Le chef d’œuvre : un levier pour favoriser la construction du projet professionnel de l’élève

, par Nadia CHEBBI

Le chef d’œuvre prend une dimension professionnelle, dès lors qu’il permet d’atteindre la maîtrise des trois savoirs : savoir, savoir-faire, savoir-être. Il constitue un outil de formation et un chemin transversal qui rassemble toutes les compétences objectives entre l’école et le monde professionnel. C’est ainsi, qu’il s’inscrit dans une démarche collective qui a pour but d’associer les élèves, les partenaires économiques et/ou des collectivités territoriales. Sa réalisation incarne la pédagogie de projet, c’est l’aboutissement d’un projet pluridisciplinaire qui peut être individuel ou collaboratif et s’appuie sur des compétences transversales et professionnelles.

L’enseignant utilise un objet de formation pour donner du sens aux compétences acquises et préparer le projet de l’élève. Ainsi, le chef d’œuvre permet d’engager l’élève dans sa formation pour faciliter la construction de son projet d’orientation.

Avec la transformation de la voie professionnelle, l’accompagnement à l’orientation devient un enjeu majeur pour permettre à l’élève d’élaborer progressivement son projet d’avenir. Cet accompagnement a un double objectif : appréhender la diversité du monde économique et son fonctionnement mais aussi élaborer son projet personnel et professionnel. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi pour « la liberté de choisir son avenir professionnel », l’objectif est d’aider l’élève à devenir acteur dans la construction de son projet d’orientation. Aussi, pour élaborer ce projet de poursuite d’études ou d’insertion professionnelle, le professeur accompagne l’élève à chaque niveau d’enseignement. En cela, il va renforcer ses connaissances du monde économique et lui permettre de gagner en autonomie. Alors, comment l’enseignant peut-il moduler ses pratiques pour rendre l’élève acteur de son orientation ?

Les travaux sur l’approche éducative en orientation (Pelletier et Dumora, 1984) conçoivent la tâche d’orientation comme un processus conduisant le jeune à devenir un sujet autonome. Pour cela, il doit développer un projet et se mobiliser pour atteindre le but fixé. Sachant que les élèves s’investissent différemment ; comment repenser les pratiques enseignantes pour mieux gérer cette hétérogénéité au sein du groupe et favoriser une différenciation pédagogique en faveur de la construction du projet professionnel ?

 1/ Le chef d’œuvre : un moyen d’appréhender la complexité du monde professionnel

La réalisation du chef-d’œuvre donne du sens à l’élève et une cohérence à son parcours, dans la mesure où ce dernier renforce les savoirs professionnels et généraux et lui permet de mieux se représenter son futur métier. Il participe ainsi à la préparation de son insertion professionnelle future, ou de sa possible poursuite d’étude le cas échéant.

Le cheminement intellectuel de l’élève :

 2/ …Une source de motivation extrinsèque contribuant à la construction du projet de l’élève :

2.1- Interview d’Emilie Slimane responsable pédagogique de l’épicerie solidaire du Lycée Condorcet de Limay :


Emilie Slimane, professeure en économie gestion au lycée Condorcet de Limay en charge d’une classe de CAP employé polyvalent de commerce est responsable du projet de l’épicerie solidaire.

« Nos classes sont hétérogènes ; l’élève standard n’existe pas. En tant que professeur, notre plus grand défi est de repenser nos pratiques pédagogiques pour enrôler l’élève dans la tâche, lui donner du sens et l’engager dans SON projet professionnel ».

Ses préconisations pour repenser ses pratiques pédagogiques en faveur du projet d’orientation de l’élève :

« La pédagogie de projet m’a semblé être pertinente pour former et enseigner au plus près de la réalité des entreprises. Ainsi, avec mon collègue de lettres-histoire ; Loic Seillier-Ravenel nous avons à travers une réflexion commune définies les modalités d’intervention pour permettre aux élèves de progresser dans un contexte de travail motivant et professionnalisant en leur faisant acquérir des gestes et postures professionnels en adéquation avec le monde de l’entreprise. En outre, la création de cette épicerie a permis à nos élèves de disposer d’un outil vivant se rapprochant le plus de la réalité des métiers au travers des mises en situation concrètes. Le fonctionnement des différents services est pensé pour permettre une rotation des élèves afin de les impliquer dans des missions concrètes et réelles. L’élève passe ainsi d’une posture de spectateur à acteur et progresse à son rythme. L’objectif est de lui donner plus de sécurité personnelle pour agir et accroître sa confiance en soi et en ses possibilités ».

Pour quelles modalités d’organisation :

« Notre projet facilite la construction d’un projet professionnel, en permettant d’accroître la motivation et de mettre à profit l’expérience acquise durant les Périodes de Formation en Milieu Professionnel. En cela, nous avons favorisé les partenariats extérieurs auprès des entreprises, associations, collectivités locales pour permettre une meilleure compréhension des enjeux et une adhésion du parcours scolaire par chacun. Ces interactions ont permis de développer l’esprit d’initiative mais aussi de promouvoir l’excellence professionnelle de l’élève en vue de valoriser son parcours de formation auprès de ses futurs recruteurs et de préparer au mieux une insertion professionnelle réussie ».

2.2- Témoignage de Samir élève de Terminale CAP employé polyvalent de commerce :


2.3- La mise en œuvre effective du projet :

 3/ Les points de vigilance

3.1- Nécessité d’avoir une vision globale de l’élève :


Pour une orientation réussie, le choix d’une formation doit être intrinsèquement lié au développement d’un projet personnel individuel. Elle est influencée par des facteurs personnels mais aussi non personnels. Une approche globale de l’élève, en tant que personne, est nécessaire. Aussi, pour accompagner cette construction de ce projet professionnel, selon Y. Reuter en 2016, l’adolescent ne se réduit pas à la seule figure de l’élève. La prise en compte de l’élève dans sa globalité est primordiale pour faire en sorte que son projet de vie ne se réduise pas au seul projet scolaire.


Préconisation de Emilie Slimane :

3.2- Repenser les outils d’évaluation et de suivi d’acquisition des compétences

Dans la pratique, le chef d’œuvre requestionne le cadre de l’évaluation, puisqu’il n’entre pas dans un cadre formel. Les élèves n’apprenant pas tous la même chose au même moment. La plupart des chercheurs s’accordent sur le fait que l’évaluation d’un projet doit être pensée et structurée en amont. Par conséquent, selon Emilie Slimane, il est utile de proposer un outil de suivi de type carnet de bord papier ou numérique, il permet à l’élève de se constituer progressivement un portefeuille de compétences afin de recenser tous ses acquis et de les valoriser auprès des futurs recruteurs. L’évaluation prend alors un nouveau sens, elle ne peut pas être limitée à une succession de problèmes à résoudre mais s’inscrit dans une logique de formation qui doit être porteuse de sens pour l’élève. Elle est alors pensée de façon globale : quel objet évalué ? A quel moment l’évaluer ? A quelle fréquence évalue-t-on l’élève. L’enseignante accompagne l’élève dans la verbalisation des activités et lui permet de conscientiser les compétences acquises. La remédiation s’inscrit alors comme une étape nécessaire afin de proposer des ajustements et réguler les apprentissages. Pour ce faire, elle propose des outils d’accompagnement pour amener l’élève à expliciter sa démarche et faciliter la transférabilité des compétences acquises.


Grille descriptive d’activité proposée pour accompagner l’explicitation de l’élève :

Les élèves peu familiers du travail scolaire réalisent les tâches demandées sans toujours percevoir l’apprentissage qu’elles permettent, confondant le moyen (la tâche) et le but (l’apprentissage). Il est nécessaire de développer leur réflexion sur ce qu’ils ont appris au-delà de ce qu’ils ont fait, d’encourager les liens entre les apprentissages disciplinaires, de développer le sens qu’ils donnent à leur activité. Ainsi, l’entretien d’explicitation est une démarche de guidage par un questionnement prédéfini favorisant la prise de conscience et la réflexivité chez l’élève : Comment fais-tu ? Cette simple question posée favorise une conscientisation de ses processus intellectuels et l’encourage à une activité mentale qui favorise le développement d’une capacité réflexive (Bonnery, 2016).


3.3- Comment l’enseignant peut-il repenser sa posture ?

L’enseignant passe dans les rangs et regarde ce que font les élèves. En fonction de ce qu’il observe il intervient pour aider à surmonter un obstacle en rappelant des éléments vus précédemment. Il doit aussi veiller à aider ses élèves à se poser les bonnes questions, à repérer les bons indices dans la tâche, à maintenir leur attention par rapport à l’apprentissage visé par la tâche proposé. Dès lors comment appréhender le travail enseignant dans sa complexité ? L’activité de Emilie Slimane consiste à mettre en activité un ensemble complexe de préoccupations et de créer des interactions au sein du groupe pour favoriser l’acquisition de compétences spécifiques ; D. Bucheton en a identifié 4 :

  1. Le pilotage des dimensions spatio- temporelles : il s’agit d’une préoccupation vaste et très pragmatique : le contrôle du temps, les déplacements de l’enseignant, le contrôle de ceux des élèves, l’utilisation des supports proposés.
  2. Le maintien d’une certaine atmosphère : il s’agit ici de rendre compte du climat général cognitif et relationnel qui autorise ou non la prise de parole de l’élève et son niveau d’engagement attendu dans l’activité.
  3. Le tissage : c’est la préoccupation de l’enseignant qui l’amène à articuler les différentes unités de l’activité. Cette préoccupation s’actualise en deux modalités principales : souligner l’entrée en matière, opérer la transition à la fin de l’unité.
  4. L’étayage : c’est le geste que l’enseignant fait avec l’élève pour accompagner l’acquisition des compétences qu’il ne peut mener seul. Cette préoccupation s’actualise en trois sous-catégories : le soutien, la demande d’approfondissement, le contrôle des réponses. L’imbrication de ces préoccupations communes est constante.

 4/ Conclusion

La conduite du chef d’œuvre demande aux élèves d’apprendre à collaborer : ils pourront discuter le choix du thème, les outils et les techniques utilisés, les lieux visités et les acteurs extérieurs rencontrés. Ils auront à se positionner en tant que futur professionnel en proposant des ressources en prenant en compte leur environnement pour anticiper et résoudre les problèmes rencontrés. C’est cette situation de résolution de problème qui participe au processus de professionnalisation.

Au-delà de la perspective de créer une dynamique et des interactions créées, le chef d’œuvre permet aux élèves de parfaire leur savoir-faire dans un contexte professionnel dont ils sont les principaux acteurs. Le développant l’autonomie, l’initiative, et la socialisation par un travail collaboratif des élèves permet de marquer l’achèvement de la formation et témoigne des talents et des compétences acquises. Il renforce ainsi l’estime de soi et permet une projection positive dans son futur parcours professionnel.


 Sitographie

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)