Volet 1. Interview d’un négociateur à l’échelle européenne
CM - Bonjour Bogdan Corut, vous êtes ?
BC - Directeur du développement Europe de la société HARTE-HANKS.
CM - Pouvez-vous me présenter votre société et son domaine d’activité ?
BC - Créée depuis 90 ans, HARTE-HANKS est spécialisée dans le marketing direct et l’édition de la presse informatique (shoppers). Nous comptons 8000 personnes à travers le monde dont 450 en Europe, pour un CA d’1,2milliards de dollars.
CM - À quels besoins répondent vos solutions ?
BC - Notre société fournit aux entreprises informatiques et télécoms des données qui leur permettent d’identifier et de qualifier leurs prospects, de recruter de nouveaux clients et de fidéliser leurs clients existants.
Notre produit phare, la Base de Données Technologique Ci™, recense le parc technologique installé et en projet ainsi que les décisionnaires clés de plus de 600.000 établissements d’Europe, des Etats-Unis, du Canada et d’Amérique Latine et permet de :
- Gérer l’information ;
- Faire de la recherche marketing ;
- Télémarketing/Télévente
- Services de Fulfilment
- Etudes de marché/ Etudes analytiques
- Développement et maintenance de bases de données/ audit qualité
- Segmenter le marché ;
- Gérer les prospects et clients.
CM - Quel est le montant moyen d’un contrat ?
BC – A peu près 70 000 €, on peut dire une affaire peut aller de 20 000 à 500 000 €. Nos contrats peuvent être annuels, de 2 à 3 ans avec possibilité de désistement. Parfois, nous répondons à un besoin ponctuel ce qui donne une vente « one shot ».
CM - Quelle est la durée moyenne de ce type de négociation ?
BC - 6 mois mais dès que l’affaire porte sur une somme de plus de 300000€, il faut compter sur une durée de plus de 6 mois
CM - Quels sont vos clients ?
BC - IBM, HP, Microsoft, Intel, Symantech…mais aussi de grands noms dans le domaine bancaire et automobile. Je suis spécialisé sur les comptes clients du domaine de l’informatique.
CM - Pouvez-vous m’expliquer en quoi consiste votre travail ?
BC – Je suis chargé de mettre en place une stratégie pour gérer, renouveler, élargir les contrats, de faire appliquer les termes du contrat au niveau européen, la stratégie commerciale, le support client c’est-à-dire la formation, l’assistance en ligne, les mises à jour, l’organisation séminaires et de conférences.
CM - Si je comprends bien, vos clients se trouvent dans toute l’Europe. Vous êtes d’origine pluriculturelle, vous travaillez pour une société texane, le moins que l’on puisse dire c’est que vous êtes à la croisée des cultures.
CM – Quels conseils donneriez-vous à tout négociateur amené à évoluer à l’échelle européenne ?
BC – Je lui conseillerai de toujours adopter une méthodologie, de développer des relations durables fondées sur la confiance, d’adapter son discours à la réalité du pays, de la culture professionnelle, de la manière dont l’interlocuteur approche le marché La qualité incontournable est l’adaptabilité.
CM - Existe t il des points de convergence entre toutes vos négociations pluriculturelles ?
BC - Tous mes contacts européens, mais c’est aussi valable dans le monde entier, expriment le même besoin d’intégration des données, les mêmes exigences de gain de temps, de réalisation d’économies, le même souci de rentabilité (ROI).
CM - Quels sont les traits dominants des…..
BC -
Allemands | Italiens, Espagnols | Anglais, nordiques |
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Avec eux, les négociations sont simples, concises, rapides. Une des caractéristiques des allemands est qu’ils acceptent la critique. |
Je dirai qu’avec les « européens du sud », les négociations sont légèrement « fleuries ». La négociation est importante, négocier fait partie du jeu. | Avec eux, la réalité du budget est plus forte que dans le reste de l’Europe. La négociation est plus simple que dans l’Europe du Sud. |
CM - Quelles sont les erreurs à ne pas faire avec un
BC -
Allemand | Italien, Espagnol | Anglais, nordique |
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Dans les négociations avec les allemands, l’innovation est fondamentale, son insuffisance peut faire échouer tout le processus de négociation. | Les italiens et espagnols ne supportent pas la critique directe de la vision qu’ils ont de leur solution actuelle, que leurs choix antérieurs soient contestés. | L’excès, le non respect des distances, le manque de formalisme sont les ennemis de la négociation avec les britanniques. |
Volet 2. Cas Asie – Amérique du Nord
Cette deuxième partie prend appui sur 3 situations :
- Celle d’une entreprise américaine faisant fabriquer des vélos en Chine et qui semblent comporter quelques défauts (bruit) ;
- Celle d’une entreprise asiatique qui, du fait de l’évolution de cours des matières premières, cherche à obtenir de son client américain, une augmentation du prix d’achat pour préserver sa marge ;
- Celle d’entreprises américaine et chinoise qui cherchent, avant de se rapprocher, à obtenir des informations pour minimiser les risques d’échec de leur stratégie de croissance externe.
Face à un problème (que veut résoudre l’américain)
1. L’américain a tendance à :
- Rentrer directement en confrontation ;
- Créer un contact direct ;
- Aller à l’essentiel pour préserver les résultats escomptés.
2. L’asiatique va privilégier les voies indirectes en :
- Utilisant des mots dont le sens est ambigu exigeant analyse, interprétation et finesse ;
- Pratiquant les silences induisant la patience, le sang-froid ;
- Recourant à des intermédiaires, des tiers pour faire passer les messages.
3. Que faire pour négocier avec un interlocuteur asiatique ?
- Faire appel à un intermédiaire pour mieux faire passer le message ;
- Ne pas oublier que le respect et l’honneur sont des valeurs essentielles dans la culture asiatique ;
- Ne pas oublier que le groupe domine sur l’individu ;
- Ne pas laisser s’exprimer ses émotions ;
- Choisir une voie qui démontre la confiance accordée en autrui ;
- Choisir une voie qui ne remette pas en cause l’harmonie du groupe ;
Renégocier un contrat (prix) avant terme pour préserver ses marges
1. L’américain a tendance à :
- Rationaliser ;
- Exposer les faits tels qu’il les voit ;
- Exprimer les raisons de faire des concessions ;
- Exprimer des promesses/menaces.
2. L’asiatique a tendance à :
- Exprimer des sentiments ;
- Exprimer une tristesse quant aux éventuelles implications de ce qui est à l’origine de la renégociation ;
- Demander une aide émotionnelle qui renforcera le caractère persuasif de la démarche
- Prendre des responsabilités et protéger ceux qui sont plus faibles (statutairement)
3. Que faire pour négocier avec un interlocuteur asiatique ?
- Ne pas oublier que la culture asiatique est collective et hiérarchique à la différence des sociétés occidentales plus égalitaires mais dans lesquelles la position peut rapidement changer en fonction de sa réussite ;
- Faire appel aux émotions qui rappellent à l’autre l’existence de la relation ; affirment sa position dominante et de fait sa responsabilité pour protéger le plus faible.
Obtenir et partager suffisamment d’informations avant de formuler une proposition
Tout type de négociateur est convaincu du caractère crucial et créateur de valeur de l’information.
1. L’américain a tendance à :
- Etre direct ;
- User d’une communication non codée ;
- Mettre en confiance ;
- Poser des questions concernant les préférences et priorités de l’autre ;
- Postuler qu’autrui est digne de confiance ;
- Donner quelques informations pour inciter l’autre à en donner encore davantage
2. L’asiatique a tendance à :
- Faire de la communication indirecte ;
- Déduire ;
- Faire une ou des propositions dans lesquelles des enjeux sont identifiables ;
- Faire plusieurs propositions avec un seul enjeu ;
- Travailler sur ces propositions pour en déduire les priorités et les préférences ;
- Comparer
Volet 3. Cas Renault-Nissan
Le rapprochement stratégique Renault-Nissan est un cas de négociation internationale que l’on peut analyser selon la « méthode Watkins ».
Cette analyse repose sur 7 facteurs :
- Parties ;
- Règlements ;
- Questions ;
- Intérêts ;
- Options ;
- Accords éventuels ;
- Liens.
La méthode Watkins est un outil qui permet de comprendre :
- Pourquoi des négociations sont entamées à travers la mise en évidence des intérêts des parties. Le choix des interlocuteurs ;
- La durée de la négociation ;
- La valeur des propositions ;
- Les progrès réalisés au fil de la négociation ;
- La valeur des résultats atteints par les parties une fois la négociation achevée.
Attention cette méthode présente des limites comme le fait qu’elle ne considère pas les négociations comme un processus, comme des interactions dynamiques ou encore qu’elle n’intègre que les intérêts mais pas les ressources ni les compétences pourtant déterminantes dans toute négociation.
Voilà ce qu’aurait été la négociation du rapprochement Renault-Nissan selon la méthode Watkins :
Facteurs | |
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Parties | Renault : Groupe plus que centenaire, pesant 31,7 milliards d’euros de revenus consolidés, de plus de 100000 personnes, constructeur automobiles particuliers, commerciaux et pièces, dirigé par Schweitzer, 56 ans, PDG de Renault. Il bénéficie d’une réputation de redresseur de la réputation de Renault. Il est entouré de deux directeurs généraux qui ont notamment étudié les potentialités asiatiques. D’autres acteurs interviendront (conseil d’administration, ministres, comité d’entreprise) Plus éloignés, des participants français autres seront intégrés comme des banquiers d’affaires, conseillers juridiques…. Nissan : Entreprise de 90 ans, avec des filiales, 130000 salariés dans le monde, pesant 58 milliards de dollars en revenus consolidés mais connaît des difficultés financières. Dirigée par Hanawa, 40 ans d’ancienneté chez Nissan., Hanawa s’entoure de son directeur général, du conseil d’administration, mais aussi de manière plus éloignée du ministère des finances ou encore du MITI. |
Règles du jeu | Inviter les personnes haut placées Discussions exploratoires Négocier un protocole d’entente ou d’une déclaration d’intention Négocier officiellement Identifier les lois françaises et japonaises pour tous les domaines concernés (fiscalité, propriété intellectuelle, concurrence…). Us et coutumes |
Questions | Du domaine des affaires : statut juridique, ampleur de la joint-venture, contributions de chaque partie, règles de gestion… Du domaine des relations : Litiges antérieurs éventuels… Du domaine des conflits : contrôle de la joint-venture, prix, perception par la société civile |
Intérêts | Renault : Améliorer sa compétitivité, accélérer son internationalisation, atteindre une taille critique, acquérir une réputation mondiale, protéger son marché intérieur. Nissan : Alléger sa dette, éviter un rachat hostile, protéger son mon, reprendre une position de force sur le marché américain, restaurer sa rentabilité, améliorer sa compétitivité, assurer sa pérennité, sauvegarder des emplois. Leurs intérêts communs : Ne pas subir un échec de rapprochement, l’un par rapport à un échec passé, l’autre en terme de survie de l’entreprise. |
Options | Pour les 2 parties, elles sont limitées voire inexistantes. |
Accords éventuels | Il s’agit ici de ce que Renault va pouvoir proposer pour arriver à un accord potentiel. |
Liens | Il s’agit des liens entre les entreprises et d’autres acteurs tels les autorités publiques, des concurrents qui pourraient affecter le contenu, l’étendue, les parties avec lesquelles discuter. |
Voilà ce qu’a été cette négociation :
Etape n°1 : Examen dans le secret par des équipes restreintes des intérêts respectifs dans le cadre d’une éventuelle collaboration. Schweitzer envisageait une alliance et rejetait catégoriquement toute fusion ou acquisition. Rencontre des PDG et pris rapide de connaissances.
Etape n°2 : Pendant 7 semaines, des groupes de travail qui ont été constitués étudient chaque entreprise de l’amont à l’aval pour identifier les bénéfices d’une telle collaboration. Des complémentarités apparaissent ce qui amène les 2 PDG à faire leur premier communiqué commun annonçant un approfondissement de leur étude.
Etape 3 : Pendant 3 mois, 21 équipes interentreprises de 100 personnes sont constituées et étudient précisément le fonctionnement de chaque entreprise et échangèrent des informations avec beaucoup de transparence et de confiance. Les équipes dirigeantes, dont l’objectif est d’élaborer une stratégie, sont intervenues pour amplifier la collaboration et les échanges. Un comité de coordination réalise un bilan mensuel.
Du côté français, Schweitzer et son équipe précisent ce qu’ils entendent par alliance en se référant à diverses expériences (Volvo, Ford-Mazda), certains apprennent le japonais. Une volonté de réussir ce rapprochement est manifeste. Des négociations sont entamées au sujet d’un investissement de Renault dans Nissan. En parallèle, Schweitzer prend contact avec les autorités françaises et en obtient le soutien.
Du côté japonais, des conditions sont posées comme préalable à l’alliance. Nissan invite les français à une présentation de l’alliance tout en recherchant d’autres partenaires éventuels et communique à Schweitzer une offre d’un concurrent (DaimlerChrysler). Des propositions de structures juridiques de l’alliance sont proposées jusqu’à réponse positive des japonais.
En décembre, Hanawa est toujours hésitant et pose encore des conditions aux français.
Etape 4 : Officialisation des pourparlers avec Nissan et des discussions Nissan DaimlerChrysler. Les japonais se servent de DaimlerChrysler en tant qu’alternative mais aussi car ce partenaire plus prestigieux que Renault est un moyen de pousser Renault à augmenter son offre jusqu’à racheter la dette de Nissan. La question financière va donc ouvrir un litige et laisser planer le doute quant au choix de Nissan. Cette incertitude planera au-delà du retrait de l’offre de DaimlerChrysler car Hanawa relancera Ford. Renault de son côté maintient son offre par souci de cohérence et n’abuse pas des refus essuyés par Nissan pour voir son offre à la baisse. Pour Schweitzer, il est indispensable de faire preuve d’intégrité, de sincérité et de ne pas mettre en évidence la fragilité de Nissan. Mais une autre source rapporte une offre ultime de Schweitzer à Hanawa sans montant précis mais plus prometteur en contrepartie d’une engagement de Nissan qui lui permettrait de faire face à son CA (ce qui renvoie de faire appel aux émotions qui rappellent à l’autre l’existence de la relation ; affirment sa position dominante et de fait sa responsabilité pour protéger le plus faible).
Bibliographie :
- Guy-Olivier Faure : Approcher la dimension interculturelle en négociation internationale – RFG 2004
- Jeanne Brett et Michèle Gelfand : Effets de la culture sur le style de négociation – RFG 2004
- Stephen Weiss, Christian Marjollet et Cyril Bouquet : Perspective d’analyse en négociation – RFG 2004