des parents, l’individu n’a plus aucune action sur la réalité. Cette dépendance est un rêve éternel des groupes d’avoir un chef intelligent, bon et fort qui assume toutes les responsabilités (à leur place). Le combat fuite : dans la perspective où le leader refuse son rôle, le groupe se réunit soit pour lutter, soit pour fuir. Cette attitude est le signe de solidarité du groupe. Dans l’exemple d’un groupe de discussion libre (sans meneur), la fuite se traduit par des remarques telles que : « c’était futile, on n’a rien fait… » Ceci caractérise une fuite, le groupe prouvant alors qu’il ne pouvait se débrouiller seul. Des rires et une discussion animée, incluant critiques contre le moniteur (non leader) se révèlent être une attaque suivant la fuite. Le couplage : parfois l’attitude « combat-fuite » conduit à la formation de sous-groupes ou de couples qui représentent un danger pour le groupe. Selon Bion, les trois présupposés de base n’interviennent pas en simultané. L’un prédominant masque les deux autres subsistant néanmoins en puissance. C’est en ôtant son poids actuel au présupposé de base dominant, qu’un autre présupposé de base est libéré, permettant au groupe de fonctionner différemment. Bion, distinguera également les groupes dits « de base » et les groupes centrés sur la tâche. De plus, il soulignera la force affective des activités mentales dans les groupes de travail. « Ces activités qui, au premier abord, paraissent chaotiques acquièrent une certaine cohésion si l’on suppose qu’elles ont leur origine dans les hypothèses de bases communes à tous les membres du groupe » [10]. Il semble intéressant de compléter cette approche « psychanalytique » de le la notion d’autorité par celle développée en psychologie sociale au cours de l’expérience menée par Stanley Milgram.

1.3.2) L’emprise de l’autorité, l’expérience de Milgram

Différentes expériences ont été menées en psychologie sociale montrant l’emprise que peut avoir une « autorité » sur les individus. Une des expériences les plus célèbres est celle que Milgram a pratiquée sur la force du contexte, de l’influence et de la persuasion. Ainsi, des individus « chercheur en blouse blanche » symbolisant par la même l’autorité amènent le sujet de l’expérience (jouant un rôle de professeur) à infliger des chocs électriques à un autre participant appelé l’apprenant (l’élève). L’apprenant est en fait un acteur simulant la réception de ces mêmes chocs électriques. Suite aux injonctions des « chercheurs en blouse blanche » la majorité des participants continuent à infliger les prétendus chocs jusqu’au maximum prévu par l’expérience en dépit des plaintes répétées et visiblement douloureuses de l’apprenant (élève). Les conclusions de Milgram sont qu’un individu peut devenir l’exécutant des volontés d’un autre en abandonnant son esprit critique, en se soumettant à l’autorité et en se déchargeant de sa responsabilité personnelle. Un individu peut ainsi perdre ses capacités de jugement (et procéder à des tortures dans le cadre expérimental) dès lors qu’il est soumis à un pouvoir qu’il perçoit comme légitime.

« De la théorie à la pratique » : Une approche « psychanalytique » de la notion de groupe nous éclaire sur le fait que le groupe et donc probablement le groupe-classe est toujours à la recherche d’un leader, Freud écrira même que l’individu a un besoin avide de chef (le père primitif) [11]. De plus, il y a à travers les réseaux d’identification mutuelle du groupe une cohésion et une solidarité. Les sous-groupes constituent alors un danger potentiel pour le groupe. Les théories relatives à l’autorité nous apprennent que l’individu et donc l’élève se « fonderait » dans le groupe-classe et que la puissance de l’autorité incarnée soit par le professeur soit par un autre élève peut, si elle est perçue comme légitime, conduire l’individu (l’élève) à perdre ses capacités de jugement et à se soumettre sans esprit critique à cette autorité. Cette soumission s’explique par un besoin d’appartenance ou par crainte d’isolement par exemple.

L’approche théorique nous a permis d’appréhender de nouvelles connaissances sur les modes de fonctionnement du groupe et de ses dynamiques. Ces théories nous invitent à nous questionner à présent sur la vision que les enseignants peuvent avoir sur leur groupe-classe et sur les leviers qu’ils préconisent pour influer positivement sur la dynamique du groupe-classe.

 2. Comment développer une meilleure dynamique du groupe-classe ?

2.1) Quelles sont les caractéristiques d’une bonne dynamique de classe ?

Lorsqu’on questionne les professeurs sur les caractéristiques d’une bonne et une mauvaise dynamique de classe, on peut dégager plusieurs thématiques, ces dernières ont été regroupées dans le tableau suivant [12].

Caractéristiques d’une bonne dynamique de groupeCaractéristiques d’une mauvaise dynamique de groupe
(1) Une solidarité et une entraide entre les élèves. (1) Un manque de savoir-vivre qui se traduit par de l’impolitesse, du bruit, de l’irrespect.
(2) Un savoir-vivre qui passe par de la politesse, de l’écoute. (2) Un manque de buts qui se traduit par une faible participation, une passivité, une dérive et du bruit.
(3) Un but commun à tous qui se traduit par de la motivation, de la curiosité. (3) Les meneurs dominent la classe, ce qui se traduit par une peur latente, un effacement de certains élèves.
(4) L’absence d’une emprise négative de leaders sur la classe. (4) Un niveau faible de la classe qui se traduit par un décrochage, par une prise de note sans comprendre, par des bavardages.
(5) Une bonne communication et un sentiment de confiance entre élèves et professeurs. (5) Un groupe qui n’a pas de « limite » ce qui se traduit par une difficulté à revenir au calme, par une dérive des discussions, etc.
(6) Une bonne entente entre les élèves : ils se connaissent bien. (6) Une classe passive qui se traduit par l’attente des corrections, par un manque d’investissement, par l’oubli de matériels et le fait que tout passe par l’enseignant (ce qui rejoint le point (1)).
(7) Des profils complémentaires dans la classe, chaque élève y a un « rôle ». (7) Toutes ces caractéristiques se traduisent par un « flicage » permanent de l’enseignant.

Selon les professeurs, une bonne ou mauvaise dynamique de groupe s’explique par la présence de plusieurs facteurs. Il paraît important de distinguer en premier lieu le facteur de but ou d’objectif, ce point est d’ailleurs également mentionné dans les travaux de D. Anzieu et J.Y. Martin pour qui, la conscience des buts du groupe restreint est élevée. Seulement de quel but commun parle-t-on alors ? Celui d’interagir avec les autres élèves ou celui de réussir son année par exemple ? Cette notion de but à définir semble primordiale et sera reprise dans les préconisations. Le second facteur qu’il semble important de soulever est celui du savoir-vivre. En effet, nombreux sont les professeurs qui attribuent à une mauvaise dynamique de groupe un manque de politesse chronique : des élèves qui rentrent en classe sans dire bonjour, qui se coupent la parole, qui prennent la parole sans lever la main, etc. Ce deuxième facteur est également important et fera l’objet de recommandations dans le cadre des leviers que l’enseignant peut activer. Le troisième facteur important est une bonne entente mais plus encore une entraide et une solidarité entre les élèves. Ce point peut également être associé à celui de complémentarité de compétences entre les élèves. En effet, une complémentarité peut faciliter une entraide réciproque (dans le cadre des enseignements par exemple). En parallèle, tous les professeurs mentionnent comme facteur de « mauvaise dynamique » l’emprise négative de certains leaders sur la classe. On peut également ajouter un manque de limites, que les élèves ne savent pas se fixer et les dérives (bruits, agitations…) qui en découlent.

Enfin, le dernier facteur important à mentionner pouvant influer sur une dynamique de groupe est le niveau des élèves. En effet, si l’élève n’a pas le niveau requis pour suivre le cours, son « but », s’il en avait un ne peut donc être atteint. Perdu, il se laissera alors « porter » en quelque sorte dans le groupe. Un professeur a mentionné « sa » règle empirique du « tiers » à savoir que si un tiers de la classe n’avait pas le niveau requis, cette dernière « basculait » en termes de dynamique de groupe.

Au vu de tous ces facteurs de bonne et mauvaise dynamique de groupe, de quels leviers disposerait alors le professeur pour influer positivement sur la dynamique de sa classe ?

2.2) Comment contribuer à une bonne dynamique du groupe-classe ? [13]

On peut regrouper les préconisations sous deux catégories ; celle qui découle d’une approche personnelle de l’enseignant et celle complémentaire, qui utilise la pédagogie institutionnelle comme outil de « dynamique de groupe ».

2.2.1) A travers l’approche personnelle de l’enseignant…

Le premier aspect à développer par l’enseignant est celui d’un travail sur les buts de l’élève et du groupe classe pour l’année en cours mais également au-delà. Ce travail permet une responsabilisation de l’élève et un repositionnement de ce dernier au cœur de son apprentissage. En le rendant acteur de sa réussite et en lui donnant un rôle dans la classe, on peut ainsi tirer le meilleur profit des dynamiques d’un groupe-classe. Le second aspect très important est le rôle primordial « de chef d’orchestre » de l’enseignant qui doit savoir fixer des limites à ne pas dépasser et des règles à respecter. Il doit de plus, veiller à protéger les plus faibles et désamorcer les problèmes en cherchant des solutions. D’autres caractéristiques propres à l’enseignant et notamment, sa personnalité, peuvent influer sur la bonne dynamique de groupe. Il peut faire preuve notamment d’humour et/ou de souplesse si nécessaire. Le troisième aspect à développer est d’ouvrir l’enseignement vers l’extérieur (et vivre l’enseignement différemment) dans le but de tirer un meilleur profit de ce que peut être la dynamique de groupe ; des projets communs ou des sorties de groupe peuvent fédérer le groupe et y intégrer l’institution, à savoir le professeur qui fait alors partie du groupe.

Cette approche de la bonne dynamisation du groupe, propre à l’enseignant dans le cadre de sa pédagogie au quotidien, peut être complétée par une approche qui répond à un grand nombre des facteurs engendrant une bonne dynamique de groupe (responsabilisation, règles de vie en commun…) et qui est la pédagogie institutionnelle de Fernand Oury (1920 - 1998 fondateur de la pédagogie institutionnelle avec Aïda Vasquez, psychologue). Les entretiens semi-directifs menés auprès des professeurs ont permis de confirmer la pertinence de cette approche en soulignant tout d’abord ses avantages et en déterminant ensuite les freins à lever pour que sa mise en œuvre puisse être concluante.

2.2.2) A travers la pédagogie institutionnelle

Fernand Oury a préconisé la mise en place de la classe institutionnelle, dans laquelle les problèmes divers (comportements, projets…) sont gérés par une institution qui permet de résoudre les problèmes de la classe loin du « chaos », de la passion et des rapports de forces. Cette institution ne peut être incarnée par l’enseignant seul car il n’est pas toujours présent pour « réguler » les conflits. Ainsi, l’institution appelée le « conseil » est formée de tous les élèves et animée par eux et par le professeur. Le conseil [14] se réunit en général une heure chaque semaine pour faire vivre le groupe, permettre la circulation de la parole et faire le point sur la vie du groupe. C’est un lieu de parole et de décisions où chacun doit trouver sa place dans le groupe. Des ceintures de comportement matérialisent la position provisoire de chaque élève par rapport aux exigences de la vie au sein du groupe et une « boîte à tout » permet de rassembler toutes les remarques des élèves qui constitueront l’ordre du jour du conseil à venir. La pédagogie institutionnelle fortement influencée par la pédagogie coopérative de Célestin Freinet (pédagogue français, 1896 – 1966) peut également intégrer des projets communs au groupe classe (dans le cadre de la coopération) ; pour Freinet, il s’agissait d’un journal par exemple. Dans une classe de première STMG, ce projet commun pourrait être par exemple un projet lié à une des matières enseignées (économie, sciences de gestion…). Après l’étude de plusieurs exemples de mise en œuvre de cette pratique pédagogique, notamment en lycées professionnels, une approche attire particulièrement l’attention, celle de Danielle Jasmin en primaire (au Québec). D. Jasmin a notamment complété les outils proposés par Freinet puis Oury, par un journal mural où les élèves épinglent les félicitations, les remerciements, les critiques ou les sujets à aborder à l’ordre du jour. L’outil d’Oury est donc un concept déclinable à l’envie en fonction de l’âge des élèves ou du contexte d’application.

Dans le cadre des entretiens, les enseignants interrogés confirment à la pédagogie institutionnelle de nombreux avantages.

2.3) Quels sont les avantages offerts par la pédagogie institutionnelle ?

La présentation de la pédagogie institutionnelle a reçu un accueil très favorable de la part de tous les enseignants mais également du proviseur du lycée qui connaît bien cette approche. Les avantages perçus peuvent être regroupés en cinq points.

  1. Une responsabilisation des élèves : selon tous les professeurs, l’un des aspects très positif de cette pédagogie est la responsabilisation des élèves notamment grâce au fait que cette approche leur laisse plus de latitude et qu’ils sentent qu’ils ont un « rôle » à jouer. En effet, cette responsabilisation leur permet de prendre conscience, par exemple, de la gêne occasionnée par les bruits ou par les comportements inappropriés. De plus, quand on permet aux élèves d’être plus responsables, ils sont souvent « partants » et motivés et cela se passe plutôt bien.
  2. Une relation d’échange : l’institution favorise la communication, l’élève est libre de dire ce qu’il ressent dans un contexte qui n’est plus celui de la classe traditionnelle mais prévu pour.
  3. L’instauration de nouvelles règles : dans le cadre des échanges, l’instauration de nouvelles règles acceptées dans le cadre du conseil permettrait de résoudre un grand nombre de problèmes et ainsi, réguler la classe. De plus, le concept des ceintures permet de lister les comportements et compétences attendus des élèves et de mesurer les progrès de ces derniers. C’est un outil stimulant de progrès pour les élèves.
  4. Une relation d’égalité : On considère par cette approche l’élève comme un individu à part entière.
  5. Une démocratie et une cohésion du groupe : Dans le cadre du conseil, le vote étant ouvert à tous, il est démocratique et permet ainsi une forte cohésion de groupe autour d’une décision commune. Le contrôle par les pairs est de plus, un premier pas vers l’apprentissage de la citoyenneté et de la démocratie.

 Conclusion

Les théories relatives au groupe permettent de mieux comprendre les enjeux qui se passent au sein du groupe-classe. L’enseignant en prenant conscience de ces « enjeux » peut influencer la bonne dynamique de sa classe. Cette dynamique s’appuie donc sur le rôle central de l’enseignant car c’est à lui que revient la fonction d’activer les leviers qui transformeront un « groupe-classe » en un « groupe-classe » avec une bonne dynamique de groupe. L’activation de ces leviers peut se faire par la pédagogie personnelle de l’enseignant à travers quelques exemples que nous avons cités mais également et en complémentarité, par la mise en place d’une pédagogie institutionnelle dans la classe notamment dans les classes les plus difficiles.

Remerciements :

Aux professeurs et au proviseur du lycée J.M du Val d’Oise pour leurs échanges d’expérience qui ont permis d’élaborer des pistes de réflexion concernant les caractéristiques d’une bonne dynamique de classe et la contribution de l’enseignant à cette dernière.

 Bibliographie

Ouvrages :

  • Amado, Gilles, Dynamique des communications dans les groupes, (2012), Paris, Armand Colin, 2014
  • Anzieu D., Martin J.-Y., La dynamique des groupes restreints, PUF, coll. « Quadrige Manuel », 2007
  • Bion, Wilfried R., Recherches sur les petits groupes, (1965) Paris, PUF, 2006
  • Chapelier JB et Roffat. D., Groupe, contenance et créativité, Toulouse, éditions érès, 2011
  • Falguière Jacqueline, Analyse de groupe et psychodrame, Toulouse, Erès, 2002

Sitographie :

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Notes

[1Anzieu Didier, Martin Jacques-Yves, La dynamique des groupes restreints, (1968) Paris, PUF, 2015, p.84

[2Anzieu Didier, Martin Jacques-Yves, La dynamique des groupes restreints, op.cit., p.42.

[3Anzieu Didier, Martin Jacques-Yves, La dynamique des groupes restreints, op.cit., p.43.

[4Falguière Jacqueline, Analyse de groupe et psychodrame, Toulouse, Erès , 2002, p.30.

[5Anzieu Didier, Martin Jacques-Yves, La dynamique des groupes restreints, op.cit., p.87.

[6Amado, Gilles, Dynamique des communications dans les groupes, op.cit., p.81.

[7Ibid., p.81.

[8Ibid., p.82.

[9Amado, Gilles, Dynamique des communications dans les groupes, op.cit., p.83.

[10Bion, Wilfried R., Recherches sur les petits groupes, (1965) Paris, PUF, 2006, p.99.

[11Chapelier JB, Roffat. D, Groupe, contenance et créativité, Toulouse, Erès, 2011, p.97.

[12Etude menée en 2015-2016 avec sept professeurs d’un lycée du val d’Oise (95) enseignant les matières générales et technologiques à des élèves de sections générales et/ou STMG.

[13L’analyse des entretiens semi-directifs des professeurs a permis de déterminer quelques leviers d’une bonne dynamique de groupe, les principaux ont été retenus.

[14Freinet, parle de « conseil de coopération », Oury, le plus souvent de « conseil ».

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