Contexte et enjeux complexes pour une loi combattue : la loi DADVSI droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information

, par Catherine Boscher

La loi DADVSI du 1er août 20061 mérite qu’on s’y intéresse. Son projet a été largement débattu l’an passé avec beaucoup de passion et d’émulation. Il a suscité de nombreuses critiques et réactions. Nous sommes tous concernés à titre personnel, en tant que professeur ou tout simplement parent. Nous, nos enfants, nos élèves, copions, téléchargeons des documents écrits, sonores voir audiovisuels. Toutefois, nous le faisons certainement de façon légale. Quelle est d’ailleurs la différence entre un téléchargement légal et un téléchargement illégal ? La jeune institutrice Anne-Sophie L. récemment condamnée disait connaître le caractère illégal du téléchargement, mais croyait à une tolérance dès lors qu’elle agissait à titre privé et sans aucun aspect lucratif. Alors quelles sanctions encourt-on aujourd’hui lorsque l’on télécharge sur Internet ? Quel est le droit positif depuis la récente loi DADVSI ?

Dans un secteur où les acteurs économiques sont nombreux (auteurs, producteurs, réalisateurs, utilisateurs...) avec des intérêts bien souvent divergents, il conviendra de montrer dans une première partie que le contexte et les enjeux du projet de loi DADVSI sont particulièrement complexes, ce qui peut expliquer autant de controverses et de difficultés dans sa mise en œuvre. Dans une seconde partie, nous envisagerons justement quelles sont le plus simplement possible, dans un domaine parfois hostile en raison de sa technicité juridique et informatique, les règles de droit positif sur lesquelles nous devons nous appuyer aujourd’hui grâce à la loi DADVSI.

Contexte et enjeux complexes

Philosophie exceptionnelle du droit d’auteur français

A la différence du droit anglo-saxon, le droit d’auteur français est un droit très social favorisant la protection du créateur de l’œuvre et le lien créateur-œuvre : il s’agit d’une exception française, peu de pays connaissent le droit moral2 d’un auteur sur son œuvre. L’œuvre n’est pas considérée comme une simple marchandise que l’on peut céder dans sa totalité à l’instar d’un système purement économique, mais comme un produit complexe qui garde quoi qu’il arrive un attachement à son auteur. Un droit si protecteur trouve de réelles difficultés à s’adapter dans un environnement international favorable aux thèses plus économiques.
En l’occurrence, dans le monde de droit d’auteur, deux grandes thèses sont en présence :
— la thèse du copyright américain qui considère l’œuvre comme une chose ordinaire donnant prise à un droit de propriété essentiellement réel correspondant au monopole d’exploitation de l’auteur et ne connaissant qu’à titre subsidiaire le droit moral.
— la thèse française plus sociale qui considère l’œuvre comme une chose non ordinaire donnant prise à deux droits différents  : un droit pécuniaire correspondant au monopole d’exploitation de l’auteur et un droit moral extra patrimonial, inaliénable et imprescriptible, permettant notamment à celui-ci de faire respecter l’intégrité de son œuvre, de pouvoir faire respecter aussi sa paternité ou de pouvoir éventuellement retirer l’œuvre du circuit économique.

Loi française et respect des textes internationaux

Deux lois fondamentales, celle du 11 mars 1957 et celle du 3 juillet 85 sont la base du droit d’auteur français et ont été intégrées en 1992 dans le code de la propriété intellectuelle (CPI) devenu la charte en la matière. La loi fondamentale du 11 mars 57 avait pour objectif de protéger le droit exclusif du créateur d’une œuvre lui permettant d’assurer sa subsistance avec un droit patrimonial et de lui conférer en outre un droit moral très fort. Quelques décennies plus tard, la loi du 3 juillet 1985 sur les droits d’auteur et droits voisins a vu le jour. Les progrès scientifiques et techniques qui sont à l’origine de la création de nouveaux supports de communication, mais aussi le développement des programmes informatiques, l’existence de nouveaux groupes de pressions comme les artistes interprètes ou les producteurs qui souhaitaient tous voir reconnaître leurs droits dans la création d’œuvre, ont nécessité l’adoption de cette loi.

Mais le droit d’auteur français doit, en outre, compter avec les textes européens et internationaux. En effet, un projet de loi comme le projet DADVSI doit respecter les différents traités internationaux et directives européennes qui lui sont hiérarchiquement supérieures. On peut citer la Convention de Berne modifiée en 1979, les accords internationaux de l’OMC de 94 (TRIPS/ADPIC), les différentes directives dont l’objectif est d’harmoniser le droit au niveau européen et notamment, la directive sur la protection des logiciels en 91, la directive sur le droit de location et de prêts en 92, la directive durée en 93, la directive base de données en 96 et enfin la directive sur les droits d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) de 20013. C’est justement cette dernière directive qui aurait dû être transposée depuis plusieurs années entre France. On peut donc comprendre la première difficulté du projet de loi DADVSI : respecter les textes internationaux et notamment les dispositions de la Directive DADVSI de 2001. Le contexte d’élaboration d’un tel projet est particulièrement complexe.

De nombreux acteurs aux intérêts divergents

Le droit d’auteur français a pour vocation de protéger en premier lieu le créateur. L’œuvre est aujourd’hui, dans bien des cas, complexe et donc créée grâce à l’intervention de bon nombre d’acteurs. La loi de 85 est venue protéger par des droits voisins ce que l’on appelle les auxiliaires de la création et notamment les artistes interprètes ou les producteurs afin de répartir de façon équitable l’exploitation de l’œuvre entre les différents acteurs.
Mais aujourd’hui, il faut compter dans l’élaboration d’un projet comme le projet DADVSI avec un nouvel acteur très important : l’utilisateur ou consommateur de l’œuvre. Auparavant, on ne s’intéressait guère à lui, il n’était pas considéré comme une menace pour le créateur, au contraire il était la condition de sa subsistance, une partie de sa raison d’être. Aujourd’hui, le consommateur est très puissant : des associations le protègent, mais aussi des technologies du monde numérique sont mises à sa disposition et lui permettent de reproduire à souhait les œuvres à priori protégées par les droits de l’auteur.
Avec des capacités de stockage et une vitesse de diffusion des œuvres illimitées, copier une œuvre, la stocker, la mettre à disposition d’autrui est un jeu d’enfants et des millions d’internautes le font quasi quotidiennement. En clair, la circulation des œuvres c’est-à-dire la transmission de fichiers sous réseaux peer-to-peer se fait bien souvent sans l’autorisation et la rémunération des auteurs ce qui génère un manque à gagner important pour les ayants droits.

Le cœur du projet DADVSI

Le contrôle de la reproduction de l’œuvre devient donc un problème central au cœur même du projet de loi DADVSI. À côté de l’utilisation loyale des œuvres à des fins privées, il est nécessaire de contrôler l’utilisation moins loyale des mêmes œuvres au travers du réseau des réseaux qu’est Internet. Le projet de loi DADVSI a pour vocation de définir l’usage qui peut être fait des œuvres numériques protégés par le droit d’auteur (musique vidéo texte) et notamment la possibilité de limiter le droit à la copie privée.
On comprend donc toute la tension autour de l’évolution du projet DADVSI  : d’un côté les utilisateurs qui ont la possibilité à l’échelle planétaire de copier tout document numérisé et donc toute œuvre protégée et représentés par des associations de consommateurs puissantes, et de l’autre côté, les industriels avec un lobbying toujours très efficace et les auteurs de la création qui fondent leur subsistance sur le droit de contrôle de l’œuvre et de sa reproduction. L’enjeu central consiste donc à trouver des solutions de protection de la création intellectuelle et artistique dans une économie numérique et à rétribuer cette création dans le respect des droits de l’auteur.

Notions liminaires de droit d’auteur nécessaires à la compréhension du projet DADVSI

Afin de pouvoir comprendre la nouvelle loi DADVSI, il faut préalablement une certaine connaissance du CPI (code de la propriété intellectuelle). En effet, par définition une nouvelle loi vient modifier une loi en vigueur.
Rappelons le principe en droit français : l’auteur a un monopole d’exploitation sur son œuvre4. Toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur est donc illicite5. Recopier, reproduire, télécharger illégalement des fichiers protégés par un droit d’auteur correspond donc en principe à un délit de contrefaçon6. Toutefois, il existe toujours en droit et notamment en droit d’auteur des exceptions au principe et justement voilà le cœur de notre débat : le monopole d’exploitation de l’auteur souffre, entre autre, de l’exception de copie privée. A partir du moment où une œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinée à une utilisation collective7. La question est donc la suivante : le téléchargement d’œuvres protégées par des droits d’auteur sur internet, fait sans autorisation, pour l’usage privé du copiste correspond-t-il à une acte illicite de contrefaçon ou rentre-t-il dans le champ de la copie privée autorisée ?

Les juges ont d’abord été embarrassés mais se sont prononcés en reconnaissant le téléchargement d’œuvres protégées sans autorisation comme un acte de contrefaçon8.
Pour ne citer que quelques affaires très médiatiques, le 30 mai 2006, la Cour de Cassation casse un arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 10 mars 2005 qui avait relaxé un internaute. Celui-ci avait gravé 500 CD dont certains sur réseaux peer-to-peer9. Par ailleurs, dans un arrêt du 28 février 2006 dite « affaire Mulholland Drive »10, la Cour de Cassation refuse à un consommateur de réaliser la copie d’un DVD verrouillé et légalement acheté. Enfin, on peut dire deux mots sur cette jeune institutrice, Anne-Sophie L11. Plus de 16 000 fichiers ont été retrouvés sur le disque dur de son ordinateur. Anne Sophie L. disait télécharger pour découvrir des artistes dont elle achetait ensuite les œuvres. Elle ne gravait qu’à titre exceptionnel, pour les adresser à sa sœur vivant en Inde. Les juges l’ont condamnée pour téléchargement illégal, mais dans cette affaire la jeune femme a été considérée comme « petit pirate » et donc condamnée à une faible sanction  : 1200 euros d’amende avec sursis, et 2225 euros de dommages et intérêts et la confiscation de son disque dur.
Il est donc bien clair, que le téléchargement est illégal s’il concerne des contenus protégés par des droits d’auteur et qu’ils sont faits sans autorisation de leurs auteurs.

Face au fléau du téléchargement illégal, et parce qu’on n’imagine pas amener tous les internautes devant les tribunaux, les producteurs de contenus culturels ont décidé d’introduire des verrous numériques pour protéger leurs œuvres (DRM systèmes numériques de gestion des œuvres/ MTP : mesures techniques de protection). Il s’agit de systèmes physiques de protection qui ont pour but de contrôler, voire d’empêcher la reproduction de l’œuvre par l’utilisateur. Ces systèmes sont-ils légaux ? Ne sont-ils pas illicites dans la mesure où ils empêchent le droit à la copie privée de l’utilisateur  ?

La loi DADVSI va répondre à cette question centrale et reconnaître en effet la validité de ces protections physiques, dans la droite ligne de la Directive DADVSI de 2001, et permettre aux distributeurs de contenus, de limiter le nombre de copies licites. En contrepartie et pour limiter les abus, le projet de loi va prévoir la création d’une autorité de régulation des mesures techniques (ARMT) qui devra fixer le nombre minimal de copies autorisées et se prononcer sur l’interopérabilité des systèmes.

La nécessité du respect de la norme supérieure, les intérêts divergents des différents acteurs nous font prendre conscience que le projet de loi DADVSI ne pouvait aboutir sans difficultés dans un environnement aussi hostile. N’oublions pas que la France a mis plus de cinq ans pour transposer la directive européenne du 22 mai 2001. Elle a d’ailleurs, du fait de sa lenteur, été condamnée pour non-respect du délai de transposition de la directive par la CJCE.

Le droit positif issu de la loi DADVSI12

La loi DADVSI définit le cadre de la copie privée en le réduisant considérablement puisqu’elle donne la possibilité dorénavant de protéger les œuvres par des mesures techniques destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées, mais le système de répression concernant le téléchargement illégal qui avait été prévu par le Ministre de la Culture n’a pas été entériné par le Conseil Constitutionnel.

Le système de riposte graduée retoqué

Télécharger des œuvres sur internet est considéré comme un délit de contrefaçon passible de 300 000 euros d’amendes et 3 ans de prison. Bien sûr les affaires jugées jusqu’à présent ont sanctionné de façon plus ou moins sévère eue égard au degré de gravité de l’infraction.
Le projet de loi DADVSI prévoyait, à l’origine, d’introduire dans la loi un système de riposte graduée contre le téléchargement illégal par l’internaute. Le Ministre de la Culture avait proposé une gradation des peines par degré de gravité de l’infraction. Ainsi, l’internaute qui simplement téléchargeait un fichier pour sa propre consommation ne pouvait être poursuivi que pour être allé le chercher et n’encourait que des peines de nature pécuniaire (téléchargement dit passif), et notamment une sanction de 38 euros par téléchargement illégal, alors que l’internaute qui contribuait à diffuser et à rediffuser l’œuvre volontairement pour la mettre à disposition du public (téléchargement actif) ou l’éditeur qui proposait des logiciels permettant de tels téléchargements devaient être sanctionnés plus sévèrement, jusqu’à 300 000 euros d’amendes et 3 ans de prison.
Le Conseil Constitutionnel a remis en cause ce système pour insécurité juridique : il considère qu’il n’est pas possible en effet de prévoir des sanctions spécifiques pour des faits relevant de la même qualification juridique.
En définitive, la sanction contre de telles infractions reste donc la même qu’avant la loi DADVSI, à savoir 300 000 euros d’amendes et trois ans de prison. Sur ce point, la loi DADVSI n’a apporté aucune réforme au droit antérieur français malgré les efforts de ses rédacteurs éconduits par le Conseil Constitutionnel.

La consécration des verrous numériques ou mesures techniques de protection

La loi DADVSI reconnaît aux producteurs de contenus culturels la validité des protections physiques (DRM : Digital Rigthts Management ou MTP : Mesures techniques de Protection) comme le lui préconisait la Directive de 2001, au grand désespoir des internautes et des partisans du logiciel libre. C’est la possibilité de limiter le nombre de copies licites, voir d’empêcher la copie privée. Les utilisateurs n’ont donc pas été entendus. Les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur d’une œuvre, sont reconnues dorénavant par le CPI13.
Le nouvel article L. 335-3-114 prévoit deux infractions liées aux mesures techniques : une peine de 3750 euros d’amende lorsqu’il est porté atteinte sciemment, directement et par une intervention personnelle à une mesure technique et une peine de 6 mois d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende pour le fait de proposer des moyens permettant de porter atteinte aux mesures techniques, et notamment en mettant à disposition du public des « applications technologiques » destinées à contourner des mesures techniques, ou en incitant à l’usage de ces moyens.

L’interopérabilité des systèmes, contrepartie des verrous numériques

En contrepartie de ce droit à verrou numérique pour lequel se sont battues toutes les grandes maisons de production (notamment Vivendi Universal), la loi DADVSI, à la grande déception de firmes comme APPLE, a adopté le principe d’interopérabilité des systèmes15  : en l’absence de définition arrêtée par la loi, l’interopérabilité peut-être présentée comme un principe permettant de garantir l’utilisation d’une œuvre dans des conditions similaires et optimales pour l’utilisateur, sur les différents types de matériels ou de systèmes logiciels disponibles sur le marché. Par exemple, le droit de pouvoir lire pour l’internaute la musiquetéléchargée légalement sur le baladeur de son choix. Cependant, dans un domaine aussi complexe et technique, la mise en application de ce principe a été laissée à l’appréciation, au cas par cas, de la future Autorité de Régulation des Mesures Techniques (ARMT). Simplement, aujourd’hui, nous attendons toujours le décret d’application concernant l’ARMT, et cette partie de la loi très critiquée par certaines grandes firmes, n’est donc pas encore en application.
APPLE avait même menacé de quitter la France si on l’obligeait à ouvrir son système. On peut comprendre qu’une telle firme ne soit pas favorableàl’interopérabilitédessystèmes car c’est justement son système fermé qui en a fait tout son succès. APPLE est devenu le numéro un en France de la musique légale et payante grâce à la complémentarité sous DRM entre son baladeur numérique iPod et son kiosque iTunes Stores. Plus simplement, on ne peut pas écouter de la musique sur un iPod sans le logiciel iTunes d’Apple.
Voilà brossées rapidement et simplement, les nouvelles règles de la loi DADVSI. Mais pour qu’une loi soit applicable, elle doit être associée à des décrets d’application. Seul pour l’instant le décret d’application concernant les verrous numériques a vu le jour.

Décret d’application de la loi DADVSI16

Un premier décret vient, en effet, d’être publié au journal officiel le 30 décembre 2006 dernier. Il concerne le contournement des mesures techniques de protection, et introduit une nouvelle contravention de 4e classe. Le fait de « détenir en vue d’un usage personnel ou d’utiliser un dispositif (...) spécialement adapté pour porter atteinte à une MTP » est désormais considéré comme une contravention de quatrième classe, et donc passible d’une amende de 750 euros. Cette infraction vise à réprimer l’usage de certains logiciels mis à disposition des internautes et permettant de s’affranchir des limitations posées par les titulaires des droits sur les œuvres sous forme numérique. Le décret précise toutefois que cela ne s’applique pas « aux actes qui ne portent pas préjudice aux titulaires de droits, et qui sont réalisés à des fins de sécurité informatique, ou de recherche scientifique en cryptographie ».

Circulaire du 3 janvier 200717

Enfin, très récemment le 3 janvier 2007, une circulaire promise par le Ministre de la Culture à destination des juges vient préciser les sanctions applicables en cas de mise à disposition ou de téléchargement de fichiers sur réseau peer-to-peer. Il faut rappeler que le projet de loi a été censuré à ce propos (système de la riposte graduée) par le Conseil Constitutionnel. Si bien que le système répressif applicable à l’internaute qui télécharge illégalement est trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amendes (CPI)
Afin que les peines ne soient pas disproportionnées à l’encontre des internautes, le Ministre de la Culture distingue trois niveaux de responsabilité. Au demeurant, on n’imagine pas un simple télé chargeur de fichiers être condamné à trois ans de prison et l’affaire Anne-Sophie L. est un bon exemple.
Le premier niveau de responsabilité concerne les éditeurs et les distributeurs de logiciels peer-to-peer : ils doivent faire l’objet de poursuites sévères pour tarir à la source les réseaux illégaux. Les juges pourront même confisquer les recettes générées par l’éditeur de logiciels ou même interdire l’activité d’édition et de distribution de ces entreprises.
Le deuxième niveau de responsabilité vise des internautes qui mettent à disposition des œuvres protégées avant même leur sortie officielle ou des œuvres de diffusion récente (téléchargement actif/ « upload ») : ils doivent aussi être poursuivis sévèrement.
Le troisième niveau de responsabilité vise le téléchargement illicite qui profite et alimente un système prohibé d’échanges sans être à l’origine de celui-ci (téléchargement passif / »download »). Les peines devront être de nature exclusivement pécuniaires ou proportionnées aux volumes d’œuvres téléchargées.

Conclusion

La loi DADVSI a donc vu le jour comme on a pu le constater dans des conditions difficiles. Très âprement combattue à coup d’amendements, qu’en résulte-t-il aujourd’hui ?
Concernant le téléchargement illégal, on aura compris que la loi n’a rien apporté de nouveau dans la mesure où le système proposé de riposte graduée a été retoqué par le Conseil Constitutionnel. Seule la circulaire citée ci-dessus apporte officiellement quelque chose de nouveau.
Par contre, concernant les mesures de protection, il faut retenir que la loi DADVSI les a consacrées au plus grand bonheur des producteurs et des offreurs de contenu. D’ailleurs, le seul décret existant aujourd’hui vise justement le contournement de ces mesures de protection et sanctionne lourdement celui qui s’aviserait à de telles infractions.
Enfin, concernant la mise en place du principe d’interopérabilité et de la fameuse autorité indépendante de régulation, il n’existe encore aucun décret publié. La reconnaissance de l’interopérabilité des systèmes n’est pas encore applicable en France et ce, au détriment de l’internaute une fois de plus. La firme Apple et son iPod, ainsi que d’autres grands noms de l’industrie comme Sony ou Microsoft peuvent donc dormir encore quelque temps sur leurs deux oreilles.
Les consommateurs sont donc aujourd’hui, quoiqu’on en dise, les grands perdants de la loi DADVSI.
Toutefois, les plateformes de téléchargement se sont rendues compte récemment qu’à force d’ajouter des verrous de plus en plus nombreux à leurs œuvres, l’industrie cinématographique et musicale commençait à scier la branche sur laquelle elle s’était assise. En effet, de plus en plus, les grands de la distribution de contenu (FNAC MUSIC / VIRGIN MEDIA) commencent à supprimer les DRM pourtant consacrés en droit par la loi DADVSI. Des artistes comme Anaïs, Miossec et des dizaines d’autres préfèrent supprimer les mesures techniques de protection de leurs œuvres. L’objectif est de dynamiser les ventes sur un marché stagnant. A priori sur le plan économique, les faits montrent que les MTP sont un handicap au développement du marché. Elles seraient parait-il le frein principal au développement de la musique légale en ligne. N’est-on donc pas en train d’assister dans les faits à une remise en cause de ces mesures techniques de protection consacrée par la loi DADVSI ?
Alors, si l’industrie du disque et du cinéma abandonnait les MTP, et dans la mesure où le principe d’interopérabilité des systèmes reconnue par la loi n’est pas encore en application, dans la mesure où le système de riposte graduée a été refusé par le Conseil Constitutionnel, on peut se demander légitimement si la loi DADVSI si fortement combattue, si longue et difficile à mettre en place, ne sera pas en définitive réduite à une peau de chagrin. Seul l’avenir nous le dira et il convient d’attendre les prochains décrets d’application.

1 LOI n°  2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information

2 Le droit moral est un lien juridiquement protégé unissant le créateur à son œuvre et lui conférant des prérogatives souveraines. L’article L 111-1 du CPI stipule qu’une partie du droit du créateur comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral. Ce droit est non seulement extra patrimonial mais inaliénable et imprescriptible. Il intègre le droit de divulgation, le droit à la paternité, le droit au respect de l’œuvre et le droit de repentir.

3 Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information

4 Art. L. 122-1 du CPI : Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction.

5 Art. L. 122-4 du CPI : Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

6Article L335-2 du CPI : Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit. La contrefaçon en France d’ouvrages publiés en France ou à l’étranger est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. Article L335-3 du CPI : Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.

7 Art. L. 122-5 du CPI : Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire  :
1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ;
2° Les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective...

8 TGI Vannes, 29 avr. 2004, Ministère public, syndicats professionnels, sociétés de l’édition vidéo, sociétés de production et autres c/ Claude L.C. et autres, Ne relève pas de l’exception de copie privée le fait pour un internaute, de procéder à l’échange d’œuvres cinématographiques et musicales, à la seule fin de se constituer « une collection personnelle ».

9 Cour de cassation, Chambre criminelle, 30 mai 2006
Ministère Public, Fédération nationale des distributeurs de films, Syndicat de l’édition vidéo, Warner Bros Inc. et a. c/ Aurélien D.

10 Cour de cassation 28 février 2006 - Civ. (1re) - «  Mulholland Drive »

11 TGI de Rennes jugement correctionnel SCPP, SPPF/ Anne-Sohie L.

12 LOI n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information

13 « Art. L. 331-5. - Les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur d’une œuvre, autre qu’un logiciel, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme sont protégées dans les conditions prévues au présent titre. « On entend par mesure technique au sens du premier alinéa toute technologie, dispositif, composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue par cet alinéa. Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu’une utilisation visée au même alinéa est contrôlée par les titulaires de droits grâce à l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet de la protection ou d’un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection.

14 Article L335-3-1 I. - Est puni de 3 750 euros d’amende le fait de porter atteinte sciemment, à des fins autres que la recherche, à une mesure technique efficace telle que définie à l’article L. 331-5, afin d’altérer la protection d’une œuvre par un décodage, un décryptage ou toute autre intervention personnelle destinée à contourner, neutraliser ou supprimer un mécanisme de protection ou de contrôle, lorsque cette atteinte est réalisée par d’autres moyens que l’utilisation d’une application technologique, d’un dispositif ou d’un composant existant mentionné au II.
II. - Est puni de six mois d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait de procurer ou proposer sciemment à autrui, directement ou indirectement, des moyens conçus ou spécialement adaptés pour porter atteinte à une mesure technique efficace telle que définie à l’article L. 331-5, par l’un des procédés suivants :
1º En fabriquant ou en important une application technologique, un dispositif ou un composant, à des fins autres que la recherche ;
2º En détenant en vue de la vente, du prêt ou de la location, en offrant à ces mêmes fins ou en mettant à disposition du public sous quelque forme que ce soit une application technologique, un dispositif ou un composant ;
3º En fournissant un service à cette fin ;
4º En incitant à l’usage ou en commandant, concevant, organisant, reproduisant, distribuant ou diffusant une publicité en faveur de l’un des procédés visés aux 1º à 3º.

15 Art L. 331-5 - « Les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en œuvre effective de l’interopérabilité, dans le respect du droit d’auteur. Les fournisseurs de mesures techniques donnent l’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité dans les conditions définies aux articles L. 331-6 et L. 331-7. »

16 Décret n°  2006-1763 du 23 décembre 2006 relatif à la répression pénale de certaines atteintes portées au droit d’auteur et aux droits voisins

17 Circulaire du 3 janvier 2007 de présentation et de commentaire des dispositions pénales portant sur la loi n°2006-961 relative au droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information et d’action publique dans le domaine de la lutte contre les atteintes à la propriété intellectuelle au moyen des nouvelles technologies informatiques

 

Sources  :

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