Ethique et marketing

, par Mickaël Lesage

Du fait de l’évolution des mentalités, les parties prenantes de l’entreprise, pas seulement les consommateurs, attendent une démarche plus responsable, à la fois dans les domaines économique, social, écologique et sociétal. On assiste à l’avènement d’une nouvelle forme de marketing, le marketing 3.0, davantage centré sur la valeur. Nous étudierons également les spécificités des distributeurs en dégageant une typologie d’enseignes sur la base du niveau d’implication dans la démarche éthique : le magasin média, le magasin relais, le magasin acteur et enfin le magasin initiateur. Afin de rendre visible les actions réalisées, il convient de soigner la communication à la fois de marque et institutionnelle. Il s’agit d’entreprendre une réelle démarche à savoir modifier ses pratiques et ne pas récupérer ce thème par des stratégies artificielles et devenir manipulatoire au risque de provoquer la méfiance des citoyens.

 Introduction

Dans la conjoncture actuelle où les valeurs sont remises en cause aux niveaux politique et économique, que la confiance envers les politiques ou les dirigeants d’entreprise n’a jamais été aussi faible, une nouvelle forme de marketing émerge, un marketing de valeurs où l’éthique, le respect de l’individu prennent une place de plus en plus importante.

Selon KOTLER [1], « chaque fois que des modifications apparaissent dans l’environnement macroéconomique, le comportement du consommateur se modifie et le marketing doit s’adapter ». L’éthique conduit à raisonner en fonction d’un but utilitaire, celui du bien-être du groupe. Au plan étymologique, « éthique » vient du mot grec « ethos », qui signifie les mœurs et les manières d’agir.

L’éthique est l’ensemble des règles morales observées par un individu ou une organisation.

Jean-Jacques NILLES [2] explique que : « L’éthique est une réflexion qui vise à déterminer les principes du bien agir en tenant compte des contraintes relatives à des situations déterminées. C’est ainsi que l’éthique dans les affaires désigne la recherche conjointe de l’efficacité et de la légitimité ».

Les pratiques des entreprises sont au cœur de leurs discours afin de répondre aux exigences des consommateurs, des investisseurs et des leaders d’opinion, plus généralement des parties prenantes, que ce soit en matière environnementale (respect de la nature), sociale (gestion des ressources humaines) ou sociétale.

Dans le champ social, sa responsabilité intervient en tant que fournisseur d’emplois, elle participe, à ce titre à la structuration de la société. C’est essentiellement un engagement en termes de conditions de travail tant pour le producteur que pour ses fournisseurs. Dans le champ écologique, l’entreprise est engagée dans la vie et l’aménagement d’un territoire.

Pour Patricia THIERY [3], les motivations des entreprises ne sont pas les mêmes : « L’éthique peut prendre la forme d’une véritable philosophie d’entreprise, dont l’engagement consiste à rendre compatibles affaires et conscience sociale (l’éthique comme un viatique). Mais elle peut aussi intervenir comme une volonté de faire face à des responsabilités sociétales tout en s’adressant à des marchés porteurs, tant sur le plan économique que symbolique (l’éthique dans la pratique). Enfin, l’éthique sert parfois de simple prétexte commercial (l’éthique pour la boutique). » On se rend donc compte que les motivations ne sont pas les mêmes et sont plus ou moins sincères selon le cas.

On peut considérer que l’éthique en entreprise est une combinaison de trois dimensions dynamiques : une éthique préventive regroupant les notions de sécurité, d’environnement et de santé ; Une éthique interne centrée sur le respect rigoureux sur les normes juridiques ainsi que sur l’émergence d’un code interne de déontologie et de la notion d’employabilité ; une éthique externe impliquant une plus grande transparence vis-à-vis de ses parties prenantes.

Les parties prenantes, «  tout groupe ou individu qui affecte ou est affecté par l’accomplissement des objectifs de l’organisation », selon R.E. FREEMAN [4], sont donc les salariés, les fournisseurs, les clients, les actionnaires et également, les agents concernés par l’insertion de l’entreprise dans les champs social et écologique.

La typologie présentée par M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE [5] distingue les parties prenantes primaires et secondaires. Les salariés, fournisseurs, clients et actionnaires, qui sont les parties prenantes primaires, sont impliquées directement dans le processus économique et ont un contrat explicite avec l’entreprise. En revanche, les parties prenantes secondaires ont des relations volontaires ou non avec la firme, ce sont les associations de riverains, les collectivités territoriales par exemple.

Le marketing doit permettre un bon échange entre l’entreprise et les parties prenantes, la société en général. Il peut être considéré de deux manières : d’une part, il est un moyen d’accroitre le profit au service du producteur, d’autre part, il est un outil utilisé aux dépens du consommateur. Aussi, pouvons-nous nous demander comment évolue la fonction marketing alors que le développement durable, la responsabilité d’entreprise sont de plus en plus importants aux yeux des clients ? Nous étudierons, dans un premier temps les évolutions des attentes ainsi que des valeurs des parties prenantes. Puis, nous analyserons les façons dont une démarche éthique peut être intégrée dans la stratégie marketing des organisations, notamment en mettant en exergue les derniers courants comme le Marketing 3.0. Dans un troisième temps, nous exposerons les spécificités de cette démarche chez les distributeurs. Par la suite, nous analyserons la nécessité d’une communication honnête et efficace. Enfin, nous évoquerons les difficultés de mise en application d’une réelle démarche éthique au sein des organisations.

 Attentes et valeurs des parties prenantes

Selon E. PASTORES-REISS et H. NAILLON [6], le marketing évolue en harmonie avec la société qui entoure l’entreprise. Ils voient une relation directe entre démarche éthique et marketing dans leur analyse. « Il y a redécouverte du commerce, inscrite dans une nouvelle quête de sens, qui passe par une appropriation plus ouverte du marketing et de l’action de l’entreprise sur son marché ». Les attentes des parties prenantes modifient la stratégie marketing de l’entreprise.

En effet, l’entreprise est insérée dans un environnement étendu où l’information circule sur les contrefaçons, la pollution, les conditions de travail par exemple. L’entreprise est alors obligée de répondre aux attentes de partage et d’engagement. Cette pression est d’autant plus forte que le risque est important que le client aille chez un concurrent. Selon cette approche, l’entreprise est amenée à changer de conduite sous la pression des clients.

KOTLER [7] développe la notion de parties prenantes en l’associant au marketing de la valeur. Les entreprises à hautes performances sont souvent celles essayant de satisfaire l’ensemble de leurs parties prenantes. « Le succès dépend de la capacité de l’entreprise à maitriser la valeur créée pour le client et la satisfaction qui en résulte ». La démarche éthique, présentée par E. PASTORES-REISS et H. NAILLON [8], peut alors être comprise comme une valeur à faire partager aux parties prenantes de l’entreprise. Sa satisfaction peut alors contribuer au succès de l’entreprise.

Néanmoins, la relation entre marketing et entreprise responsable peut être plus brutale. Sous la pression des parties prenantes, l’entreprise est amenée à développer de nouvelles stratégies marketing, elle s’adapte. Il s’agit ici d’une démarche pragmatique et obligée.

Certains actionnaires ont souhaité ne pas investir dans des entreprises qui ne répondent pas à certains critères éthiques. C’est ainsi que différentes sociétés dans le monde ont mis en place des critères d’évaluation des pratiques éthiques qui peuvent être regroupées en six catégories : relations avec la société civile et implication dans la vie locale (mécénat, sponsoring, aides aux associations, financement d’actions locales), les relations avec les clients et les fournisseurs (certification, labels, éthique des achats, cadeaux, commissions, abus de position dominante,…), l’environnement (responsabilité environnementale, impact environnemental,…), présence de sous-traitants dans les pays émergents (droits élémentaires des travailleurs, travail des enfants, rémunérations, codes de conduite et systèmes de contrôle,…), relations avec les actionnaires (transparence, information et communication, dialogue), les relations sociales (aménagement du temps, mesures aux familles, emploi, contenu du travail, conditions de travail, hygiène et sécurité).

Du point de vue des consommateurs, ils réalisent leurs choix selon leur entreprise et en fonction des valeurs qu’ils défendent. L’exemple le plus frappant est celui du boycott. Cela peut donc devenir finalement une question de survie économique.

Selon THUN-HOHENSTEIN [9], « la nouvelle attitude à l’égard de la consommation se définit par la recherche d’une identité sociale ». La formalisation éthique favorise les relations avec les actionnaires tout en véhiculant une image de sérieux et de qualité auprès des consommateurs.

La sensibilisation à l’éthique n’est pas réservée à des micro-segments de clientèle mais au contraire, est partagée par toutes les catégories de la population. Les consommateurs estiment que la première responsabilité d’une entreprise, c’est le respect de sa clientèle (santé/sécurité/satisfaction de ses clients). Les critères de l’éthique sont perçus de manière différente par les consommateurs. Une entreprise doit prendre position vis-à-vis du grand public sur l’éthique mais il est difficile d’avoir à la fois une responsabilité « sociale » et « commerciale ».

Plusieurs explications permettent de comprendre le développement de l’attente par le consommateur d’une dimension éthique de l’entreprise.

Dans un premier temps, l’évolution des modes de vie, les progrès technologiques qui permettent l’accélération des échanges, la transmission des savoirs ainsi qu’un niveau de plus en plus élevé d’éducation des populations.

Ceci explique la montée en puissance des groupes de pression de tout genre qui obligent les entreprises à s’adapter à de nouveaux critères. Les mouvements de défense du consommateur ont des antennes dans le monde entier et l’utilisation des outils de communication actuels leur confèrent une puissance forte. Les différents médias vont jouer également un rôle primordial en effectuant des enquêtes sur des relations et affaires douteuses. De ce fait, le développement de produits et services n’est plus la seule finalité de l’entreprise qui doit devenir un acteur moral et civique. Elle doit opter pour un positionnement de plus en plus citoyen en affichant sa transparence en termes de financement et d’activités.

Enfin, ce phénomène est indissociable de la montée des exigences des consommateurs avec l’entreprise. Les consommateurs adoptent une position plus critique, sceptique aux activités de l’entreprise. L’éthique d’entreprise doit requérir une certaine transparence et une clarification des règles du jeu vis-à-vis des partenaires comme les actionnaires, les travailleurs, les clients et les collectivités dans lesquelles elles interviennent.

 L’éthique au cœur de la stratégie marketing

Un manifeste de l’éthique du marketing a été rédigé par un groupement de professionnels italiens, l’association « Manifesto del marketing etico » et est composé de onze articles avec, entre autres, comme principes :

  • Chaque professionnel du marketing doit adapter ses pratiques dans le plein respect de l’éthique universellement reconnue pour le client et le marché ;
  • Il ne doit pas faire percevoir des besoins réellement secondaires comme étant primaires ;
  • Il ne doit pas avoir des choix individualistes là où, les responsabilités concernent les besoins sociaux et économiques d’une société ;
  • Il doit éliminer de ses stratégies et réalisations tout faux élément de communication ;
  • Il doit passer de la simple vente d’un service offert à ses clients à la vente d’un résultat réel et pas seulement perçu ;
  • Il doit fournir des données réelles et non manipulées vérifiables par d’autres moyens de diffusion publique, privée, formelle ou informelle ;
  • Il doit rendre ses résultats réels, contrôlables par le client et le marché.

On constate l’avènement d’une nouvelle forme de marketing, plus humaine, poussée par les tendances suivantes : la participation et la collaboration sur les réseaux sociaux, la mondialisation à la fois économique mais aussi politique et socioculturelle (les systèmes de valeur évoluent avec la crise, la prise de conscience écologique, les échanges culturels) et l’émergence de la classe des créatifs culturels qui prennent leur distance avec la consommation et privilégient un retour aux valeurs.

Ainsi, KOTLER [10] définit le marketing 3.0 comme un marketing centré sur les valeurs, là où le marketing 1.0 était centré sur le produit, et le 2.0 était centré sur le client.

Marketing 1.0
Centré sur le produit
Marketing 2.0
Centré sur le client
Marketing 3.0
Centré sur la valeur
Objectif Vendre des produits Satisfaire et fidéliser le client Faire du monde un meilleur endroit
Force en présence La révolution industrielle Les technologies de l’information Les technologies SoLoMo (Social Local et Mobile)
Vision du marché par les entreprises Marché de masse avec des besoins physiques Consommateur plus intelligent avec une raison et un cœur Humain intègre avec une raison, un cœur et un esprit
Concepts marketing clés Développement produit Différenciation Valeurs
Consigne marketing Spécification produit Positionnement d’entreprise et produit Mission, vision et valeurs d’entreprise
Proposition de valeur Fonctionnelle Fonctionnelle et émotionnelle Fonctionnelle, émotionnelle et spirituelle
Interaction avec le client One-to-many One-to-one Many-to-many
Source : P. KOTLER « Marketing 3.0 »

Les transformations sont rendues possibles grâce aux technologies à portée de tous (ordinateurs et téléphones portables, Internet à faible coût et logiciels libres accessibles à tous). Le consommateur devient donc lui-même un acteur et un marketeur, un « prosumer » selon KOTLER [11]. « Aujourd’hui, la nouvelle vague technologique devient le principal moteur de l’apparition du Marketing 3.0 ».

Au lieu de voir les individus sous l’angle restrictif de consommateurs, les entreprises ont intérêt à les traiter dans une perspective qui englobe l’humain dans ses différentes dimensions : émotionnelle, intellectuelle et aussi spirituelle (minds, hearts and spirit). C’est l’approche centrée sur l’humain (human-centric approach). « Les avantages psychospirituels constituent [désormais] le besoin le plus essentiel des consommateurs et peut être la différenciation ultime qu’un marqueteur peut imaginer ».

Inversement, les attentes des consommateurs vont se transformer car ils ont des nouveaux moyens d’expression. Les choix des produits et services que feront les consommateurs tiendront compte également des valeurs que l’entreprise reflète et dont elle fait la promotion, que ce soit environnemental ou sociétal.

Selon KOTLER [12], les entreprises gagneront, y compris en rentabilité, à s’attarder aux questions qui concernent tous les intervenants (stakeholders) avec qui elles sont en relation et non pas strictement du côté des actionnaires (shareholders). L’idée est que les entreprises se mesurent en lien avec trois nouveaux « P » : Profit, People, Planet. Les entreprises ne sont donc plus évaluées seulement par rapport au profit qu’elles génèrent mais aussi par rapport à leur comportement vis-à-vis de l’humain et vis-à-vis de la planète.

Il existe trois niveaux de relation entre le marketing et les valeurs :

  • Niveau 1 : une relation « polarisée » : le marketing et les valeurs sont polarisés : c’est le cas typique des chefs d’entreprises qui pensent que le marketing n’a pas besoin de valeurs. Injecter des valeurs signifie davantage de contraintes et des coûts supplémentaires.
  • Niveau 2 : une relation « équilibrée » : une stratégie marketing classique avec quelques actions dédiées à des causes spécifiques.
  • Niveau 3 : une relation « intégrée » : les valeurs font partie de l’ADN de la marque, elles incarnent sa personnalité et sa raison d’exister. Il n’y a aucune séparation entre le marketing et les valeurs.

Le marketing 3.0 est donc basé sur des valeurs sincères, solides, ancrées dans l’ADN de l’entreprise. Ces valeurs incarnent le parfait équilibre entre le profit, le social, l’humain et l’environnement. Il vient donner du sens à ce contrat entre l’entreprise, ses clients et la société civile. Au-delà du produit, le consommateur achète un univers, des valeurs, des façons d’être… La provenance des matières premières, les conditions de fabrication, l’impact sur l’environnement… sont devenus des critères de de choix dans l’acte d’achat.

 Le marketing éthique des distributeurs

Les distributeurs ont une position spécifique puisqu’ils sont les intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs mais veulent s’affirmer comme des entreprises à part entière. Ils veulent véhiculer leur propre image et pas seulement celle des produits de leurs producteurs. Ils souhaitent construire leur propre image et se positionner face à leurs concurrents. Cette image peut engendrer la fréquentation de l’enseigne. Les enseignes se trouvent confrontées à une contradiction entre les consommateurs à qui elles veulent proposer la plus grande variété de produits à un prix compétitif et les producteurs qu’elles sont accusées de mettre en péril par leur politique d’achat agressive. L’éthique est un moyen de redorer une image qui demeure plutôt négative.

Selon Jean-Marie CODRON [13], le commerce éthique se définit par une attention portée par les fabricants et les distributeurs à la « qualité sociale » des produits, comme le respect des droits fondamentaux des travailleurs. Plusieurs principes doivent être respectés comme une rémunération décente, la liberté d’association, la suppression du travail forcé ou obligatoire, l’abolition du travail des enfants et la suppression des discriminations en matière d’emploi. Au-delà du respect des normes d’éthique sociale, cela passe par le respect de champs économique et écologique.

Voici des exemples d’actions éthiques relevant de l’entreprise responsable dans la grande distribution :

ChampsCritèresActions possiblesExemples concrets
Economique Stimuler la croissance, la compétitivité Production, emplois, rentabilité. Créations d’emplois par une implantation locale.
Écologique Protéger l’environnement Gestion des déchets, pollution, optimisation des consommations d’eau, réduction des emballages, sécurité des produits (OGM). Leclerc : remplacement des sacs de sortie de caisse par des sacs réutilisables plusieurs fois par les clients ;
H&M : abolition de matières polluantes (PVC) dans le processus de production et à la vente ;
C&A : certifiée ISO 14001 (certification des systèmes de management environnemental des entreprises) : les domaines concernés sont la production, la sûreté des produits, le recyclage des cintres, la réduction des emballages.
Social Promouvoir la responsabilité sociale Relations avec les fournisseurs : créations de codes de bonnes conduites, développement de partenariats à long terme, soutien aux PME. Auchan : préavis minimal de 3 mois en cas de déréférencement ; développement de contrats de 2 ans avec les PME ; suivi des fournisseurs réalisant plus de 30 % de leur CA avec Auchan.
Clauses sociales : commerce équitable, audits sociaux des entreprises, dialogues avec les syndicats et ONG. Distribution de produits Max Haavelar par les principales enseignes.
3 Suisses : soutien d’une action de sensibilisation sur la déforestation de la forêt amazonienne.
Insertion locale de l’enseigne Leclerc : opération « Nettoyons la nature » qui consiste au ramassage collectif des déchets sauvages en milieux naturels et urbains. Soutien au niveau local. Chaque magasin sert de point de rencontre pour les participants, de point de départ pour le nettoyage et apporte une aide logistique et matérielle à l’opération.
Relations avec les salariés : charte sociale signature d’accords collectifs aux conditions de travail et un institut de formation propose des formations internes et externes.
Carrefour détient un centre de formation au management à Sophia Antipolis et a ouvert d’autres centres dans le monde.

On peut mettre en exergue quatre axes de réflexion : *- L’éthique : un prolongement de la mission d’enseigne.

Il est légitime pour l’enseigne de s’interroger sur les frontières d’un contenu « plus que commercial ». Effectivement, la distribution est un métier de proximité, de contact direct avec le consommateur. La mission d’enseigne est par définition au cœur du client et du métier de l’entreprise. Si la plupart des champs de l’éthique ont à première vue tendance à sortir du cadre de la mission d’enseigne, certains s’en éloignent plus que d’autres : l’humanitaire, l’environnement, qui sont pourtant des sujets de l’éthique…

Figure 1 : démarche d’éthique et mission d’enseigne

  • L’éthique doit s’incarner dans les magasins, être concrètement visible des clients.

Le consommateur est en contact direct, physique, avec l’entreprise, le magasin n’est pas à l’enseigne ce que le produit est à la marque : le magasin est un « morceau d’entreprise ». C’est par le magasin que l’enseigne existe. Le marketing d’enseigne doit être un marketing de preuve, de démonstration permanente. Ce qui ne se traduit pas en magasin est peu perçu par le client et beaucoup moins crédible. La traduction locale produit les effets les plus forts auprès des clients et des collaborateurs. Cette spécificité de la distribution est un atout plutôt qu’une contrainte. Il s’agit de mettre en œuvre des démarches éthiques avec implication active des magasins : responsabilisation sur des thèmes d’insertion locale, fierté d’appartenance, crédibilisation du discours interne sur les valeurs,…

  • L’insertion locale est le cœur de l’efficacité éthique pour les enseignes

Les sujets les plus efficaces sont ceux qui concernent le local : défense de l’environnement local, embauche d’handicapés ou insertion de jeunes en difficulté… L’action est tangible, elle a du sens pour les clients, l’action du magasin est visible et crédible.

On dégage une typologie des enseignes sur la base du niveau d’implication du magasin dans la démarche éthique de l’enseigne :

Le magasin MEDIALe magasin RELAISLe magasin ACTEURLe magasin INITIATEUR
Il accorde une partie de sa surface ou de sa vitrine pour relayer une campagne de communication nationale sur un sujet éthique. Le niveau d’implication des équipes est quasi nul, l’impact marketing et managérial est faible. Il relaye une action nationale (ex : collecte de produits). Généralement, le sujet éthique est « lointain » et ne touche pas l’environnement proche du magasin. L’impact marketing est limité. Il met en œuvre une action éthique initiée par le national, pour et dans sa ville ou son quartier. Les équipes magasins sont acteurs de l’opération. L’impact marketing et managérial peut être fort. Il peut définir et mettre en œuvre des actions éthiques (dans le cadre d’une stratégie nationale) dans sa ville ou son quartier. Le niveau d’implication des équipes est très fort. L’impact marketing et managérial peut être considérable.

Figure 2 : Degré de perception client d’une démarche éthique

  • La puissance de l’enseigne est source de responsabilité.

La nécessité ainsi que le niveau d’implication de l’enseigne dans une démarche éthique dépend du format de ses magasins.

Les Grandes Surfaces Alimentaires sont les plus exposées à la critique sociale. Elles ont plus que les autres besoin de « redorer leur blason » aux yeux des parties prenantes. Les GSA souffrent de deux handicaps réels qui sont une faible crédibilité de leurs discours vertueux qui rend indispensable la preuve des actions et un positionnement prix bas difficile à concilier avec une générosité forcément perçue comme coûteuse.

Les Grandes Surfaces Spécialisées sont peu présentes sur le champ de l’éthique, et plus encore de tout engagement local. La rigidité des concepts, la centralisation du pouvoir, la taille des magasins moins grande que les GSA expliquent cette absence. Un ancrage local orienté vers l’éthique est d’autant plus un formidable levier marketing.

Les réseaux de boutiques sont dans une démarche de marketing de marque et ne sont pas attendues sur une démarche d’insertion locale. Dès lors, une démarche éthique sera portée par la marque et le produit et non par le point de vente. Les magasins se cantonneront à un rôle de média ou de relais efficace de l’opération. Les indépendants sont bien placés pour mener des actions en faveur de son environnement proche.

Figure 3 : Positionnement des enseignes

 L’impact de la dimension éthique dans la stratégie de communication

La communication de l’entreprise porte de plus en plus sur la réputation de la firme et son image de marque. Ce sont des facteurs de compétitivité, ils sont identifiés comme éléments du capital immatériel de la firme. Les campagnes de communication deviennent de plus en plus importantes. Au final, ce qui prime et peut être ce qui est le plus accessible au consommateur, est moins l’action que sa visibilité.

Il s’agit de communiquer sur leurs valeurs à l’intérieur et l’extérieur de l’entreprise : leur comportement sur l’impact environnemental, leurs activités caritatives, leur démarche RSE, les conditions de travail des collaborateurs ainsi la politique des ressources humaines,…

L’entreprise doit traiter et justifier sa mission « éthique ». Il faut prendre en considération deux dimensions importantes en termes de communication : la communication de marque et la communication institutionnelle.

Concernant la communication de marque, les consommateurs exigent de plus en plus du produit. Les stratégies de communication approfondissent les motivations rationnelles conduisant à l’achat d’un produit tout en renforçant la valeur ajoutée émotionnelle de la marque. La publicité doit de plus en plus être l’expression de l’éthique et de ses valeurs morales. La publicité pourra montrer et mettre en scène cette fonction, et un produit devenir l’acteur d’un lien social autour de valeurs communes entre les consommateurs. Les marques doivent refléter les aspirations des consommateurs pour le bon choix, la valeur morale de l’achat contre la consommation égoïste et narcissique, pour une consommation responsable d’un citoyen soucieux d’informer, de comparer, d’évaluer l’impact environnemental et social d’un réel engagement personnel dans le choix d’un produit.

Concernant la communication institutionnelle, il faut envisager deux voies d’actions importantes :

  • La mise en place d’un contrat passé entre l’entreprise et son management ainsi que son environnement pour établir une relation de confiance et rendre cohérente l’entreprise dans son image, sa posture et le discours que l’on attend d’elle ;
  • L’établissement d’une charte de valeurs permettant à l’entreprise de de se retrouver autour de valeurs donnant un sens à son activité par rapport à la société.

Ces deux voies d’action doivent être présentées et expliquées aux parties prenantes et surtout aux consommateurs par une communication didactique, ludique et informative, symbolisant l’engagement moral de l’entreprise concernée auprès des générations futures.

Il existe donc deux postures interactives de communication, selon qu’on parte de l’entreprise ou de la marque. Différents exemples de communication responsable sont possibles et combinables :

  • Communiquer sur leur responsabilité immédiate
  • Soutenir et communiquer sur des actions externes louables et vertueuses en lien avec l’entreprise et par exemple le mécénat et le sponsoring incarnant les valeurs de l’entreprise, visibles et appréciables par les cibles choisies
  • Récupérer les valeurs éthiques et les promouvoir pour montrer qu’elles s’inscrivent sans sa logique d’entreprise.

 Difficultés de mise en place d’une réelle démarche éthique

On assiste, dans la réalité, à de vigoureuses dégénérescences que peuvent transformer le marketing à favoriser un stakeholder (intervenant) en particulier, habituellement l’entrepreneur. Les dégénérescences sont préjudiciables, notamment pour le consommateur. Cela peut concerner la baisse du rapport qualité prix, le transfert d’informations trompeuses sur l’emploi de produits dangereux et le recours à des procédés publicitaires subliminaux. D’autres pratiques telle la vente agressive (hard selling) sont condamnables, identifiées par des sollicitations répétées et insistantes (sollicitations téléphoniques, visites à domicile, courriers, interventions successives de plusieurs vendeurs pour forcer la vente en magasin…), ainsi que les manifestations de contraintes morales (chantage, utilisation de la peur, de menaces ou d’intimidations) et les altérations de la liberté de choix (non-respect du délai de réflexion). Puis viennent d’autres pratiques comme le trafic de fichiers clientèle, la vente à perte, les ententes illicites entre concurrents, les discriminations tarifaires, les publicités sur les supports des NTIC (spamming), les contrats de service avec barrières à la sortie, le non-respect des garanties et des réclamations, le gaspillage de papier et l’affichage sauvage, la corruption et les pots-de-vin et enfin les enquêtes manipulant l’opinion des répondants. Dans l’esprit de certains marqueteurs, la fonction marketing est tenue de viser de fortes marges bénéficiaires à court terme, ce qui peut entrainer des dérives éthiques. Egalement, les pressions concurrentielles qui poussent à franchir certaines limites. Tant que les mentalités de certains professionnels du marketing n’évolueront pas, la démarche éthique sera compliquée à mettre en exergue.

Il faut se garder de substituer « marketing éthique » à « éthique (et) marketing ». L’enjeu se situe dans la seconde expression. Les tentatives de récupération de ce thème par des stratégies adaptées, qu’elles soient de nature environnementale, culturelle ou humanitaire, pour respectables qu’elles soient, ne sauraient en détourner l’attention des acteurs et chercheurs.

Le marketing doit respecter une vision éthique. La finalité du marketing est d’étudier les besoins des consommateurs, de proposer une offre de produits et services adaptée aux besoins, d’optimiser la communication et la distribution de ces offres, et enfin d’estimer le degré de satisfaction de la clientèle.

Le marketing peut véhiculer vers l’extérieur des valeurs demandées par le marché. Dans le contexte d’une sensibilité accrue des consommateurs aux enjeux du développement durable, le marketing est obligé de modifier ses pratiques. Pour autant, cette activité prête le flanc à la critique. Elle est soupçonnée de construire des messages publicitaires vantant le développement durable alors que le fonctionnement de l’entreprise est inchangé. De fait, le marketing suscite le débat. Sous contrainte, il oblige à une révision des pratiques de l’entreprise et de son fonctionnement, dans le même temps, ce changement ne peut être qu’apparent, le marketing devient alors manipulatoire. Il peut viser à rendre visible par les parties prenantes les actes de l’entreprise, qui peuvent être qualifiés ou perçus comme responsable. Les activités marketing utiliseraient un discours sur la responsabilité d’entreprise afin de véhiculer une image favorable à l’entreprise et ses produits sans que cela soit le reflet d’une démarche interne à l’entreprise.

Selon M. CAPRON et F. QUAIREL-LANOIZELEE [18], « de façon générale, les outils traditionnels du marketing reposent plus souvent sur la persuasion et la manipulation que l’objectivité et la transparence, utilisant des valeurs liées au développement durable dans les campagnes publicitaires et l’étiquetage … ce qui contribue également à la confusion des consommateurs et la méfiance des citoyens ». Pratiquer une politique marketing sans fondement est une vision à court terme et dangereuse pour la pérennité de l’entreprise. Selon C. DUCROCQ [19], « un engagement éthique, factice, instrumentalisé, sans relation avec les valeurs profondes de l’entreprise, sera non seulement inefficace mais dangereux. Les clients sont en contact permanent avec l’entreprise : ils savent très bien décoder sa personnalité, faire le tri dans les discours ». La communication peut être considérée comme mensongère si un écart est perçu entre le message véhiculé et la réalité telle que le consommateur la perçoit. Des pressions peuvent être exercées sur le producteur pour qu’il démontre son réel engagement.

 BIBILIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE

  • Marketing 3.0 : Définition et principales valeurs – Leila BOUTALEB-BROUSSE –16 juin 2012- btobconnected.com
  • Marketing et éthique, un couple infernal ? – Florence ELMAN - 11 avril 2012 - les coulissesdumarkeitng.com
  • Marketing 3.0 : From Products to Customers to the Human Spirit – KOTLER, KARTAJAYA, SETIAWAN – 15 octobre 2012 – Edition De Boeck.
  • Les 7 clés du développement durable – Elisabeth PASTORE – REISS – Février 2012 – Edition Eyrolles
  • L’encyclopédie du marketing commentée et illustrée - Jean-Jacques LEHU – 2012 - Edition Eyrolles
  • Le marketing 3.0 – Samuel MAYOL – 2011 – Edition DUNOD
  • Manifeste de l’éthique du marketing – 2011 – Manifestodelmarketing.com
  • Conditions de pertinence et de succès du marketing éthique des distributeurs – G. DUARTE – 2003 - institut-gestion.univ-larochelle.fr
  • Ethique et marketing : l’enquête – Jean-Paul FLIPO et Robert EVAT – Juin 2003 – European Entrepreneurial Learning
  • Le marketing éthique – Elisabeth PASTORE-REISS et Hervé NAILLON – 2002 – Edition Village mondial
  • Développement durable, RSE, éthique : le marketing sous pression : le cas de la grande distribution – Marie – France VERNIER – 2005 - AIMS (Association Internationale de Management Stratégique)
  • La nouvelle distribution. Marketing, management, développement des modèles à développer – Cédric DUCROCQ – 2002 – Edition DUNOD

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Notes

[1Philip KOTLER, KARTAJAYA, SETIAWAN, Marketing 3.0 : From Products to Customers to the Human Spirit, 15 octobre 2012, Edition De Boeck.

[2Jean-Jacques NILLES, Thèse sur l’éthique comme outil de management, 2004.

[3Patricia THIERY, Marketing et responsabilité sociétale de l’entreprise : entre cynisme et civisme, 2004.

[4R.Edward FREEMAN, Business ethics, a managerial approch, 2009.

[5Michel CAPRON, Françoise QUAIREL-LANOZELEE, La responsabilité sociale d’entreprise, 2009, Edition La découverte.

[6Elisabeth PASTORES-REISS, Hervé NAILLON, Le marketing éthique, Edition Village mondial, 2002.

[7Philip KOTLER, KARTAJAYA, SETIAWAN, Marketing 3.0 : From Products to Customers to the Human Spirit, 15 octobre 2012, Edition De Boeck.

[8Elisabeth PASTORES-REISS, Hervé NAILLON, Le marketing éthique, Edition Village mondial, 2002.

[9THUN-HONENSTEIN, diplomate autrichien, 19e siècle.

[10Philip KOTLER, KARTAJAYA, SETIAWAN, Marketing 3.0 : From Products to Customers to the Human Spirit, 15 octobre 2012, Edition De Boeck.

[11Philip KOTLER, KARTAJAYA, SETIAWAN, Marketing 3.0 : From Products to Customers to the Human Spirit, 15 octobre 2012, Edition De Boeck.

[12Philip KOTLER, KARTAJAYA, SETIAWAN, Marketing 3.0 : From Products to Customers to the Human Spirit, 15 octobre 2012, Edition De Boeck.

[13CODRON J-M, SYRIEIX L., STERNS J., STERNS P., Qualités environnementales et sociale des produits alimentaires : offre de signaux et perceptions du consommateur, document de recherche de l’INRA, Mai 2002.

[14Etude « Les conditions de pertinence et de succès du marketing éthique des distributeurs », par G. DUARTE, C. DUCROCQ, L .LAVORATA, 2003.

[15Etude « Les conditions de pertinence et de succès du marketing éthique des distributeurs », par G. DUARTE, C. DUCROCQ, L .LAVORATA, 2003.

[16Etude « Les conditions de pertinence et de succès du marketing éthique des distributeurs », par G. DUARTE, C. DUCROCQ, L .LAVORATA, 2003.

[17Etude « Les conditions de pertinence et de succès du marketing éthique des distributeurs », par G. DUARTE, C. DUCROCQ, L .LAVORATA, 2003.

[18Michel CAPRON, Françoise QUAIREL-LANOZELEE, La responsabilité sociale d’entreprise, 2009, Edition La découverte.

[19Cédric DUCROCQ, La nouvelle distribution, Edition DUNOD, 2006.

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