Multicanal, cross-canal, omnicanal Enjeux et implications managériales pour les distributeurs

, par Catherine Guillien

 Introduction

Le terme multicanal est un néologisme qui renvoie à plusieurs notions :

  • du point de vue de l’entreprise, il fait référence à la multiplication des canaux de contact entre une entreprise et ses clients ou ce qui nous intéresse ici à la juxtaposition par un distributeur de plusieurs canaux de distribution. En théorie, le multicanal peut s’appliquer à la juxtaposition d’un réseau de magasins physiques et d’un canal « catalogue » ou « téléphone » mais le terme est le plus souvent utilisé pour désigner la mise en place d’un réseau de distribution physique et virtuel.
  • du point de vue du client, la notion de multicanal renvoie aux pratiques lors du processus d’achat.

Par ailleurs, selon les auteurs, les termes de multicanal ou multicanalité et multicanal ou multi-canaux sont utilisés dans des contextes similaires.

Pour les chercheurs qui se sont intéressés à ce sujet le « multicanal » est aujourd’hui une évidence tant dans les comportements d’une majorité de clients que dans les organisations des distributeurs, qu’il s’agisse des plus grandes enseignes de la distribution ou de commerçants indépendants qui se mettent au multicanal à moindre frais pour capter un public plus large ou prolonger la relation client.

Le plus souvent la question de la multicanalité est envisagée pour des distributeurs dont le canal historique est physique et qui passent ainsi de « Brick and Mortar » [1] à « Click and Mortar ». Cependant, des Pure players diversifient également leurs formes de contact client avec plus ou moins de succès, complétant leur site virtuel par des points de ventes physiques à l’instar de Cdiscount ou Pixmania, créant, comme le spécialiste de l’ameublement Miliboo, un espace de showrooming connecté « la milbootik » ou installant des points de contact digitaux dans les centres commerciaux comme Rue du Commerce au Centre commercial Qwartz de Villeneuve la Garenne (92).

Avec la forte croissance du commerce électronique [2] (site Internet marchand traditionnel mais aussi Internet mobile) la question pour un distributeur n’est plus de mettre en place ou non une organisation multicanale mais bien quelle stratégie multicanale définir pour améliorer la rentabilité, se différencier et accroitre la fidélisation de la clientèle. Quels moyens mettre en œuvre pour optimiser ces choix ? Les recherches menées éclairent des aspects divers de ces questions.

Certains travaux mettent l’accent sur l’intérêt mais aussi les difficultés inhérentes au multicanal. En effet, si le multicanal présente des avantages évidents pour les distributeurs, un certain nombre d’inconvénients voire de freins lors de sa mise en place ont pu être notés, inconvénients dont il faudra tenter de limiter la portée tant par les décisions stratégiques prises que par la mise en œuvre opérationnelle.

Plusieurs recherches ont eu pour objectif de décrire les comportements des clients en contexte multicanal, de quantifier les pratiques, de tenter de trouver des critères de segmentation afin de guider les choix des distributeurs.

Certains auteurs se sont efforcés de clarifier les choix qui s’offrent aux distributeurs dans la conception de l’organisation multicanale, tant en termes de relations entre les différents canaux que de modifications à apporter aux points de vente physique. Il s’agit pour les distributeurs de définir quels sont les types de synergie souhaités : dans quelle mesure la stratégie multicanale doit devenir une stratégie cross canal c’est-à-dire qui établit des ponts entre les différents canaux, dans quelle mesure elle doit prendre en compte l’omnicanalité du client c’est-à-dire sa capacité à être sur plusieurs canaux en même temps grâce aux technologies mobiles. Des modèles divers, présentant des caractéristiques plus ou moins innovantes et sans doute plus ou moins pérennes apparaissent.

Enfin plusieurs auteurs s’interrogent sur les leviers permettant d’optimiser la mise en œuvre de cette stratégie multicanale tant en termes organisationnels qu’en ce qui concerne le management du personnel en magasin physique dont le rôle est considérablement modifié et qu’il s’agit de mobiliser.

 I. Avantages et inconvénients des stratégies multicanales

De nombreux auteurs ont mis en évidence les avantages et inconvénients du multicanal pour les distributeurs. Un tableau synthétique issu d’une étude qualitative de Coehlo et Easingwood est proposé par Sophie Jeanpert.

Avantages Inconvénients
Augmentation des ventes

  • par extension de la couverture de marché
  • par amélioration de la satisfaction client
  • par ciblage
Risque de ressentiment et de confusion pour le consommateur
Réduction des coûts Conflits entre canaux
Meilleure qualité et quantité d’informations pour le client Augmentation des coûts
Réduction du risque pour l’entreprise Perte de distinction de la marque
Coehlo et Easingwood 2004 Les avantages et inconvénients des systèmes de distribution multicanaux [3]

Ces différents points ont été développés, précisés ou complétés au travers de la littérature.

 1) Avantages du multicanal

Certains des avantages soulignés sont liés aux caractéristiques du nouveau canal, d’autres sont le fait de la multicanalité. Les avantages relèvent du développement du chiffre d’affaires mais aussi de la réduction des coûts ou d’une plus grande efficience.

L’ouverture d’un site Internet marchand permet à une enseigne physique d’élargir sa clientèle en couvrant une zone géographique plus vaste.

Elle permet par ailleurs l’augmentation des ventes auprès de la clientèle existante. Régine Vanheems souligne l’intérêt des clients « mixtes » plus rentables grâce à la multiplication des occasions de contact et donc de chiffre d’affaires complémentaire. Pour Géraldine Michel et Jean Pierre Helfer l’existence de plusieurs canaux de contacts améliore la relation client en favorisant la personnalisation des messages, l’interactivité, la durabilité et la continuité (tous les jours). Elle améliore également l’efficience des actions de communication en permettant une adaptation des moyens.

L’amélioration de la satisfaction client résulte donc d’une meilleure relation client mais également de la plus grande liberté offerte par la multicanalité des enseignes lors du processus d’achat. Elle a pour conséquence une moindre évasion vers la concurrence.

L’amélioration des coûts découle de la mise en place de synergies entre les canaux, d’économies d’échelle du fait du développement des ventes ou de la mise en place de « nouveaux modèles » plus économiques comme le Drive comparé à la livraison à domicile. En effet, les différentes phases du processus de vente (Information client / transaction / logistique) peuvent être plus ou moins automatisées et la logistique prise en charge de façon plus ou moins importante par le client afin d’adapter les coûts au profil client et à sa valeur (capital client).

 2) Inconvénients du multicanal

Les coûts peuvent être accrus et non réduits selon les choix faits par l’entreprise car la mise en place d’un nouveau canal nécessite des investissements.

En ce qui concerne l’impact sur le chiffre d’affaires, il existe un risque de cannibalisation entre les points de vente physiques et le site Internet, certains clients décidant simplement de basculer d’un canal à l’autre.

Des conflits d’intérêts peuvent apparaître entre les différents départements de l’entreprise, la perte de chiffre d’affaires étant redoutée par les points de vente physiques. Ce risque est particulièrement délicat lorsqu’il s’agit de réseaux de magasins franchisés. Ces conflits peuvent être lourds de conséquences pour la performance globale de l’enseigne.

De plus, les unités physiques craignent le développement du showrooming, pratique qui consiste pour un consommateur à utiliser certains points de vente afin d’obtenir de l’information sans intention d’achat.

Par ailleurs, dans de nombreuses situations, l’absence de cohérence entre le site Internet et les points de vente physiques peut créer chez le consommateur ressentiment et confusion. La fréquentation des différents canaux créant des attentes en termes d’assortiment et de prix par exemple. R. Vanheems souligne également la prise en compte inadaptée ou inexistante des clients multicanaux par les vendeurs.

Enfin il existe un risque de démotivation de vendeurs désorientés par l’expertise de clients « éclairés » [4].

 II. Comportement client dans un contexte multicanal

Connaître finement et comprendre le comportement client dans cet univers multicanal est une nécessité pour les distributeurs qui souhaitent optimiser leur organisation.

 1) Caractéristiques et attentes des clients selon les canaux

Plusieurs études analysent les comportements clients lors du processus d’achat. Le choix d’un canal résulterait de l’attitude générale à l’égard de l’acte d’achat puis des avantages recherchés par le client, ceux-ci variant selon le contexte d’achat et le type de produit. Marc Filser propose une typologie des avantages recherchés selon le type de canal de vente [5].

Type de canal au détail
Commerce en ligne Canaux traditionnels
Type de comportement Poursuite d’un objectif Commodité
Etendue du choix
Fiabilité de l’information
Absence de relations sociales
Contacts avec le produit
Retour des produits
Logistique du magasin
Recherche d’expérience Relations sociales choisies
Bonnes affaires
Implication à l’égard du produit
Surprise, excitation
Atmosphère
Relations sociales choisies

Un entretien auprès d’un responsable de l’enseigne Houra.fr (groupe Cora) met en évidence des différences de comportement et de motivation entre les acheteurs on line et magasins.

La fréquentation est plus importante mais le nombre d’articles et le panier moyen inférieur chez les clients magasins (15/20 articles par chariot pour 60 euros de PM et 1 à 2 passages par semaine comparé à 210 euros pour 50 articles environ 1 fois par mois).

D’après cette enseigne, la motivation essentielle des clients online est de gagner du temps pour mieux profiter de leurs loisirs. Cependant la maîtrise du montant des dépenses en temps réel (information du montant des dépenses au fur et à mesure de la constitution du panier d’achat) est également une caractéristique appréciée par les clients online de même que la limitation des tentations pour soi-même ou pour les enfants. Le responsable souligne qu’il existe aussi des niches telles celles des clients à mobilité réduite, des déficients visuels ou des femmes enceintes.

Selon C. Bèzes [6] les différences entre clients canal magasin et canal Internet s’estompent avec la démocratisation des technologies numériques, car beaucoup de clients aujourd’hui s’informent sur Internet. Mais il existe quelques différences si l’on compare non plus le comportement global du client mais la phase d’achat. Des caractéristiques personnelles (sexe, lieu d’habitation, attitude inhérente à l’achat sur Internet ou en magasin) permettent de différencier les acheteurs monocanal Internet, monocanal magasin et multicanaux.

Dans une étude portant sur une enseigne mulicanal spécialisée dans le secteur des produits techniques, il relève qu’un critère particulièrement prédictif est la distance domicile - point de vente, donnée intéressante parce que facilement disponible dans les fichiers de porteurs de carte ou par géocodage. Les acheteurs exclusivement Internet résident loin des magasins et dans de petites communes, les acheteurs multicanaux dans des villes moyennes et les acheteurs exclusifs magasins à proximité de ceux-ci dans des grandes villes.

Par ailleurs, la motivation des clients lors de la phase de préparation à l’achat est différente selon les canaux. Les clients se rendent en magasin essentiellement pour obtenir des conseils des vendeurs puis pour essayer le produit. Sur Internet ils sont essentiellement à la recherche d’informations ou de comparaisons de prix et consultent avant tout les sites marchands des enseignes puis les comparateurs.

Ainsi, disposer de différents canaux permet bien de toucher des clientèles aux caractéristiques et attentes différentes, qu’elles soient permanentes ou liées au contexte.

 2) Définition et comportement du client multicanal

Au-delà de ce premier aspect, la majorité des études montre une tendance croissante des clients à utiliser plusieurs canaux.

Le client peut être multicanal parce qu’il adapte son choix de canal au contexte (type de produits, situation personnelle…) preuve en est pour le premier critère le poids relatif du commerce électronique selon les secteurs d’activité. L’achat de voyage se pratique en ligne plus que l’achat de prêt-à-porter.

Mais de plus en plus souvent, le client est multicanal au cours du même processus phase de recherche d’informations sur Internet puis phase d’achat en magasin par exemple. Ce sont ces clients dont il est particulièrement important de comprendre le comportement et les motivations pour les distributeurs.

De plus, Marc Filser et Sandrine Heitz-Spahn [7] mettent l’accent sur le fait que les clients utilisent très souvent plusieurs canaux au cours d’une même phase (recherche d’informations sur Internet et en magasin physique). Dans leur étude, ils ne détaillent pas la phase de transaction mais, de la même manière, elle peut aujourd’hui être réalisée sur plusieurs canaux (réservation en ligne puis retrait en magasin). L’Internet mobile qui rend possible la fréquentation simultanée de deux canaux (consultation en magasin d’un site marchand depuis un smartphone) accentue encore ce phénomène de multicanalité du client.

Marc Filser et Sandrine Heitz-Spahn ont mesuré le poids des différents types de comportement qu’ils nomment trajectoires de comportement clients à partir d’une enquête quantitative.

Préparation de l’achatAchatPourcentage
Internet -> Magasin Magasin 19,2 %
Magasin Magasin 17,6 %
Internet Internet 9,9 %
Internet -> Magasin Internet 9,7 %
Magasin -> Internet Internet 9,7 %
Autres 33,9 %

Le poids des trajectoires multicanales ou processus hybrides est très important puisqu’il représente 70 % des situations. L’utilisation de plusieurs canaux pendant la phase de préparation est très significative. Les auteurs notent que le poids des trajectoires varie selon les catégories de produits. La trajectoire Internet/magasin/magasin est dominante pour les produits d’ameublement, électroniques et électroménager. La trajectoire dominante reste monocanal offline pour les vêtements et à parts égales monocanal offline et monocanal online pour les produits culturels.

Leur étude les amène par ailleurs à croiser les comportements clients en termes de canaux et en termes de nombre d’enseignes fréquentées au cours du processus d’achat.

Comportement à l’égard des enseignes
Multi enseignes Mono enseigne
Multi canaux 55 % 15,6 %
Mono canal 12,5 % 16,9%

Si la majorité des clients sont multi canaux/multi enseignes, les autres catégories sont toutes significatives. Le comportement multicanal/multi enseignes est dominant pour les produits à forte valeur financière et achat peu fréquent ; le comportement monocanal /multi enseigne dominant pour les vêtements et accessoires et le comportement monocanal /mono enseigne correspond aux produits culturels.

Le poids du comportement multicanal et plus encore l’existence de 15 % de clients multicanaux/mono enseigne démontre la complémentarité de ces canaux pour les clients lors d’un même processus d’achat.

Par ailleurs, selon Régine Vanheems [8] les clients mixtes (achetant sur Internet et en magasin) sont plus précieux que les autres. A partir de l’exemple d’un distributeur américain révélant que les clients qui utilisent trois canaux de vente de l’enseigne (magasin, catalogue, Internet) dépensent au moins quatre fois plus que les clients monocanal, elle mène des recherches complémentaires afin de comprendre si l’ajout d’un site Internet est à l’origine d’un développement de la valeur client.

Elle constate que lors de la mise en place d’un site Internet, celui-ci ne se substitue pas aux magasins car les clients mixtes achètent sur Internet mais achètent autant en magasin que les clients restés fidèles au magasin. Pour elle, les clients mixtes sont des « adeptes du shoping » qui « multiplient, de fait les occasions et les expériences d’achat ». Dans un premier temps, ils choisissent selon les circonstances un environnement Internet ou un environnement magasin pour effectuer un achat et dans un second temps visitent les enseignes qu’ils connaissent dans cet environnement. L’enseigne, grâce à sa multicanalité, entre donc dans « l’ensemble de considération » du client sur les deux canaux. Ainsi la mixité est un vecteur de développement de la fidélité comportementale à l’enseigne. La redistribution des achats se fait entre enseignes concurrentes et non entre le site Internet et les magasins de l’enseigne. Il n’y a pas de cannibalisation.

De même C. Bèzes constate dans une autre étude que les acheteurs multicanaux sont les visiteurs les plus réguliers de la boutique en ligne, suivis par les acheteurs exclusifs site puis par les acheteurs exclusifs magasins qui fréquentent malgré tout le site pour y obtenir des informations.

 3) Comportement du client multicanal en magasin physique

Certains auteurs [9] ont dans un premier temps estimé que le client multicanal était plus sensible aux stimulations en point de vente mais des études plus récentes font ressortir l’inverse [10].

Il semblerait que les modes opératoires des clients évoluent en permanence, les clients s’appropriant les nouvelles possibilités offertes par les technologies et développant de nouvelles stratégies d’achat.

R. Vanheems [11] montre que le client se comporte différemment en magasin lorsqu’il a d’abord fréquenté le site Internet en termes de définition de son problème de consommation (il a un projet plus abouti et une meilleure définition de son budget), d’exploration de l’offre (son activité est réduite, concentrée sur quelques produits, plus planifiée), de magasinage (absence de butinage, moins sensible à l’offre et sa présentation), d’expérience vécue ou de relation avec le personnel de vente (parfois un comportement de défiance vis-à-vis du personnel est noté). Il se comporte comme avec une liste d’achats.

La possibilité de faire des allers-retours sur le site de l’enseigne et en magasin facilite la prise de décision pour les achats réfléchis et notamment les achats familiaux comme ceux concernant l’amélioration de l’habitat. Le client est alors plus rapide dans sa prise de décision. Les délais de réflexion sont raccourcis.

La préparation préalable de son achat sur Internet l’amène à avoir des attentes différentes en magasin. Tout d’abord Il souhaite une accessibilité rapide à l’offre, ne pas perdre de temps en magasin à chercher le produit désiré. Lorsqu’il s’adresse aux vendeurs il est à la recherche d’informations complémentaires, plus pointues et souhaite être conforté dans son choix plutôt que conseillé et donc moins facile à réorienter vers un autre produit. Le client est en attente d’un nouveau type de relation basée sur l’échange de connaissances et pouvant aboutir à une certaine complicité. Plus serein lorsque le processus se déroule comme prévu il est aussi plus sujet à la frustration et l’énervement qu’un client moins préparé.

Une Etude de Y. Bouzid et R. Vanheems [12] dans le secteur du prêt-à-porter montre une volonté de la part des clientes ROPO (research on line, purchase offline) de maîtriser la situation (maitrise du temps et du budget consacré) et au-delà une volonté de maîtrise de soi (et de ses dépenses). En préparant leurs achats sur Internet les clientes cherchent à résister à la tentation. Le parcours cross canal permet de se soustraire aux manipulations au sein du magasin et participe d’une forme de contre-pouvoir. Ce comportement affaiblit donc la logique expérientielle.

 III. Définition des caractéristiques d’une stratégie cross canal par le distributeur

La banalisation du multicanal chez les distributeurs ne permet plus de fait d’en faire une source de différenciation. Celle-ci ne peut provenir que de la capacité à gérer mieux que d’autres le multicanal. Il s’agira donc de passer de canaux multiples mais fonctionnant en parallèle à la meilleure organisation combinée de ces canaux c’est-à-dire à une stratégie cross canal.

Par ailleurs, il ne peut exister de stratégie idéale valable pour tous les secteurs et toutes les enseignes.

 1) Choix du degré de convergence

Le réseau de magasins physiques et le site Internet de l’enseigne peuvent présenter différents degrés de convergence. A l’une des extrémités de l’échelle, on trouve des distributeurs qui ont fait le choix de deux noms différents entre le site Internet marchand et le réseau physique comme Houra.fr et Cora (groupe Louis Delhaize). Cette stratégie donne toute liberté en matière de décisions marketing mais n’offre de synergies qu’en termes de back office. On peut considérer qu’il ne s’agit pas réellement d’une stratégie multicanal.

Un même nom pour le réseau physique et le site marchand offre une synergie en termes de capital de l’enseigne : notoriété, image, qualité perçue. Les clients font de fait des transferts entre magasins et site Internet comme ils le font entre magasins d’une même enseigne. Cependant l’intensité du lien réel est très variable selon les enseignes. R. Vanheems [13] propose un modèle en quatre niveaux : cohérence, convergence, synchronisation, intégration.

Stratégie de gestion combinée des canaux

Le premier niveau doit impérativement être mis en œuvre. La cohérence des informations transmises est indispensable sous peine d’insatisfaction client et l’utilisation de codes graphiques et de slogans cohérents doit permettre de construire une image claire de l’enseigne.

La convergence vers un objectif de maximisation des ventes globales, de satisfaction client ou de diminution des coûts nécessite une réorganisation de l’entreprise afin de rapprocher des départements fonctionnant de manière indépendante.

La synchronisation suppose d’abandonner le fonctionnement en silos pour organiser de manière concomitante les évènements commerciaux sur Internet et dans les magasins et parallèlement permettre aux clients d’utiliser indifféremment site Internet et magasins par exemple en retirant en magasin un article acheté sur Internet ou ramenant en magasin un produit qui ne leur convient pas. La synchronisation apporte aux clients un meilleur niveau de service en offrant plus de commodités et permet une meilleure connaissance client grâce à une base de données unique et donc un meilleur ciblage.

Le dernier niveau, l’intégration consiste à proposer une offre commerciale identique sur l’ensemble des canaux.

De son côté, C. Bezes montre à partir d’une étude menée sur la FNAC l’intérêt de maximiser la congruence des canaux Internet et magasins physique. La congruence perçue est définie par C. Bèzes comme une notion proche de la similarité mais moins forte que celle-ci et issue d’un raisonnement par analogies. Une congruence extrême semble rassurer les consommateurs. Le magasin demeure la référence pour les acheteurs exclusifs magasins et pour les acheteurs exclusifs site Internet mais c’est le site Internet qui devient le point de comparaison pour les acheteurs multicanaux. Le distributeur a donc intérêt à améliorer simultanément les dimensions d’image des deux canaux telles que l’assortiment par exemple. Les dimensions périphériques telles que les promotions ou des exclusivités Internet pourraient permettre de différencier les deux canaux sans créer de préjudice aux magasins.

Sachant que la recherche de convergence et en particulier les décisions de synchronisation et d’intégration nécessitent des investissements matériels et humains, des modifications organisationnelles parfois lourdes ne sont pas exemptes de risques. Le distributeur doit donc en fonction de son secteur d’activité, de son positionnement, et de son réseau existant définir le degré de convergence voulu et les rôles respectifs des différents canaux. Doivent-ils être identiques ou complémentaires et dans ce cas quelles doivent être les priorités ?

Un élément de réponse réside dans le potentiel e-commerce du secteur. Cédric Ducrocq [14] propose une évaluation du potentiel du e-commerce par catégories de produits à partir des critères de « vendabilité commerciale » c’est-à-dire la propension des clients à acheter le produit sans toucher-voir, essayer et sans jouissance immédiate du produit, de « vendabilité économique » comparaison du prix de revient de la distribution sur Internet par rapport à la distribution en magasin, de la qualité comparée de l’expérience d’achat en ligne et magasin et de la cible plus ou moins technophile.

Au-delà, la compréhension du processus d’achat spécifique au secteur et les conditions de la rentabilité permettent de définir les bons choix en matière de stratégie cross canal.

 2) Domaines de décisions et pratiques cross canal

Des décisions doivent être prises en matière de mix marketing. L’assortiment est-il identique sur les deux canaux (souvent le cas pour les enseignes ne proposant que leur propre marque), plus profond sur le site du fait de moindres contraintes logistiques (par exemple l’offre de meubles de Maisons du Monde) , plus étroit car destiné à présenter l’offre de base ou seulement certains produits pour des raisons économiques (Ikea) ou présente -t-il des exclusivités ? Sachant que la structure des coûts de distribution n’est pas la même en magasin et sur Internet, le niveau de prix est-il identique entre les canaux et dans ce cas fixé sur quelle base ? Est-il attractif par rapport aux autres sites e-commerce ? Enfin les campagnes promotionnelles sont- elles simultanées en ligne et en magasins ?

L’enseigne doit par ailleurs définir sa stratégie en matière de gestion des stocks et de logistique de livraison. En effet le stock peut être commun au site Internet et aux magasins ou au contraire distinct avec un entrepôt spécifique (lorsqu’un client passe commande sur le site Internet le produit peut être prélevé sur le magasin ou sur le stock du site). Différentes possibilités de réservation, de livraison et de retrait peuvent être proposées.

Le distributeur doit également déterminer les possibilités en termes de logistique aval c’est-à-dire de retour produit. Le consommateur peut-il rendre en magasin un produit acheté sur le site ?

De manière globale, l’enseigne doit définir quelle liberté est laissée au client pour naviguer entre les différents canaux lors de la phase transactionnelle. En effet, plus de liberté dans la transaction est synonyme de plus de commodité pour lui et par conséquent d’une plus grande satisfaction si le système est bien huilé. Néanmoins, cette liberté a pour corollaire une rentabilité éventuellement plus faible, plus de complexité pour le distributeur et par conséquent peut être source d’insatisfaction chez le client.

La notion de cross canal suppose que le distributeur autorise des combinaisons de canaux voire incite à ces combinaisons afin d’en tirer des bénéfices en termes de satisfaction client ou de rentabilité immédiate par le développement du chiffre d’affaires ou la diminution des coûts.

La comparaison des systèmes de servuction [15] monocanal Internet et monocanal magasin permet de mettre en évidence des caractéristiques spécifiques présentant à la fois des avantages et des inconvénients. Ainsi, une servuction crosscanal peut permettre au client de maximiser les avantages / ou de minimiser les inconvénients des deux canaux dans le contexte concerné. Elle permet de plus de faire apparaitre une nouvelle possibilité comme la réservation. Pour l’entreprise, la multicanalité du client au sein d’une même enseigne pour un même achat multiplie les occasions de contact avec l’offre et/ou le personnel et facilite ainsi les ventes complémentaires ou évite des phénomènes de rupture.

Servuction canal InternetServuction canal magasin
Possibilités supplémentaires offertes au client par le cross canal

Le degré de liberté proposé au client et le nombre de combinaisons possibles dans le cadre de sa transaction est très variable selon les distributeurs, l’importance de ses différentes pratiques également.

La combinaison la plus remarquable aujourd’hui est le « Drive ». Celui-ci est défini par Aurélien Rouquet [16] « comme un format de distribution qui permet un transfert direct des produits achetés par le client de leur lieu de stockage jusqu’au véhicule ». Nouvelle forme de coproduction de la distribution physique, Il est souvent lié à une combinaison de canaux et propose aux clients une solution suffisamment innovante pour être considérée comme un nouveau format de distribution voire comme un nouveau canal. Selon lui, Le « « Drive » a marginalisé dans l’alimentaire le pur e-commerce puisque 90 % des ventes Internet de ce secteur se font grâce au « Drive » ».

L’essor de cette formule tient au fait qu’elle combine un certain nombre d’avantages pour le client : la liberté d’accès sur Internet et l’absence de sollicitations donc une meilleur maitrise de son temps et de son budget avec la disponibilité quasi immédiate des produits retirés aisément (gain de temps et d’effort) à proximité du magasin ou sur un site spécifique donc sans coût de livraison. Pour l’entreprise, la formule est avantageuse comparée à une livraison à domicile de commandes Internet car le transport des produits est pris en charge par le client. L’ouverture des « Drives » a par ailleurs bénéficié d’un avantage juridique, le client n’entrant pas dans le point de vente le Drive ne nécessite pas d’autorisation d’implantation préalable. Ainsi un groupe comme Delhaize après avoir créé son enseigne de cybercommerce, Houra.fr, a multiplié les formules de drive et les sites Internet marchands réservés à cet usage sous la marque Cora. Enfin l’enseigne Houra.fr a créé ses propres Drive à partir d’entrepôts du site Internet.

Pour Aurélien Rouquet les différentes possibilités en termes de Drive ont des conséquences diverses sur la qualité de service et la rentabilité. Par exemple, en développant un service de « guichet Drive » accolé aux hypermarchés, Cora a pu généraliser très vite cette offre et l’ensemble des produits proposés en magasin sont accessibles puisque c’est le stock du magasin qui est utilisé. A contrario le coût de préparation de commande est élevé car les produits sont prélevés dans le magasin (la logique d’implantation n’est pas adaptée à cette pratique) et les ruptures de stock sont fréquentes car les produits ne sont pas instantanément mis en réserve lors de la commande sur Internet et des ventes peuvent avoir lieu en magasin.

Dans le même esprit le « Click and Collect » qui correspond à un retrait en magasin d’un achat en ligne présente plusieurs avantages pour le client. Ce service est souhaité par 30 % des clients internautes . Celui-ci bénéficie des avantages Internet pour la phase achat et de certains avantages magasins pour la récupération du produit. Cette modalité gratuite lui permet d’essayer le produit sur place si nécessaire et de retourner l’article plus facilement et sans frais. Pour le distributeur, le Click and Collect est avantageux dans la mesure où il permet à l’enseigne de proposer un nouveau service à moindre coût tout en espérant développer des ventes complémentaires lors du retrait du produit en magasin. Ce service peut cependant être mal perçu par les équipes des points de vente lorsque la gestion des retraits colis et donc le travail supplémentaire occasionné n’est pas récompensé.

Le « Web to store » consiste à utiliser le site Internet pour créer du chiffre d’affaires en point de vente notamment en permettant aux clients de vérifier les stocks magasin, voire de réserver un produit en magasin à partir du site Internet. Il intéresse 41 % des clients interrogés par l’IFOP. L’intérêt pour le client est évident puisqu’il ne prend en ligne aucun engagement mais évite de se déplacer inutilement. Le distributeur peut choisir ce type de stratégie lorsque les produits se prêtent peu à un achat en ligne ou lorsque la disponibilité immédiate du produit est un réel atout. Il espère là encore développer des ventes complémentaires ou d’impulsion. L’avantage est évident également pour les magasins à condition de savoir gérer précisément les stocks magasins.

Le « Web in store » est une pratique qui se développe de plus en plus. Il s’agit pour les magasins du réseau d’utiliser le site Internet de l’enseigne comme un prolongement de leur propre boutique. Cette pratique a pour avantage de permettre de compenser un stock magasin réduit ou un assortiment plus restreint (boutiques de petite surface par exemple) par l’utilisation de l’assortiment et du stock web pour réaliser une commande pour le compte du client. L’intérêt pour l’enseigne est évident puisqu’elle évite un report sur la concurrence. Le magasin est intéressé à cette pratique s’il bénéficie du chiffre d’affaires.

Les possibilités offertes par les technologies et les attentes clients poussent les enseignes à fractionner de plus en plus le processus d’achat et imaginer les combinaisons les plus pertinentes. Ainsi d’autres propositions apparaissent telles la création éphémère de boutiques virtuelles sur les lieux de passage (métro, gares) comme l’ont fait par exemple Casino ou Carrefour ou très récemment l’implantation par Cdiscount de casiers de retraits sur les flux clients pour profiter de leur mobilité.

 3) Problématique du pilotage marketing et commercial de l’enseigne cross canal

Plusieurs auteurs mettent en évidence les difficultés liées au pilotage marketing d’une enseigne cross canal.

Par définition la décentralisation et l’autonomie du réseau sur le plan commercial, souvent sources de dynamisme, ne sont plus de mise s’il y a intégration totale puisque site internet et unités commerciales doivent présenter la même offre, au même prix, en même temps. Le niveau de convergence appelé « synchronisation » peut laisser la place à quelques initiatives locales en matière promotionnelle par exemple mais nécessite malgré tout une coordination importante entre les équipes « internet » et les équipes des magasins physiques.

Par ailleurs, pour des raisons historiques et de compétences, les directions du site marchand, du réseau physique et du CRM sont généralement confiées à des personnes différentes dans les entreprises. Or, la mise en place d’une stratégie cross canal nécessite de prendre des décisions impactant directement les trois territoires qu’il s’agisse de la définition des prix qui seront communs aux deux réseaux, de mise en œuvre d’opérations promotionnelles simultanément en magasin, sur le web, voire par un autre canal, de la mécanique de fidélisation ou d’autres encore. Par exemple l’enseigne doit être capable de mettre en place des mécanismes incitatifs de pratiques telles que le web to store comme la Fnac qui verse 1 euro sur le compte fidélité du client s’il effectue son retrait en magasin [17].

La mise en œuvre d’une stratégie cross canal suppose par ailleurs des modifications importantes des systèmes d’information, la maîtrise en temps réel des données issues des différents canaux devenant indispensable. Bien sûr, cela suppose l’existence d’une base de données client unique permettant l’usage d’une carte de fidélité tant en magasin que sur le site Internet et la mise en place d’un programme relationnel cross canal global. Il est par ailleurs nécessaire d’investir dans des outils de gestion des stocks beaucoup plus complexes que les outils traditionnels et permettant de suivre en temps réel les commandes magasin, Internet ou mobile. Enfin de nombreuses applications clients ou destinées au personnel visant à faciliter le cross canal ou l’omnicanal doivent être déployées. Le rôle joué par la direction des services informatiques devient alors primordial dans l’accompagnement de transformations organisationnelles et culturelles.

Enfin sur de nombreux points la gestion multicanale des réseaux franchisés est délicate [18]. La création d’un site Internet par le franchiseur a dans certains cas provoqué des réactions de la part des franchisés. D’un point de vue juridique, le franchiseur peut créer un site Internet marchand sans transgresser la clause d’exclusivité territoriale définie très souvent au contrat de franchise. En effet un site Internet n’est pas considéré par la cour de cassation comme l’ouverture d’un point de vente sur le territoire concédé mais simplement comme une modalité de vente. Le contrat peut cependant interdire un démarchage actif de l’enseigne auprès de clients du territoire géographique du franchisé. De la même manière les points de vente franchisés eux-mêmes ont juridiquement la possibilité d’ouvrir leur propre site Internet. Afin de limiter les risques de conflit, les auteurs préconisent de mettre en place une véritable coopération entre le franchiseur et les franchisés pour définir les objectifs du site Internet, sa complémentarité avec les magasins et la politique marketing.

 IV. Les implications découlant de l’existence de clients mixtes pour les points de vente physiques

Comme noté plus haut le client mixte (Internet puis magasin) va se comporter différemment d’un client monocanal et le magasin doit être revisité afin de s’adapter aux nouveaux comportements et aux nouvelles attentes. Plus encore peut-être l’omnicanalité des clients grâce à leur téléphone mobile nécessite des adaptations en point de vente. En effet de plus en plus souvent le client va par réflexe consulter le site Internet marchand de l’enseigne, des sites concurrents, des comparateurs ou les réseaux sociaux depuis son mobile à l’intérieur du magasin. Celui-ci lui offre en effet le don d’ubiquité. Nous l’avons vu, si la visite en magasin est le prolongement d’une visite sur le site, le client souhaite que cela soit pris en compte. Par ailleurs, le site Internet de l’enseigne devient la référence pour les clients multicanaux en termes d’image, de services, d’assortiment, de niveaux de prix. Ils n’hésiteront pas à s’y référer en magasin. Enfin la comparaison peut être faite en termes de processus d’achat. L’achat en magasin ne devrait pas être plus complexe, moins agréable ou moins riche en informations que l’achat sur Internet.

 1) Redéfinition du rôle du vendeur en magasin et leviers de management

Le vendeur en magasin est l’élément central et différenciant par rapport à un site Internet. Cependant le contexte multicanal nécessite que son rôle soit redéfini précisément et, ainsi que le soulignent R. Vanheems et S. Jeanpert, il est indispensable d’obtenir son adhésion.

Dans plusieurs situations le rôle du vendeur, n’est plus la vente des produits du magasin. Le vendeur peut être confronté à des clients souhaitant acheter sur Internet mais venus en magasin voir ou essayer les produits (showrooming). Il peut par ailleurs devoir remettre ou faire essayer des produits aux clients ayant acheté précédemment sur Internet dans le cadre du Click and Collect ou devoir accepter des retours de produits. Enfin, il peut se trouver confronté à des ruptures de stocks en magasin et opter ou non pour une commande client sur le site de l’enseigne.

La position de l’enseigne doit être claire. Le vendeur a-t-il pour rôle de vendre uniquement sa boutique ou également le site Internet afin de contribuer à la performance globale de l’enseigne ? Dans ce dernier cas, il est nécessaire d’obtenir son adhésion en mettant en place des systèmes incitatifs qu’il s’agisse du calcul de la rémunération ou de l’atteinte des objectifs, le minimum étant de supprimer tout système de prime basé uniquement sur les performances magasin au risque de voir perdurer un désintérêt manifeste pour les clients Internet. Dans le cas du retrait magasin ou de la commande en ligne depuis un magasin, certaines enseignes rémunèrent le service ou vont jusqu’à attribuer le chiffre d’affaires au magasin.

Plus largement R. Vanheems montre la nécessité de faire accepter les clients Internet par les vendeurs magasins. Au-delà de la problématique d’attribution du chiffre d’affaires, les vendeurs peuvent être désorientés par des clients « éclairés », à l’aise sur le site Internet de l’enseigne, ayant déjà pris partiellement leur décision. Il parait donc nécessaire de former les vendeurs à la fois sur le plan technologique afin qu’ils puissent être à l’aise au minimum avec la manipulation du site Internet de l’enseigne, mais aussi aux comportements et attentes des clients mixtes afin qu’ils puissent élaborer des scénarii de vente adaptés.

Il est important par exemple que les vendeurs sachent reprendre une vente là où le client s’est arrêté sur Internet sans passer forcément par les étapes traditionnelles de la vente, aider le client à retrouver en magasin un article sélectionné sur le site, vérifier rapidement la justesse du choix, proposer des informations complémentaires. C’est à cette condition seulement qu’ils pourront apporter de la valeur ajoutée à l’expérience client.

En ce qui concerne les clients Click and Collect il est généralement souhaité par les enseignes que les vendeurs sachent habilement proposer des ventes complémentaires, même si cette pratique n’est pas forcément souhaitée par la clientèle.

Enfin, il parait important de leur donner des outils (tablette, fichier unique, accès au stock web de l’enseigne) leur permettant de recouvrer une expertise face au client et la possibilité de réagir si rupture.

Ce travail managérial vis-à-vis des vendeurs magasins est fondamental dans la mesure où le refus de prendre en compte Internet chez les vendeurs peut avoir des conséquences négatives multiples : insatisfaction client, perte de chiffre d’affaires immédiat au niveau des magasins, impact global sur l’image et la rentabilité de l’enseigne.

 2) Aménagement du magasin connecté

Les espaces et le matériel mis à disposition des clients doivent eux aussi être revus afin de fluidifier les pratiques cross canal, faciliter l’omnicanal pour le client, rendre son parcours magasin au moins aussi attractif qu’un parcours Internet.

Le magasin doit être aménagé afin de rendre facilement les services proposés. Par exemple, un espace spécifique peut être dédié au « Click and Collect ». Certaines enseignes créent des casiers de retrait à l’entrée des magasins voire des cabines d’essayage à proximité afin d’éviter aux clients de perdre du temps. Cela peut correspondre à une attente client mais a contrario prive les vendeurs d’une démarche de vente complémentaire.

Un axe d’innovation concerne l’équipement digital du magasin et les applications destinées aux clients. Cela passe par la création d’une zone de WIFI gratuit pour faciliter l’utilisation du téléphone mobile comme dans la plupart des grandes surfaces ou centre commerciaux. Viennent ensuite de multiples applications plus ou moins appréciées des clients destinées à compléter l’information nécessaire au choix (QR codes, réalité augmentée, affichage dynamique, borne tactile…) ou faciliter la recherche produit (bornes interactives ou application pour téléphone mobile comme « C’est où » de Carrefour) pour remédier à des logiques de classement de produits différentes entre le web et les magasins physiques.

D’autres applications visent à faciliter son confort d’achat en limitant les manipulations produits pour le passage en caisse et vont jusqu’à proposer de constituer en magasin un panier virtuel comme l’a fait Casino. Ces applications permettent de reproduire en magasin une caractéristique jugée avantageuse par les clients sur le site Internet, la maitrise en temps réel du montant de la dépense. Elles permettent également au client de préparer ses achats à son rythme, depuis son domicile jusqu’au magasin. Enfin certaines boutiques proposent des applications plus ludiques ou donnent au client les moyens de partager son expérience comme l’a tenté Morgan en mettant à sa disposition caméra et accès aux réseaux sociaux pour obtenir l’avis de ses amis sur une tenue essayée.

D’autres innovations visent à mettre la technologie au service du personnel des magasins. D’après C. Ducrocq [19] ce sont les innovations qui présentent la plus grande valeur ajoutée.

La virtualisation des postes informatiques des vendeurs, qui leur permet d’accompagner les clients en se connectant successivement et aisément en plusieurs lieux du magasin au lieu d’être cantonnés à un poste précis, en est un premier exemple. Plus encore, la diffusion des tablettes destinées aux vendeurs et la multiplication des applications dédiées peuvent donner au vendeur le savoir nécessaire dans le cadre de la nouvelle relation client. En effet, ces tablettes peuvent donner accès à la base de données client et ainsi informer le vendeur des comportements et préférences de celui-ci. Elles peuvent également permettre un accès partagé et convivial au site web de l’enseigne qu’il s’agisse de repérer un produit sélectionné par le client ou au contraire de lui montrer des extensions de gamme voire de passer une commande en cas de rupture magasin ou d’assortiment réduit. Enfin leur utilisation comme terminal d’encaissement est fréquente et source de satisfaction client.

 Conclusion

La mise en œuvre d’une stratégie multicanale efficace et « sans couture » [20] ou seulement l’expression du dirigeant de Morgan d’une stratégie « no canal » n’est pas encore une réalité. L’expérience montre que le client est encore insuffisamment au centre des préoccupations, que la notion de client unique, reconnu pour ses expériences Internet et magasin est loin d’être acquise. Pour la majorité des enseignes des progrès restent à accomplir sur le plan des technologies à mettre en œuvre mais surtout en matière de changements organisationnels et culturels.

 Bibliographie

  • Olivier Badot et J F Lemoine DM janv/mars 2010. Stratégies d’innovations dans le commerce indépendant de proximité
  • Sophie Jeanpert et Francis Salerno DM 2013. Marketing multicanal comment favoriser l’adhésion du personnel des magasins
  • Sophie Jeanpert Thèse 2009. Réseau de magasins et commerce électronique : analyse des déterminants de l’adhésion du personnel au multicanal
  • Jean pierre Helfer et Géraldine Michel DM janv-mars 2006. La Stratégie de contact multicanal : opportunités, risques et facteurs clefs de succès
  • Régine Vanheems RFM juillet 2009. Distribution multi-canal : Vers une évaluation du rôle du vendeur dans l’intégration des canaux de distribution
  • Régine Vanheems DM janv 2013. La Distribution à l’heure du multi-canal une redéfinition du rôle du vendeur
  • Régine Vanheems DM juillet septembre 2009. Distribution multicanal ; pourquoi les clients mixtes doivent faire l’objet d’une attention particulière
  • Régine Vanheems RFG. Multicanalisation des enseignes ; comment Internet transforme les comportements en magasin ?
  • R. Vanheems RFM oct/nov 2012. Imbrication entre espace virtuel et espace physique ; quand les vendeurs s’en mêlent
  • Yousra Bouzid et Régine Vanheeems Management et avenir. Comportement web to store : vers une nouvelle logique du contrôle de soi
  • Christophe fournier RFM Juillet 2009. Impact des stratégies multicanal sur la rémunération des commerciaux : quelques réflexions appliquées au secteur des services
  • Entretien avec Eric le Strat DM Janv mars 2008. Aux sources du e-commerce de grande distribution enfin efficace et rentable
  • Enrico Colla et paul Lapoule DM janvier mars 2011. Facteurs-clés de succès des cybermarchés. Les enseignements du cas tesco.com
  • Gurvan Branellec et Rozenn Perrigot DM juillet sept 2013. Franchise et e-commerce : une approche droit marketing des problématiques liées à l’exclusivité territoriale
  • Christophe Bèzes Mmanagement &avenir 52. Une comparaison empirique du profil des acheteurs monocanal et multicanaux
  • Aurélien Rouquet DM Juillet septembre 2014. Distribution par « drive » : définition et typologie
  • Sandrine Heitz-Spahn et Marc Filser DM Avril juin 2014. La place de l’enseigne dans les trajectoires d’achat des clients en contexte multi-canaux
  • Christophe Bezes Vie et sciences de l’entreprise. La congruence perçue des magasins et du site Internet ; effets sur le choix du canal d’achat – le cas de la Fnac
  • Cédric Ducrocq Pearson 2014. Distribution inventer le commerce de demain
  • LSA octobre 2013. La Fnac progresse à pas de géant sur le cross canal
  • LSA octobre 2014. Résultats de l’étude OrderDynamics/ IFOP sur les préférences d’achat des internautes.
  • Cécile Buffard Points de ventes juillet 2014. e-commerce, le défi de la rentabilité


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Notes

[1selon Mercator 11e édition, p. 361.
Un Click and Mortar est une Entreprise du monde tangible, par opposition aux « Pure players » qui n’existent que sur Internet et aux « Click & Mortar » présentes simultanément dans l’espace réel et virtuel.

[2Le e-commerce représente plus de 600 millions de transactions en 2013 (+ 17,5% par rapport à 2012) selon la FEVAD pour 33,8 Millions d’acheteurs en ligne (+ 5%) source Médiamétrie. Si la part de marché ne représente encore globalement que 5,5% du commerce de détail elle atteint 12% pour les secteurs habillement, chaussures, accessoires, textile de maison et 18% pour l’équipement de la maison.

[3Cités par Sophie Jeanpert « Réseau de magasins et commerce électronique : analyse des déterminants de l’adhésion du personnel au multicanal » Thèse présentée à l’université des sciences et technologies de Lille /IAE en 2009.

[4Bergada et Coraux cité par Régine Vanheems « La distribution à l’heure du multicanal : une redéfinition du rôle du vendeur » 2013

[5M. Filser cité par Sophie Jeanpert thèse 2009

[6C. Bèzes « Comparaison empirique du profil des acheteurs monocanal et multicanaux »

[7Sandrine Heitz-Spahn et Marc Filser (2014) : La place de l’enseigne dans les trajectoires d’achat des clients en contexte multi-canaux.

[8Régine Vanheems (2009) Distribution multicanal. Pourquoi les clients mixtes doivent faire l’objet d’une attention particulière

[9Badot et Navarre puis Rolland cités par Y Bouzid et R Vanheems (2014). Comportement web-to-store : vers une logique de contrôle de soi.

[10Belvaux (2004-2006) Vanheems (2012) cités par Y Bouzid et R Vanheems idem

[11Régine Vanheems (2012). Multicanalisation des enseignes. Comment Internet transforme le comportement en magasin.

[12Yousra Bouzid et Régine Vanheems. 2014 idem

[13R. Vanheems (2009). Idem

[14Cedric Ducrocq. Distribution : inventer le commerce de demain. Pearson

[15Processus de production de service (néologisme créé par analogie avec le processus de production de produits) Pierre Eiglier et Eric Langeard 1987 Servuction : le marketing des services.

[16Aurélien Rouquet. La distribution par « drive ». Définition et typologie.

[17LSA octobre 2013

[18G. Branellec et R. Perrigot. Franchise et e-commerce. Une approche droit marketing des problématiques liées à l’exclusivité territoriale.

[19C. Ducrocq 2014 Idem

[20R. Vanheems Idem

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