Politiques économiques et croissance en Europe

, par Milan Vujisic

Depuis 2001, la croissance de l’Union européenne et surtout de la zone euro, malgré quelques soubresauts, a beaucoup de difficultés à s’inscrire dans la durée. Malgré une reprise en 2006, les perspectives de croissance pour 2008 semblent s’assombrir. Mais tous les pays de l’Union européenne ne sont pas logés à la même enseigne. L’Espagne et l’Irlande affichent des taux élevés, alors que l’Allemagne, la France et l’Italie (qui représentent environ les 3/5e du PIB de la zone euro) déçoivent avec des taux de croissance proches de 1,5% en moyenne.
Les Etats-Unis ont une croissance plus dynamique que l’Europe, et l’avance américaine en termes de niveau de vie ne se résorbe toujours pas. Les causes de ce retard font l’objet d’interprétations très diverses et parfois contradictoires : préférence collective pour les loisirs de la part des européens, insuffisance de la demande en zone euro, combinaison d’une intégration inachevée et de l’insuffisance des réformes au niveau national, enfin incapacité de l’Allemagne, la France et l’Italie à mener des réformes, par opposition aux petits pays.
Toutes ces explications ont une part de vérité mais elles négligent le rôle qui incombe aux politiques économiques.
L’Union européenne a mené un ensemble de réformes aboutissant à libéraliser les échanges de biens et services à l’intérieur d’une vaste zone économique constituée en 2004 de vingt-cinq pays, à créer une monnaie unique pour quinze pays, à instituer un pacte de stabilité et de croissance pour justement trouver un équilibre entre la croissance et des contraintes capables d’endiguer l’inflation, l’endettement et les déficits. Mais ce pilotage économique, s’il affiche des objectifs ambitieux, ne tient pas toutes ses promesses. Il est loin de faire l’unanimité. Le conseil d’analyse économique, fort de ses constats, parle même de « déficience du système de politique économique ».
« Quelle politique économique faudrait-il alors envisager pour susciter un regain de croissance économique en Europe ? »
Il convient, cependant, de nuancer cette vision radicale qui consiste à nier les efforts de l’Union Européenne en matière de réformes pour construire sa croissance sur une longue période. Ainsi, en évoquant, dans un premier temps, la libéralisation des marchés et la création d’une Union économique et monétaire, nous rappellerons à quel point tout ce chemin parcouru depuis le traité de Rome était absolument nécessaire. Mais pour autant, ces transformations essentiellement centrées sur une politique de l’offre n’ont pas toujours débouché sur une amélioration très nette des performances économiques Nous exposerons enfin, les différentes recommandations en matière de politique économique qui permettraient à l’Union Européenne de renouer avec une croissance durable.

 I)Des politiques économiques centrées sur l’offre mais la croissance est restée faible.

A) Des politiques structurelles ambitieuses qui n’ont pas tenu toutes leurs promesses.

Du Marché Commun à la Monnaie Unique.

Depuis 2007, vingt-sept pays établissent des relations économiques « sans barrières ». Le Traité de Rome, puis l’Acte unique européen où l’essence libérale du texte invite les Etats membres à déréglementer leur marché, projettent de supprimer tous les obstacles entravant les marchés du travail, des capitaux, des biens et des services. Le Traité de Maastricht poursuit ce processus d’intégration économique avec la mise en place de la monnaie unique, l’euro.
La libre concurrence entre les biens et les services, les capitaux et les salariés, doit permettre la progression de la croissance. Celle-ci permet d’obtenir des économies d’échelle résultant de l’ouverture des marchés, une convergence à la baisse des prix, une nouvelle dimension des marchés tant en volume qu’en valeur dans le but d’accroître la performance. Les gains de productivité profitent aussi bien aux entreprises qu’aux ménages, aux Etats et au commerce extérieur, qu’il soit intra-communautaire ou extra-communautaire. La réduction des prix stimule la demande et assure aux entreprises une compétitivité sans inflation. Ce sont certainement là les principales vertus de l’Union européenne dont l’économie se situe à la deuxième place mondiale juste derrière les Etats-Unis.
Un premier bilan a pu être dressé sur l’apport du grand marché. Les effets du marché unique sont significatifs : les travaux de la Commission européenne ont avancé, à titre indicatif, que le PIB dans l’Union européenne a été plus élevé, que les créations d’emplois supplémentaires ont été de 300 à 900 000 selon les modèles utilisés, et que les taux d’inflation ont été inférieurs de 1 à 1,5 point, par rapport à ce qui se serait passé sans marché unique. Ce dernier a ainsi agi comme un choc d’offre positif. En effet, selon les études de la Commission publiées en 2002-2003, le marché intérieur a renforcé la capacité des entreprises puisque les exportations vers les pays tiers sont passées de 6,9 % du PIB de l’UE en 1992 à 11,2% en 2001. On estime que le PIB s’est accru de 1,8 % de plus (soit 164,5 milliards d’euros) en 2002 sous le seul effet de l’intégration du marché.
Mais ces statistiques, si elles sont significatives, sont des moyennes pour l’ensemble de l’Union Européenne et ne concernent pas les zones qui nous intéressent. Les chiffres de la zone euro et plus particulièrement ceux de la France, de l’Allemagne ou de l’Italie confirment bien que l’intégration ne joue plus son rôle de moteur de croissance. L’intégration économique européenne s’essouffle et les potentialités nées de l’élargissement existent mais il faut se donner les moyens économiques et politiques de les concrétiser.

« La stratégie de Lisbonne ».

La stratégie de Lisbonne définie en 2000 par le Conseil européen ambitionnait de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Il s’agissait d’ « obtenir une croissance économique durable accompagnée d’un amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohérence sociale dans le respect de l’environnement ». Deux méthodes ont été privilégiées pour atteindre ces objectifs : accélérer le rythme des réformes structurelles, pour l’essentiel conçues pour se rapprocher des conditions de pleine concurrence et créer les conditions d’une évolution saine, en fait préserver la neutralité de la monnaie et du budget. La croissance potentielle est donc déterminée par les politiques structurelles visant à promouvoir la concurrence et à éliminer les rentes sur les différents marchés. La gestion de la monnaie et du budget n’a d’autre vocation que d’éliminer les fluctuations conjoncturelles autour de cette tendance de long terme.
La stratégie de Lisbonne a inauguré un nouvel instrument de politique économique : « la méthode ouverte de coordination ». L’introduction de ce pilier a pour but de faciliter la mise en place de politiques efficaces visant notamment à accroître l’offre de travail et à faire baisser le taux de chômage structurel en Europe. « La méthode ouverte de coordination » est une formule de coopération souple et non contraignante des politiques des Etats membres, dans des domaines où l’Europe ne dispose quasiment d’aucune compétence et qui relèvent principalement des réglementations nationales (marché du travail, fiscalité, sécurité sociale, éducation et recherche et développement). Chaque pays s’engage à consulter les autres et à procéder à des comparaisons internationales. L’idée est que les Etats finissent par adopter les politiques ayant donné les meilleurs résultats dans les autres pays, sur les objectifs communs. L’Union européenne en est réduite à affirmer des priorités, à donner des conseils et à comparer les expériences des uns et des autres.
Force, aujourd’hui, est de constater que cette méthode n’a pas été très efficace. Les multiples objectifs assignés à la Stratégie de Lisbonne n’ont pas été atteints. Les indicateurs de suivi témoignent du retard pris et de l’échec prévisible. Les déficits persistent en matière de croissance, d’emploi et de R&D au regard des objectifs fixés pour 2010 (Taux de croissance de 3 %, taux d’emploi de 70% et part des dépenses de R&D dans le PIB de 3%). Il semble que l’absence, au niveau européen, d’incitation à coordonner les politiques de réformes structurelles en soit le principal responsable. Paradoxalement, sur les questions cruciales de la croissance et de l’emploi, l’Europe est dépourvue de moyens d’action : la politique budgétaire, la fiscalité, les cotisations sociales, les réglementations du marché du travail et la formation relèvent des Etats. En forçant un peu le trait, on peut dire que les politiques de l’offre seraient du domaine des Etats membres, alors que la régulation de la demande, réduite à des règles monétaires et budgétaires serait du ressort de l’Union européenne (bien évidemment pour les pays de la zone euro).

B) Des politiques macroéconomiques censées favoriser la croissance.

Dans l’optique libérale, la stabilité des prix doit créer les conditions d’une activité économique efficace. Ainsi, les choix des agents économiques ne devraient pas être perturbés par des craintes concernant l’inflation ou les politiques économiques. C’est dans cet esprit que des règles contraignantes ont été fixées en matière à la fois de politique monétaire mais aussi de politique budgétaire.
La BCE, qui mène la politique monétaire dans la zone euro, a reçu du traité de Maastricht une mission principale qui est la stabilité des prix. La pratique de la BCE repose essentiellement sur les enseignements de la théorie monétariste selon laquelle il y a dichotomie entre l’économie réelle (la production…) et l’économie monétaire (masse monétaire, prix…). La monnaie n’a pas d’influence durable sur la production ; en revanche, la quantité de monnaie détermine le niveau général des prix et le taux d’inflation dépend du taux de croissance de la masse monétaire. Ainsi la politique monétaire doit être uniquement centrée sur la stabilité des prix. Prenant conscience des « méfaits » de l’inflation sur l’activité économique, la BCE doit être la gardienne de la stabilité des prix.
Sous l’influence de la nouvelle macroéconomie classique, qui se fonde sur l’hypothèse d’anticipations rationnelles des agents, on a estimé que la politique budgétaire était néfaste en termes de stabilité des prix : par son effet direct sur la demande agrégée ou par l’intermédiaire de son financement, soit par création monétaire, soit par une politique monétaire accommodante, qui s’avérera probablement inflationniste à moyen long terme. D’autre part, ce courant de pensée conclut également à l’inefficacité totale des politiques budgétaires discrétionnaires…
Ainsi, les gouvernements des pays de l’Union européenne ont préféré se lier les mains en adoptant des règles contraignantes de politique économique. Indépendance forte de la BCE, financement monétaire de gouvernements prohibé, règles absolues de politique budgétaire (Pacte de stabilité et de croissance (PCS), adopté lors du Conseil européen d’Amsterdam en juin 1997, qui limite le déficit budgétaire à 3% du PIB sauf circonstances exceptionnelles), tels sont les principes qui gouvernent, pour le moment, le policy-mix européen.
Tout cela était censé favoriser la croissance dans un vaste espace économique intégré monétairement et relativement fermé et où la politique économique pouvait être conduite de manière autonome.

Pourtant, alors que la croissance américaine repartait dès 2002, la zone euro s’est montrée incapable de rebondir. Aux Etats-Unis, la consommation des ménages a pris le relais de l’investissement défaillant, grâce au soutien d’une politique expansionniste (baisse rapide des taux d’intérêt et creusement impressionnant du déficit budgétaire). En Europe, au contraire, la demande a stagné. L’inertie européenne est flagrante. La politique budgétaire est à peu près neutre dans la zone (« Sur le plan budgétaire les erreurs sont manifestes, on a fait de la relance en période de boom et une politique à peu près neutre en période de ralentissement » Pisani-Ferry). Rien à voir avec l’activisme budgétaire américain…
Du côté de la politique monétaire ce n’est pas mieux. Certes, la BCE a été plus accommodante qu’on ne l’aurait pensé (cf. Règle de Taylor et BCE). Les taux d’intérêt ont singulièrement baissé. Mais « la BCE n’a pas joué son rôle de stabilisation conjoncturelle de manière suffisamment active ». Ce que lui reprochent aussi certains, c’est de ne pas s’être souciée de l’appréciation de l’euro…
Tous les moteurs de la croissance paraissent en panne : la consommation de ménages se traîne, l’investissement des entreprises stagne et les exportations progressent moins vite que le commerce mondial dans la plupart des pays de la zone euro.

Cette panne de croissance ne peut être imputée uniquement à un problème de régulation de la demande. Comme nous l’avons déjà dit, du côté de l’offre les choses ne sont guère plus brillantes : l’accumulation du capital ralentie, les taux d’emploi sont relativement bas et les investissement en recherche et développement sont insuffisants. Cet essoufflement de la croissance potentielle exige des politiques structurelles plus vigoureuses et pour certaines d’entre elles la définition de programmes élaborés à l’échelon communautaire. Qui plus est, opposer politiques structurelles et politiques macroéconomiques n’a pas de sens : elles ne sont pas substituables les unes aux autres, mais se complètent et se confortent.

La qualité de la politique économique (mesurée aujourd’hui par son efficacité à stimuler la croissance et à réduire le chômage) se joue avant tout sur la combinaison entre les politiques de demande et les politiques de l’offre, les politiques structurelles et les politiques macroéconomiques et surtout sur la coordination entre les différents acteurs (gouvernements nationaux, autorités et institutions européennes).

 II) Une politique économique entièrement dévolue à la croissance

A) Améliorer l’efficacité des politiques macroéconomiques

La stabilisation globale peut être significativement améliorée. « Au cours du dernier cycle, la zone euro a été caractérisée par un manque de dynamisme de sa politique monétaire et par un recours inapproprié à la politique fiscale au moment de la reprise ». Certains progrès, bien que sans résultats visibles pour le moment, ont été faits en ce sens grâce à une redéfinition des objectifs de la politique monétaire de la BCE et à la réforme du pacte de stabilité.

Selon Mathieu et Sterdyniak (membres de l’OFCE), les politiques budgétaires doivent être conduites de façon beaucoup plus cohérente dans le cadre communautaire.
Chaque pays membre doit rester responsable de sa politique budgétaire, en particulier du niveau et de la structure de ses dépenses publiques. « Les choix budgétaires nationaux doivent refléter les votes des citoyens ».
Afin de faciliter la lisibilité de sa politique budgétaire, chaque pays pourrait annoncer ses règles budgétaires et ses engagements, c’est-à-dire la façon dont il compte assurer la soutenabilité budgétaire. Les gouvernements pourraient se donner l’objectif de maintenir le ratio de la dette publique au PIB à un niveau satisfaisant ou de limiter leur déficit structurel moyen aux dépenses d’investissement public. La règle d’or assurerait la soutenabilité puisque la dette publique serait égale au stock de capital public. Ces objectifs seraient révisables en fonction des évolutions macroéconomiques de moyen terme. A court terme, les stabilisateurs économiques et les politiques budgétaires discrétionnaires devraient être autorisés. Toujours pour faciliter la lisibilité de leur politique, les gouvernements devraient annoncer clairement si les mesures qu’ils prennent sont permanentes ou temporaires, c’est-à-dire destinées à réguler l’activité économique. L’autonomie des Etats doit être respectée. Les instances européennes ne sont fondées à intervenir que pour empêcher des comportements effectivement nuisibles aux partenaires. Elles ne doivent demander des inflexions de politique budgétaire qu’aux pays où l’inflation est excessive, le déficit extérieur trop élevé et où la croissance de la dette publique fait peser un risque d’insolvabilité. Par ailleurs, il serait souhaitable que se mette en place une vraie coordination des politiques économiques dans le cadre de l’Eurogroupe, avec lequel la BCE accepterait de dialoguer. Cette coordination ne devrait pas être axée sur l’équilibre des finances publiques, mais devrait viser le soutien de l’activité et la réalisation de l’objectif de croissance de 3 % l’an de la stratégie de Lisbonne.

La politique monétaire menée par la BCE doit également évoluer. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’indépendance de la BCE, ni de réduire en soi un « excès de pouvoir » de la BCE. Il s’agit de reconnaître la nécessité de mettre en place, à côté de la BCE, une structure et des instruments de coordination des politiques économiques afin de déboucher sur un policy mix répondant mieux aux besoins de la zone euro. Donner, par exemple, les moyens à l’Eurogroupe (enceinte informelle crée en 1997 dont le président est élu pour deux ans et demi renouvelable depuis le 1er janvier 2005) d’être plus convaincant sur l’Euro face à la BCE.
La zone euro se caractérise par une unicité d’objectif de la politique monétaire : le maintien de la stabilité des prix, alors qu’aux États-Unis, les objectifs finaux sont à la fois la croissance, le plein emploi, la stabilité des prix et la modération des taux longs. Cette unicité est contestable dans la mesure où le risque inflationniste apparaît bien théorique en Europe, en raison du climat renforcé de concurrence (impact de la monnaie unique, déréglementation, mondialisation, restructurations des entreprises...) et du haut niveau de chômage. N’oublions pas non plus que toute dérive inflationniste isolée au sein de la zone sera immédiatement sanctionnée en termes de compétitivité, du fait de l’absence de toute possibilité d’ajustement du change nominal. Enfin, dans un régime d’inflation structurellement basse, l’adaptation aux chocs réels, via notamment la flexibilité des salaires réels, est évidemment beaucoup plus faible compte tenu des rigidités nominales.
C’est pourquoi il apparaît souhaitable de fixer une pluralité d’objectifs à la BCE, analogue à ce qui prévaut aux États-Unis. Cela lui permettrait de jouer un rôle contracyclique en l’absence de risque inflationniste (préalablement défini).
La BCE a fait un pas dans le bons sens (en mai 2003), en assouplissant son objectif d’inflation à 2%, qui s’entend désormais sur le moyen terme. La BCE s’est ainsi beaucoup rapprochée de la stratégie monétaire des pays qui ont adopté une stratégie de « ciblage de l’inflation ». Cela lui permet de prendre en compte dans sa décision de fixation des taux d’intérêt, tous les facteurs susceptibles d’influencer l’inflation à moyen terme. Ceci lui permet donc de prendre en compte les politiques économiques conduisant à relever le potentiel de croissance.
La définition d’une fourchette symétrique et plus large autour de 2 % est néanmoins souhaitable, car elle favoriserait la réactivité de la politique monétaire à la conjoncture, pour l’instant insuffisante. D’aucuns considèrent même qu’il conviendrait de relever l’objectif d’inflation à 3 voir 4 % pour éviter les risques de déflation.

B) Appuyer les politiques structurelles par les politiques macroéconomiques

Lorsqu’ils entreprennent des réformes dont l’effet de court terme sur la croissance peut être négatif, les gouvernements européens ne peuvent pas de manière assurée compter sur un soutien de la BCE et ils peuvent redouter que celle-ci « attende de voir » pour agir. « Or compte tenu des délais d’action de la politique monétaire, celle-ci ne peut corriger les effets récessifs d’une politique de réforme que si elle agit avant de voir ». Le risque est qu’en l’absence de confiance mutuelle, la BCE ne donne pas le signal qu’elle apportera son soutien aux réformes et qu’en conséquence celles-ci soient différées. Ex post, cette méfiance peut s’avérer de part et d’autre rationnelle. Mais c’est précisément ce cercle vicieux de la méfiance rationnelle qui est dangereux pour la croissance européenne. Il s’agit de donner aux réformes structurelles nécessaires un accompagnement macroéconomique susceptible d’améliorer leur bilan intertemporel, et donc de faciliter l’engagement dans des mesures dont les effets immédiats peuvent être défavorables. Bien entendu, ceci doit être fait sans compromettre les objectifs de stabilité des prix et de discipline budgétaire que l’Union s’est donnés. Fort heureusement, il est possible de concilier ces objectifs. La BCE devrait indiquer explicitement que, dans l’évaluation des perspectives de prix, de croissance potentielle et d’activité, elle s’attachera à prendre en compte les effets attendus des réformes économiques engagées par l’Union et par les Etats, et que dans la mesure où cela n’affecte pas le respect de la stabilité des prix, le soutien à la demande dans des périodes où celle-ci est temporairement affaiblie par des réformes fait partie de sa mission.
La politique budgétaire peut également contribuer à appuyer les réformes, notamment lorsque celles-ci risquent d’être bloquées par leurs effets distributifs et, donc, la nécessité de « compenser les perdants ». Une telle situation justifie de faire appel au déficit pour faciliter l’engagement de mesures porteuses d’effets positifs à moyen terme.
La réforme du Pacte de stabilité peut, ici aussi, être mobilisée à cette fin, dans le cadre d’un dialogue entre autorités nationales et instances communautaires sur le calendrier, le contenu et les effets attendus des réformes.

C) Une coordination des politiques structurelles plus poussées

La coordination des réformes devrait se recentrer sur des domaines créateurs d’externalités transfrontalières, tels que l’immigration, la recherche ou l’enseignement supérieur estime Pisany-Ferry. Dans ces secteurs, l’efficacité des politiques nécessite une action conjointe des Etats et l’intervention de l’Union s’avère plus que légitime. Cependant les exhortations ne suffisent pas à assurer une réelle coordination des politiques structurelles. Le rapport Sapir a ainsi proposé d’utiliser le budget de l’Union européenne comme dispositif incitatif pour appuyer les efforts des Etats membres dans les domaines d’intérêt commun et les encourager à entreprendre les réformes.
Pisany-Ferry propose par exemple pour effectuer un test intéressant de se focaliser sur l’enseignement supérieur…
La proposition de Fitoussi pour relancer la croissance en Europe est sans doute la plus ambitieuse et la plus séduisante. Il suffirait estime-t-il de créer, à l’image de la CECA, une Communauté européenne de l’environnement et de l’énergie et de la recherche (CEEER)…Nous pourrions alors voir naître, mais cette fois-ci en Europe, les nouvelles technologies de l’énergie et de l’environnement dont la production et la diffusion seront très certainement les moteurs de la croissance les plus puissants de l’avenir…Qui plus est, conformément au programme de Lisbonne, la CEEER permettrait à l’Europe de préserver son indépendance énergétique et de sauvegarder son environnement écologique.

On le voit, les projets et les chantiers ne manquent pas pour relancer la croissance en Europe. Ce qui semble encore faire défaut, c’est une ambition et un courage politique où la vision d’avenir dépasse largement les frontières nationales et les ambitions locales. Elle passe par un effort de coopération et de coordination nécessaire à plusieurs niveaux : entre la politique budgétaire et la politique monétaire pour favoriser la croissance et l’emploi, entre les politiques budgétaires des différents pays mais surtout entre les politiques structurelles et les politiques macroéconomiques pour inscrire l’Europe dans une perspective de croissance et de développement durable.

 Pour aller plus loin :

  • « La construction européenne » J. Pisani-Ferry, in Les enjeux de la mondialisation. La découverte. mai 2007.
  • « La contraintes de la politique économique en Europe », in Les enjeux de la mondialisation. La découverte. mai 2007.
  • « L’économie mondiale 2008 » CEPII La découverte septembre 2007.
  • « Pacte de stabilité 2005, un accord de façade » C. Mathieu et H. Sterdyniak in L’économie française 2006 OFCE La découverte. Septembre 2005.
  • « Comment sauver le processus de Lisbonne ? » J. Pisany Ferry. in Problèmes économiques nov. 2005.
  • « L’avenir économique de l’Europe » O. Blanchard in Problèmes économiques nov. 2005.
  • « L’énergie pour relancer l’Europe » J.P. Fitoussi Le Monde 7 novembre 2006.
  • « L’instabilité monétaire » B. Majnoni d’Intignano PUF Octobre 2003.
  • « Politique économique » De Boeck nov 2004

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