La désindustrialisation française et son impact sur l’emploi

, par Laure Bouet

La suppression de 1 913 500 postes dans l’industrie française entre 1980 et 2007, la baisse de 24% à 14% de la part de la valeur ajoutée du secteur industriel en prix courants dans le PIB dans ce même laps de temps et un déficit extérieur commercial de 58,9 milliards d’euros en 2009 constituent autant d’évolutions significatives marquant un recul de la place de l’industrie dans l’économie française.

Or, l’industrie est indispensable au développement économique et social d’une économie en raison de l’effet d’entraînement qu’elle exerce sur l’ensemble des autres activités économiques. L’effet de levier des activités industrielles apparaît plus élevé que celui des activités de services. En outre, l’industrie participe à plus de 50% des commandes passées à l’ensemble de l’économie française. C’est donc l’agrégation de l’ensemble des secteurs primaires, industriels et tertiaires qui participe à la satisfaction des besoins et qui concourt à la création de richesses économiques. Par conséquent, le recul constaté de l’industrie en France semble inquiétant et les interrogations qui apparaissent sont nombreuses quant au devenir de l’industrie française et au dynamisme de l’économie. Le sujet nous mène à nous interroger sur les questions suivantes : Quelles sont les causes du recul de la place de l’industrie en France ? Cette désindustrialisation résulte-t-elle de choix stratégiques ? Face à ce constat, quels sont les moyens d’action pour lutter contre ce phénomène ? Quelles sont les orientations choisies actuellement pour conserver l’activité industrielle en France ?

Nous allons chercher à comprendre l’origine de la désindustrialisation en France et, notamment, les phénomènes qui expliquent la perte importante d’emplois observée dans le secteur industriel. Nous identifierons, par la suite, les orientations choisies par les dirigeants français pour y remédier et développer l’activité industrielle en France.

 I) La désindustrialisation liée à des évolutions non inhérentes à l’industrie

A) Les évolutions de la structure de la demande et des gains de productivité

Entre 1980 et 2007, le progrès technique et les gains de productivité réalisés par le secteur industriel français ont réduit les besoins en main d’œuvre dans les activités industrielles. Ces gains de productivité ont permis, en contrepartie, une baisse des prix des biens industriels ayant pour effet un accroissement de la demande de ces biens. L’analyse réalisée par Lilas DEMMOU, chargée de Mission à la Direction Générale du Trésor du Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi français, démontre que cette augmentation de la demande des biens industriels ne permet pas de créer assez d’emplois pour compenser leur perte en raison d’une substituabilité limitée entre les produits industriels et les autres catégories de biens.

1) Un effet de revenu

Les gains de productivité ont permis une augmentation du revenu réel. Or, en 1857, E. ENGEL montre la non homothétie des fonctions de demande, c’est-à-dire que la part des dépenses d’alimentation dans le budget des ménages diminue avec l’augmentation du revenu. Il apparaît, également, que la part attribuée aux dépenses de vêtements, à l’habitation, au chauffage et à l’éclairage est sensiblement la même quelque soit le revenu et que la part consacrée aux besoins d’éducation, de santé, de voyage, etc, augmente plus rapidement que le revenu. Les Lois de ENGEL ont été développées sur le thème de l’évolution non uniforme des choix de consommation au sein des produits industriels selon la qualité des produits, leur contenu technologique, etc. Par exemple, les travaux de BILLS et KLENOW (2001) lient la qualité des produits consommés aux différents niveaux de revenu. HALLAK (2005), CHOI, HUMMELS, XIANG (2009) et HUMMELS, SKIBA (2004) poursuivent ces recherches en montrant que la qualité des produits consommés varie en fonction du niveau de revenu par tête. Cette évolution différenciée de la consommation des ménages apparaît au sein des produits industriels et au niveau de la répartition entre les biens industriels et les services. En effet, selon Les Cahiers de la DG Trésor n°2010-01 de juin 2010 (p 14), l’élasticité de la demande en biens industriels par rapport à une variation du revenu est supérieure à l’unité pour les ménages ayant de faibles revenus. En revanche, cette élasticité devient inférieure à l’unité à partir d’un certain seuil de revenu. Les travaux de FONTAGNE et BOUHLOL (2006) estiment le niveau de revenu à partir duquel la demande relative en biens industriels tend à décroître à 8 690 USD à prix constants en 1997 soit le niveau de revenu atteint en France en 1960. Par conséquent, en France, l’élasticité revenu étant inférieure à l’unité signifie que la demande relative en biens industriels progresse moins vite que l’augmentation du revenu réel résultant de la hausse de la productivité. Ce constat montre que les besoins en main d’œuvre diminuent.

2) Un effet de substitution

L’évolution de l’emploi industriel dépend du différentiel de productivité entre les secteurs. Or, le secteur industriel bénéficie de gains de productivité plus importants que dans d’autres secteurs de l’économie. Ce constat signifie que les gains de productivité dégagés dans le secteur industriel permettent de réduire les prix relatifs de ces biens. Par conséquent, cela stimule la demande en biens industriels. Ici, l’emploi dépend de l’élasticité de la demande en biens industriels en fonction de la variation des prix relatifs. Selon les résultats des estimations de ROWTHORN et RAMASWAMY (1998) et de FONTAGNÉ et BOUHLOL (2006) et, en partant du postulat que la baisse des prix relatifs des biens industriels correspond au différentiel de gains de productivité entre l’industrie et les services marchands, cette élasticité est inférieure à l’unité. Ceci signifie qu’une baisse des prix relatifs des biens industriels provoque une hausse de la demande en biens industriels mais pas proportionnelle. La hausse de la demande des biens industriels en volume se traduit par une augmentation de la création des emplois dans l’industrie mais qui ne permet pas de compenser la perte d’emplois liée aux gains de productivité ce qui aboutit à une destruction nette d’emplois industriels.

3) L’effet de revenu et l’effet de substitution

L’évolution de la structure de la demande liée aux gains de productivité aurait provoqué une perte d’emplois industriels d’environ 30% entre 1980 et 2007 soit 560 000 emplois. La demande en biens industriels en France reste peu sensible aux variations des prix relatifs des biens industriels et du revenu. La demande en biens industriels en valeur en France est peu dynamique passant de 39% à 32% entre 1980 et 2007 par rapport à la part du secteur des services en valeur dans la demande des ménages français (de 24% à 32% entre 1980 et 2007).

Subséquemment, les gains de productivité dans le secteur industriel ont permis de soutenir la demande en biens industriels grâce à une baisse des prix. Cet effet de prix, plutôt favorable à l’emploi industriel, n’a pas permis de compenser l’effet de revenu, néfaste à l’emploi industriel.

B) Les évolutions de l’environnement social et fiscal

André GAURON, économiste, ancien conseiller auprès de Pierre Bérégovoy au ministère de l’économie, évoque dans un rapport récent du Centre d’analyse stratégique (CAS), intitulé « Sortie de crise : vers l’émergence de nouveaux modèles de croissance ? » un renversement de la dynamique industrie-service. L’industrie en tant que moteur de l’économie serait remise en cause par la montée de l’économie de l’usage. Cette thèse fût développée notamment par M. DEBONNEUIL (2009) « L’économie quaternaire, nouveau modèle de croissance et réponse immédiate à la crise ». Cette économie de l’usage déplacerait « l’activité d’innovation et de conception du côté des services ». Or la richesse d’un pays et sa croissance sont fortement liées à l’industrie. Par exemple, l’industrie manufacturière française réalise 70% de la R&D française et représente 75% des exportations en France. Cette orientation vers une économie de services est renforcée par des choix de politiques.

La Cour des comptes montre, par exemple, dans un rapport remis à la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale en juillet 2007 que l’exonération de cotisations sociales en faveur des emplois peu qualifiés dont le coût approche les 25 milliards d’€ a permis de stopper la baisse de l’emploi peu qualifié dans les secteurs notamment des cafés-hôtels-restaurants, de la grande distribution, des transports, du nettoyage et plus modestement dans le secteur du BTP (Bâtiment travaux publics). Ces secteurs représentent les deux tiers du coût de l’exonération. Ces exonérations représentent entre 8 et 14% de la masse salariale contre moins de 3% pour le secteur de l’industrie manufacturière. Ces exonérations ont permis de compenser les hausses régulières du SMIC et le coût supplémentaire de la mise en œuvre des 35 heures et n’ont eu que peu d’effets sur la délocalisation. De 1982 à 2002, la structure des emplois s’est fortement transformée : « Majoritairement ouvrière, masculine et industrielle, la population des non-qualifiés est maintenant employée, féminine et tertiaire » selon l’étude menée par la DARES, Premières informations et premières synthèses de GADREY N., JANY-CATRICE F. et PERNOD-LEMATTRE M. (2004). Le secteur tertiaire concentre les deux tiers des emplois peu qualifiés. En revanche, les emplois d’ouvriers non qualifiés ont continué à baisser alors que les postes d’ouvriers qualifiés se sont maintenus. Pour conclure, la politique d’exonérations de cotisations sociales sur les activités peu qualifiées aurait accéléré le déclin de l’emploi dans l’industrie en faveur notamment du tourisme, des transports et de la distribution. Cette politique aurait désincité la formation et renforcé la déformation de la structure salariale au profit des peu ou pas qualifiés.

C) La concurrence étrangère

La contribution des échanges internationaux dans la création du PIB français a augmenté. La part des exportations (respectivement des importations) en biens manufacturés dans le PIB est passée de 12% (respectivement 11%) en 1980 à 17% (respectivement 18%) en 2006. Ces évolutions signifient que le taux d’ouverture de l’industrie française est passé de 11,5% à 18% entre ces deux dates. Cependant, le solde extérieur dans ce secteur est déficitaire et est passé de 15 milliards d’euros en 1980 à 54 milliards d’euros en 2007 en valeur. D’après les données communiquées par l’INSEE et les calculs réalisés par la Direction Générale du Trésor, les échanges avec les pays émergents se sont accrus fortement sur la période 1980-2008 avec le poids de ces exportations passant de 3,9% à 5,3% du PIB et la part des importations allant de 1,1% à 4,1%. Les travaux de FONTAGNE, GAULIER et ZIGNAGO (2008) et de SCHOTT (2004) montrent que les exportations et les importations agissent sur la production nationale et, par conséquent, sur l’emploi en France. L’effet des importations sur l’emploi est moindre si les produits importés sont différents de ceux produits en France. En revanche, dans le cadre d’un degré de substitution élevé entre les biens importés et les biens exportés, l’impact sur l’emploi est très néfaste.

D’après une analyse économétrique menée par Lilas DEMMOU visant à mesurer l’impact de ces échanges sur l’emploi industriel en France, les transactions internationales de la France auraient contribué à une destruction d’emplois industriels de 13% entre 1980 et 2007 soit environ 250 000 emplois. La branche de l’agroalimentaire créerait toujours des emplois contrairement aux branches manufacturières (notamment les branches de l’automobile et des biens d’équipement) qui accentueraient le phénomène.

Cette première partie nous permet d’observer l’impact du progrès technique et de l’environnement économique, commercial et fiscal sur l’industrie. Si un certain nombre de changements ont nécessité des ajustements au niveau de l’emploi dans le secteur industriel français, des décisions stratégiques ont été prises par les industriels pour faire face aux évolutions de l’environnement et pour gagner en performance.

 II) La désindustrialisation liée à des décisions stratégiques

A) La stratégie d’externalisation

Les industriels quelque soit les branches ont de plus en plus recours à l’externalisation de certaines de leurs activités auprès du secteur des services. Tandis que la part des emplois industriels dans la population active se réduisait de 10 points entre 1980 et 2007, les services marchands ont augmenté de 12 points la part de création d’emplois dans la population active.

Les cahiers de la DG Trésor, n°2010-01 (p. 9 à 13) estiment que l’emploi dans les services marchands est passé de 8 à 12,2 millions entre 1980 et 2007. Dans ce même laps de temps, l’emploi dans les services aux entreprises a augmenté de 2 à 4,2 millions et l’emploi intérimaire s’est fortement accru passant de 180 000 à 653 000 emplois. Pour mesurer l’impact de la stratégie d’externalisation sur la perte d’emploi dans l’industrie, une des évolutions prise en compte par la DG du Trésor est le poids des consommations intermédiaires dans la production qui a tendance à s’accroître évoluant de 71% en 1980 à 75% en 2007. Le volume d’emplois externalisés par l’industrie vers les services aux entreprises entre 1980 et 2007 est évalué à 380 000 soit 14 000 emplois par an. Ce résultat représente 20% des pertes totales d’emplois industriels. Si l’on tient compte de l’externalisation vers l’ensemble des services marchands, le transfert d’emploi est estimé à 480 000 (18 000 emplois par an) soit 25% des pertes totales en emplois industriels. Une partie des pertes d’emplois dans l’industrie est donc compensée par une création supplémentaire d’emplois dans le secteur des services ce qui réduit la destruction nette d’emplois industriels.

B) La stratégie de délocalisation

L’entreprise sans usine est la formule employée par Serge Tchuruk pour décrire la dichotomie pouvant exister entre les tâches productives et les tâches de recherche-développement et d’innovation. De nombreux observateurs critiquent ce modèle qui met en danger la société nord-américaine, l’Europe et la France en provoquant des pertes d’emplois industriels massives. Au-delà des transferts d’emplois liés à l’externalisation, la diminution des emplois dépend également des mouvements de délocalisation et de la perte de compétitivité des pays développés à économie de marché face aux pays émergents. Ron HIRA du Rochester Institute of Technology estimait qu’en 2005 14 millions d’emplois de cols blancs américains étaient menacés par la délocalisation facilitée par Internet. « La perte des emplois en production a affaibli les syndicats et séparé productivité et progression des salaires aux États-Unis, la perte des emplois de cadres non syndiqués peut dégrader le niveau de vie de beaucoup plus d’américains ». Dans un article de Gary P. PISANO et Willy C. SHIH paru dans la Harvard Business Review, les deux auteurs démontrent que la capacité d’innover d’un pays est mise à mal lorsque celui-ci se sépare de son système productif. En outre, ces chercheurs montrent que pour compenser le déficit extérieur et maintenir le standard de vie de la population, il est indispensable de posséder une industrie technologiquement avancée. Grégory TASSEY, économiste au National Institute of Standards and Technology, montre le lien entre l’affaiblissement de la production nationale et la stagnation relative de l’effort de recherche-développement du pays. En effet, les dépenses des industries américaines en recherche-développement ont augmenté trois fois plus vite à l’étranger qu’aux États-Unis. La proposition de se recentrer sur le cœur de métier ne tient pas compte des interactions entre la sphère scientifique et la sphère technique, les connaissances de haut niveau et le savoir-faire des ouvriers et les interdépendances entre toutes les fonctions de l’entreprise. Scott C. BEARDSLEY parle de productivité tacite en analysant le rôle des échanges de proximité qui favorisent l’apparition des innovations de terrain. En effet, la délocalisation de la production finit par provoquer une fuite des talents, faute de donneurs d’ordres, une disparité des fournisseurs et, par conséquent, une dégradation de l’activité économique et du niveau de vie. André-Yves PORTNOFF fait référence au processus de délocalisation de l’électronique et notamment des ordinateurs portables. Le transfert de la production a entraîné la création d’un écosystème de collaboration à Taïwan, au Japon, en Corée du Sud, à Hong-Kong et en Chine continentale. Désormais, la conception et la production des nouveaux produits du secteur de l’électronique grand public se réalisent dans cette zone géographique. L’expérience se renouvelle avec le développement de l’industrie photovoltaïque en Asie et le véhicule électrique.

Pour conclure, la délocalisation des appareils productifs dans des pays bénéficiant d’une compétitivité-coût peut s’avérer dangereuse car la séparation entre le centre de production et le centre de recherche-développement et de l’innovation, créatrice de valeur ajoutée, n’est pas tenable à moyen ou long terme. Les délocalisations des unités de production et des centres de recherche s’accompagnent d’une destruction des emplois peu qualifiés mais aussi hautement qualifiés.

C) Un retard dans le processus d’internationalisation des industries françaises

Pour nuancer les propos précédents, la redistribution géographique de l’industrie mondiale est plus complexe et n’est pas limitée aux seuls écarts de coûts existants entre les pays.

D’après la publication de l’OFCE en 2010, « L’industrie manufacturière en France », sur la période 1996-2006, les taux de croissance annuels moyens de l’emploi sont négatifs quelque soit l’intensité technologique de l’industrie. Cependant, la perte d’emploi reste deux fois plus importante dans les industries de basse technologie que dans les industries de moyenne et haute technologie. En revanche, dans ce même laps de temps, les taux de croissance de la valeur ajoutée sont positifs mais ils sont très faibles dans les industries de basse technologie. Les industries de haute technologie et de moyenne-haute technologie sont des entreprises davantage concentrées, faisant plus souvent appel à la sous-traitance, internationalisées, réalisant des gains de productivité élevés et assurant 90% des dépenses de R&D. La France a un niveau de spécialisation dans les industries de haute technologie comparable à celui de l’Allemagne mais plus faible que celui des États-Unis, du Royaume-Uni et du Japon. Inversement, le degré de spécialisation dans les industries de moyenne-haute technologie est comparable à celui des États-Unis ou du Royaume-Uni mais reste en-deçà de celui de l’Allemagne. Les raisons expliquant cet état de fait sont, premièrement, l’intensité de la recherche-développement qui est relativement faible en France (2,3% de dépenses en R&D par rapport au chiffre d’affaires en France contre 2,7% en Allemagne, 2,6% au Royaume-Uni, 3,1% aux États-Unis et 3,7% au Japon) et, deuxièmement, l’efficacité de la recherche-développement exprimée en nombre de brevets déposés par milliards de dollars de dépense en RD en 2006 reste plutôt limitée (433,37 brevets en France contre 805,4 brevets en Allemagne, 858,91 brevets aux États-Unis et 818,28 brevets au Japon). L’industrie française est relativement moins spécialisée dans les industries de haute technologie, elle investit insuffisamment dans la recherche développement et cette R&D est moins efficace. Enfin, elle externalise moins à l’étranger. Ce retard dans l’adaptation à la mondialisation serait une des causes du manque de performance de l’industrie française.

En outre, les industries françaises ont une marge extensive (part des entreprises exportatrices dans chaque groupe d’industrie) élevée de l’ordre de 70% à 84% mais la marge intensive (part du chiffre d’affaires réalisée à l’export) reste assez faible à hauteur de 20 à 34% selon l’intensité technologique de l’industrie. Seul un petit nombre d’industries (10%) concentre la plupart des exportations (88%). La compétitivité de l’économie française est l’un des déterminants de la capacité d’exporter, gage de performance. Pour mesurer la compétitivité de la France, on peut observer dans l’article de Jean-Luc GAFFARD issu de la revue Cahiers français, n°357, p 82, que le coût du travail unitaire a diminué de 1,3% à 4,2% selon l’intensité technologique de l’industrie. La productivité du travail a permis d’accroître la part des entreprises exportatrices ainsi que la part du chiffre d’affaires exporté. Les entreprises ayant une forte marge intensive restent peu sensibles aux variations de change et de coûts. Au-delà de l’intensité technologique de l’industrie, l’article de J.L. GAFFARD montre l’importance des facteurs structurels de la compétitivité dans l’internationalisation des industries.

Après avoir identifié quelques raisons expliquant la perte massive d’emplois dans le secteur industriel, nous allons nous intéresser aux moyens à mettre en œuvre pour contribuer au développement de l’industrie et aux décisions politiques adoptées récemment en faveur de l’industrie en France.

 III) Les moyens d’action pour lutter contre la désindustrialisation en France

A) L’attractivité des territoires

Rendre un territoire attractif pour favoriser l’installation et le développement des entreprises ne repose pas seulement sur le niveau des prélèvements sociaux et fiscaux mais s’appuie également sur la qualité des infrastructures (réseaux de transport et de communication, réseaux d’eau et d’énergie) et la qualité de la main d’œuvre. Selon l’article d’Alain HENRIOT et de Laurent FERRARA, économistes au Centre d’Observation Économique et à la CCI de Paris, la compétition s’exerce entre différents territoires pour la localisation des activités productives (rapport CHARZAT, 2001). M. PORTER (1993). Cet article évoque le passage de la mesure des avantages compétitifs des entreprises à celle des avantages comparatifs des territoires. Cela sous-entend que les autorités nationales ou locales ont le souci de valoriser leur territoire afin de maximiser la création de richesses sur leur sol et que les entreprises recherchent une profitabilité maximale en déterminant la localisation de leurs activités en fonction du potentiel de demande des marchés et des conditions de production des pays d’accueil.

Les fondements de l’attractivité de la France décrits dans le rapport au premier ministre sur l’attractivité du territoire français de juillet 2001 (Michel CHARZAT, Pierre HANOTAUX et Claude WENDLING) sont, tout d’abord, son territoire. En effet, son emplacement géographique entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, le continent nord-américain et le sud-est asiatique constitue un atout de premier choix pour l’implantation d’entreprises en France. Cette localisation explique, en partie, l’installation d’une unité productive de Toyota à Valenciennes. En outre, les 65 millions d’habitants en France représentent des consommateurs potentiels disposant d’un certain niveau de vie (en 2008, selon l’enquête Revenus fiscaux et sociaux, le niveau de vie médian s’élève à 19 000 euros annuels en France métropolitaine, soit une progression en euros constants de 1,7 % en un an) d’autant plus qu’un tiers de la population de l’Union Européenne (100 millions de consommateurs) se trouve dans un rayon de 500 km autour de Paris. La France dispose d’une ouverture sur l’Océan Atlantique et la Mer Méditerranée. De plus, les infrastructures françaises renforcent l’attractivité de la France avec notamment les infrastructures de transport (TGV, autoroutes) et une centaine de plates-formes à vocation commerciale. Par ailleurs, l’une des grandes forces de la France est la qualité des hommes et des femmes qui travaillent. Cependant, le rapport sur l’attractivité du territoire montrait qu’en 2001, l’espérance de scolarisation pour un enfant de 5 ans en France s’élevait à 16,5 ans contre 14,8 ans pour les États-Unis ou 14,2 ans au Royaume-Uni. Désormais, l’espérance de scolarisation en France en 2008 était estimée par l’INSEE à 16,6 ans contre 17,3 ans pour les États-Unis et 16,6 ans pour le Royaume-Uni. Ces chiffres montrent que des pays tels que les États-Unis ou le Royaume-Uni progressent davantage que la France au niveau de la longévité de la scolarisation ce qui pourrait être défavorable à l’attractivité de la France et à la performance de son personnel. Enfin, la qualité et l’accessibilité des services collectifs non marchands (système éducatif, système de santé et de protection sociale, etc.) sont des facteurs majeurs de l’attractivité de la France en raison de son efficacité, même s’il reste l’un des plus coûteux.

Nous pouvons voir que l’emplacement géographique de la France et les choix des pouvoirs publics en matière d’éducation, de santé et d’aménagement du territoire agissent sur l’attractivité de la France pour que les entreprises restent ou viennent s’installer en France et développent l’activité économique du pays.

B) Les pôles de compétitivité

Un des moyens développés par les pouvoirs publics pour renforcer l’industrie en France est la création de pôles de compétitivité. La France a lancé en septembre 2004, par le biais d’un Comité interministériel à l’aménagement et au développement du territoire (CIADT), les pôles de compétitivité. La politique industrielle de la France cherchant à développer des pôles de compétitivité vise à stimuler l’innovation grâce à une coopération entre des entreprises d’un même secteur, des laboratoires de recherche publics et privés, des universités et des centres de formation au sein d’une même zone géographique. Ceux-ci ont pour objectif de « renforcer les spécialisations de l’industrie française, créer les conditions favorables à l’émergence de nouvelles activités à forte visibilité internationale et par là améliorer l’attractivité des territoires et lutter contre les délocalisations ». 71 pôles ont été labellisés par les pouvoirs publics français et associent entreprises, laboratoires publics et privés et organismes de formation autour de projets innovants. 1,5 milliards sont débloqués pour 2009-2011 pour les pôles de compétitivité et l’État souhaite labelliser de nouveaux clusters dans le domaine des éco-technologies. Le cas de la Silicon Valley en Californie illustre cette dynamique. De nombreuses entreprises du secteur de la high-tech se sont regroupées en un même lieu, des grandes universités et des laboratoires de recherche s’y sont greffées. Cette concentration du savoir et du savoir-faire a permis d’innover, de créer des entreprises et des emplois. Cependant, P. GOMEZ a mis en évidence des problèmes de gouvernance des pôles de compétitivité en raison des difficultés à établir des droits de propriété sur les productions collectives et d’une d’absence de convergence des intérêts individuels vers la réalisation d’un profit collectif.

C) Le grand emprunt national

Le gouvernement français a lancé un grand emprunt national pour financer les orientations stratégiques pour la France en 2030. 60 milliards d’euros d’investissement seront mobilisés dans quatre domaines prioritaires : l’enseignement supérieur, la formation et la recherche (19 milliards d’€), l’industrie et les PME (6,5 milliards), le développement durable (5 milliards) et le numérique (4,5 milliards d’€).

Pour favoriser l’innovation des entreprises, un fonds national d’amorçage doté de 400 millions d’euros et géré par le Fonds stratégique d’investissement (FSI) sera créé notamment dans les secteurs prioritaires définis par la stratégie nationale pour la recherche et l’innovation (SNRI) : la santé, l’alimentation et les biotechnologies, l’information, la communication et les nanotechnologies, l’urgence environnementale et les éco-technologies. Oséo, la banque publique des PME, percevra 1,5 milliards d’euros du grand emprunt pour relancer l’innovation et les fonds propres des PME. Le crédit d’impôt recherche (CIR) est un autre outil développé pour favoriser l’innovation et correspond à des réductions d’impôt sur les bénéfices pour les efforts de R&D réalisés par les entreprises. Selon le ministère de la recherche, cette mesure aurait permis de maintenir le niveau des dépenses en R&D des entreprises depuis le début de la crise sans pour autant stopper la baisse de ces dépenses sur la dernière décennie. Dans le cadre du grand emprunt national, deux milliards seront affectés à la filière aéronautique et spatiale française afin de maintenir l’avance technologique de la France en matière d’industrie spatiale (500 millions d’euros) et de soutenir l’industrie aéronautique en permettant la mise en œuvre des avions et hélicoptères du futur (1,5 milliard d’euros). Un milliard d’euros sera confié à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) pour financer des programmes de R&D et d’industrialisation, visant à réduire fortement l’impact des matériels de transport sur l’environnement. Un fonds doté de 750 millions d’euros permettra de soutenir des projets en faveur du développement de véhicules faiblement émetteurs de CO2. 150 millions seront affectés à la recherche en matière de construction ferroviaire. Un fonds spécial sera débloqué pour financer un programme industriel « navire du futur pour des navires plus économes en énergie, plus propres, plus sûrs et plus intelligents ».

Ces mesures tendent à renforcer le pôle industriel français et à améliorer la compétitivité du pays. Seul l’avenir nous permettra de mesurer les effets et la pertinence de ces orientations.

Au-delà de la politique industrielle menée, les choix politiques en matière d’éducation, de santé, d’aménagement du territoire et de fiscalité apparaissent également déterminants quant à l’attractivité du territoire et au développement du pôle industriel.

Pour conclure, la perte d’emplois dans l’industrie française résulte d’évolutions organisationnelles et environnementales telles que les modifications de la structure de la demande des ménages, les gains de productivité résultant du progrès technique, la politique fiscale et la pression exercée par la concurrence étrangère. Ce sont des changements que les industriels subissent plus ou moins. En revanche, ces derniers ont procédé, en parallèle, à des choix stratégiques résultant de la mondialisation de l’économie. En effet, l’amélioration de leur performance et de leur compétitivité-coût a orienté leurs décisions en faveur des stratégies d’externalisation et de délocalisation.

Ces évolutions ont abouti à un recul de la place de l’industrie dans l’économie française tant au niveau du nombre d’emplois que dans la valeur ajoutée créée. Ce constat est-il inquiétant ? D’après la réflexion menée par Patrick ARTUS, la spécialisation productive qui consiste à réduire la place de l’industrie traditionnelle et à baser la croissance économique d’un pays sur le secteur des services ne fonctionne pas sans avoir un déficit de la balance commerciale et sans doper la demande des ménages par le crédit, ce qui est l’une des causes essentielles du déclenchement de la crise financière de 2007-2008. La spécialisation de l’économie dans le secteur des services comme au Royaume-Uni a donc montré ses défaillances et ses limites. Faut-il prendre pour autant exemple sur l’Allemagne ? En effet, son activité économique repose essentiellement sur un dense tissu industriel ce qui lui permet de se placer deuxième exportateur mondial en 2010. Cependant, les différences structurelles avec l’Allemagne et la hausse spectaculaire de 33% des inégalités (entre le revenus des 20% les plus riches et le revenu des 20% les plus pauvres) incitent à la réflexion concernant le modèle à choisir et son degré de spécialisation.

 Bibliographie

  • Problèmes économiques, mercredi 29 septembre 2010 bimensuel n°3003, la documentation française. –** La politique industrielle est de retour, Marc Chevalier, Alternatives économiques. –** Diagnostic de l’industrie française, Jean-François Dehecq, Rapport public du ministère en charge de l’industrie. –** Quand les délocalisations deviennent des erreurs stratégiques, André-Yves Portnoff, Futuribles. – Désindustrialisation et choix politiques, André Gauron, Sociétal. « Croire en l’avenir de l’industrie » de la SERPE, n°69, 3e trimestre 2010.
  • Les cahiers de la DG Trésor, n°2010-01, juin 2010 de Lilas DEMMOU.
  • Cahiers français, n°357, L’économie mondiale : trente ans de turbulences.
    Les changements économiques dans les pays industrialisés, Jean-Luc GAFFARD.
  • L’industrie manufacturière en France, Paris, La découverte, coll. Repères, ouvrage de l’OFCE.
  • AFL-CIO Working for America Institute, ’Outsourcing America : An Interview with Ron Hira », 2005.
  • TASSEY G. (2009), Rationales and Mechanisms for Revitalizing U.S. Manufacturing RD Strategies. Gaithersburg, National Institute of Standards and Technology, décembre, p 56.
  • La localisation des entreprises industrielles : comment apprécier l’attractivité des territoires ? Alain HENRIOT et de Laurent FERRARA, Revue Économie internationale, 2004/3, n°99.
  • Revue française de gestion, « La gouvernance des pôles de compétitivité. Impasses théoriques et reformulation de la spécificité des pôles. », de P. GOMEZ, article. VOL 35/190 - 2009 - pp.197-209.
  • Alternatives économiques, n°300, mars 2011, article « Un modèle qui ne fait guère envie », Arnaud LECHEVALIER.
  • Dictionnaire d’économie et des faits économiques et sociaux contemporains, C. BIALES, M. BIALES, R. LEURION, J.-L. RIVAUD, édition FOUCHER.
  • Article GLOBALIX, Patrick ARTUS, http://www.globalix.fr/content/un-modele-de-croissance-qui-ne-marche-pas
  • Site de l’INSEE Espérance de scolarisation : http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=98&ref_id=CMPTEF07121

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