Ecotaxes et Permis d’émission négociable

, par Milan Vujisic

L’environnement est un bien public dont tout le monde a la jouissance sans nécessairement en payer le prix. Cette « gratuité » a abouti à un gaspillage des ressources naturelles et à des changements climatiques qui remettent en question nos possibilités de développement durable. Les dégradations de l’environnement causées par la croissance d’hier et d’aujourd’hui (épuisement des matières premières, accumulation des déchets, nuisances insupportables, menaces sur la vie) risquent de compromette la croissance et le développement de demain. Au delà de la prise de conscience et des paroles, il est urgent que les autorités publiques se saisissent, sans a priori, de tous les instruments dont elles disposent pour agir le plus rapidement et le plus efficacement possible afin de préserver notre milieu naturel, « indispensable au maintien de la vie en général et des activités économiques en particulier ». L’analyse économique peut accompagner les pouvoirs politiques dans leurs choix en leur proposant de nouveaux instruments comme le marché des permis d’émission négociables et « en caractérisant les éléments du contexte qui sont nécessaires au succès de leur utilisation ».

L’un des concepts théoriques qui permet de caractériser les problèmes liés à la pollution et à la sauvegarde de l’environnement est celui de l’externalité. Dans ce cas, une intervention appropriée des pouvoirs publics est absolument nécessaire pour corriger les défauts de comportements des agents économiques qui s’expriment dans le cadre du fonctionnement libre et décentralisé de l’économie de marché. Les instruments de l’intervention publique en matière d’environnement sont habituellement classées en deux grandes catégories : d’une part les instruments réglementaires (qui fixent des normes qui portent sur les procédés techniques ou sur les volumes d’émissions polluantes) et d’autres part les instruments dits économiques (principalement les écotaxes et les marchés de permis d’émissions mais aussi les crédits d’impôts et les subventions).

I) Le problème de la pollution et sa résolution.

A) L’échec de la main invisible : la nécessaire intervention de pouvoirs publics.

L’externalité  : une défaillance du marché

L’externalité est la conséquence de l’action d’un agent économique sur d’autres agents sans que celle-ci soit prise en compte par le marché, sous la forme d’une compensation ou d’une rémunération grâce au système de prix. Aucun mécanisme de marché ne fonctionne spontanément pour corriger, dans un sens ou dans l’autre, ce type de comportement.

L’externalité peut être positive quand elle procure une amélioration de bien être pour un autre agent. L’invention d’une nouvelle technologie permet à d’autres entreprises de réaliser des gains de productivité et de développer d’autres innovations...

L’externalité peut être négative quand elle se traduit par la diminution de bien être de d’autres agents. La construction d’une prison fait chuter la valeur immobilière des propriétés alentour. La pollution est donc l’exemple type d’une externalité négative.

Pour arriver à une situation optimale (pareto-optimale), celle où la richesse totale (ou collective) est maximale, le coût externe lié à la pollution doit être pris en compte par le marché, en l’occurrence par le pollueur. On dit qu’il faut internaliser les externalités. L’internalisation consiste à faire peser sur les agents économiques la totalité des coûts de leurs actions. Un des moyens d’y parvenir est de taxer les pollueurs (solution pigouvienne du nom de l’économiste Pigou (1932) qui a défini pour la première fois le concept d’externalité comme un défaut de marché).

L’intervention des pouvoirs publics : le rôle des écotaxes

Supposons que le niveau de dépollution à atteindre, par la baisse de la production génératrice d’externalités, soit une donnée exogène et résulte par conséquent d’une décision politique (l’évaluation monétaire des bénéfices de la dépollution étant un calcul extrêmement difficile même si le rapport Stern estime le coût socio-économique du réchauffement climatique à 5 500 milliards d’euros). L’analyse économique se concentre alors sur le choix du moyen qui permet d’atteindre l’objectif de dépollution au moindre coût. De nombreuses études ont montré que le recours aux écotaxes présentait des avantages évidents.

L’objectif de la fiscalité écologique n’est pas de collecter des ressources de la manière la plus neutre possible mais au contraire de corriger les imperfections de marché, et en particulier de faire en sorte que les agents prennent en compte les externalités dans leurs calculs économiques pour corriger leur comportement. La fiscalité se substitue donc aux normes pour faire baisser la pollution.
Il s’agit d’amener le coût privé de la production au niveau du coût social, qui inclut les dommages causés aux autres agents (principe du pollueur-payeur).


P1 = P’1 + Taxe écologique

La taxe élève la courbe de coût marginal, conduisant à une baisse de production de Y0 à Y1.

Toute la difficulté des taxes pigouviennes est rappelons-le de bien apprécier le coût social des dommages et donc d’évaluer le niveau de dépollution dont on escompte tirer un bénéfice pour la société mais aussi de connaître la réactivité des comportements aux coûts. Une erreur sur la pente de coût marginal (une courbe plus pentue que prévue) limite la baisse de la production et donc la réduction des émissions polluantes. Une autre solution consiste à fixer par la réglementation et la norme le niveau des émissions. Mais le coût de leur réduction risque d’être élevé.

Quoi qu’il en soit, la taxe est, dans la plupart des cas, jugée plus efficace (plus efficace car moins coûteuse que la norme d’émission).

En effet, contrairement à la norme d’émission, la taxe (par unité de pollution) laisse un choix à l’entreprise réglementée. Elle peut décider de maintenir le niveau de ses émissions. Elle évite alors des dépenses d’améliorations de ses performances environnementales mais paie une taxe totale élevée. Les sommes ainsi collectées pourront financer des dépenses de préservation de l’environnement. L’entreprise peut aussi choisir réduire les émissions polluantes. Ce qui entraîne des dépenses d’amélioration de ses performances environnementales, mais diminue sa dépense fiscale. Le principe général de la taxe est d’inciter le pollueur à dépolluer jusqu’à ce que le coût de dépollution soit égal au montant de la taxe. Ainsi les entreprises disposant d’une technologie de production plus moderne et donc moins coûteuse, dépollue plus et à moindre coût que les autres entreprises. Globalement le résultat de la politique de dépollution par la taxe est moins coûteux que la mise en place d’une norme quantitative uniforme. C’est d’autant plus vrai en situation d’information imparfaite. Pour atteindre son objectif de dépollution, le réglementeur peut procéder en plusieurs étapes en modifiant à chaque fois le niveau de la taxe. S’il observe un niveau trop élevé d’émission il augmente le niveau de la taxe et inversement...Il peut ainsi par tâtonnement se rapprocher de l’objectif recherché.

Enfin les écotaxes permettent d’aller au-delà des normes préexistantes. Ainsi la taxe suédoise sur le souffre s’est traduite dès 1991 par des niveaux d’émission très inférieurs à la limite légale, jusqu’à 50 % pour les fuels.

B) L’option envisageable des solutions privées

Le théorème de Coase : la « négociation bilatérale  ».

Ce théorème a été énoncé pour la première fois par Stigler. Il suggère que si les droits de propriété sont définis (un agent privé, que ce soit le pollueur ou le pollué, est alors propriétaire de la rivière, du lac ou de la forêt) et si les coûts de transaction sont nuls (l’identification des partenaires de l’accord, la rédaction du contrat, le suivi de sa bonne exécution, la mise en place d’un système de sanction en cas de défection ne doivent rien coûter) les agents, par la négociation, corrigent d’eux-mêmes les externalités pour arriver à une situation optimale.

Pourtant, Coase lui-même, intéressé qu’il est par les institutions, réfute l’hypothèse des coûts de transaction nuls (ne serait-ce que pour justifier l’existence de la firme) et rejette le théorème auquel son nom a été accolé : « Il est nécessaire d’introduire explicitement des coûts de transaction positifs dans l’analyse économique pour étudier le monde tel qu’il existe ».

Finalement, nous précise F. Lévêque, la référence à un monde sans coût de transaction supprime l’existence des externalités et retire du même coup la raison d’être de la recherche de solutions d’internalisation ; En l’absence de coûts de transaction les agents opèrent continuellement des échanges. Dès qu’il y a un gain mutuel à se partager, ils entrent immédiatement en contact et concluent immédiatement un accord. Les externalités ne peuvent alors ni émerger, ni encore moins persister (l’externalité est entendue ici au sens d’externalité Pareto-pertinente, c’est-à-dire dont la correction améliore le bien-être collectif).

Autres solutions privées.

- « Les deux entreprises au fil de l’eau » (la polluante et la polluée) peuvent fusionner. Dans ses choix techniques de production, la nouvelle entreprise ainsi constituée va chercher à maximiser le profit joint de ces deux unités et à concilier la position du pollueur et du pollué réunis en une seule entité...ce qui va conduire l’entreprise consolidée à opter pour un niveau de rejets égal à l’optimum de pollution.

- On peut aussi imaginer un marché de transaction de titres de propriété sur les ressources de l’environnement qui serait organisé selon le modèle boursier. Cette solution du marché de permis d’émission négociables a été élaborée par Dales (1968)

Les solutions de réduction de la pollution que nous avons envisagées sont les suivantes :

  • la réglementation administrative (norme ou taxe)
  • la négociation bilatérale
  • l’entreprise
  • le marché

Le critère de choix de la solution à retenir est celui de la minimisation des coûts de transaction. Si le coût de la réglementation est inférieur au coût de la négociation bilatérale, au coût administratif de l’entreprise et au coût du marché, le choix le plus favorable à l’intérêt de la collectivité sera celui de la réglementation.

Ce critère de choix est assorti d’une autre condition : les bénéfices qui résultent de la mise en œuvre de la solution doivent être supérieurs aux coûts de transaction. Sinon, la meilleure option pour la collectivité est encore de ne rien faire (une issue qu’il ne faut jamais écarter d’emblée).
Quoi qu’il en soit, le choix en faveur de l’intervention publique ou en faveur de n’importe quelle autre solution est une question empirique. Il est nécessaire d’étudier les solutions au cas par cas.

II) Les politiques environnementales aujourd’hui.

Les politiques environnementales mettent aujourd’hui davantage l’accent sur les instruments économiques que sur les instruments réglementaires comme les normes. Les instruments économiques regroupent des mesures telles que les taxes sur les rejets de polluant et l’organisation de marchés de permis d’émissions négociables. Ces instruments laissent les agents libres de décider des actions de dépollution, contrairement aux normes environnementales sur les émissions, sur les techniques ou sur les caractéristiques des produits qui prescrivent aux agents les comportements qu’ils doivent suivre. En effet l’utilisation des normes présente, selon Boemare et Hourcade, des effets « pervers » :

  • les normes entraînent des surcoûts dus à la difficulté de tenir compte de la diversité des solutions pour exiger des efforts de dépollution différenciés.
  • Dans certains cas, les normes ne garantissent pas la baisse des émissions totales. Ainsi un « moteur plus propre » est souvent plus économe, il permet de rouler davantage pour un même budget et affecte donc la compétitivité du rail (plus respectueux de l’environnement) par rapport à la route ; la solution passe par une augmentation du prix du carburant au prorata des gains d’efficacité...
  • Les normes se négocient entre administrations et industries («  marchandage de la réglementation avec l’industrie »). Les secondes faisant valoir les risques de fortes contraintes sur la compétitivité et l’emploi. On ne sait donc jamais si la norme est trop lâche ou si elle s’avère trop contraignante...
  • Il existe un risque de manipulation stratégique des normes. Les acteurs influents peuvent être tentés d’édicter des normes qui correspondent à leurs intérêts au détriment de certains concurrents (petites entreprises, firmes étrangères...)

Globalement les instruments économiques, en donnant à chaque acteur une marge de liberté pour choisir de s’ajuster ou de payer, permettent de réaliser une répartition moins coûteuse des efforts de dépollution entre pollueurs et se révèlent finalement plus efficace en matière de lutte contre la pollution.

A) La fiscalité écologique : les écotaxes

Il s’agit ici de faire payer les pollueurs et/ou de les amener à internaliser les externalités négatives de leurs activités. A cet égard il peut être intéressant de distinguer les «  taxes énergétiques », qui visent à faire payer les pollueurs sans véritablement influencer à court terme la quantité de pollution en raison de la faible élasticité de leurs comportements, des « taxes environnementales », destinées dans une logique purement pigouvienne à modifier les comportements et non à percevoir des recettes. Quoiqu’il en soit les recettes collectées, dans le premier cas de figure pourront aussi être mises au service de la sauvegarde de l’environnement au travers de subventions qui aideront à la mise en place d’une technologie plus « propre » ou qui iront directement en direction des entreprises qui décideront de diminuer leur activité polluante (Comme c’est le cas pour les centrales électriques suédoises qui sont taxées proportionnellement à leurs émissions de dioxyde d’azote, mais qui reçoivent un transfert proportionnel à leur production d’électricité. Cette ponction suivie d’une redistribution permet d’orienter véritablement les comportements)

Au Danemark, une taxe sur l’énergie a été mise en place après les chocs pétroliers et s’applique aujourd’hui à toutes les formes d’énergie. En 1991 a été instaurée, pour contribuer à la lutte contre l’effet de serre, une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone, fixée au départ à 13 euros la tonne de CO2, mais avec des exemptions partielles pour les entreprises intensives en énergie. En 1995, la taxe de CO2 est passée à 80 euros la tonne, mais les entreprises ont bénéficié en échange de réductions de charges sociales.

Un autre exemple cité par Bureau et Mougeot (2004) est celui de la taxe irlandaise sur les sacs de caisses en plastique. En 2002, une taxe de 15 centimes d’euro a été instaurée sur chaque sac distribué. En un an, la consommation de sacs a été réduite de 90%. On le voit, les taxes pigouviennes (si elles sont élevées) peuvent être puissantes pour modifier les comportements.

En Norvège, les taxes sur le CO2 entrées en vigueur en 1991 ont permis de réduire les émissions des installations fixes de combustion de 21 % par an.

S’agissant du double dividende (le bien être augmente à la fois du fait de la taxe elle-même et du fait qu’elle permet de réduire des taxes « distorsives »), des travaux ont montré qu’une taxe sur les émissions de CO2, assortie de réductions de cotisations sur le travail, produirait un gain net modéré en termes d’emploi. Un certain nombre de pays (Allemagne, Pays-Bas, Danemark) ont ainsi utilisé les taxes environnementales pour réduire les charges sociales. Au Danemark, les écotaxes ont rapporté 320 millions d’euros à l’Etat en 2000, et ces recettes ont été affectées pour 233 millions d’euros aux réductions de charges.

En France, le projet de généralisation aux consommations intermédiaires d’énergie de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), avancé en 1999, visait à inciter les entreprises à réduire leurs émissions polluantes. Il a rapidement buté sur le fait que tout prélèvement représentait une charge importante sur certaines industries très intensives en énergie (sidérurgie, métallurgie non ferreuse, cimenterie...) alors même que les possibilités de réduction des consommations d’énergie y étaient souvent très limitées. L’objectif de réduction des consommations d’énergie entrait en conflit avec, d’une part, l’objectif d’allocation (risque de délocalisation des industries concernées) et d’autre part, avec l’objectif d’équité (certaines industries se trouvant pénalisées par rapport à d’autres moins consommatrices d’énergie). Ce projet s’est heurté à l’opposition des entreprises puis à une décision d’invalidation du Conseil constitutionnel en raison de l’inégalité des contribuables devant l’impôt que cette loi aurait entraînée en raison d’un mode de calcul très complexe.

L’instauration de permis d’émissions négociables permettra de séparer complètement l’effet incitatif du dispositif (fonction du prix de marché de la tonne de CO2 économisée) de son effet distributif (fonction de l’allocation initiale des permis)

B) Le marché des permis d’émissions négociables.

Les permis d’émission négociables ont vu le jour aux Etats-Unis à la suite de l’échec de la politique fédérale de normes d’émissions fixées et contrôlées par l’Agence de protection de l’environnement. Dans de nombreuses régions les normes d’émissions prescrites n’ont pas été atteintes ; L’installation de nouvelles usines a alors été interdite. Une dérogation a été prévue pour les nouveaux industriels qui disposent de licences cédées par les pollueurs historiques, ces derniers réduisant leurs émissions d’autant. Cette première décision de commercialiser des permis de pollution vise à concilier protection de l’environnement et croissance économique.

Par la suite cet instrument a été adopté par de nombreux pays. Le protocole de Kyoto en fait un de ses instruments privilégiés. Nous reviendrons par la suite, plus longuement sur cet instrument.

(«  Remarquons que le marché des permis négociables évoqués ci-dessus ne partage pas une caractéristique essentielle du modèle théorique. Les transactions ne se réalisent qu’entre pollueurs. Les pollués ne peuvent pas acheter de permis pour les retirer de la circulation et diminuer ainsi le niveau de pollution en deçà des limites fixées par les autorités publiques. L’objectif collectif de dépollution est fixé par les autorités publiques : celles-ci distribuent ensuite les droits d’émission aux entreprises... »).

C) La solution « négociée ».

Les solutions privées qui mettent en relation directement les pollueurs avec les pollués existent mais elles ne sont pas répandues. On peut citer l’exemple, emprunté à F. Lévêque, de la négociation entre Volvo et British Petroleum [Henry 1994] : BP décide d’adopter un pétrole moins léger et contenant plus de soufre pour diminuer ses coûts d’achat de matières premières. Mais cela entraîne des émissions plus corrosives qui endommagent les carrosseries des véhicules du constructeur parqués à proximité. Une négociation s’engage entre les deux parties. Il est décidé que BP prendra à sa charge la réparation du préjudice subi par Volvo. La solution technique retenue est la couverture des aires de stockage des voitures. Cette solution se révèle moins coûteuse que l’installation de filtres de désulfuration à la sortie des cheminées de la raffinerie...

On le voit immédiatement, cette solution satisfaisante sur le plan local et sur le plan économique ne l’est pas du tout sur un plan écologique. La solution adoptée est totalement incomplète : une partie seulement des externalités a été internalisée. Les émissions corrosives de soufre n’ont pas été interrompues et elles continueront sans doute de générer des externalités négatives, notamment pour les générations futures...

Pour qu’elle soit totalement efficace, la solution négociée doit être complète, concerner toutes les parties présentes et futures victimes du préjudice. Elle est par conséquent très coûteuse dès lors que le nombre de parties concernées est élevé ; ce qui est généralement le cas pour les problèmes de pollution. La présence de plusieurs pollués et pollueurs renchérit : les coûts de recherche de l’information (sur la responsabilité de chaque pollueur, la hauteur des préjudices subis par chaque pollué...) préalable à la rédaction du contrat ; les coûts d’organisation de la négociation ; les coûts de contrôle des engagements contractuels...

Du fait des coûts élevés de négociation, la solution privée la plus fréquente ne comporte pas de négociation avec les pollués. Elle prend la forme d’engagements de réduction des émissions pris unilatéralement par les pollueurs.

«  Il ne faut pas écarter pour l’amélioration de l’environnement la portée et l’importance des engagements volontaires unilatéraux des pollueurs ». Certes la démarche est très intéressée (saisir une opportunité pour le renouvellement des techniques de production, engager des actions de dépollution rentables car elles permettent d’économiser des intrants ou de mieux satisfaire la clientèle...) mais leurs effets ne sont pas négligeables (cf. Les engagements pour l’environnement de l’industrie chimique canadienne [F. Lévêque 2004]).

Pour autant, il y a plusieurs conditions pour parvenir à un résultat efficace et ambitieux et pour que ces actions annoncées ne soient pas que de la poudre aux yeux destinée à leurrer les consommateurs et les pouvoirs publics.

Il est nécessaire que les tiers (pouvoirs publics, associations, ONG...) exercent des menaces crédibles, par exemple de durcissement de la réglementation, de boycott des produits ou de manifestations autour de sites perturbant le fonctionnement de l’entreprise. Les actions de « naming and shaming », qui visent à « épingler » les pollueurs qui ne respectent pas leurs engagements sont aussi un moyen efficace pour empêcher les entreprises de développer des comportements uniquement opportunistes.

Ainsi l’objectif ne sera atteint que si des contrôleurs indépendants et un mécanisme de sanctions incitent les pollueurs à ne pas manquer à leurs engagements (Dans la pratique anglo-saxone du droit, un énoncé de bonne conduite environnementale, sans valeur juridique formelle, peut avoir des conséquences juridiques indirectes en cas de litige lié à l’environnement. Le juge le prendra en compte pour l’issue du procès)  ;

Toujours est-il que la politique de l’environnement connaît aujourd’hui dans les pays industrialisés une direction qui consiste à recourir plus fréquemment aux instruments économiques et à favoriser le développement des engagements volontaires des pollueurs plutôt qu’à abuser des normes réglementaires.

III) Le marché des permis d’émissions négociables.

La création des marchés de permis constitue une des réponses à l’existence d’externalités dans le domaine de l’environnement. Utilisé initialement aux Etats-Unis, cet instrument connaît une nouvelle impulsion avec le protocole de Kyoto. Il est prévu à partir de 2008 la création d’un marché international de permis négociables où les pays industrialisés pourront vendre des droits d’émission. Pour sa part l’Europe propose depuis 2005 l’instauration d’un système d’échange de quotas de gaz à effet de serre pour les industries intensives en énergie et les producteurs d’électricité dans l’espace économique européen. Ce marché prévu initialement pour le dioxyde de carbone (CO2) devrait être élargi aux autres GES et à d’autres activités que celles initialement prévues.

A) Fonctionnement des marchés de permis d’émission

Au cours de chaque période, chaque participant se voit allouer une quantité de quotas d’émission qu’il peut échanger, chaque quota correspond à une unité de polluant (ex : une tonne de CO2 ou une tonne de SO2, dioxyde de soufre). A la fin de la période, tout participant devra détenir suffisamment de quotas pour couvrir son niveau d’émission réel. La quantité totale de quotas allouée correspond donc à la contrainte environnementale globale imposée par les pouvoirs publics. Le système d’échange permet par le simple jeu du marchandage, d’établir un prix pour le quota (ex : 25 € la tonne de CO2). Les entreprises, compte tenu de leur technologie, dont le coût marginal de réduction des émissions est supérieur au prix de marché du quota chercheront à acheter la quantité de quotas pour couvrir leurs émissions aux entreprises qui auront un coût de réduction des émissions inférieur au prix du quota. Ces dernières réduiront leurs émissions et bénéficieront de la vente de leurs droits jusqu’à ce que le coût marginal de réduction atteigne le prix du marché. Il est donc avantageux pour tous les acteurs en présence d’échanger sur ce marché. Ce mécanisme permet donc de réduire les surcoûts associés à la limitation des émissions, car on permet la mise en œuvre des réductions là où les coûts correspondants sont les plus faibles.

En termes environnementaux, l’autorité publique fixe à travers la quantité de quotas alloués la quantité maximale de polluants qu’elle désire que les participants au marché émettent. L’instauration de permis négociables permet, contrairement aux écotaxes, de maîtriser directement la quantité d’émission des activités concernées par le marché.

L’allocation initiale des droits accordés peut se faire gratuitement ou aux enchères. Une allocation aux enchères présente l’avantage de révéler une information sur le niveau des coûts de réduction, alors que l’allocation gratuite prend en compte les caractéristiques de la situation initiale, héritée d’une histoire dans laquelle le souci environnemental était partiellement ou totalement absent.
Mais comme toute institution qui se respecte, le marché de permis négociable suppose la mise en place d’un certain nombre de règles bien précises [Daniel Delalande 2003].

  • Il convient, tout d’abord, de définir la nature juridique des quotas d’émission. Est-ce que ce sont des titres financiers à part entière ou relèvent-ils de la catégorie des autorisations administratives (susceptibles de circuler) délivrées par l’Etat dans le cadre de sa mission de service public (préservation de la qualité de l’air et de la santé publique) ?
    Le quota peut également être de nature administrative (« permis d’émission » au sens d’autorisation) ou de nature civile (« droit d’émission »). Le gouvernement français a tranché en faveur d’une qualification de droit civil. Le quota est assimilé à un droit meuble, auquel est associé un droit de propriété. Ce qui peut être critiquable sur le plan juridique et politique par certains, l’Etat pouvant se trouver débiteur de cette créance. En effet, l’Etat, pour quelle que raison que ce soit, voulant récupérer ces droits devra les racheter alors qu’il les a alloués gratuitement.
  • Un système de surveillance et de contrôle d’émissions constitue également une condition du bon fonctionnement du marché. La mise en place du marché suppose donc un renforcement du contrôle des émissions, voire un contrôle continu au lieu de contrôles ponctuels. Aux Etats-Unis, en ce qui concerne le marché du SO2, l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA) comptabilise les émissions réelles et les échanges de quotas en volume. Elle vérifie que chaque centrale détient au moins autant de quotas que d’émissions réelles. La gestion des échanges financiers de quotas n’est pas de sa responsabilité, elle est laissée aux opérateurs boursiers.
  • Un autre élément, et non des moindres, est l’instauration d’un système de sanctions. Celui-ci a pour objet de dissuader les entreprises de dépasser les émissions autorisées. Aux Etats-Unis, dans le cadre du marché du SO2, la pénalité est non libératoire. Autrement dit, pour tout excès d’émission, l’entreprise perd à la période suivante l’équivalent de quotas. Mais surtout le montant de la pénalité est dix fois le haut de la fourchette du prix constaté sur le marché.
  • Enfin, l’Etat doit veiller à assurer la liquidité du marché. Aux Etats-Unis, sur le marché du SO2, une part des allocations des participants est retenue (2,8%) puis proposée aux enchères. Cette mise aux enchères garantit aux nouveaux entrants la possibilité d’acheter des quantités importantes de quotas.

    B) Le marché des permis d’émissions : le cas du protocole de Kyoto.

C’est avec le Protocole de Kyoto que les marchés de permis d’émission (maladroitement appelés « marché des droits à polluer  ») vont être concrètement envisagés en Europe et en France dans le cadre des politiques environnementales. La création d’un marché international de CO2 , qui devrait être opérationnel en 2008, constitue une des dispositions les plus spectaculaires du texte finalement adopté. Depuis, l’Union européenne a mis en chantier une directive organisant un marché de quotas d’émission de CO2 s’appliquant à plusieurs secteurs industriels et concernant plusieurs milliers d’installations industrielles sans toute l’Europe, directive qui est entrée en vigueur en 2005.

1) Le protocole de Kyoto.

En 1992, une convention-cadre sur les changements climatiques était adoptée par 166 pays, dans le cadre du sommet mondial de Rio. En 1997, ce texte était complété par le protocole de Kyoto. Celui-ci quantifiait l’engagement de principe pris en 1992 par les pays développés de réduire leurs émissions. Au stade actuel du processus, les pays du Sud ne sont soumis à aucune contrainte du fait de la responsabilité historique des pays développés dans l’augmentation de la teneur en carbone de l’atmosphère...

Dans le cadre du protocole de Kyoto, principalement les pays développés et les pays en transition s’engageaient à réduire, sur la période 2008-2012, leurs émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES, Six gaz sont concernés et les objectifs sont spécifiés en équivalents d’émission de CO2) de 5,2 % en moyenne par rapport au niveau atteint en 1990. Mais pour stabiliser la température de l’atmosphère, les scientifiques considèrent qu’il faudrait réduire les émissions de GES d’au moins 50 %.

Ce protocole n’est entré en vigueur qu’en février 2005. La France, du fait du poids du nucléaire dans la production d’électricité qui émet moins de GES, a obtenu un traitement de faveur. Elle doit seulement stabiliser ses émissions au niveau de 1990, alors que l’Europe dans son ensemble doit les diminuer de 8 %. Par ailleurs le Protocole autorise le recours aux « puits de carbone » (éléments naturels, comme les mers ou les forêts qui absorbent le CO2 contenu dans l’air et le stock) pour remplir une partie des obligations de réduction d’émissions. Cependant la portée de ce protocole restera limitée tant que les Etats-Unis refuseront de s’y associer (un vote négatif unanime du Sénat américain a empêché la ratification du protocole par les Etats-Unis censés réduire leurs émissions de 7  %). Les Etats-Unis ont été suivis dans leur refus par l’Australie. Le Canada envisage même d’abandonner le protocole de Kyoto (-6% d’émissions de GES d’ici à 2012 par rapport au niveau de 1990) en ménageant ses plus gros pollueurs, pour ne pas freiner la croissance économique. Au final, seuls 25 pays se sont effectivement engagés à réduire leurs émissions d’ici à 2012, tandis que 11 autres, dont la France, acceptaient de stabiliser ou de ne pas trop augmenter les leurs. Il est donc illusoire de penser que le protocole de Kyoto puisse à lui seul sauver la planète. Mais cet accord marque cependant la prise de conscience par la communauté internationale de l’urgence d’une action de grande ampleur...

A la conférence de Rio (juin 1992), en l’absence d’un accord sur l’usage de l’instrument fiscal, la négociation s’est concentrée sur les émissions quantitatives de chaque pays. Elle a donc remis en cause le régime antérieur où le droit à rejeter des GES, et donc à modifier le climat, était gratuit et illimité.

«  Le protocole de Kyoto prévoit donc le recours à un marché de droits d’émission de GES, où l’on déconnecte les allocations initiales (censées être équitables) et finales (modifiées par les échanges économiques) ». Cet accord organise donc en quelque sorte une distribution gratuite aux gouvernements de permis d’émissions qui seront négociables sur un marché de permis. Les articles du protocole évoquant les échanges de droit sont les suivants :

  • Articles 3.1 et 4. Les Pays peuvent définir une bulle, au sens où un groupe de pays s’engagent solidairement à respecter l’engagement quantitatif global, et se réservent donc le droit de répartir leurs engagements nationaux de façon différente. L’Union européenne a ainsi adopté une répartition intracommunautaire de l’effort...
  • Article 3.13. Possibilité de mise en réserve des quotas d’émission non utilisés sur la période 2008-2012.
  • Article 6. Des crédits d’émission peuvent être attachés à des projets de réduction d’émission de GES (ex, centrales solaires...) ou de plantations végétales contribuant à absorber le CO2 (« puits de carbone »), sous certaines conditions. Les pays de l’Annexe B (il s’agit des pays industrialisés et en transition) peuvent échanger ces crédits, mais peuvent aussi, sous leur responsabilité, autoriser des personnes morales à participer aux actions relatives à l’obtention et au transfert des réductions d’émission obtenues par ces projets. Ce mécanisme est baptisé mise en œuvre conjointe.
  • Article 12. Le mécanisme de développement propre autorise, sous certaines conditions, les parties de l’Annexe B à réaliser des réductions « additionnelles » d’émissions dans les pays hors Annexe B (en gros, les pays en développement), plutôt que sur leur territoire national. Ces crédits pourront être acquis sur la période 2000-2007 et utilisés sur la période 2008-2012.
  • Article 17. Le commerce des quotas d’émission entre parties de l’Annexe B est autorisé.

Les trois dernières dispositions sont souvent regroupées sous le label mécanisme de flexibilité.

L’originalité du protocole de Kyoto réside bien sûr dans la mise en place d’un système de permis d’émission de gaz à effet de serre négociables entre pays industrialisés et en transition mais aussi dans le « mécanisme de développement propre ». Ce dernier permettra aux pays riches, en finançant des projets de réduction d’émission dans les pays en développement, de réaliser une partie de leurs obligations de réduction d’émission. (La « mise en œuvre conjointe » repose sur le même principe mais entre pays développés). Il s’agit pour les entreprises industrielles d’obtenir ainsi des quotas additionnels. Le chimiste français Rhodia a ainsi fait valider, par l’agence des Nations unies chargée de superviser ce type de projet, des projets dans son usine d’Onsan en Corée du sud et au Brésil qui lui permettent de disposer de plus de 80 millions de tonnes de crédit carbone qu’il pourra valoriser à partir de 2007. Sans ce système, le respect des obligations de Kyoto coûterait à un pays comme la France 1% de son PIB chaque année, estime l’économiste Olivier Godard.

L’entrée en vigueur du protocole de Kyoto est une étape importante, mais elle ne permettra pas à elle seule d’empêcher l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Les rejets de CO2 dans l’atmosphère devraient augmenter de 39% en 2010 par rapport à 1990 en raison de la croissance des pays émergents (notamment la Chine), estime l’Agence Internationale de l’Energie dans son rapport 2004. Les rejets des pays en voie de développement dépasseront ceux des pays industrialisés vers 2020, selon l’AIE. Or les pays en développement ne sont pas liés par des objectifs de réduction d’émissions. Ainsi, la Chine et l’Inde refusent de limiter leur consommation de charbon, dont ils disposent en abondance, bien qu’il s’agisse d’une énergie fortement émettrice de CO2. Autre limite du protocole, rappelons-le : les Etats-Unis, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, refusent de le ratifier, de même que l’Australie. Les Etats-Unis représentent plus d’un tiers des émissions du monde industrialisé.

2) Le marché européen des droits d’émission de CO2.

Dans le cadre du protocole de Kyoto, l’Union européenne s’est en effet engagée à diminuer pour 2012 ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % par rapport au niveau atteint en 1990. Une directive européenne adoptée en 2003 confie à chaque Etat la tâche de fixer la quantité de CO2 que les principaux sites industriels étaient en droit d’émettre compte tenu de leur activité. Un premier plan national d’allocation de quotas de CO2, pour 2005-2007, dit PANAQ I est déjà mis en place. Cette phase est considérée comme un test et concerne environ 12 000 sites en Europe, dont près de 1 100 sites en France. Une proposition de PNAQ II, pour la période 2008-2012, vient d’être présentée à la Commission européenne (28-29 novembre 2006). Le plan du Royaume-Uni (qui fixe à 246,2 millions de tonnes ses émissions de CO2 par an) est le seul que Bruxelles a accepté quasiment en l’état. La France, elle, a dû revoir sa copie. Le plan initial prévoyait de distribuer à l’industrie des droits d’émission à hauteur de 150 millions de tonnes de C02 par an entre 2008-2012, alors qu’en 2005 ses émissions réelles n’atteignaient que 132 millions de tonnes ( La France arguant du fait qu’elle respecte déjà les engagements de Kyoto et que ses industries sont déjà peu émettrices de CO2) ...En 2005, les gouvernements européens avaient accordé plus de permis que nécessaire, entraînant un krach du marché de CO2. Mais l’annonce, par la Commission, du rejet de la proposition française a eu un effet positif sur le marché européen des droits d’émission de CO2, les cours étant en hausse de 45 centimes à 18,30 euros la tonne...Les producteurs d’électricité étant tenu de détenir les quotas correspondants à leurs émissions, le prix de la tonne de CO2 est devenu une des données fondamentales du marché de l’électricité quasiment de même importance que les prix des combustibles.

L’Union européenne compte donc fortement sur les Bourses d’échange de CO2 pour respecter ses objectifs de réduction des émissions de GES sans trop pénaliser les entreprises.

Tous les ans en avril, chaque site concerné doit démontrer aux autorités publiques de son pays que ses émissions de l’année passée n’excèdent pas le nombre de permis d’émission de GES qu’il détient, sous peine de devoir payer des amendes (40 euros par quota non restitué, équivalent une tonne de CO2 pour la période 2005-2007, 100 euros pour les périodes suivantes). Les industriels sont autorisés à acheter et à vendre les quotas qui leur sont attribués. Concrètement, les quotas peuvent se négocier de trois façons : en direct (d’entreprise à entreprise), par l’intermédiaire d’un courtier spécialisé, ou sur un marché organisé.

L’essentiel des échanges de quotas est donc réalisé de gré à gré, c’est-à-dire directement entre deux opérateurs industriels ou financiers, souvent d’ailleurs entre unités d’un même groupe. Mais on a assisté aussi à la mise en place de plusieurs marchés spécialisés. En un an, pas moins de six Bourses du carbone ont été créées en France, aux Pays-Bas, en Autriche, en Suède, en Allemagne et au Royaume-Uni.

A Paris, Powernext Carbon est un marché au comptant de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (quotas) qui a vu le jour fin juin 2005 au sein de Powernext, filiale d’Euronext. Il compte aujourd’hui près de 60 membres répartis dans plusieurs pays européens et détient plus de 60 % des marchés au comptant en Europe. C’est le marché le plus liquide du monde avec un pic de à 2,7 millions de tonnes échangés en mai 2006. Les droits d’émission sont des contrats soumis au droit commercial français relatif au négoce de marchandises («  biens meubles ») et ne relèvent pas du statut des marchés financiers. Sur ce marché, Powernext intervient comme opérateur du marché et met à disposition une plateforme de négociation continue...La Caisse des Dépôts, détenant les registres, intervient comme gestionnaire du mécanisme de livraison contre paiement et assume le rôle d’intermédiaire sécurisant les engagements financiers et les engagements de livraison pris par les membres lors des transactions. Comme tous les mouvements de quotas au sein du système européen de registres, les transferts de quotas issus des transactions réaliseés sur Powernext Carbon sont validés par le CITL (Community Independent Transaction Log).

Les industriels directement concernés ne sont pas les seuls à échanger des quotas. Les gouvernements qui redoutent de devoir couvrir des émissions supérieures aux engagements pris dans le cadre de Kyoto en acquièrent également. Ils le font généralement par l’intermédiaire de fonds d’investissement à capitaux publics ou mixtes. C’est le cas notamment de l’Etat néerlandais, très mal parti pour tenir ses engagements. Enfin, banques et autres entreprises d’investissement interviennent aussi sur ces marchés (la finance carbone), soit en tant qu’intermédiaire pour des tiers, soit pour acheter des quotas pour leur propre compte. N’étant pas eux-mêmes soumis aux contraintes du système de quotas, ils procèdent à de tels achats dans un but purement spéculatif, en pensant gagner de l’argent demain si les prix augmentent. Ce faisant, ces acteurs financiers contribuent à donner ce qu’on appelle de la liquidité au marché, c’est-à-dire à faire en sorte qu’il y ait toujours suffisamment de vendeurs et d’acheteurs pour qu’une entreprise qui chercherait à acheter (ou à vendre) des quotas trouve facilement un vendeur (ou un acheteur) en face d’elle. De plus, le fait que les financiers s’intéressent au carbone est un atout politique non négligeable dans la lutte contre le changement climatique, compte tenu de leur pouvoir de lobbying : contrairement aux industriels, ils ont intérêt en effet à ce que les quotas soient rares pour qu’ils deviennent cher.

L’allocation des quotas pour la période 2008-2012 constituera donc un test de la détermination européenne dans la lutte contre le changement climatique.

Ainsi Stavros Dimas, le commissaire européen chargé de l’environnement, a présenté un « projet de législation » visant à inclure le transport aérien dans le système européen d’échange de permis d’émissions de CO2. Cela signifie que chaque compagnie aérienne pourrait se voir fixer des quotas d’émission, ce qui n’était le cas que d’activités industrielles telles que l’énergie (56 %), la sidérurgie, le ciment ou le papier. Mais « Contrairement aux industriels, explique Pierre Caussade, directeur du développement durable d’Air France, nous ne disposons pas de source d’énergie alternative au kérosène. Nous ne pouvons compter que sur la mise en service d’avions moins gourmands en carburant, et sur une amélioration du contrôle du trafic, afin d’optimiser les routes aériennes et de réduire les encombrements aux aéroports.  ». On devine que le lobbying des transporteurs aériens a déjà commencé en évoquant le risque des distorsions de concurrence en faveur des compagnies non-européennes, essentiellement américaines. Toutefois, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a déjà fait savoir qu’elle ne s’opposerait pas à un marché d’échanges de quotas.

Couplée avec l’exigence d’une révision à la baisse des quotas attribués aux industriels par les plans nationaux d’allocations allemands et français, cette annonce indique que Bruxelles entend bien étendre le champ de la « contrainte carbone », en particulier au secteur des transports jusqu’ici épargné et dont les émissions devraient augmenter de 150 % d’ici à 2012, au rythme de la progression du trafic. Ce qui ôtera du même coup aux industriels l’un de leurs arguments préférés pour minimiser leurs propres obligations : les transports sont en effet responsables de 21 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne (UE), contre 20 % pour l’industrie, 28 % pour la production d’énergie, 17 % pour l’habitat et 10 % pour l’agriculture.

Une critique importante est adressée au système d’échange de quotas, elle concerne leurs effets sur les prix de l’électricité. Le prix du kWh sur le marché est largement déterminé par le coût de la dernière unité produite, les spécialistes parlent de tarification au coût marginal. Or, les unités qui permettent l’ajustement au jour le jour entre l’offre et la demande d’électricité sont généralement des centrales thermiques au fioul ou au gaz (voire au charbon), qui émettent du CO2 contrairement aux centrales nucléaires ou hydrauliques qui, un peu partout, fournissent le courant de base, celui qui est délivré en permanence. Les prix risquent donc de s’envoler car les électriciens vont être tentés de facturer l’électricité au prix fort sur toute la production, alors même qu’ils ne doivent se procurer des quotas de CO2 que pour la production marginale. On comprend mieux alors la position de la Commission européenne lorsqu’elle cherche à mettre en place « un plan pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 60 % à 80% d’ici 2050, diminuer la dépendance énergétique et stimuler la concurrence ».

Le marché des permis d’émission établi dans le cadre du Protocole de Kyoto n’est pas exempt de critiques mais le succès des expériences passés, dans des contextes certes plus limités, est, comme le suggère R. Guesnerie, de bon augure même si le fonctionnement efficace du marché à l’échelle de la planète demandera beaucoup plus de temps.

Quoi qu’il en soit, discuter des mérites ou des insuffisances du marché de permis, c’est certes l’évaluer par rapport aux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique par exemple, mais c’est aussi le comparer par rapport aux autres instruments : « un instrument n’est ni médiocre ni idéal dans l’absolu, il est plus ou moins adapté à telle ou telle circonstance » (R. Guesnerie).

L’objectif de réductions d’émissions doit être obtenu au moindre coût : il faut mettre en œuvre les investissements de réduction dont l’efficacité économique est la plus grande, c’est-à-dire ceux dont le coût économique par tonne de carbone évitée est le plus faible (dont le coût marginal est le plus faible) et ce jusqu’au moment où l’objectif de réduction est atteint.

Dans le cas d’une économie concrète, caractérisée par une asymétrie d’information entre le réglementeur et les agents économiques, et où le nombre d’agents économiques, de technologies et de biens est considérable, personne n’est capable de classer les mesures de « décarbonisation » par ordre de coût croissant, et moins d’en imposer le mise en œuvre. Par conséquent la politique environnementale reposant sur des instruments réglementaires (« absolument nécessaires dans le cas de pollutions localisées et/ou la dangerosité est liée à des effets de seuil ») mis en place par un planificateur (Etat, Commission européenne, « instance onusienne...) dont on peut légitimement penser qu’il n’est pas nécessairement omniscient et omnipotent peut se révéler erronée et donc très coûteuse et inefficace. La politique qui doit être mise en place est celle qui transfère l’effort là où il est le moins coûteux. Ainsi l’analyse économique démontre l’efficacité supérieure des instruments économiques sur les instruments réglementaires (Boemere et Hourcade) :

  • ils minimisent les coûts pour un objectif donné à une date donné. En effet les entreprises disposant d’une technologie de production plus moderne et donc moins coûteuse, dépollue plus et à moindre coût que les autres entreprises...Elles seront d’autant plus incitée à la faire lorsque les efforts seront rémunérés par le vente des permis excédentaire.
  • Ils ne préjugent pas de l’option technique
  • Ils révèlent l’information des entreprises (notamment lors de la mise aux enchères des droits)
  • Ils permettent l’adaptation aux contextes locaux.
  • Ils permettent des ajustements progressifs.

Pour lever les réticences des industriels soucieux de préserver leur compétitivité, de certains agriculteurs accrochés à la défense de leur niveau de vie ou encore des périurbains en recherche d’emploi, particulièrement sensibles aux prix élevés des carburants, il suffit de mettre en place des systèmes de compensations, d’autant plus que les bas revenus sont proportionnellement plus touchés que les haut revenus. Ainsi, dans le cas de l’industrie, comme nous l’avons vu, une partie du coût de l’écotaxe peut être récupérée sous la forme d’une baisse des cotisations sociales. Pour les catégories les plus pauvres, on peut imaginer, par exemple, un système d’impôts négatifs...

Enfin, un des avantages des instruments économiques est de proposer des outils de coordination internationale opérationnels. Les normes réglementaires n’ont pas de raisons d’être plus efficaces au plan mondial qu’au plan national, « sauf dans certaines certains cas très spécifiques comme celui de l’ozone où une technologie de remplacement existe et où les industriels concernés sont en petit nombre. On ne peut espérer harmoniser des milliers de normes suffisamment différenciées selon le climat ou la géographie sans prendre le risque de manipulations répétées ».Aussile choix de mettreenplace des quotas de CO2 et des permis d’émission négociables dans le cadre du protocole de Kyoto est totalement justifié. D’autant plus que décider d’un niveau de taxe écologique (cela fusse-t-il encore possible à l’échelle de la planète) «  interdit une prévision précise des réductions qui seront effectivement obtenues, et donc compromet la maîtrise de l’objectif quantitatif visé ».

Le temps presse. La Terre se réchauffe. La température moyenne à la surface de la planète a augmenté d’environ 0,6°C pendant les 100 dernières années, selon le Groupement intergouvernemental pour l’évolution du climat (GIEC), un organisme qui réunit près de 4 000 chercheurs dans le monde. Une étude sur le climat en Arctique, publiée en novembre 2004, prédit un avenir plus sombre encore, avec un réchauffement compris entre 4 et 7 degrés d’ici 2100. Les travaux menés pendant quatre ans par près de 300 chercheurs membres de l’ACIA (organisme d’évaluation du changement climatique en Arctique) montrent que la région située autour du Pôle Nord se réchauffe à grande vitesse, entraînant une fonte des glaces éternelles et une élévation mondiale du niveau de l’eau. « A long terme, le Groenland contient assez d’eau pour élever le niveau de la mer de 7 mètres », prévient l’ACIA.
Finalement face aux risques et à l’urgence, sans doute ne faudra-t-il négliger aucun instrument, pas plus les instruments réglementaires que les instruments économiques.

Bibliographie indicative :

  • «  La finance carbone » Revue d’économie financière mars 2006
  • «  Fiscalité de l’environnement » rapport du CAE 1998
  • «  Kyoto et l’économie de l’effet de serre » rapport du CAE 2003
  • «  Les instruments économiques au service de l’environnement, une efficacité mal comprise ». C. Boemere et J-C Hourcade. Cahiers français n° 327. 2005
  • «  Pourquoi un marché de permis d’émissions ? Le cas du protocole de Kyoto » R Guesnerie Cahiers français 2005
  • «  Economie de la réglementation » F . Lévêque La découverte.
  • «  Où en est le marché du CO2 ? » F. Autret et G. Duval. Alternatives économiques mai 2006
  • «  Climat : on en parle mais on ne fait rien » Alternatives économiques décembre 2006
  • «  Emissions de CO2 : les quotas français ne convainquent pas Bruxelles  » Le Monde 28 novembre 2006.
  • «  La mesure des liens entre environnement et croissance » G. Gaulier, N. Kousnetzoff L’économie mondiale 2007 Repères La découverte.

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