L’apport du neuromarketing à l’évaluation de la performance de la communication media

, par Pascal Roos

Interrogé sur le métier de la chaîne de télévision qu’il dirigeait par les auteurs de l’ouvrage « Les Dirigeants face au changement », Patrick Le Lay (ancien Directeur Général de TF1), avait répondu : « ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Au-delà de la polémique suscitée par ces propos, cette réponse illustre la volonté de concevoir des programmes susceptibles d’améliorer la « disponibilité » du cerveau à accueillir dans les meilleures conditions possibles de nouveaux messages publicitaires. Les enjeux sont en effet colossaux, quand on sait que les dépenses de publicité ont atteint 30 milliards d’euros en France en 2003, soit 2 % du produit intérieur brut (PIB) et plus de 3 % de la consommation des ménages, selon l’Union des annonceurs. Le neuromarketing, une « discipline » émergente qui peut se définir comme une nouvelle branche du marketing, s’appuie sur les techniques issues des neurosciences pour mieux identifier et comprendre les mécanismes cérébraux qui sous-tendent le comportement d’achat, dans la perspective d’accroître l’efficacité des actions de communication mises en oeuvre par les entreprises.

I- Le neuromarketing ou l’ambition scientifique du marketing

Le neuromarketing s’appuie sur le développement des nouvelles techniques d’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui permettent aujourd’hui non seulement de "photographier" le cerveau dans un espace à trois dimensions avec une grande précision, mais aussi d’enregistrer et de localiser son activité au cours du temps, grâce à l’IRM dite fonctionnelle (IRMf).

Ces nouveaux instruments d’IRMf permettent donc d’observer l’activité cérébrale de consommateurs lorsqu’ils sont soumis à différents stimuli. Ils peuvent donc être utilisés par les entreprises pour analyser les réactions déclenchées par leurs produits ou leur communication publicitaire, afin de rechercher les moyens d’en renforcer l’attractivité ou le caractère persuasif en repérant, par imagerie cérébrale, les signaux (visuels, sonores...) qui déclenchent le plus d’envie, de plaisir....

Les entreprises, toujours à l’affût de nouveaux moyens de compréhension et de persuasion des consommateurs, en ont rapidement compris l’intérêt. Elles leur ouvrent, en effet, de nombreuses nouvelles perspectives d’applications sur le plan commercial. Après avoir émergé aux Etats-Unis au début des années 1990, les recherches en neuromarketing, associant entreprises et laboratoires universitaires, tendent donc à se multiplier, même s’ils restent encore discrets du fait de l’appréhension qu’ils suscitent dans le public. Ainsi, de grands groupes comme L’Oréal, Altadis ou Camel testent ces outils d’investigation cérébrale depuis une dizaine d’années. Levi-Strauss, Alcatel, Ford ou encore Delta Airlines investissent, eux aussi, dans ces méthodes pour affiner leurs stratégies commerciales.

II- Les Domaines d’application du neuromarketing

Les recherches en neuromarketing, qui ont l’ambition de permettre une meilleure connaissance des facteurs de mémorisation ou encore une plus forte capacité à orienter le comportement d’achat des consommateurs, ont notamment permis à ce jour de mettre en évidence la manifestation cérébrale des préférences de marque.

Le protocole des études menées en la matière est, au moins dans son principe, assez simple : un échantillon représentatif de consommateurs volontaires est constitué et on demande aux individus le composant de remplir un questionnaire permettant d’identifier leurs préférences par rapport à des produits et/ou des marques spécifiques. Ensuite, l’activité du cerveau de ces personnes est enregistrée grâce à l’IRMf, pendant que leur sont projetées des images de produits et/ou marques correspondant ou non à leurs goûts.

Les résultats semblent montrer que le degré de préférence des individus (pour un produit ou une marque donnée) peut être observé par une activation différenciée de certaines régions précises de leur cerveau.

L’une des expériences les plus intéressantes en la matière a été réalisée par Read Montague au "Baylor College of Medecine". Celle-ci consistait à enregistrer, grâce à l’IRMf, l’activité cérébrale d’individus buvant du Coca-Cola et du Pepsi-Cola, lors de deux dégustations consécutives, l’une en aveugle et l’autre à marques découvertes.

L’analyse des réactions des zones du cerveau liées au plaisir a montré que si la seconde boisson semblait générer plus de plaisir que la première lors de la dégustation en aveugle, les résultats s’inversaient lors de la dégustation à marques découvertes (même si les zones concernées du cerveau n’étaient plus exactement les mêmes).

Ce test semble démontrer que la notoriété d’une marque donnée entre en ligne de compte dans l’appréciation que lui portent les individus. La puissante image de marque que s’est construit Coca-Cola à travers ses campagnes de communication altèrerait notre perception de ce produit ou, du moins, la gratification que l’on éprouve en le consommant.

Le rayonnement de l’image de marque d’un produit dans l’esprit d’un consommateur permettrait donc de provoquer, dans un cerveau, plus de satisfaction que les sensations directement transmises par ses qualités gustatives !

III- Les Limites du neuromarketing

Si le neuromarketing fait l’objet d’un réel engouement de la part des entreprises, il essuie dans le même temps de fortes critiques qui, au-delà de son coût élevé qui en limite l’accès aux seules grandes entreprises (la simple acquisition des images neuronales revient à environ 800 euros de l’heure ! L’Institut BrightHouse a ainsi réalisé récemment une étude portant seulement sur 30 volontaires pour la somme de 209 000 euros), sont d’ordre éthique et méthodologique.

1- Des limites éthiques : vers l’instrumentalisation du consommateur  ?

Le fait que le neuromarketing poursuive, dans une perspective purement commerciale, des recherches sur les mécanismes cérébraux, qui plus est grâce à un appareillage technique extrêmement sophistiqué, mal connu du grand public sinon pour ses applications médicales, n’a pas été sans déclencher de compréhensibles interrogations sur sa légitimité et les risques qu’il pourrait faire courir en terme de manipulation ou de conditionnement psychologique des consommateurs, dans une approche très behaviouriste du comportement des consommateurs.

Selon le psychologue Olivier Oullier, chercheur au Centre des systèmes complexes et des sciences du cerveau de l’université de Floride, « les questions d’ordre éthique et moral sont nombreuses. Le spectre d’Orwell plane, à tel point qu’aucune compagnie n’a pour l’instant publiquement admis avoir recours au neuromarketing. Il reviendra aux législateurs de trancher quant à la légalité de l’usage de telles études. A ce jour, il existe clairement un vide juridique concernant l’application des neurosciences à des fins non médicales  » Ceci a conduit "Commercial Alert", une association de vigilance civique ("watchdog group"), à réclamer auprès de l’agence fédérale spécialisée dans la surveillance des recherches médicales ("U.S. Office for Human Research Protection"), une enquête sur les travaux menées par l’université d’Emory (liée à l’institut "BrightHouse Neurostrategies™ Group") arguant du fait que celles-ci pourraient, à terme, "aider les entreprises à vendre des produits risquant de contribuer à l’obésité, au diabète de type 2, à l’accoutumance tabagique et à l’alcoolisme".

Le "U.S. Office for Human Research Protection", après avoir vérifié que les recherches menées grâce au IRMf respectaient les obligations fédérales en matière d’éthique, les a autorisées dans un avis du 17 février 2004, en soulignant qu’il n’était pas de son ressort d’évaluer les possibles effets à long terme des éventuelles applications qui pourraient être tirées des connaissances issues de la recherche fondamentale

Cette décision élimine donc, au moins provisoirement et aux États-unis, le flou juridique qui existait en matière d’utilisation des neurosciences à des fins non médicales. La frontière entre simple amélioration des techniques publicitaires et volonté d’asservissement des clients potentiels devient désormais ténue.

Au-delà des limites éthiques, le neuromarketing se heurte également à des limites scientifiques et méthodologiques qui remettent en cause la pertinence des résultats dont les entreprises peuvent se prévaloir.

2- Des limites scientifiques et méthodologiques : un consommateur réduit à son activité neuronale ?

Une des principales faiblesses du neuromarketing repose sur ses protocoles de recherche. Pour d’évidentes contraintes techniques liées aux appareillages utilisés, le cerveau des consommateurs se retrouve isolé au sein du laboratoire et est analysé en l’absence de toute contrainte sociale. Or il a été scientifiquement établi que tout comportement découle des interactions entre un individu et son environnement. Les mécanismes de préférence et de décision d’achat n’échappent pas à ce fait.

Si les publicitaires pensent donc volontiers disposer désormais des clés pour jauger l’efficacité de leur communication, aucune étude n’a mis en évidence à ce jour un lien causal strict entre le fonctionnement d’une aire cérébrale et un comportement aussi complexe qu’une décision d’achat. « La relation entre les préférences des consommateurs et l’achat est complexe et dépendante du contexte. Il n’existe pas d’onde cérébrale magique ou de bouton “acheter” qui permette de prédire les réponses des consommateurs dans toutes les situations », rappelle prudemment l’institut BrightHouse sur son site Internet. Les protocoles isolent en effet toujours les personnes testées, alors que dans la vie réelle, l’environnement contribue également puissamment à orienter les comportements.

Conclusion  :

En conclusion, si le neuromarketing semble ouvrir de nouvelles perspectives en matière de recherche sur l’attitude et le comportement d’achat du consommateur, il n’existe aucune étude scientifiquement reconnue établissant un lien univoque entre le fonctionnement d’une aire cérébrale et un comportement aussi complexe que la décision d’achat. Le neuromarketing, s’il bénéficie de fondements scientifiques, est un outil d’études à manier avec précaution par les chercheurs comme par les entreprises, au risque de proposer une vision appauvrie et peu opératoire du consommateur et de son comportement d’achat.


Sources bibliographiques :

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