Le traité de Lisbonne

, par Jean-Marie Massonnat

Du refus du traité constitutionnel au traité de Lisbonne : qu’en est-il des modifications du droit de l’Union européenne ?

Après un rapide retour sur l’échec du traité constitutionnel, nécessaire pour comprendre toute la teneur du traité de Lisbonne, cet article présente les principales modifications apportées par le traité de Lisbonne aux traités existants. La formulation de ces modifications part de l’hypothèse, fort probable, que le traité de Lisbonne sera ratifié par l’ensemble des Etats membres. Concernant les modifications (Cf. II), trois niveaux de lecture sont offerts. Les parties en gras exposent de manière brute chaque modification. Chacune d’entre elles fait l’objet, dans le corps de l’article, d’un rapide développement. Enfin, des notes de bas de page ont été insérés afin d’apporter, dans certains cas, des éclairages ou des précisions.

 Plan de l’article :

 I/ Le traité de Lisbonne : un accord en réaction à l’échec du traité constitutionnel

A/ Le rejet d’un traité qualifié symboliquement de « constitutionnel »

B/ L’adoption d’un nouveau traité qui abandonne toute référence aux symboles constitutionnels

 II/ Le traité de Lisbonne : un accord qui modifie les traités existants

A/ Les avancées institutionnelles du traité constitutionnel préservées

B/ Les autres modifications apportées aux traités existants


Le 13 décembre 2007, les vingt-sept pays de l’Union européenne ont officiellement signé le traité de Lisbonne. Ce traité doit permettre à l’Europe élargie de fonctionner. Il vient clore cinq années de négociations et de débats sur la réforme institutionnelle de l’Europe et offre la possibilité à l’Union européenne d’aller à nouveau de l’avant après l’échec du traité constitutionnel.
Le traité constitutionnel n’est jamais entré en vigueur. Il s’agit alors de cerner les modifications que le traité de Lisbonne apporte aux traités existants, c’est-à-dire au traité instituant la Communauté européenne et au traité sur l’Union européenne tels qu’ils résultent des traités de Rome (1957), de Maastricht (1993), d’Amsterdam (1997) et de Nice (2001). Mais avant cela, il est nécessaire, afin de bien cerner la nature du traité de Lisbonne de revenir sur l’échec du traité constitutionnel et la procédure d’élaboration de ce nouveau traité qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2009.

 I. Le traité de Lisbonne : un accord en réaction à l’échec du traité constitutionnel

A) Le rejet d’un traité qualifié symboliquement de « constitutionnel »

A la veille de l’élargissement à dix nouveaux états, l’Union européenne avait besoin d’un nouveau cadre institutionnel. La signature d’un nouveau traité était nécessaire. Le modèle de la négociation intergouvernementale classique avait montré ses limites en décembre 2000 lors des négociations en vue du traité de Nice. Il avait alors été décidé au Conseil européen de Laeken en décembre 2001 de convoquer une convention, « la Convention sur l’avenir de l’Europe », pour élaborer un texte et le soumettre aux gouvernements des Etats membres.
Cette assemblée d’un genre nouveau, consacrée entièrement à la réflexion sur l’approfondissement de l’intégration européenne, est composée de 105 membres titulaires. Présidée par Valérie Giscard d’Estaing, elle comprend non seulement des représentants des États, mais aussi des représentants du Parlement européen, des parlements nationaux, de la Commission européenne et de la société civile [1]. L’innovation est d’ordre méthodologique mais également politique. La Convention ne va pas seulement réfléchir à l’élargissement du champ des compétences de l’Union. Elle va mener une réflexion globale sur la démocratie européenne, son organisation et son avenir. Les travaux de la Convention débouchent ainsi sur le « Traité établissant une constitution pour l’Europe » [2].

Le traité constitutionnel avait vocation à remplacer les traités existants (les traités TCE et TUE tels qu’ils résultent des traités de Rome et de Maastricht modifiés par les traités d’Amsterdam et de Nice). Il était composé de quatre parties :

  • Une première partie sur les principes généraux de l’Union européenne et la répartition des compétences entre l’UE et les Etats membres (définition, objectifs, institutions, compétences de l’Union, etc.)
  • Une deuxième partie constituée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union.
  • Une troisième partie sur les politiques et le fonctionnement de l’Union qui reprend et réorganise les dispositions matérielles déjà contenues dans les traités antérieurs.
  • Une quatrième partie relatives aux dispositions finales indiquant notamment les modalités d’entrée en vigueur et de révision du traité.
    Ce seul texte devait régir l’Union européenne dotée désormais de la personnalité juridique. Il y avait de ce point de vue une véritable ambition constitutionnelle. Ce traité a toutefois souvent été nommé juridiquement à tort de « Constitution européenne ». Nous retiendrons ici le terme de traité constitutionnel. Il est intéressant de présenter sommairement les principales raisons qui font que juridiquement, ce texte n’était pas une constitution mais bien un traité, même s’il s’agissait en effet d’un traité d’un genre nouveau.

Matériellement, le traité comprenait certes des dispositions constitutionnelles :

  • Le terme de constitution était utilisé à l’article I-1.
  • Des valeurs fondamentales étaient énoncées (cf. la Charte des droits fondamentaux).
  • Des symboles forts étaient inscrits dans le traité (drapeau, hymne, devise…).
  • La structure institutionnelle de l’Union ainsi que les règles d’exercice des pouvoirs étaient précisées.
  • Des compétences étaient clairement définies.
  • Le traité instituait des organes indépendants produisant des normes qui peuvent s’appliquer aux citoyens des Etats membres, etc.

Il n’était toutefois qu’un traité et non une constitution pour de multiples raisons, dont voici les principales :

  • La constitution au sens formel suppose un acte interne à un Etat. Or l’Union n’est pas un Etat. Elle est une organisation internationale agissant au nom de différents Etats membres. Il n’y avait d’ailleurs pas de volonté des « conventionnels » d’ériger l’Union en Etat fédéral.
  • Le traité constitutionnel ne conférait pas à l’UE la compétence de la compétence. L’Union conservait une compétence d’attribution. Les compétences qui lui étaient attribuées n’étaient que des concessions faites par des Etats, lesquels restaient souverains (notamment en matière de justice, de police ou de politique étrangère).
  • Le traité constitutionnel confirmait l’existence d’une double citoyenneté. La citoyenneté européenne n’aurait fait que compléter la citoyenneté nationale sans s’y substituer.
  • La révision du traité constitutionnel exigeait l’unanimité (même si une procédure de révision simplifiée était prévue à l’article IV-444), alors qu’une constitution se révise à la majorité du peuple ou de ses représentants.
  • Le traité constitutionnel n’était pas un acte de pouvoir constituant. Une Constitution européenne ne peut être établie que par un acte constituant « du peuple européen ». Or, aussi novatrice soit elle, la Convention ne peut pas être considérée comme une assemblée constituante élue démocratiquement.
  • Le traité constitutionnel demeurait un texte « technique » par essence. Une Constitution est généralement un texte simple, accessible pour les citoyens, etc.

Le traité constitutionnel était quoiqu’il en soit novateur et permettait à l’Union européenne élargie de fonctionner. Seulement comme tout traité, il devait pour entrer en vigueur être ratifié par tous les Etats membres. Certains avaient choisi de ratifier le traité constitutionnel par la voie parlementaire, d’autres étant donné le caractère symbolique de ce traité avait décidé de soumettre sa ratification au referendum.
Les 29 mai et 1er juin 2005, les français et les hollandais rejettent le traité constitutionnel. Le processus de ratification est arrêté. Le traité de Rome II, qui ne rentrera jamais en vigueur, est définitivement abandonné. L’Union reste régie par le traité de Nice inadapté à une Europe élargie à Vingt-sept Etats. L’Europe est en panne, voire en crise.

B) L’adoption d’un nouveau traité qui abandonne toute référence aux symboles constitutionnels

Il faudra attendre un certain temps et notamment les élections présidentielles françaises de mai 2007 pour envisager la relance de l’Union européenne. Le travail de la chancelière Angela Merkel et la proposition française d’un traité dit « simplifié » vont permettre d’envisager la signature d’un nouvel accord au niveau européen. En réaction à l’échec du traité constitutionnel, on a recours pour l’élaboration du traité de Lisbonne, à la procédure traditionnelle de la Conférence Inter Gouvernementale (CIG). Cette CIG est inédite dans l’histoire des révisions des traités. En effet, elle n’a pas été réellement chargée d’élaborer le traité de Lisbonne. Elle n’a fait que recopier les compromis arrêtés au Conseil européen des 22 et 23 juin 2007 [3]. Le mandat qui lui avait été conféré était très précis et très détaillé.

Quelle est la nature de ce nouveau traité que l’on nomme « mini-traité » ou « traité simplifié » ? Il s’agit en fait, en toute rigueur, d’un traité modificatif [4]. A la différence du traité constitutionnel qui devait remplacer les traités existants, le traité de Lisbonne ne fera qu’amender les traités actuellement en vigueur. La symbolique n’est pas du tout la même. L’Union demeure ainsi fondé sur deux traités que le traité de Lisbonne modifie : le traité sur l’Union européenne (TUE) et le traité instituant la communauté européenne (TCE) rebaptisé traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) [5].

L’aspect symbolique ne se résume pas au caractère modificatif et non substitutif du traité de Lisbonne. En effet, en réaction à l’échec du traité constitutionnel, le traité de Lisbonne abandonne toute référence aux symboles constitutionnels. C’est la principale différence entre ces deux traités. Ainsi :

  • Le terme de « Constitution » est abandonné.
  • Il n’est pas fait mention dans les traités des symboles de l’Union tels que le drapeau (un cercle de douze étoiles d’or sur fond bleu), l’hymne (l’Ode à la joie), la devise de l’Union (« Unie dans la diversité »), la journée de l’Union (fixée au 9 mai) ou le fait que la monnaie de l’Union est l’euro [6].
  • Les termes de « lois » et de « lois-cadres européennes » sont abandonnés. On retrouve dans les traités, tels que modifiés par le traité de Lisbonne, les termes traditionnels de règlements, de directives et de décisions qui sont pourtant ignorés de la quasi-totalité des citoyens européens.

Toute symbolique faisant référence à un « peuple européen » est abandonnée afin d’éviter toute assimilation du traité de Lisbonne au traité constitutionnel rejeté par les peuples de l’Europe. Est-ce la fin de tout projet d’Europe fédérale ? A tout le moins, cette question est remise à plus tard.
Il était en tout cas absolument nécessaire de modifier les règles de gouvernance de l’Union européenne afin que l’Europe élargie puisse fonctionner. Voyons les modifications apportées par le traité de Lisbonne aux traités actuellement en vigueur.

 II Le traité de Lisbonne : un accord qui modifie les traités existants

A) Les avancées institutionnelles du traité constitutionnel préservées

Le traité de Lisbonne est avant tout un traité de nature institutionnelle. Dans ce domaine, il reprend pratiquement l’ensemble des avancées (quelque peu modifiées parfois) proposées par le traité constitutionnel. Ainsi, avec le traité de Lisbonne :

  • Une présidence stable du Conseil européen remplace les présidences semestrielles tournantes. A partir de 2009, le Conseil européen élira à la majorité qualifiée un président du Conseil européen pour une durée de deux ans et demi. Ce dernier, dont le mandat sera renouvelable une fois, sera chargé de préparer et d’animer les sommets européens. Cette mesure doit permettre de donner plus de continuité et d’autorité à la politique de l’Union européenne.
  • La diplomatie de l’Union est incarnée par le Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Le terme de « ministre des Affaires étrangères » prévu par le traité constitutionnel a été abandonné. Ce Haut représentant aura toutefois de véritables prérogatives. Désigné pour cinq ans, il remplira les fonctions exercées jusqu’ici par le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et par le commissaire européen aux relations extérieures. Il sera également vice-président de la Commission et présidera le Conseil des ministres des Affaires étrangères. Il disposera de six milliards d’euros de budget annuel. Son action sera relayée par les 120 délégations de la Commission européenne à l’étranger et appuyée à Bruxelles par un « service extérieur commun » [7] .
  • Le vote à la majorité qualifiée devient la règle au Conseil des ministres de l’Union européenne [8]. Le vote à la majorité qualifiée devient la règle pour une quarantaine de nouvelles matières dont la coopération judicaire et policière [9], l’éducation ou la politique économique. L’unanimité reste toutefois, par exception, le système de vote pour la politique étrangère, la politique sociale, la fiscalité, les ressources de l’Union ou la révision des traités.
  • La définition de cette majorité qualifiée est modifiée [10].
    A partir du 1er novembre 2014, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55% des Etats membres (soit 15 Etats dans l’actuelle Union à 27), représentant au moins 65% de la population de l’Union. La minorité de blocage exige quatre Etats [11]. La prise de décision au sein du Conseil est ainsi facilitée.
    Toutefois durant une période transitoire du 1er novembre 2014 au 31 mars 2017, un membre du Conseil peut demander à ce que l’on ait recours à l’ancien système de vote [12]. De plus, Le traité de Lisbonne consacre le « compromis de Ioannina [13] », en vertu duquel un groupe d’Etats proches de la minorité de blocage, sans pouvoir l’atteindre, peut demander le réexamen d’une décision adoptée à la majorité qualifiée par le Conseil jusqu’à ce que l’on parvienne à une « solution satisfaisante » pour les deux parties « dans un délai raisonnable » [14].
  • La Commission européenne voit sa composition réduite. A partir de 2014, le nombre de commissaires cessera d’être égal à celui des Etats membres pour n’en représenter que les deux tiers. La Commission sera composée en 2014 de 15 membres et non plus de 27. Qui plus est, le monopole d’initiative de la Commission est confirmé et son président voit son rôle renforcé.
  • Le Parlement européen [15] voit ses prérogatives renforcées. Son pouvoir de codécision est étendu à de nombreux domaines comme la justice et les affaires intérieures. Le Parlement dont les pouvoirs se sont accrus au fil des traités devient le véritable colégislateur de l’Union aux côtés du Conseil des ministres de l’Union européenne. Qui plus est, il élira désormais le Président de la Commission sur proposition du Conseil européen qui devra, pour le choix du candidat, tenir compte des élections au Parlement européen.
  • La répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres est clarifiée. Les nouveaux articles 2A à 2F TFUE exposent clairement les domaines dans lesquels l’Union a une compétence exclusive [16], une compétence partagée avec les Etats membres [17] ou une compétence d’appui, de coordination et de complément [18].
    Toutefois, le traité de Lisbonne circonscrit de manière plus restrictive que ne le prévoyait le traité constitutionnel le champ d’action de l’Union [19]. Parallèlement d’ailleurs, le rôle des parlements nationaux dans le contrôle du principe de subsidiarité est renforcé. La période qui leur est accordée pour examiner les projets d’actes législatifs européens passe de six à huit semaines et la portée de leurs avis est accrue [20].
  • La structure des traités en trois piliers disparaît. Cette structure distinguait les politiques gérées selon la méthode communautaire (1er pilier) des dispositions relatives à la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC, 2e pilier) et à la Coopération Policière et Judiciaire en matière Pénale (CPJP, 3e pilier), gérées selon la méthode intergouvernementale. Les trois piliers fusionnent. Toutefois le caractère intergouvernemental de la PESC reste ancré dans les traités.
  • L’Union européenne dispose désormais d’une personnalité juridique unique. Jusqu’à présent la Communauté européenne avait la personnalité juridique. En revanche le traité sur l’Union européenne ne contenait aucune disposition concernant la personnalité juridique de l’Union. L’Union a désormais la capacité de négocier et conclure des accords dans le respect des traités et de ses compétences.
  • Un droit d’initiative citoyenne est institué. Il permet à un million de citoyens de l’Union, ressortissants d’un « nombre significatif d’Etats membres », d’inviter la Commission à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquels ils considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités.

Le traité de Lisbonne n’est toutefois pas qu’une reprise, les symboles en moins, des avancées institutionnelles que portait le traité rejeté en 2005. Il convient d’examiner les autres modifications apportées par le traité de Lisbonne aux traités existants, en les séparant des premières, du fait de leur spécificité.

B) Les autres modifications apportées aux traités existants

Certaines modifications, issues du traité constitutionnel, ne peuvent pas être considérées comme des avancées préservées car elles ont été dénaturées :

  • La Charte des droits fondamentaux de l’Union a désormais une force juridique contraignante. Toutefois, les traités n’y font que référence. Son contenu ne figure pas in extenso dans les traités. Il s’agit d’un recul car la Charte, solennellement proclamée à Nice le 7 décembre 2000, constituait la seconde partie du traité constitutionnel. Qui plus est, et c’est là, au-delà du symbole, la véritable dénaturation de cette innovation du traité constitutionnel, le Royaume Uni et la Pologne bénéficient d’une dérogation quant à son application [21]. La Charte des droits fondamentaux de l’Union ne constitue plus le socle de référence des valeurs communes des pays membres de l’Union européenne comme elle avait vocation à l’être.
  • Les traités font référence à la jurisprudence reconnaissant la primauté du droit européen sur le droit national. La primauté du droit européen sur le droit national fait l’objet d’une déclaration renvoyant à la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) [22]. Elle n’est donc pas affirmée dans les traités contrairement à ce que prévoyait le traité constitutionnel.

D’autres modifications sont inédites au sens où elles rompent avec la logique traditionnelle de la construction européenne qui a toujours visée à rendre irréversible le moindre progrès dans l’intégration [23] :

  • Les traités peuvent être révisés afin de réduire les compétences attribuées à l’Union européenne. La nouvelle formulation de l’article 48 TUE inscrit explicitement dans les traités la possible réversibilité des compétences de l’Union.
  • Un pays peut désormais se retirer volontairement de l’Union européenne [24]. La clause de retrait figurait dans le traité constitutionnel. Elle est reprise à l’identique. Le fait de l’avoir conservée et d’y adjoindre la possible réversibilité des compétences de l’Union est révélateur des craintes de certains pays vis-à-vis d’un approfondissement de l’intégration européenne.

Une autre modification correspond au seul élément du préambule du traité constitutionnel repris par le traité de Lisbonne.

  • Le préambule des traités fait référence « aux héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe ». Cette référence, prise globalement, insiste sur le socle des valeurs communes de l’Union. La référence particulière aux héritages religieux n’est toutefois pas neutre. Les points de vue divergent en effet sur les liens à établir entre l’Union européenne, certaines religions en particulier, et les religions dans leur ensemble.

D’autres modifications enfin constituent des nouveautés par rapport au traité constitutionnel et vont dans le sens d’une meilleure prise en compte des attentes des citoyens de l’Union.

  • Il est expressément proclamé dans les traités que « l’Union contribue à la protection de ses citoyens ». La France obtient qu’il soit fait mention de cet objectif de l’Union dans les traités en même temps qu’elle obtient que le concurrence libre et non faussée ne soit plus un objectif de l’Union mais un moyen au service du marché intérieur [25].
  • Il est fait référence dans les traités aux critères d’adhésion à l’Union. Les « critères de Copenhague [26] » adoptés en juin 1993 et imposés aux pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne ne sont pas mentionnés explicitement dans les traités comme le demandait notamment les Pays-Bas. Toutefois, le nouvel article 49 TUE dispose que « les critères d’éligibilité approuvés par le Conseil européen sont pris en compte ».
  • L’importance des Services d’Intérêt Economique Général (SIEG) est soulignée. Le protocole n°9 leur est consacré. Venant en appui de l’article 16 TFUE [27], ce protocole reconnaît notamment comme valeur commune de l’Union « le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les services d’intérêt économique général d’une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs ».
  • La politique de lutte contre les changements climatiques fait son entrée dans les traités. Cette politique est désormais mentionnée, dans le nouvel article 174 TFUE à côté des autres objectifs de la politique de l’Union en matière d’environnement.

Sans prétendre être exhaustif, nous avons présenté ici les principales modifications que le traité de Lisbonne apporte aux traités actuellement en vigueur. Encore faut-il pour cela que ce traité modificatif soit ratifié par tous les Etats membres. Il y a fort à parier que ce sera le cas. Le traité de Lisbonne vient sans doute clore pour longtemps la réflexion sur la gouvernance européenne. Le cadre institutionnel nécessaire au fonctionnement de l’Europe élargie est ainsi posé. Le traité modificatif, fruit d’une nouvelle négociation à vingt-sept suite à l’échec du traité constitutionnel, est tout sauf un traité « simplifié ». Il permet de définir le nouveau cadre, complexe, de l’Union européenne. Mais les traités TUE et TFUE ne sont qu’un cadre. Aux dirigeants politiques et aux peuples de l’Europe de construire l’Union européenne de demain. Convaincu de cette réalité, on peut toutefois déplorer que l’Union européenne, compliquée par nature du fait notamment de son caractère inédit, ne cherche pas à gagner en simplicité mais soit au contraire de plus en plus complexe. En cela, au-delà de tout le reste, elle s’éloigne de plus en plus des citoyens et rend difficile, voire quasi impossible, l’émergence d’un peuple européen.

 Sources :

  • « Mini-traité », « traité simplifié » ou « traité mutilé » : l’Europe entre le possible et le souhaitable » D. Simon, Europe n°7, juillet 2007, repère 7.
  • « Le Conseil européen de Bruxelles : conjuration des egos et méthode Coué » D. Simon, Europe n°8, août 2007, repère 8.
  • « Traité simplifié, traité réformateur ou traité de Lisbonne… ? » L. Idot, Europe 11, Novembre 2007, repère 10.
  • « Le « traité modificatif » adopté lors du Conseil européen de Lisbonne » J.C. Zarka, Gazette du Palais, 30 octobre 2007 n°303, P.2.
  • « La Constitution et le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 » M. Guillaume, LPA, 25 décembre 2007 n°257, P.3.
  • Droit constitutionnel contemporain. Tome 1, 5e édition, D. Chagnollaud, Armand Colin.
  • « Les constitutionnalistes et le traité établissant une Constitution pour l’Europe » G. Toutlemonde, parution en cours.
  • http://www.europa.edu/
  • http://www.senat.fr/
  • http://www.lemonde.fr/

 Pour aller plus loin

  • Rapport d’information de l’Assemblée nationale sur le traité de Lisbonne, déposé par la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne et présenté par M. P. Lequiller. Tome 1 et Tome 2, 8 janvier 2008.

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Notes

[1La « Convention sur l’avenir de l’Europe » a été mainte fois comparée à la convention de Philadelphie qui élabora en 1787 la Constitution des Etats-Unis.

[2Le Traité établissant une Constitution pour l’Europe a été signé à Rome le 29 octobre 2004. Il reprend plus de 90 % des propositions figurant dans le texte proposé par la Convention.

[3La première phrase du mandat de la CIG est rédigée ainsi « le présent mandat constitue la base et le cadre exclusifs des travaux de la CIG ». Il est souligné que « sauf indication contraire dans le présent mandat, le texte du traité [en vigueur] demeurera inchangé ».

[4C’est le terme officiellement retenu dans le mandat adressé à la CIG par le Conseil européen. Il semble d’ailleurs préférable d’utiliser ce terme plutôt que celui de traité simplifié. Le traité de Lisbonne est en effet un traité complexe, fruit d’un délicat compromis entre les pays européens, qui comprend onze protocoles annexés aux traités européens, deux protocoles annexés au traité de Lisbonne lui-même, cinquante déclarations annexées à l’acte final adopté par la CIG et quinze déclarations d’Etats membres.

[5Quelques modifications sont opérées quant à la répartition des stipulations entre le TUE et le TCE (TFUE). Les dispositions sur la coopération policière et judiciaire en matière pénale sont transférées du TUE au TFUE.

[6Tous ces symboles continueront toutefois d’exister. Ils conserveront leur statut actuel.

[7Cependant, le Royaume-Uni a obtenu l’adoption d’une déclaration qui précise que « les dispositions portant sur la PESC, y compris pour ce qui est du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ainsi que du service pour l’action extérieure, n’affecteront pas […] les responsabilités ni les compétences de chaque Etat membre en ce qui concerne l’élaboration et la conduite de sa politique étrangère […] ».

[8On traite ici du Conseil de l’Union européenne et non du Conseil européen. Le Conseil européen lui, en vertu de l’article 9B TUE prend les décisions par consensus sauf quand les traités en décident autrement.

[9La Grande-Bretagne a obtenu une dérogation sur la coopération judiciaire et policière. Elle pourra ne pas appliquer les textes portant sur l’immigration, l’asile et la sécurité intérieure. Elle ne pourra toutefois pas dans ces domaines empêcher des coopérations renforcées qui nécessitent désormais neuf Etats.

[10Sur ce point, un certain nombre de modifications ont été apportées par rapport à ce que proposait le traité constitutionnel afin de pouvoir obtenir l’accord de la Pologne.

[11Seul un groupe d’Etats représentant soit plus de 45% des Etats membres soit plus de 35% de la population de l’Union peut donc bloquer la prise de décision, à condition qu’ils sont au moins quatre. Ainsi trois Etats très peuplés qui représenteraient ensemble plus de 35% de la population de l’Union ne peuvent bloquer le processus décisionnel.

[12Le système de vote applicable de 2009 à 2014 (et de 2014 à 2017 sur demande d’un membre du Conseil) est fixé dans le protocole n°11 sur les dispositions transitoires. Il relève de la même logique que celui actuellement en vigueur, à savoir un mécanisme complexe de pondération des voix des membres du Conseil.

[13Ce compromis tire son nom d’une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères à Ioannina, en Grèce, en 1994. Cette réunion avait permis de résoudre les difficultés soulevées par l’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède. Ce compromis, qui portait déjà à l’époque sur la facilitation de la procédure de blocage relative au vote à la majorité qualifiée au Conseil, avait disparu avec le traité de Nice.

[14Les modalités de ce compromis sont exposées dans la déclaration 7 annexée au traité de Lisbonne. Il s’agit avant tout de permettre le compromis politique. Le Protocole 10, de même valeur que les traités, prévoit que « la clause de Ioannina » ne pourra être modifiée qu’après autorisation du Conseil européen statuant par consensus.

[15Le Parlement européen, élu au suffrage universel direct depuis 1979, exerce au côté du Conseil des ministres de l’Union les fonctions législatives et budgétaires.

[16Pour les principaux : l’Union douanière, la concurrence, la politique monétaire (pour les pays dont la monnaie est l’euro), la politique commerciale commune.

[17Pour les principaux : le marché intérieur, la politique sociale, la cohésion économique sociale et territoriale, l’agriculture et la pêche, l’environnement, la protection des consommateurs, les transports, les réseaux transeuropéens, l’énergie, l’espace de liberté de sécurité et de justice, la santé publique, la recherche.

[18A savoir : la santé, l’industrie, la culture, le tourisme, l’éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport, la protection civile, la coopération administrative.

[19Le nouvel article 5 TUE est rédigé désormais à la forme négative : « l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les Etats membres lui ont attribués dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux Etats membres ».

[20Si un tiers (ou un quart pour les actes intervenant dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice) des parlements nationaux conteste la conformité d’un projet d’acte législatif européen à la subsidiarité, la Commission devra revoir son projet et motiver son maintien éventuel. Si un projet d’acte est contesté par la moitié des parlements nationaux, une telle motivation ne suffit plus. Le Conseil et le Parlement européen, en première lecture, devront se prononcer sur sa conformité à la subsidiarité. Ils pourront le rejeter à la majorité de 55 % des membres du Conseil ou de la majorité des voix exprimées au Parlement européen.

[21Le Royaume Uni et à la Pologne ont obtenu une clause dite « d’opting out ». Cette dérogation est l’objet du Protocole n°7 annexé aux traités. Si la charte liera les autorités anglaises et polonaises, elle ne pourra être invoquée par les justiciables britanniques et polonais et ne pourra pas non plus servir de base à une contestation du droit anglais ou Polonais. En outre, la Pologne a obtenu qu’une déclaration (la déclaration n°61) garantisse que « la Charte ne porte atteinte en aucune manière au droit des Etats membres de légiférer dans le domaine de la moralité publique, du droit de la famille ainsi que de la protection de la dignité humaine et du respect de l’intégrité humaine physique et morale ».

[22Le principe de primauté du droit européen sur le droit national continue bien évidemment de s’appliquer. La déclaration n° 17 fait référence à la jurisprudence constante de la CJCE en la matière depuis l’arrêt Costa contre ENEL du 15 juillet 1964. Comme il est rappelé dans cette déclaration, « le fait que le principe de primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne modifiera en rien l’existence de ce principe ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice ». Toutefois ce principe, alors qu’il aurait pu devenir du droit communautaire primaire, demeure, à la demande du Royaume Uni, un principe dégagé par la jurisprudence communautaire.

[23Les deux modifications apportées aux traités actuels présentées ci-après vont à l’encontre du fameux effet de « spill over » (effet de cliquet ou d’engrenage) caractéristique de la construction européenne.

[24Le nouvel article 49A TUE dispose que « tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union ». La suite de l’article expose les modalités et les conséquences d’un tel retrait.

[25Le fait que « la concurrence libre et non faussée » apparaisse dans la liste des objectifs de l’Union européenne établie par le traité constitutionnel avait été vivement critiqué en France notamment. Cette formulation disparaît. Le principe de libre concurrence demeure toutefois dans les traités qui le mentionnent à de nombreuses reprises. Il constitue d’ailleurs le fondement de la politique de concurrence communautaire. Le Protocole n°6 annexé aux traités à la demande du Royaume Uni dispose, en réponse à la concession faite à la France, que le marché intérieur « tel qu’il est défini à l’article 3 du Traité sur l’Union européenne comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée ».

[26Les critères pour adhérer à l’UE dégagés lors du Conseil européen de Copenhague (1993) et renforcés lors du Conseil européen de Madrid en 1995 sont au nombre de trois :

  • le critère politique : la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ;
  • le critère économique : l’existence d’une économie de marché viable et la capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’Union ;
  • le critère de l’acquis communautaire : l’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, et notamment à souscrire aux objectifs de l’Union politique, économique et monétaire.

Désormais, en plus des critères de Copenhague, les Etats membres ont convenu qu’il était nécessaire de « tenir compte de la capacité de l’Union à intégrer de nouveaux membres ».

[27Depuis le traité d’Amsterdam (1997), la notion de SIEG a été introduite dans les traités à l’article 16 TCE (désormais TFUE) qui reconnaît leur place « parmi les valeurs communes de l’Union » ainsi que le rôle qu’ils jouent « dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union ».

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