La lecture des pages finances et marchés des journaux économiques n’est pas chose aisée et les commentaires des spécialistes sont parfois assortis de « AAA » [1] , « Baa » ou « D »… qui nous font penser à un langage codé. Nous n’en sommes pas loin car il s’agit en fait de notes, attribuées par des agences de notation financière, que seuls les initiés peuvent décrypter. Ces agences ont pour activité d’évaluer les risques liés aux titres de dettes ainsi que les émetteurs de titres eux-mêmes qui peuvent être des entreprises, des banques, des compagnies d’assurance, des collectivités locales ou des Etats. Elles permettent donc, a priori, d’améliorer l’information sur les marchés financiers. Initialement, la notation des agences par une simple juxtaposition de lettres, presque unique et admise au niveau mondial, devait faciliter une comparabilité mondiale des produits financiers et des intervenants, rendue indispensable avec l’internationalisation de la finance.
Les agences de notation ont été mises en cause lors de la dernière crise financière pour leur manque d’anticipation sur les risques potentiels liés notamment aux produits structurés et leur insuffisance de réactivité au cours de l’été 2008. Les origines de la crise sont multiples et ne feront pas aujourd’hui l’objet de notre développement mais force est de constater que l’influence des agences est prépondérante à double titre. D’une part, les investisseurs financiers s’appuient en partie sur les notes afin d’orienter leur choix en matière de placement et d’autre part, les accords de Bâle II permettent aux banques d’être moins exigeantes en matière de fonds propres, pour les entreprises emprunteuses les mieux notées. Tirant des leçons de cette crise majeure dont nous ressentons encore aujourd’hui les effets, et cherchant à éviter la reproduction des erreurs, les représentants des grands pays industrialisés se sont, entre autres, alarmés du poids de ces agences et ont cherché à prendre des mesures palliatives. A l’échelle de l’Europe, le 23 avril 2009, le président de la Commission José Manuel BAROSO s’est satisfait de l’approbation d’un règlement par les instances européennes qui, selon sa déclaration, « contribuera à garantir aux investisseurs l’information, l’intégrité et l’impartialité dont ils ont besoin de la part des agences de notation pour prendre des décisions prudentes en matière d’investissement, qui favoriseront la croissance et l’emploi au lieu de créer des bulles de risques excessifs. » [2]
Afin de mieux comprendre pourquoi ces acteurs financiers ont un tel pouvoir et quelles sont leurs faiblesses, nous vous proposons de plonger dans l’univers fermé des agences de notation financière. Qui sont-elles ? Sur quoi porte la notation ? Comment sont attribuées les notes ? A quoi servent-elles ? Ce sont autant de questions auxquelles nous apporterons en premier lieu des éléments de réponses. Nous verrons ensuite de manière plus approfondie dans une seconde partie quels sont les problèmes soulevés et les propositions en matière de règlementation.
Le fonctionnement des agences de notation financière
Il nous semble nécessaire, pour mieux appréhender leur fonctionnement, de retracer un peu l’histoire de ces agences avant d’aborder les aspects plus techniques.
Qui sont-elles ?
En même temps que se développait la globalisation financière dans les années 80, leur sphère d’influence s’est étendue aux pays européens mais les premières agences de notation datent du XIXe siècle. Avec l’avènement du chemin de fer aux Etats-Unis, les compagnies ayant besoin de financement se sont multipliées et en 1860, Henry Varnum POOR eut l’idée de classer ces valeurs nouvelles afin de mieux éclairer les épargnants. Ce n’est qu’au siècle suivant, que naquit l’agence STANDARD & POOR’S en 1941 puis MOODY’S Investors Service en 1909 qui proposait alors une notation à base de lettres afin de noter les emprunts obligataires émis par environ deux cents compagnies de chemins de fer. L’agence FITCH, contrôlée par le groupe financier français FIMALAC, fait figure de petite dernière en apparaissant seulement au début des années 2000.
Ces trois agences concentrent à elles seules plus de 90 % du marché [3] alors que 64 agences étaient répertoriées dans le monde en avril 2008 [4]. La forte concentration résulte de barrières importantes à l’entrée. Tout d’abord, et ce depuis 1975, les agences américaines doivent obtenir un agrément délivré par la SEC, appelé statut NSRO. D’autre part, afin d’être crédibles, ces agences doivent acquérir une bonne réputation, ce qui ne peut se faire qu’avec une forte expérience. Enfin les investisseurs préfèrent ne pas multiplier les intervenants et ont tendance à rester fidèles à leur agence de notation.
Aujourd’hui, toutes les agences de notation sont des organismes privés et indépendants, ce qui n’est pas sans poser problème. Les agences de notation étaient à l’origine payées par les journalistes financiers mais elles facturent maintenant directement la notation aux émetteurs, le montant des honoraires s’étalant de 50 000 € à 150 000 € pour un service s’échelonnant sur quelques semaines à plusieurs mois parfois.
En France seules les trois grandes agences sont implantées, depuis la fermeture des bureaux de la DBRS [5] en avril 2008, mais la concurrence s’ouvre un peu. L’assureur-crédit COFACE, qui notait jusqu’ici les dettes commerciales échéantes à 6 mois maximum, vient de demander son agrément selon la nouvelle procédure mise en place en Union. Un organisme se démarque cependant de toutes ces agences, il s’agit de la Banque de France qui évalue la capacité des entreprises à rembourser leurs dettes à trois ans mais son offre de service est limitée puisque seules les entreprises notées et les banques ont accès à cette notation.
Pour compléter l’information, et bien que cela ne relève pas de cette étude, il est utile d’évoquer l’existence d’agences de notation extra financières. Créée en 2002, la plus emblématique des agences françaises, VIGEO, est maintenant devenue leader européen dans ce domaine. Ce type de notation tient compte de la responsabilité sociétale de l’entreprise et introduit des valeurs morales et éthiques, ce qui permet d’apporter un autre éclairage face à la toute puissance des marchés financiers.
Sur quoi porte l’évaluation ?
C’est surtout avec le développement des marchés financiers que les agences de notation ont multiplié leurs offres de services. Ces dernières notent désormais, selon Norbert GAILLARD [6], « les dettes souveraines, sub-souveraines (municipalités, régions, provinces …), les obligations des entreprises, des banques et des compagnies d’assurance, les financements structurés, les dépôts bancaires et les organismes de placement collectif en valeurs mobilières monétaires et obligataires ».
La notation peut donc porter sur les émetteurs d’emprunts qui peuvent être privés comme des entreprises, des banques, des sociétés d’assurance ou publics comme des collectivités locales ou des Etats mais près des deux tiers des émetteurs sont des institutions financières. Selon le rapport de l’AMF publié en janvier 2009, ce sont 349 entités qui ont fait la demande d’une notation à long terme en 2007 en France. Il est précisé que "sur le seul marché parisien, les groupes notés français et cotés pèsent aux alentours de 1 400 milliards d’euros, soit plus de 95 % de la capitalisation boursière de l’ensemble des sociétés françaises cotées à Paris.
Les agences notent également les titres financiers comme les obligations, les titres de créances négociables, les produits structurés… Bien qu’il soit difficile d’obtenir des données précises sur la répartition du chiffre d’affaires des agences, on relève cependant dans le même rapport que l’activité relative aux financements structurés est très faible en France puisqu’elle représente seulement 3 % des revenus globaux des agences. A contrario au niveau mondial « plus de la moitié des revenus 2007 est provenue du segment lié à l’activité de titrisation pour au moins deux agences » et entre 33 % à 45 % des revenus européens.
Depuis quelques années maintenant les pays sont également notés, ce qui n’est pas sans conséquence sur les stratégies d’investissement des entreprises au plan mondial et freine l’accès au crédit des pays mal notés. Fait marquant début 2009, les agences Standard & Poor’s, Fitch puis Moody’s ont successivement décidé d’abaisser la note de la Russie et de certaines entreprises russes en raison des dégradations causées par la crise économique dans ce pays. Afin d’éviter la spirale à la baisse des investissements sur place, l’ancien chef d’état Vladimir POUTINE a proposé la création d’agences de notation russes dont il espère sans doute un jugement plus clément.
Comment sont attribuées les notes ?
La notation financière, encore appelée rating, porte sur le risque de défaut qui reflète la qualité de signature de l’emprunteur ou des titres de dettes. Elle est effectuée d’une manière générale sur sollicitation de l’émetteur et la procédure qui se met en place va s’échelonner sur plusieurs mois. La méthodologie est propre à chaque agence de notation mais on peut cependant retracer quelques grandes lignes.
Pour l’attribution d’une note, lorsqu’il s’agit d’une entreprise, on étudie son environnement, sa stratégie ainsi que son positionnement sur le marché. Sont également analysés les documents financiers passés et prévisionnels, les risques liés à la structure du financement à travers les états de synthèse mais également ses performances économiques. Cette première phase se termine par un entretien avec les équipes de direction.
La notation financière porte donc sur des éléments quantitatifs à partir de l’observation des données financières et qualitatifs comme la place de l’entreprise dans son secteur d’activité. En cela, l’approche rating se distingue du scoring qui s’appuie sur des critères quantitatifs essentiellement basé sur des calculs de ratios.
Les opérations financières notées sont, pour leur part, modélisées à l’aide d’outils statistiques afin d’évaluer le risque de défaut.
Enfin, lorsqu’il s’agit de noter un Etat, on observe ses politiques monétaires et budgétaires mais aussi la situation économique du pays et sa stabilité.
La seconde phase correspond à l’analyse des données dont on rend compte dans un rapport présenté au « comité de notation » de l’agence qui effectue alors la notation. A l’issue du processus l’émetteur peut contester la note attribuée, ce qui relance les analyses mais si l’émetteur ne s’y oppose pas la note est alors publiée par l’agence de notation.
Par la suite, tout événement susceptible de modifier la note entraînera une mise sous surveillance pendant laquelle seront demandées des informations complémentaires. C’est le cas notamment lors de fusion, acquisition ou cession de filiales d’un groupe par exemple. La surveillance peut amener un rehaussement ou un abaissement de la note initiale et ne dépasse en général pas soixante jours.
Dans l’échelle de notation, on distingue deux grandes catégories de notes, les « investment grade » ou « high grade », de AAA à BBB, pour les émissions les plus fiables et les « speculative grade » ou « below investment grade », de BB à D, pour les émissions les moins sûres voire très risquées. La note maximale AAA signifie une qualité de crédit très élevée alors qu’une notation D constate un défaut de paiement. Des signes « + » et « - » permettent d’affiner la notation. Enfin, la notation diffère selon qu’il s’agit d’opérations à court terme, concernant les engagements à un an au plus et les opérations à long terme, réalisées sur plus d’un an.
Comparatif des notes attribuées par les trois plus grandes agences – extrait du site easybourse.com
Moody’s
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Standard & Poor’s
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Fitch Ratings
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Commentaires
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Long Terme |
Court terme |
Long Terme |
Court terme |
Long Terme |
Court terme |
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Aaa | P-1 | AAA | A-1+ | AAA | F1+ | Meilleure note, le risque est presque inexistant. |
Aa1 | AA+ | AA+ | Très proche de la meilleure note, l’emprunteur est très fiable. | |||
Aa2 | AA | AA | ||||
Aa3 | AA- | AA- | ||||
A1 | A+ | A-1 | A+ | F1 | Bonne qualité mais le risque peut être présent dans certaines circonstances économiques. | |
A2 | A | A | ||||
A3 | P-2 | A- | A2 | A- | F2 | |
Baa1 | BBB+ | BBB+ | Solvabilité moyenne | |||
Baa2 | P-3 | BBB | A3 | BBB | F3 | |
Baa3 | BBB- | BBB- | ||||
Ba1 | Not Prime | BB+ | B | BB+ | B | Avec cette note, la spéculation est plus grande : le risque de non solvabilité est plus grand sur le long terme. |
Ba2 | BB | BB | ||||
Ba3 | BB- | BB- | ||||
B1 | B+ | B+ | Doute important sur le remboursement. Le risque est encore assez grand. | |||
B2 | B | B | ||||
B3 | B- | B- | ||||
Caa | CCC+ | C | CCC | C | Risque très important de non solvabilité sur le long terme | |
Ca | CCC | L’emprunteur étant en quasi faillite, l’emprunt est très spéculatif. | ||||
C | CCC- | |||||
/ | D | / | DDD | / | L’emprunteur est en faillite |
A quoi servent-elles ?
Le recours aux agences de notation par les entreprises s’inscrit d’abord dans une volonté de communiquer le plus possible avec les tiers. Selon Toufik SAADA [7], « la théorie du signal fournit une description du fonctionnement du marché dans un contexte d’asymétrie d’information entre les parties prenantes à l’échange. Appliquée au marché financier, cette théorie montre que les entreprises performantes ont intérêt à se signaler, par le biais de leurs décisions financières (endettement, dividendes, etc) ou par une politique de divulgation appropriée, pour réduire leur coût de financement ». Les réflexions de Jean-François CASTA [8] sur ce sujet vont dans le même sens puisqu’il écrit « la théorie des signaux (signalling) vise à expliquer les choix comptables en tenant compte de l’asymétrie d’information. Elle suggère que la politique d’information comptable (contenu de rapports, calendrier de divulgation et publication volontaire d’information) est utilisée comme moyen de différenciation sur le marché, par des entreprises dont les perspectives de rentabilité sont favorables. »
Les émetteurs de titres peuvent ainsi être reconnus plus facilement par les investisseurs étrangers, ce qui est primordial dans un contexte de mondialisation de la finance. Forts d’une meilleure notoriété, ils pourront donc accéder plus facilement au marché financier.
Concomitamment, ils pourront également obtenir de meilleures conditions de financement. Depuis les accords de Bâle II, en 2004, les banques ont la possibilité de s’appuyer sur la notation financière des acteurs financiers et les exigences en matière de fonds propres sont moins élevées pour les entreprises les mieux notées. Celles-ci peuvent par exemple obtenir un financement plus facilement car si la note de l’entreprise emprunteuse est bonne, alors le taux d’intérêts proposé par la banque sera plus faible.
En second lieu, les investisseurs ont besoin d’éclairage sur le risque lié à leur investissement. La notation leur fournit une information synthétique sur la qualité des émetteurs, ainsi que sur les titres, et leur permet de procéder à une première sélection des produits offerts sur les marchés financiers. De cette manière, les agences de notation permettent de réduire l’asymétrie d’information [9] entre offreurs et demandeurs. Pour Roland GILLET et Michel LEVASSEUR [10], « la finance distingue deux types d’asymétrie d’information : les cas dits de »sélection adverse« et les situations de »hasard moral« », selon que le problème se pose lorsque l’une des deux parties dispose d’une information « ex ante » c’est-à-dire avant l’exécution du contrat ou bien « ex post », lors de l’exécution du contrat. Il nous semble que nous pouvons appliquer cette analyse à l’activité des agences de notation. Dans le cas des financements par dettes par exemple, il est difficile d’être certain que les deux parties respecteront leurs engagements initiaux et, pour le prêteur, il est donc nécessaire d’être informé des risques potentiels à venir. Les banques notamment peuvent donc utiliser la notation financière comme l’un des critères de décision à l’octroi de prêts, comme nous l’avons écrit précédemment. La notation financière pourra également permettre de limiter l’asymétrie d’information pour les actionnaires qui souhaitent par exemple participer à une augmentation de capital ou pour les investisseurs qui recherchent de nouveaux placements financiers.
Ce sont parfois des organismes régulateurs comme l’AMF qui vont demander un rating aux agences spécialisées, notamment pour le cas particulier des opérations sur titres de créances [11].
Les agences de notation peuvent donc apporter une information complémentaire aux investisseurs de toute sorte, y compris aux acheteurs institutionnels comme les fonds de pension ou les collectivités territoriales qui ne peuvent acquérir que les produits financiers les mieux notés. Leur influence est considérable puisque leur notation sert également de référence aux institutions internationales. En témoignent les directives du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne concernant un programme d’achat d’obligations sécurisées datant du 7 mai 2009 [12] : pour être éligibles au rachat, les obligations sécurisées doivent « bénéficier, en règle générale, d’une notation minimum AA ou équivalente attribuée par au moins l’une des principales agences de notation (Fitch, Moody’s, S&P ou DBRS) et, en tout cas, qui ne soit pas inférieure à BBB-/Baa3 ».
Les acteurs financiers jugent en partie aux bonnes notes la bonne santé des entreprises car on considère que plus la note est élevée plus la probabilité de défaut est faible. Cependant, nous savons que le fonctionnement des agences de notation comportait des faiblesses qui ont encore été révélées lors de la dernière crise financière.
Quels sont les problèmes soulevés et les propositions en matière de réglementation ?
Les interrogations au sujet des agences de notation sont relativement récentes mais ne datent toutefois pas de la dernière crise financière. Certaines remises en cause remontent en effet au début des années 2000 et les problèmes soulevés sont à la fois d’ordre conjoncturel et structurel. Pour y remédier, les solutions passent par une réglementation qui se précise d’années en années.
Problèmes conjoncturels
Des analyses réalisées il ressort que les agences ont d’abord entretenu une certaine confusion en utilisant une même échelle de notation pour des produits risqués comme les produits structurés, très volatils, et des produits plus sécurisants comme les produits obligataires.
Par ailleurs, elles n’ont pas été réactives à la dégradation des marchés financiers et ont maintenu des bonnes notes à des produits financiers déficients. Des produits structurés complexes comme les subprimes bénéficiaient encore de bonnes notes alors qu’ils étaient devenus illiquides sur les marchés, après la crise immobilière survenue aux Etats-Unis [13]. En effet, malgré la dégradation du marché immobilier américain qui datait déjà de début 2007, les notes des produits de titrisation de crédit immobilier n’ont été abaissées que très tardivement. Le mouvement s’est ensuite étendu aux autres catégories de financement structuré début 2008 avec, à nouveau, une répercussion retardée sur la notation de ces produits.
L’histoire se répète car cet extrait d’un discours [14] prononcé par Michel PRADA, alors président de l’AMF, le 12 décembre 2007, est tout à fait d’actualité : « La brusque mais tardive dégradation des notations des produits de financement structuré a placé les agences au centre des débats. Il n’est d’ailleurs pas exclu, à ce jour, que de nouvelles dégradations puissent intervenir, dans le secteur immobilier ou ailleurs, y compris sur des entités ou des tranches d’opérations non touchées jusqu’à présent ». Les régulateurs financiers connaissaient donc les risques liés aux méthodes et modèles utilisés par les agences de notation dès la crise financière survenue en 2006 et cette déclaration de l’ex-président de l’AMF était donc plus que prémonitoire. Il est vrai que la dernière crise financière de l’été 2008, qui s’est doublée d’une crise économique toujours pas résorbée, a surpris par son ampleur et sa profondeur. Les agences de notation ont donc à nouveau été pointées du doigt et Jean-Pierre JOUYET, successeur de M. Prada, a encore insisté sur l’impact majeur de ces agences en présentant le dernier rapport de l’AMF.
Problèmes structurels
On observe une forte concentration du marché de la notation puisque 95% du marché est entre les mains des trois plus grandes agences mais cette situation oligopolistique peut nuire au bon fonctionnement du marché. Début janvier 2009, la Commission européenne a d’ailleurs ouvert une procédure formelle d’enquête sur l’agence Standard & Poor’s soupçonnée d’abus de position dominante à la suite d’une plainte déposée par des associations représentants des investisseurs (établissements financiers et gestionnaires d’actifs).
Force est de constater le manque de transparence non pas sur la communication mais sur la façon dont les notes sont attribuées. Que se passe-t-il lors des entretiens entre l’agence et l’émetteur, la notation est-elle réellement impartiale alors que l’on sait que la rémunération des agences de notation provient des honoraires versés par les clients qui sont notés ? Il y a risque de collusion car les agences ont intérêt à minimiser les risques concernant certains produits structurés complexes puisqu’elles sont payées par les émetteurs de ces mêmes produits structurés.
En outre, on peut se demander si l’émetteur peut facilement revenir sur sa relation contractuelle avec l’agence. Que risque-t-il s’il rompt son contrat ? Peut-être des mesures de rétorsion de la part de l’agence de notation avec une baisse sanction des notes ou bien, s’il n’y a pas de baisse des notes, un problème d’image à gérer par la suite. Aux yeux des investisseurs, l’émetteur qui rompt son contrat est évidemment suspecté a priori d’avoir voulu éviter la diffusion d’une mauvaise note et il lui sera alors nécessaire de très bien communiquer auprès des acteurs financiers afin de les rassurer sur sa bonne santé.
Enfin, le problème le plus important est que les agences de notation sont à la fois « juge et partie ». Elles participent en effet à la création des produits structurés en fournissant aux banques des modèles pour évaluer le risque de défaillance. Les agences de notation ont donc à la fois un rôle de conseil et un rôle de sanction et on peut se demander si elles réduisent vraiment l’asymétrie d’information. Ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’elles sont sujettes à des conflits d’intérêt entre leurs clients, émetteurs de titres et les utilisateurs des notations que sont les investisseurs. Quand on sait que les deux tiers des émetteurs notés n’ont recours aux services que d’une seule agence, on peut donc remettre en cause une notation unique qui n’offre pas d’autre point de comparaison aux investisseurs. Pour le tiers restant, la multi notation laisse apparaître dans 66 % des cas des divergences de notation mais seulement dans des proportions limitées.
La réglementation existante et à venir
La responsabilité des agences de notation avait déjà été mise en cause au début des années 2000 car peu de temps avant sa faillite, la société ENRON bénéficiait encore de la meilleure note AAA. Selon Yve-Marie PEREON, « Enron n’a été classée below investment grade que le 28 novembre 2001, quatre jours avant que la faillite ne soit déclarée » [15]. Suite à ce scandale et aux faillites de grandes sociétés comme WORLCOM ou TYCO, les grands pays industrialisés ont pris leurs responsabilités. Aux Etats-Unis fut votée la loi Sarbanes Oxley de juillet 2002, pour plus de transparence sur les marchés financiers. Pour les agences de notation, la promulgation de la loi nommée Credit Rating Agency Reform Act, en septembre 2006 devait favoriser la transparence sur leurs méthodes de travail et stimuler la concurrence sur leur marché.
En France, depuis la loi sur la sécurité financière (loi LSF) du 1er août 2003, plusieurs mesures ont été prises. L’article L.544-4 du code monétaire et financier stipule : « L’Autorité des marchés financiers publie chaque année un rapport sur le rôle des agences de notation, leurs règles déontologiques, la transparence de leurs méthodes et l’impact de leur activité sur les émetteurs et les marchés financiers », et il a également été exigé que les agences de notation devraient conserver pendant trois ans les documents préparatoires à l’élaboration du la notation.
Les agences exerçant au sein de l’Union Européenne sont régies, depuis 2004, par le code de bonne conduite de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) dont nous reprenons ici les principaux éléments : « qualité et intégrité de la notation, prévention des conflits d’intérêts, responsabilité des agences envers les investisseurs et les émetteurs, traitement par les agences de l’information confidentielle. » Enfin, elles sont également soumises à une évaluation annuelle du Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières (CERVEM).
Cinq ans après, ces mesures ne semblent pas satisfaisantes et les agences de notation ont joué un rôle central dans les dysfonctionnements à l’origine de la crise financière. C’est pour ces raisons que les chefs d’Etats et de gouvernements, lors du sommet de Londres du 2 avril 2009, ont annoncé des réformes importantes liées au fonctionnement des agences de notation. Dans la déclaration sur le renforcement du système financier, nous pouvons lire la résolution suivante :« Nous sommes convenus de rendre plus efficace le contrôle des activités des agences de notation, acteurs essentiels du marché » [16].
Le Parlement européen veut accorder un rôle plus important au CESR qui sera chargé de l’enregistrement des agences. En outre, afin d’éviter les conflits d’intérêt, il est proposé d’organiser un mécanisme de rotation des analystes et des personnes responsables de l’approbation des notations.
L’ECOFIN souhaite la mise en place d’un système d’agrément auprès de l’Union européenne, en se basant sur le statut NSRO décerné par la SEC aux Etats-Unis, bien que l’on sache que cela ne résout pas tous les problèmes.
D’autres propositions émergent ici et là des différents spécialistes financiers et font, pour la plupart, l’objet d’un large consensus. La crise financière a soulevé le problème de l’indépendance d’organismes privés qui ont un impact extrêmement important sur le comportement des acteurs économiques, à l’instar de l’I.A.S.B. pour la normalisation comptable . Les agences de notation étant, comme nous l’avons dit, des organismes privés indépendants, la solution est donc de créer un organe superviseur, ce qui est envisagé à l’échelle européenne, ou d’attribuer à une institution supra nationale comme le FMI par exemple une fonction d’encadrement de leur activité.
Une autre proposition est de développer la concurrence entre les agences de notation afin d’éviter le développement des situations oligopolistiques et permettre plus de transparence. En France notamment, la COFACE a ouvert en juin son agence de notation, après celles d’Hong-Kong et Dubaï avec des tarifs de ses prestations de service très compétitifs puisqu’ils représentent actuellement un sixième des prix pratiqués par les trois grandes agences de notation. Si comme l’indique Jérôme CAZES, Directeur Général de la Coface, la notation effectuée est solide alors on peut espérer un développement de la concurrence sur le marché français de la notation.
En conclusion, tous les spécialistes financiers admettent que le jugement des agences de notation sert de référence aux investisseurs qui scrutent les modifications de notes. Orientant leurs choix, il peut aller jusqu’à induire des comportements moutonniers, souvent observés sur les places financières, qui, couplés aux dysfonctionnements de la notation financière, s’avèrent alors dangereux.
Les propositions de réglementation ont au moins le mérite d’être assez consensuelles mais ne s’avèreront sans doute pas suffisantes pour réduire les risques de déviance liés à la notation financière. La recherche permanente d’une meilleure rentabilité des capitaux propres mesurée, entre autres indicateurs, via le R.O.E., accentue la propension des actionnaires à accorder une place trop prépondérante aux marchés financiers. On a observé une corrélation entre les entreprises les mieux notées et l’évolution de leur cours boursier et tant qu’on en restera là, les agences de notation auront toujours un poids très important.
Mais c’est aussi avant tout aux utilisateurs de l’information financière d’être prudents, car le rating n’est en effet qu’un indicateur parmi d’autres et les agences de notation sont avant tout des prestataires de service et non pas des organismes habilités à certifier des notes. Elles ne publient pas de recommandations à l’achat ou à la vente et il est important que les investisseurs prennent leur responsabilité par des analyses de risque complémentaires.
Extrait de l’ouvrage « Finance d’entreprise » - Vernimmen - édition 2009
Exemples de notation pour l’endettement à long terme :
Glossaire
Accords de Bâle II : dispositif prudentiel qui consiste à mieux appréhender et limiter les risques des établissements de crédit. Il vise principalement le risque de crédit, les risques de marché et le risque opérationnel des banques.
A.M.F. : Autorité des Marchés Financiers.
C 40 : indice boursier de la bourse de Paris qui signifie Cotation Assistée en Continu des 40 plus grosses capitalisations boursières Françaises.
C.E.R.V.E.M. : Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières. Groupe consultatif institué en 2001 et composé de représentants des autorités nationales.
Conflit d’intérêt : « Un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle une personne employée par un organisme public ou privé possède, à titre privé, des intérêts qui pourraient influer ou paraître influer sur la manière dont elle s’acquitte de ses fonctions et des responsabilités qui lui ont été confiées par cet organisme ». (Service central de prévention de la corruption, Rapport 2004).
Dérivés : famille de produits financiers liés à d’autres actifs dont ils sont inséparables.
ECOFIN : formation du Conseil de l’Union européenne (UE) rassemblant les ministres de l’économie et des finances des États membres.
F.M.I. : Fonds Monétaire International.
I.A.S.B. : International Accounting Standards Board, organisme de normalisation comptable international.
N.S.R.O. : Nationally Recognised Statistical Rating Organization.
O.I.C.V. : Organisation Internationale des Commissions de Valeurs, créée en 1983.
Produit structuré : un produit structuré est un produit conçu par une banque pour satisfaire les besoins de ses clients. C’est souvent une combinaison complexe d’options, de swaps, etc... basée sur des paramètres non cotés. Ce sera, par exemple, un placement à taux fixe avec une participation à la hausse des cours d’un panier d’actions. Comme un produit structuré ne peut pas se trouver coté sur un marché, son prix est déterminé en utilisant des mesures mathématiques qui modélisent le comportement du produit en fonction du temps et des différentes évolutions du marché. Rating : terme anglo-saxon pour notation du risque de défaut.
R.O.E. : Return On Equity = Résultat net / Capitaux propres. Ce ratio permet de mesurer la rentabilité des capitaux propres pour une entreprise.
Risque de solvabilité : c’est le risque pour un créancier de perdre définitivement sa créance dans la mesure où le débiteur ne peut pas, même en liquidant l’ensemble de ses avoirs, rembourser la totalité de ses engagements. (définition tirée de vernimmen.net).
Scoring : l’idée de base de la méthode des scores, ou credit scoring, est de déterminer, à partir des comptes des sociétés, des ratios qui soient des indicateurs avancés (deux à trois ans à l’avance) des difficultés des entreprises. Une fois ces ratios établis, il suffit de calculer leurs valeurs pour une entreprise donnée et de les comparer à la valeur des ratios des entreprises ayant connu des difficultés ou des défaillances. (définition tirée de vernimmen.net)
Subprimes : expression associée aux prêts immobiliers accordés au début des années 2000 à des ménages américains peu solvables et dont le montant était gagé sur la valeur du bien immobilier.
S.E.C. : Securities and Exchange Commission.
Titrisation : montage financier par lequel les établissements de crédit refinancent une partie de leurs encours. Ils transforment donc en titres négociables des prêts à la clientèle. Voir le schéma présenté dans l’ouvrage Vernimmen, édition 2009, page 542.
Pour en savoir plus
- http://www.abcbourse.com/apprendre/1_agences_notation.html
- http://www.agefi.fr/dossiers/dossiers.aspx?id=80
- http://www.amf-france.org/documents/general/8690_1.pdf
- http://www.banque-france.fr/fr/instit/services/fiben/cotation/index.htm
- http://www.banque-france.fr/fr/publications/telechar/autres_telechar/implications_CF.ppt#1
- http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-1.htm
- http://www.cepii.fr/
- http://www.cfo-news.com/Les-agences-de-notation-notees-DDD_a10635.html
- http://www.creg.ac-versailles.fr/
- http://www.easybourse.com/bourse/pedagogie/fiche/les-agences-de-notation-107/tableau-109
- http://eco.rue89.com/2009/05/06/qui-verifie-le-travail-des-agences-de-notation
- http://www.edubourse.com/guide/guide.php?fiche=agence-de-notation
- http://www.elysee.fr/
- http://www.euractiv.fr/euro-finance/article/parlement-europeen-place-agences-notation-sous-surveillance-001613
- http://ec.europa.eu/internal_market/securities/agencies/index_fr.htm
- http://www.focusfi.fr/La-remise-en-cause-du-modele-des.html
- http://www.ifri.org/
- http://www.ladocumentationfrancaise.fr/revues-collections/questions-internationales/articles/34-gaillard.pdf
- http://www.lafinancepourtous.com/Les-agences-de-notation.html
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