Le commerce international face à la crise financière mondiale de 2007

, par Laure Bouet

« On a vu ces derniers mois une augmentation dangereuse des pressions protectionnistes générées par les déséquilibres mondiaux, à une époque où le consensus politique en faveur d’une ouverture du commerce et des investissements est déjà sous tension en raison d’un chômage élevé dans les pays du G20 », explique l’OMC dans son quatrième passage en revue des politiques commerciales des vingt économies les plus riches de la planète. Les dirigeants du G20 réunis à Séoul le 11 et le 12 novembre 2010 ont convenu d’une série de mesures de politiques économiques visant à relancer la croissance et à mieux prévenir les crises à venir. Ce sommet fut l’occasion de mettre en évidence l’état du système commercial et monétaire. En effet, la crise financière de 2007 n’a pas été sans conséquence sur la sphère réelle de nos économies. Nous allons nous intéresser plus particulièrement à l’impact de la crise sur le commerce international et sur le degré d’ouverture des économies. Pour cela, nous allons nous interroger sur les évolutions du commerce mondial de cette dernière décennie (2000-2010) et, par la suite, nous chercherons à identifier l’origine de ces évolutions et nous montrerons que la crise financière mondiale est le point de départ de la dégradation de l’état du commerce international constatée à la fin de l’année 2008 jusqu’en 2009. Cependant, la variation du commerce mondial excède celle du PIB et, par conséquent, nous verrons que des facteurs viennent amplifier l’effet de la crise financière. Face à ce constat, nous nous interrogerons sur les politiques mises en place par les instances dirigeantes en nous intéressant aux politiques commerciales et aux politiques budgétaire et monétaire mises en œuvre.

 I) Les évolutions du commerce international face à la crise financière de 2007

A) L’orientation libérale des États membres

Les théories économiques ont démontré le gain que pouvait représenter le commerce extérieur pour les pays y participant. D. RICARDO, dans son ouvrage intitulé Principes de l’économie politique et de l’impôt (1817), présente la théorie des avantages comparatifs selon laquelle les pays ont intérêt à se spécialiser dans les productions pour lesquelles leurs coûts relatifs de production sont les plus faibles et à importer les produits pour lesquels ils sont désavantagés. Les travaux de E. HECKSER (1919) et B. OHLIN (1933) montrent, également, que le libre-échange est à l’origine de gains pour les pays si ces derniers se spécialisent en fonction de leurs dotations relatives en facteur de production. Ces théories traditionnelles reposent sur des hypothèses similaires selon lesquelles les capitaux (dans la théorie ricardienne) ou les facteurs de production tels le travail et le capital (dans la théorie de E. HECKSER et B. OHLIN) sont parfaitement mobiles au sein des nations et non entre les nations. Par conséquent, les pays tirent profit de leurs différences par rapport aux autres et se spécialisent. En outre, les produits sont supposés mobiles entre les nations et les marchés sont considérés être en situation de concurrence parfaite. Des travaux plus récents corroborent les théories classiques. La nouvelle théorie du commerce international (pour approfondir le sujet, article de Milan VUJISIC), développée à la fin des années 1970 notamment par P. KRUGMAN, s’appuie sur les outils de concurrence imparfaite, c’est-à-dire sur l’existence de rendements d’échelle croissants et de stratégies de différenciation du produit. Selon cette théorie, les échanges extérieurs s’expliquent, en partie, par la réalisation d’économies d’échelle croissants qui permettent de concentrer la production sur un seul site de production et dans un seul pays. Cette situation aboutit à une baisse des coûts unitaires de production et des prix. Par conséquent, le pays se spécialise et bénéficie d’un avantage comparatif.

L’ouverture des économies aux échanges internationaux a été favorisée par l’action du GATT (1947) puis de l’OMC (1995). En effet, le GATT puis l’OMC encadrent les négociations commerciales multilatérales visant à réduire toutes les formes de protectionnisme et à développer le libéralisme commercial. P. KRUGMAN a qualifié le régime GATT/OMC de « mercantilisme éclairé ». Selon les théories libérales, les avantages du libre-échange sont les importations à meilleur marché et les gains liés à la spécialisation. En revanche, l’OMC favorise le libre-échange afin que chaque pays « bénéficie de débouchés à l’exportation plus vastes et plus diversifiés grâce à une moindre protection de la part des pays partenaires ». Les gains des exportations reposent sur l’effet multiplicateur keynésien du commerce extérieur sur le revenu, les importations étant perçues comme un mal nécessaire.

Face à ces principes idéologiques, nous allons nous intéresser à la façon dont a évolué le commerce international lors de la dernière décennie et notamment durant la crise financière.

B) Les évolutions du commerce international avant 2007

Sur la période 2000-2006, la croissance du commerce mondial des marchandises est deux fois supérieure à la croissance annuelle de la production. Sur ce même laps de temps, le taux de croissance des importations excède celui des exportations en Amérique du Nord, dans la Communauté d’États indépendants, le Moyen-Orient et l’Afrique. En Amérique du Sud et en Amérique Centrale, les taux de croissance des importations et des exportations s’équilibrent. En revanche, en Europe et en Asie, le taux de croissance des exportations excède celui des importations.

En 2006, le volume du commerce mondial a augmenté de 8,5% tandis que le PIB mondial connaissait une croissance de 3,5%. Cette expansion du commerce international s’explique, en partie, par une reprise des exportations européennes qui ont progressé de 7% par rapport à 2005. Les exportations de marchandises des États-Unis ont connu en termes réels une hausse de 11% et celles de la Chine de 22%. Les taux de croissance des exportations mondiales ont été inférieurs à la moyenne mondiale (11%) en Amérique du Sud, en Amérique Centrale et dans les Caraïbes (2,5%), dans la Communauté des États indépendants (6%) et en Afrique (3%). Les exportations du Moyen-Orient ont stagné. En 2006, le volume des exportations s’est accru en raison d’une demande soutenue.

C) Les évolutions du commerce international à partir de 2007

Le commerce international a connu un ralentissement en 2007. La croissance des exportations mondiales a atteint un niveau de 6% en termes réels en 2007 contre une croissance annuelle de 3,4% du PIB mondial. Ce ralentissement de la croissance du commerce est dû à la décélération de la demande d’importations surtout aux États-Unis, en Europe et au Japon. Le commerce est resté dynamique dans la plupart des pays en développement. En 2007, et pour la première fois en 5 ans, le commerce des services s’est accru de 18% en valeur.

Le commerce international a poursuivi son ascension jusqu’au premier semestre 2008. C’est seulement au 4e trimestre 2008 que les échanges semblent perturbés. Le commerce international de l’Europe constitue la zone la plus durement touchée avec un recul de 16% au 4e trimestre 2008 par rapport à la même période en 2007. Les exportations de l’Asie baissent de 5% et celles de l’Amérique du Nord de 7%.

Durant le premier trimestre 2009, un repli très net des exportations mondiales de marchandises est constaté dans chaque région du monde. La contraction des échanges, nettement plus importante que celle du PIB mondial, a été plus prononcée que celle prévue par l’OMC au début de la crise financière en 2007. Le commerce des produits automobiles connaît un recul de 48% au premier trimestre 2009 en rythme annuel, vient par la suite le fer et l’acier (37%), l’équipement de bureaux et de télécommunications (29%) et les circuits intégrés (31%). Cette tendance au recul des échanges internationaux s’est estompée au cours du second trimestre 2009 car même si le commerce mondial des marchandises reste en recul de 33% par rapport au niveau du second trimestre 2008, il progresse de 8% par rapport au premier trimestre 2009.

Les exportations de marchandises en volume en 2009 ont baissé de 12,2% alors que leur taux de croissance en 2008 s’élevait à 2,1% et de 4,1% en moyenne au cours des 10 dernières années. La contraction des échanges excède la diminution de 10 points de celle du PIB mondial en 2009. Cette baisse est liée, en partie, à la chute des prix des produits de base, en particulier le pétrole. Conformément aux prévisions, la Chine est devenue, en 2009, le premier exportateur mondial en valeur dépassant l’Allemagne avec une part de 9,6% du commerce mondial.

La valeur du commerce mondial des marchandises a progressé de 25% durant le premier semestre de 2010 en raison d’une reprise de la croissance économique dans les pays développés et les pays en développement. Les statistiques mensuelles disponibles pour environ 70 économies qui représentent environ 90% du commerce mondial montrent que le commerce mondial des marchandises a baissé en avril et en mai 2010 puis s’est redressé en juin. Les économistes de l’OMC n’avaient pas anticipé une telle reprise du commerce international depuis le début de l’année 2010. Par conséquent, après un réajustement, ils prévoient une croissance du commerce mondial en 2010 de 13,5% contre les 10% estimés au mois de mars. Les prévisions concernant le second semestre 2010 sont moins optimistes car les prévisionnistes tablent sur un ralentissement de la croissance de la production durant cette période lorsque les mesures de relance budgétaire et que le cycle de stocks prendront fin. Malgré une relance des échanges internationaux, ils restent à un niveau inférieur de 2,8% à leurs niveaux d’avant la crise en octobre 2007.

Tableau – Exportations de marchandises et PIB par région, 2007-2010

Variation annuelle en %

Volume des exportations de marchandises 2007 2008 2009 2010  [1]
Monde 6,5 2,2 -12,2 13,5
Économies développées 4,8 0,8 -15,3 11,5
Économies en développement et CEI 9 3,8 -7,8 16,5
PIB réel au taux de change du marché (2005)
Monde 3,8 1,6 -2,2 3
Économies développées 2,6 0,4 -3,5 2,1
Économies en développement et CEI 8 5,7 2 5,9

Source : Secrétariat de l’OMC

Après avoir décrit l’évolution du commerce mondial de ces dernières années, nous allons voir quels sont les facteurs à l’origine de l’effondrement des échanges internationaux entre le quatrième trimestre de l’année 2008 et jusqu’à la fin de l’année 2009.

 II) Les facteurs responsables de l’effondrement du commerce mondial

A) Les effets de la crise financière

1) Les origines de la crise

La crise financière débute durant l’année 2007 et se propage au reste de l’économie au travers de la production, de la demande et de l’emploi. En effet, les établissements financiers ont commencé à subir des pertes importantes en raison de leurs investissements dans le marché des hypothèques à risque (crédits subprimes). La méconnaissance de l’ampleur des pertes subies par les établissements financiers a freiné le goût du risque des investisseurs et a provoqué une baisse des crédits octroyés aux entreprises, aux ménages et aux banques entre elles. En septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers aggrave la situation. Le prix des biens immobiliers baisse, le cours des actions s’effondre. Par conséquent, la valeur du patrimoine des ménages se réduit et les incite à favoriser l’épargne de précaution au détriment de la consommation et de l’investissement. L’incertitude sur les perspectives d’évolution de la situation provoque une nette réduction des dépenses d’investissement des entreprises. Il s’en suit un recul de la demande globale (consommation des ménages et investissement des entreprises) entraînant une contraction de la production au dernier trimestre 2008 et au premier trimestre 2009, selon les données de l’OMC.

2) La crise financière a-t-elle eu un effet spécifique sur le ralentissement du CI ?

D’après des travaux menés par Agnès BÉNASSY-QUÉRÉ et alii dans le cadre du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), la crise financière est à l’origine de l’effondrement du commerce international car, cette crise financière a eu pour effet le resserrement des conditions de crédits, la chute des prix des produits de base, l’augmentation de l’incertitude sur la signature des partenaires commerciaux et la forte volatilité des monnaies ayant eu pour impact un recentrage de l’activité des entreprises sur leurs marchés intérieurs. En effet, les conséquences macro-économiques de la crise sont, en partie, responsables de l’effondrement du commerce mondial en 2009. La perte de richesses des ménages en raison de la crise influe sur l’activité économique via la variation de la consommation. Entre la fin de 2007 et le deuxième trimestre de 2009, la richesse nette des ménages américains a diminué de 128 000 milliards de dollars EU (soit près de 20% de leur richesse nette et 88% du PIB des États Unis). En avril, le FMI estimait, dans ses Perspectives de l’économie mondiale, que la richesse des ménages au Royaume-Uni avait diminué d’environ 1 000 milliards de livres sterling en 2008 (ce qui représente un peu plus de 69% du PIB du pays). Les travaux de MODIGLIANI ont montré que la baisse des dépenses est proportionnelle à la diminution de la richesse et ce bas niveau de dépenses reste maintenu dans le temps. Le rapport annuel du Directeur Général de l’OMC publié le 18 novembre 2009 montre également que « la crise a entraîné un processus massif d’inversion de l’effet de levier dans le secteur financier mesuré approximativement par la diminution de la part du crédit dans le PIB. Cela s’explique en partie par la chute de la valeur marchande des actifs détenus par les institutions financières, et en partie par l’aggravation des conditions macro économiques. Ce phénomène a des effets directs sur le commerce mondial en raison de la réduction de l’offre de crédit pour le commerce, et des effets indirects par la réduction de la demande globale liée à une forte contraction du crédit. Ce processus d’inversion de l’effet de levier dans le secteur bancaire international est sans doute loin d’être terminé. »

La Banque Mondiale corrobore ces arguments en montrant que le retard dans la relance des échanges est lié, tout d’abord, à un manque de financement des importations et à un niveau insuffisant des investissements qui a connu une baisse de 9,7% en 2009 et de 4,9% en 2010 selon leurs prévisions. En outre, la forte contraction de la demande mondiale qui elle-même était à l’origine de la crise financière des subprimes s’est propagée à la sphère réelle. Les consommateurs qui ont subi des pertes patrimoniales liées au secteur du logement et aux revers boursiers ont choisi de différer leurs achats de biens durables (voitures, etc.). Cette baisse de la demande et le surcoût du capital ont eu pour effet de remettre à plus tard les investissements des entreprises ce qui a eu pour conséquence une baisse de la demande de biens d’équipement. Selon l’OMC, les causes à l’origine de la chute importante des échanges internationaux sont temporaires et ne devraient pas constituer un frein à moyen et long terme pour la relance du commerce international. En revanche, les évolutions structurelles dont notamment le protectionnisme pourraient avoir un impact à plus long terme sur les évolutions des échanges internationaux.

B) Les facteurs amplifiant les effets de la crise financière

1) La sur-réaction du commerce international aux variations du PIB

Comme nous avons pu le voir dans la première partie, la variation du commerce international a été exacerbée par rapport à la variation du PIB mondial en 2009. FREUND (2009) a décrit l’évolution du commerce international après quatre périodes de ralentissement économique mondial et elle trouve que la chute du commerce international représente près de cinq fois celle du PIB. Nous allons essayer de comprendre quels sont les facteurs qui ont accentué l’effondrement du commerce international déjà perturbé par les effets de la crise financière de 2007. Olivier BLANCHARD, chef économiste au FMI, s’est intéressé à l’impact de la crise financière dans le monde, en se penchant en particulier sur le cas des marchés émergents. Ces pays ont été durement touchés par la crise mais dans une moindre mesure que les pays développés à économie de marché. Les résultats de son étude montrent l’importance des liens commerciaux et financiers dans la propagation de la crise et il semblerait, d’après ses recherches, que l’élasticité du commerce mondial à une variation du PIB mondial augmente au cours du temps.

Selon le rapport de l’OMC sur l’état du commerce international en 2009-2010, l’impact de la crise a été amplifié, également, par la nature des produits visés par la baisse de la demande. Le resserrement des conditions de crédit par les banques commerciales a provoqué, comme nous l’avons vu précédemment, une baisse des ventes de biens durables et de biens d’équipement. Or, ces produits constituent une part importante du commerce international et le ralentissement de la vente de ces biens a eu un impact d’autant plus important sur le volume des échanges internationaux. En revanche, son poids dans la création de richesse mondiale (PIB mondial) est nettement moindre. D’après LEVCHENKO, LEWIS, TESAR et BALDWIN (2009), cette asymétrie expliquerait la moitié de l’effondrement des échanges internationaux.

Afin d’expliquer la différence de proportionnalité entre les variations des exportations et de la croissance économique, des chercheurs se sont intéressés, en particulier, au phénomène croissant d’intégration verticale des chaînes de production et du cycle des stocks.

2) L’intégration verticale croissante entre les pays et le cycle des stocks

La nouvelle division internationale du travail se caractérise par un fractionnement des chaînes de valeur ce qui laisse supposer que le même composant franchisse plusieurs frontières et qu’il soit, subséquemment, enregistré de nombreuses fois dans le commerce avant d’être incorporé dans le produit final.

Linda TESAR s’est intéressée aux causes de l’effondrement du commerce mondial. Elle a constaté une chute des importations américaines de l’ordre d’environ 50% ce qui est bien supérieur à la baisse du PIB. D’après elle, les modèles économiques standards prennent insuffisamment en compte la brutalité de l’ajustement du commerce mondial à une baisse du PIB. Elle s’est aperçue que les secteurs utilisant le plus de produits intermédiés (les inputs) sont ceux qui ont connu une baisse la plus importante des échanges mondiaux. Par conséquent, elle en conclut que l’intégration verticale croissante des chaînes de production au niveau mondial constitue une des causes de l’effondrement des échanges internationaux. En outre, elle ne trouve pas de preuve manifeste que les difficultés liées au financement des échanges internationaux aient pu jouer un rôle majeur dans cette évolution du CI.

Kei-Mu YI, Rudolfs BEMS et Robert JOHNSON ont montré que l’intégration verticale croissante des chaînes de production au niveau mondial accroît l’effet d’une baisse de la demande sur le niveau des échanges mondiaux. Cette intégration verticale des chaînes de production expliquerait plus de 50% de la variation des échanges commerciaux mondiaux.

La forme prise par la nouvelle forme de division internationale du travail (fragmentation accrue des chaînes de production) expliquerait la chute des exportations mondiales. Cependant, les études du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) montrent que la chute de la production pourrait avoir un effet démultiplié sur les échanges internationaux si la crise avait amené à modifier les chaînes de fabrication de telle façon qu’un même composant transiterait par moins de pays. Vu que tel n’est pas le cas, la contraction des échanges constatée en 2008-2009 n’a pas de raison de provoquer une baisse plus que proportionnelle par rapport au ralentissement de la production. Après un exercice de simulation mené par le CEPII via le modèle MIRAGE, la nouvelle division internationale du travail n’expliquerait pas la sur-réaction des échanges internationaux face à une variation de la production. Par conséquent, la crise financière serait bien l’unique cause à l’origine des variations récentes du commerce international.

George ALESSANDRIA, Joseph KABOSKI, Virgiliu MIDRIGAN ont mis en évidence le rôle des stocks. D’après leur recherche, ils montrent que les stocks et les importations sont fortement reliés et que des variations de stocks pourraient expliquer l’écart entre le taux de croissance du PIB et l’évolution du commerce mondial. En effet, pendant la crise financière et la récession qui l’a accompagnée, les stocks ont fait l’objet d’ajustements importants à la baisse. Pour faire face à l’effondrement de la demande, les entreprises ont en effet dû gérer de manière très stricte leurs dépenses : elles ont réduit leur production et puisé dans leurs stocks, ce qui explique le mouvement massif de déstockage au cours des années 2008-2009, ce déstockage provoquant une baisse des échanges internationaux nécessaires à la production de produits finis.

La connaissance des causes de l’effondrement du commerce international durant l’année 2009 permet aux États d’orienter leurs politiques économiques. Nous allons voir, désormais, comment les États ont orienté leurs politiques commerciales et leurs politiques budgétaire et monétaire.

 III) L’orientation des politiques économiques face à l’effondrement du commerce international

A) La tentation protectionniste

1) Pourquoi les États peuvent être tentés de mettre en place des mesures protectionnistes ?

En 2009, le chômage mondial grimpe à 6,6% atteignant la barre des 212 millions de personnes soit une augmentation de 34 millions par rapport à 2007, selon les chiffres communiqués par le Bureau International du Travail. Sa forte hausse en Espagne et aux États-Unis s’explique par la baisse de la production, les tensions financières et par l’effondrement des prix des logements. Cependant, l’Allemagne, l’Italie, le Japon et les Pays-Bas ont été moins durement touchés par le chômage grâce notamment aux vastes programmes de travail à horaires réduits. En raison d’une reprise peu soutenue de la production, le taux de chômage moyen devrait rester élevé jusqu’à la fin de l’année 2011.

Par conséquent, cette persistance d’un chômage élevé peut représenter une tentation de protectionnisme pour les États. D’autant plus que des économistes tels que Paul KRUGMAN, Paul SAMUELSON ou Alan BLINDER ont nuancé leurs positions sur les bienfaits du libre-échange. Par exemple, après l’accession de la Chine à l’OMC en 2001, Paul SAMUELSON montre, dans un article publié en 2004, que le progrès technique peut conduire à une disparition des avantages comparatifs des États-Unis se traduisant par une détérioration du revenu par tête aux États-Unis. Le libre-échange ne représente plus les atouts décrits dans les théories en faveur de l’ouverture des économies en raison des nouvelles caractéristiques du commerce mondial. De nombreux travaux dans les années 1990 ont cherché à vérifier l’influence positive du libre-échange sur la création de richesses. Dani RODRICK et Francisco RODRIGUEZ affirment qu’il est peu possible de démontrer un impact positif ou négatif de l’ouverture des économies sur le taux de croissance. En outre, Dani RODRICK stipule que l’intégration d’un pays dans l’économie mondiale doit être comparée à d’autres politiques de développement avant d’être choisie en raison des coûts liés à la mise en conformité avec les règles établies par l’OMC.

2) Que font les États ?

Face à la crise, les États ont renforcé progressivement les restrictions commerciales mais ces mesures restent contenues, d’après les dires de Pascal LAMY, Directeur Général de l’OMC, dans une entrevue réalisée par le journal « Les échos » du 01 décembre 2009. L’économiste Simon J. EVENETT a réalisé un bilan des mesures protectionnistes en décembre 2009. Cette étude montre que 297 mesures de protection ont été instaurées depuis novembre 2008 dont un tiers est lié aux politiques nationales de soutien aux banques, au secteur de l’automobile ayant comme objectif la sauvegarde des économies plutôt que la mise en place de politiques commerciales agressives. D’octobre 2008 à octobre 2009, nous assistons à une hausse des restrictions commerciales qui ne porteraient qu’au maximum sur 1% des flux commerciaux mondiaux. Ce pourcentage correspond aux échanges visés par les mesures et non à la baisse effective des échanges. Cependant, les dirigeants de l’OMC pensent que ces mesures protectionnistes temporaires peuvent s’enraciner et ils veulent réagir dès que la reprise sera là.

La crise de 1929 a engendré des mesures protectionnistes telles que la mise en œuvre de la loi Smoot-Hawley relative aux droits de douanes aux États-Unis en juin 1930 ainsi que la mise en place de dévaluations monétaires, la hausse des droits à l’importation et le contingentement des importations. En parallèle, le commerce mondial avait baissé de 25% en volume entre 1929 et 1933 dont la moitié serait liée au relèvement des barrières commerciales. L’expérience des années 1930 a certainement influé les décisions des États lors de la crise financière de 2007.

Le récent rapport de l’OMC sur l’état des lieux du protectionnisme dans les pays du G20 rédigé conjointement avec l’OCDE et la CNUCED confirme que les États membres du G20 résistent aux pratiques protectionnistes. En revanche, les tensions monétaires actuelles risquent de menacer la stabilité du système commercial et alimentent la pression déjà grandissante aux mesures protectionnistes. La Chine est accusée de sous-évaluer sa monnaie, le yuan, et les américains chercheraient à dévaluer leur dollar via le rachat envisagé par la Réserve Fédérale américaine (la FED) des titres de la dette publique à hauteur de 600 milliards de dollars. Le but annoncé de ce programme réside dans le soutien à la reprise économique des États-Unis. Ces dévaluations pourraient constituer un moyen d’obtenir un avantage comparatif par rapport aux autres pays via le principe de la dévaluation compétitive et inciteraient les États à mettre en place des mesures de protection de leurs économies.

B) Le développement des accords commerciaux régionaux

Entre octobre 2008 et octobre 2009, 25 accords commerciaux régionaux (ACR) sur les marchandises et les services ont été notifiés au Secrétariat de l’OMC dont 18 qui englobent les marchandises et les services. Sur les 25 ACR, 23 sont des accords bilatéraux. La tendance à la prédominance des accords bilatéraux au détriment des accords plurilatéraux et des unions douanières se confirme. Les zones de l’Asie de l’Est (8 des 25 ACR) et de l’Amérique du Sud négocient très activement. Ce sont de plus en plus des pays de régions très différentes qui s’entendent sur les ACR. Les accords intra-régionaux laissent peu à peu la place aux accords inter-régionaux. Les groupements économiques régionaux s’élargissent tels que l’ASEAN qui s’ouvre à la Chine, au Japon et à la Corée. Les évolutions structurelles comme la hausse des coûts du transport ou les mesures protectionnistes pourraient faire reculer la mondialisation et renforcer le principe de régionalisation.

C) Les politiques budgétaire et monétaire

Les plans de relance sont intervenus, notamment, auprès du marché automobile et des marchés publics. Les interventions publiques ont largement privilégié les plans de sauvetage financier. Ceux-ci ont représenté, par exemple, « 28 % du PIB du Royaume-Uni et 19% environ du PIB de l’Allemagne et de la France, contre 1 à 1,5% environ du PIB de la France et du Royaume Uni et 2,8% du PIB de l’Allemagne dans le cas des plans de relance budgétaire annoncés en 2009 », d’après les chiffres communiqués par l’OMC. Les plans de relance budgétaire dans les pays de l’OCDE représentent 3,5% environ du PIB collectif, l’Australie, le Canada, la Corée, les États Unis et la Nouvelle Zélande ayant chacun introduit des mesures de relance budgétaire d’un montant supérieur à 4% de leur PIB. Au cours des années 2008-2009, les États-Unis, les pays européens et d’autres ont mis en place des plans de sauvetage du secteur bancaire pour éviter une propagation des défaillances. Ces mesures ont consisté pour l’essentiel à des prises de participation dans le capital des institutions financières les plus fragiles (exemple : la Plan Paulson en 2008 aux États-Unis), des garanties étatiques pour le refinancement des banques commerciales et financières et une baisse des taux d’intérêts directeurs pour faire face à la crise de liquidité qui touchait les marchés interbancaires. Les plans de relance ont visé, également, le soutien aux PME (exemple : le plan de relance français prévoyait la garantie bancaire d’OSEO), les dépenses d’infrastructure et les réductions d’impôt. Cependant, l’intervention étatique n’est pas sans conséquence car, d’après le FMI, la dette publique des 10 pays les plus riches de la planète devrait passer de 78 % du PIB en 2007 à 114% en 2014. Les réponses budgétaire et monétaire mises en œuvre face à la crise ont considérablement accru la dette des États et la masse monétaire en circulation, les pays s’exposant à une forte hausse du taux d’inflation à long terme. Par conséquent, les dirigeants planifient et ont mis en œuvre dès 2010 des politiques budgétaires visant à réduire les dépenses étatiques et à désendetter les États.

Pour conclure, l’effondrement des échanges internationaux entre le quatrième trimestre 2008 et la fin de l’année 2009 constitue une conséquence directe de la crise financière provoquant un fort ralentissement de la consommation des ménages, de la production et des investissements des entreprises. L’incertitude sur la fiabilité des partenaires commerciaux et la fragilité apparente du système financier ont incité les entreprises à se reployer sur leur marché intérieur. En outre, les entreprises, et notamment les PME, se sont heurtées à des difficultés de financement liées à la crise de liquidité et aux craintes des banques d’insolvabilité des PME. La contraction des échanges internationaux de -12,2% a excédé la dépression économique de l’année 2009 avec un taux de croissance du PIB mondial de -2,2% sur la même période car certains facteurs ont amplifié les effets de la crise comme, par exemple, l’intégration croissante des chaînes de production à l’échelle mondiale. La montée du chômage mondial fait craindre à l’OMC un repli des économies avec la mise en place de mesures protectionnistes. Jusqu’à présent, les pays membres de l’OMC n’ont pas ou peu réagi dans ce sens. En revanche, les dévaluations monétaires de certains pays pratiquées par la Chine ou les États-Unis constituant une forme de protectionnisme risquent, selon l’OMC, de mettre en péril l’idéologie libérale d’ouverture des économies. Les pays du G20 ont manifesté lors du Sommet à Séoul se tenant le 11 et le 12 novembre 2010 leur volonté de conclure les négociations du cycle de DOHA et de résister à toutes formes de protectionnisme. L’OMC souhaite apporter des corrections lors de ce round de négociations en renforçant les positions libérales des États membres.

 Sources

  • Problèmes économiques, La documentation française, n°3001, 01 septembre 2010.
    Article « Après la crise : éviter le protectionnisme » p 33 à 37, Christian HENN et Brad MAC DONALD.
  • Problèmes économiques, La documentation française, n°2983, 25 novembre 2009.
    Article « Le commerce victime de la mondialisation ? » p 40 à 43, Agnès BENASSY-QUERE et alii.
  • Cahiers français n°341, « Mondialisation et commerce international » Novembre-Décembre 2007.
  • « Les enjeux de la mondialisation », éd. La Découverte, Coll. Repères, Michel RAINELLI, Article Internationalisation des échanges et croissance p 6 à 21.
  • Modigliani F. et Ando A. 1963. « The Life Cycle Hypothesis of Saving : Aggregated Implications and Tests. » American Economic Review, 53 : 55-84.
  • Organe d’examen des politiques commerciales - Tour d’horizon de l’évolution de l’environnement commercial international d’octobre 2008 à octobre 2009- Rapport annuel du Directeur général de l’OMC - Regard sur l’avenir publié le 18 novembre 2009 sur le site internet de l’OMC – Parties A et B.
  • Rapport de l’OMC sur l’état du commerce mondial 2009-2010.
  • Rapport de l’OMC, de l’OCDE et de la CNUCED sur les mesures commerciales et d’investissement du G20, publié le 04 novembre 2010 pour la réunion du G20 à Séoul le 11 novembre 2010.
  • Bulletin de la banque de France, 2e trimestre 2010.
  • Rapport de la banque mondiale sur les perspectives pour l’économie mondiale.
  • Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010, Rapport du FMI.

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le commerce international face à la crise financière mondiale de 2007

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