La concurrence imparfaite

, par Milan Vujisic

Le cadre de concurrence pure et parfaite est un modèle que l’on retrouve rarement dans la réalité. Dès qu’une des conditions de la concurrence pure et parfaite n’est pas respectée, la concurrence devient imparfaite ; la concurrence est même « inexistante » dans le cas du monopole (qui est théoriquement considéré comme un cas de concurrence imparfaite)
La concentration désigne le phénomène d’augmentation de la taille moyenne des entreprises et de la diminution de leur nombre. La concentration qui met en cause une des conditions de la concurrence pure et parfaite (l’atomicité du marché) est due à trois causes principales :

  • Dans certaines activités, les rendements sont croissants : les entreprises réalisent des économies d’échelle. Dans ces activités, plus la taille de l’entreprise est importante, plus les coûts moyens de production sont faibles. Les entreprises les plus compétitives sont les plus grandes et elles mènent des stratégies de fusion et d’acquisition pour devenir encore plus grandes, plus compétitives et dominer le marché.
    Ce phénomène conduit à l’apparition d’oligopoles, voire de monopoles.
    Les activités à rendements croissants sont traditionnellement celles qui utilisent des réseaux (lignes téléphoniques, voies ferrées...), mais de nombreuses activités industrielles, notamment celles qui ont des coûts fixes considérables, réalisent aussi des rendements croissants.
  • Dans certaines activités, il existe des contraintes naturelles ou technologiques qui limitent le nombre de producteurs. Lorsque la production requiert l’utilisation de ressources rares, le nombre de producteurs est limité. Il s’agit des ressources naturelles (eaux minérales, gisement minier...), mais il s’agit aussi de ressources technologiques. Lorsqu’un brevet protège une innovation, son détenteur est en situation de monopole.
  • Des comportements anticoncurrentiels peuvent empêcher de nouveaux offreurs d’entrer sur le marché : politique de prix, publicité agressive...
    Donc sur certains marchés, des barrières à l’entrée et à la sortie, qui peuvent être liées à la nature du marché et/ou aux comportements des entreprises déjà présentes sur le marché, créent des obstacles à l’arrivée de nouveaux offreurs.

I. Le monopole

A. Qu’est-ce-qu’un monopole ?

Le monopole est une situation de marché dans laquelle un seul producteur fait face à une multitude d’acheteurs. Le bien produit ne doit pas comporter de substituts proches ; par exemple, les entreprises de prêt-à-porter qui vendent sous des marques différentes ne sont pas dans une situation de monopole. Au contraire, si la production et la distribution d’eau potable dans une ville sont assurées par une seule entreprise, celle-ci est dans une situation de monopole. Néanmoins, il est rare qu’un produit ne puisse pas être remplacé par un autre produit. En France, la SNCF dispose d’un monopole dans le transport ferroviaire mais celui-ci est concurrencé par la route et par l’avion.
Une entreprise est en situation de monopole si l’élasticité croisée entre la demande du bien qu’elle produit et le prix de tous les autres produits est faible
Le monopole s’explique par l’existence de barrières à l’entrée, par l’impossibilité pour d’autres entreprises de pénétrer le marché. On distingue quatre types de barrières à l’entrée qui ne sont pas fondamentalement différentes de celles invoquées plus haut pour expliquer la concentration.

  • La détention par une seule entreprise d’une ressource rare. Ce cas de figure est peu fréquent. On peut donner l’exemple de l’entreprise sud-africaine De Beers qui contrôle environ 80 % de la production de diamants.
  • La présence dans certains secteurs d’activité de rendements croissants qui empêchent les petites entreprises d’être rentables. Il s’agit de monopoles naturels. Plus la production augmente, plus le coût moyen diminue. Le monopole produit toujours à un coût inférieur à l’entreprise concurrentielle. Il peut donc fixer un prix plus faible qui empêche d’autres entreprises d’entrer sur le marché. La production et la distribution de gaz, d’électricité, d’eau potable ou le secteur des communications téléphoniques entrent dans cette catégorie.
  • Les pouvoirs publics peuvent aussi être à l’origine de monopoles. Par exemple, pour protéger la recherche, la législation sur les brevets permet à une entreprise qui invente un nouveau procédé de fabrication ou un nouveau médicament d’être la seule à pouvoir exploiter cette découverte pendant un certain nombre d’années. Par ailleurs, dans certains secteurs d’activité, les pouvoirs publics, pour limiter les excès possibles d’un monopole privé, notamment des prix trop élevés, peuvent transférer l’activité du monopole au secteur public. La distribution du courrier en France par La Poste obéit à ce motif. Une entreprise privée ne serait pas incitée à distribuer le courrier dans des zones géographiques peu peuplées. De même, une éventuelle privatisation du transport ferroviaire pourrait entraîner l’abandon de lignes peu rentables.
  • Un monopole peut mettre en œuvre des stratégies de marché pour empêcher l’arrivée de nouvelles entreprises. Si le monopole se sent menacé par l’arrivée de nouveaux concurrents, il peut vendre à un prix inférieur au coût moyen, quitte à faire momentanément des pertes, ou fixer un prix inférieur à celui qui maximiserait son profit, ou encore disposer de capacités de production excédentaires lui permettant d’accroître rapidement son volume de production et de réduire le prix de vente.

B. L’équilibre du monopole

1. La maximisation du profit par le monopole

Comme l’entreprise en situation de concurrence pure et parfaite, le monopole cherche à maximiser son profit. Mais il existe deux différences fondamentales entre ces entreprises.

  • D’une part, l’entreprise en concurrence pure et parfaite ne peut agir sur le prix de vente, fixé sur le marché. Elle doit s’adapter à ce prix et déterminer son volume de production de telle sorte que son coût marginal soit égal au prix de vente. L’entreprise en concurrence pure et parfaite est price taker. Tel n’est pas le cas du monopole qui a la possibilité de fixer le prix de vente de son produit. Le monopole est price maker. Il ne peut cependant pas vendre à n’importe quel prix. S’il vend trop cher, il risque de ne trouver aucun acheteur. Le monopole est contraint par la demande.
  • D’autre part, en situation de concurrence pure et parfaite, la demande est satisfaite par une multitude d’entreprises. Au contraire, le monopole est seul sur le marché et doit satisfaire la totalité de la demande. Comme la demande est une fonction décroissante du prix, plus le monopole produit, plus il doit baisser son prix de vente. Le monopole doit donc déterminer le niveau de production qui maximise son profit. C’est ce niveau de production qui va lui permettre de fixer le prix.

La demande qui s’adresse à l’entreprise en situation de concurrence pure et parfaite est infinie car celle-ci est sûre de pouvoir vendre, au prix du marché, toute sa production quelle qu’en soit l’importance. La courbe de demande est donc une droite horizontale contrairement à celle du monopole qui est décroissante.
Le monopoleur fixe simultanément les prix et les quantités pour « maximiser son profit » : (rappel : Profit = Recette totale - Coût total = PoQo - Coût Moyen Qo)
Il le fera lui aussi au point où sa recette marginale (Rm) égale son coût marginal (Cm). Mais la courbe de recette marginale ne s’identifie plus à la droite horizontale des prix comme dans le cas de la concurrence. C’est une courbe décroissante au dessous de la courbe de demande (Recette moyenne). Pourquoi ? Parce qu’en concurrence pure et parfaite, la recette marginale pour une unité supplémentaire du bien était le prix du bien. Là, elle est inférieure car en produisant une unité de plus, le monopoleur fait baisser son prix.

Par rapport à une situation de concurrence où les entreprises auraient des courbes de coût marginal(Cm) dont la somme se confondrait avec celle du monopoleur, on voit que les consommateurs perdent doublement : avec le monopoleur ils paient un prix supérieur et doivent se contenter d’une quantité inférieure. Le monopole produit moins à un prix plus élevé.
De plus en situation de concurrence pure et parfaite, à long terme, le prix baisse jusqu’au minimum du coût moyen. Si l’entreprise veut à nouveau dégager des profits, elle doit réduire ses coûts. La concurrence pousse les entreprises à mettre en œuvre des technologies plus performantes. Tel n’est pas le cas du monopole puisque aucune entreprise nouvelle ne peut entrer sur le marché.
Enfin, dans une situation de monopole, le surplus total est plus faible qu’en concurrence pure et parfaite et la situation n’est pas optimale pour la société.
(rappel : le surplus du consommateur est la différence entre le prix auquel le consommateur est prêt à payer le bien et le prix du marché  ; le surplus du producteur est la différence entre le prix du marché et le coût marginal, le prix auquel le producteur est prêt à produire).
En situation de monopole le surplus total n’est pas maximum. La hausse du prix de vente réduit le surplus du consommateur. Une partie du surplus est transférée au producteur mais une autre partie est totalement perdue pour la société (ABE). De la même manière une partie du surplus du producteur qui existait en concurrence pure et parfaite est perdue pour la collectivité en situations de monopole (BEC). La perte sociale totale est le triangle AEC

La situation n’est pas optimale : les consommateurs pourraient consommer plus et moins cher ; les producteurs pourraient produire plus.

Une situation de monopole peut se justifier dans trois cas  : la présence de rendements croissants, l’innovation, des motifs d’ordre public.

La présence de rendements croissants ne permet pas à la petite entreprise d’être rentable. Si les coûts fixes sont élevés, le niveau de production pour lequel le coût moyen augmente est très élevé. Le coût marginal est alors inférieur au coût moyen. Si le prix de vente est égal au coût marginal, l’entreprise fait une perte. Dans certains secteurs d’activité, le coût moyen peut être toujours décroissant. C’est notamment le cas dans la production de logiciels. Les coûts de recherche et de mise au point du logiciel sont très élevés mais le coût marginal est quasi nul. Le monopole peut dégager un profit même si le coût marginal est inférieur au coût moyen puisque le prix de vente est supérieur au coût marginal (à condition que le coût moyen ne soit pas supérieur au prix auquel les consommateurs sont prêts à acheter le bien).

L’innovation, la découverte de nouveaux procédés technologiques créent pour l’entreprise qui en est l’auteur une situation provisoire de monopole, justifiée par la prise de risque et les dépenses engagées. Cette situation de monopole va disparaître au fur et à mesure que l’innovation ou la découverte seront imitées par d’autres entreprises.

L’État peut créer des monopoles publics s’il estime que certains biens ou services (par exemple l’eau potable, l’électricité, le gaz...) doivent être fournis à la collectivité à des prix inférieurs à ceux pratiqués par un monopole privé. Dans ce cas, l’État dispose d’une marge de manœuvre pour fixer le prix de vente et le monopole public ne maximise pas son profit.

C) Les autres stratégies du monopole

La maximisation du profit n’est pas la seule stratégie adoptée par le monopole. Celui-ci peut par exemple décider de maximiser sa recette totale, et par conséquent fixer son volume de production de telle sorte que la recette marginale soit nulle, avec le risque que la maximisation du chiffre d’affaires conduise à des pertes.
Le monopoleur peut choisir encore de gérer à l’équilibre de telle façon que le profit global soit nul et donc de vendre au coût moyen. Mais cette gestion est génératrice de gaspillage, en ce sens qu’elle entraîne une mauvaise utilisation des ressources. Le prix, fixé au coût moyen est inférieur au coût marginal. Par conséquent on cède l’unité supplémentaire produite à un prix inférieur à son coût (pour l’entreprise mais aussi pour la collectivité). Ce qui pousse à produire et consommer un bien au delà de ce qu’il faudrait.
Il peut décider encore de vendre au coût marginal, c’est une modalité fréquemment retenue lorsque le monopole est géré par la puissance publique. Ces stratégies sont souvent employées lorsque le monopole craint l’arrivée de nouvelles firmes qui pourraient le concurrencer. Le monopole peut aussi décider de vendre à des prix différents selon les caractéristiques de ses clients et ainsi pratiquer une discrimination par les prix. Enfin, le monopole public qui poursuit des objectifs d’intérêt général a le choix entre une tarification au coût marginal ou une tarification au coût moyen mais rien ne l’empêche aussi d’effectuer une discrimination par les prix.

1. La stratégie de discrimination des prix

Cette stratégie de fixation des prix répond sans aucun doute à la volonté d’augmenter le profit.
La discrimination des prix consiste à faire payer à deux consommateurs (ou plus) des prix différents pour des biens ou des services identiques.
Seul un monopoleur peut discriminer car, en concurrence, les autres offreurs contraindraient le prix du marché à s’égaliser avec le coût marginal.
La discrimination, stratégie très courante aujourd’hui, doit être pratiquée pour des raisons autres que celles associées à des différences de coût. Pour que la discrimination soit possible, il faut deux conditions :

  • Le produit ne doit pas pouvoir être acheté sur le marché où le prix est le plus bas et être revendu sur celui où le prix est le plus élevé ; dans le cas contraire, le monopoleur ne pourrait plus vendre sur le marché où le prix est le plus élevé. Les marchés doivent donc être cloisonnés.
  • Les clientèles (marchés) doivent avoir des élasticités-prix différentes.
    Ces deux conditions expliquent pourquoi la discrimination est plus fréquente dans les services individualisables (médecine, cinémas, etc.) et dans les secteurs où le produit est très difficilement revendable (gaz, électricité, etc.).

La discrimination parfaite est réalisée lorsque, pour un même bien, le monopoleur fixe un prix différent pour chaque unité. Cette pratique concerne aussi bien la fixation de prix distincts pour différents consommateurs que la détermination de prix différents pour diverses unités vendues à un même consommateur.
La courbe de demande D étant celle du marché d’un produit quelconque, le monopoleur fixe pour chaque client le prix maximum que celui-ci est prêt à payer, ce prix est appelé prix de réservation. De ce fait, la fonction de demande (RM) à la firme devient la recette marginale Rm puisque, dans ce cas, la recette tirée d’une unité supplémentaire est égale au prix. La production ou vente optimale est donnée au point E : elle est identique à celle de concurrence parfaite. La recette totale de la firme est OAEQ, le coût total est OGFQ et le profit total est la surface AEFG. Le monopoleur qui pratique une discrimination parfaite ne laisse subsister aucun surplus du consommateur. Celui-ci, qui est APE au prix d’équilibre concurrentiel, est entièrement approprié par le monopoleur. Lequel réalise un profit supplémentaire de PEFG.

2. Le monopole public

Le monopole public doit s’efforcer d’augmenter le surplus total tout en évitant les pertes. Son objectif n’est pas le profit maximum mais la satisfaction maximale de la société ; Il peut donc pratiquer une tarification au coût marginal (RM=Cm), ce qui permet de « récupérer la perte du surplus social ».
Le graphique suivant illustre un monopole naturel tarifant au coût marginal. Le prix Pc est fixé là où Cmlt =D, et la quantité est Qc. Celle-ci est supérieure à celles obtenues en tarifant d’une part au coût moyen, QM et d’autre part en monopole pur,Qo.
Par ailleurs la tarification au coût marginal permet une gestion rationnelle de l’ensemble des ressources pour la collectivité, parce qu’elle fait apparaître le coût d’obtention véritable, pour la collectivité, de l’ensemble des biens. Dans son application, cette règle de gestion se heurte à bien des difficultés. La première est qu’elle est susceptible de faire apparaître un déficit : ceci apparaît lorsque le point d’intersection entre le coût marginal et la recette moyenne est situé au dessous de la courbe de coût moyen. C’est particulièrement vrai pour le monopole en rendements croissants (autrement appelé « monopole naturel ») car le coût marginal est inférieur au coût moyen. Une solution peut consister à subventionner le monopole pour qu’il puisse vendre au coût marginal. Mais la subvention suppose un prélèvement par voie fiscale qui a trois inconvénients : la levée d’un impôt supplémentaire peut engendrer des distorsions (ex : une moindre incitation au travail, la ponction fiscale se fait aussi sur des agents qui n’utilisent pas le bien ou le service et l’impôt est décidé par des autorités où les considérations politiques peuvent l’emporter sur les arguments économiques
La tarification au coût marginal, qui est pourtant optimale, conduit donc automatiquement au déficit dans le cas des « monopoles naturels » ...On a donc cherché à construire un optimum de « second rang », c’est-à-dire une solution en matière de production et de tarifs permettant l’utilisation rationnelle des ressources tout en respectant la contrainte d’équilibre budgétaire. Le monopole est alors invité à pratiquer une tarification au coût moyen (tant que celui-ci est supérieur au coût marginal, c’est-à-dire en rendements croissants). Mais dans ce cas, le monopole ne réalise aucun profit et n’est pas incité à réduire ses coûts car il sait qu’une baisse du coût moyen provoquera une baisse du prix. Et surtout, la satisfaction de la société n’est pas maximale.
Il existe une autre solution, celle de la discrimination du prix. Un premier bloc de client, OQ1, paie un prix relativement élevé, P1, un second bloc, Q1Qc, acquittant le prix optimal Pc. Sur ce dernier bloc, la firme connaît une perte d’exploitation FBCG, mais elle est largement compensée par le gain sur le premier bloc, P1HFA. Cette pratique discriminatoire est connue sous le nom de règle de Ramsey-Boiteux dont l’idée de base est que, pour être rentable, une entreprise doit, d’une façon ou d’une autre, tarifier à un prix supérieur au coût marginal. Plus précisément, la règle de Ramsey-Boiteux énonce que le prix doit être d’autant supérieur au coût marginal que la clientèle a une demande élastique. Autrement dit, il convient d’instaurer un rapport prix/coût marginal plus élevé pour les demandes les plus inélastiques.

La tarification au coût marginal

II) Autres cas de concurrence imparfaite

Les autres cas de concurrence imparfaite que nous allons évoquer sont des situations intermédiaires entre le monopole et la concurrence pure et parfaite. La situation la plus fréquente est la présence de quelques entreprises sur un marché. Chacune d’entre elles doit alors tenir compte des actions et réactions réelles ou supposées de ses concurrents. La situation la plus intéressante pour une entreprise est celle du monopole car c’est dans ce cas que le profit sera le plus élevé. Les comportements stratégiques des entreprises auront donc comme objectif d’atteindre ou de se rapprocher le plus possible d’une situation de monopole. Pour cela, elles peuvent chercher à créer un cartel, c’est-à-dire à s’entendre sur le niveau des prix et de la production, à absorber leurs concurrents ou à différencier leurs produits.
Dans la réalité, l’hypothèse d’homogénéité du produit est aussi rarement respectée et les entreprises cherchent à différencier leurs produits. Le marché se trouve alors dans une situation de concurrence monopolistique.

A. Le duopole

Dans une situation de duopole, deux producteurs indépendants approvisionnent le marché et cherchent à maximiser leurs profits. Par rapport à la situation de concurrence pure et parfaite, les producteurs peuvent influencer par les quantités offertes le prix du marché. Mais ils ne se sont pas pour autant dans une situation de monopole puisqu’ils se concurrencent mutuellement et qu’il leur est difficile de ne pas tenir compte du comportement de l’autre.
Ainsi, les « idées » que se fait chacun des agents sur le comportement des autres (leurs onjectures) jouent un rôle très important. Par exemple, les deux producteurs peuvent se faire une concurrence par les quantités, en considérant l’offre de l’autre comme une donnée (c’est-à-dire indépendante de ses propres décisions) : c’est le duopole de Cournot.
Dans ce cas, pour chaque niveau qj de l’offre d’un des agents, l’autre décide de sa production q ; qui maximise son profit. Ce qui détermine une relation entre qi et qj, soit qi(qj), que l’on appelle lu fonction de réaction du duopoleur i et qui définit dans le plan (qi,qj) une courbe de réaction Ci. L’autre duopoleur agissant de même, il possède sa propre fonction e réaction qj(qi), correspondant à une autre courbe de réaction Cj. Par définition, un point d’une courbe de réaction signifie que le duopoleur correspondant maximise son profit si l’autre produit bien la quantité anticipée. Un équilibre dans un duopole de Cournot existe donc si les deux courbes de réaction se coupent au moins une fois. Effectivement, en ce point, chacun des deux se comporte comme l’autre l’avait prévu, ce qui leur permet de maximiser leur profit.

Bien sûr, cette situation n’est pas la seule envisageable, et l’on a aussi étudié des cas où l’un des duopoleurs (le leader) a une position dominante par rapport à l’autre (le suiveur), en ce sens qu’il possède des informations que n’a pas son concurrent, le cas limite étant la connaissance de la fonction de réaction de l’autre (duopole de Stackelberg). Cette connaissance permet au leader d’anticiper parfaitement le comportement du suiveur et d’utiliser cette information pour choisir la production lui assurant le plus grand profit possible. En général, le leader obtient un profit supérieur à celui qu’il aurait eu avec des conjectures « à la Cournot », et c’est l’inverse pour le suiveur. Un tel résultat pose d’ailleurs le problème de la rationalité du suiveur, qui se comporte systématiquement de façon « myope », sans rien apprendre de l’expérience.
Enfin, les duopoleurs peuvent se faire une « guerre en prix  », c’est-à-dire que les conjectures faites portent cette fois-ci sur le prix qui va être pratiqué par l’autre. Chacun cherche à accaparer la totalité de la demande en faisant baisser les prix. Quand chacun considère la décision de l’autre comme donnée, on a un duopole de Bertrand, et on peut montrer que si les deux firmes ont le même coût marginal, l’équilibre est atteint quand chacune égale son prix à ce coût marginal, ce qui est la solution concurrentielle. Toutefois, ce résultat n’est valable qui si les coûts marginaux sont égaux, ce qui est loin d’être le cas en général.
Aussi la règle est-elle plutôt, dans les situations que nous venons de décrire rapidement, que le prix soit supérieur au coût marginal, impliquant un équilibre qui n’est pas un optimum de Pareto.

B) L’oligopole

L’oligopole désigne une situation de marché dans laquelle quelques entreprises font face à une multitude d’acheteurs. Comme dans le cas du duopole, toute décision d’une entreprise a des conséquences sur les autres. Il est donc possible d’étendre à l’oligopole les analyses faites à propos du duopole. Les entreprises peuvent adopter un comportement selon les analyses de Cournot ou de Stackelberg. Elles peuvent se livrer à une guerre des prix pour conquérir le marché ou s’entendre entre elles et former un cartel. Lorsque les entreprises ne coopèrent pas entre elles, les décisions permettent rarement de parvenir à une situation optimale. C’est tout l’intérêt de l’apport de la théorie des jeux.

1. Le cartel

Pour éviter une concurrence qui peut se révéler néfaste pour tous, les producteurs en situation d’oligopole ont souvent intérêt à s’entendre. La collusion, ou entente, est un accord, parfois explicite, souvent implicite, visant à limiter la concurrence. La forme la plus aboutie de l’entente est le cartel. Dans ce cas, les entreprises passent un accord explicite qui définit le niveau de production et donc, par voie de conséquence, le prix des produits. L’accord peut aussi porter sur le partage du marché  ; le cartel attribue ainsi à chaque entreprise, pourtant juridiquement indépendante, des quotas de production. Le cartel maximise son profit en produisant la quantité qui égalise la recette marginale avec le coût marginal. Si l’entente est parfaite et qu’aucune entreprise ne triche, le profit du cartel sera équivalent à celui d’un monopole comportant plusieurs établissements. Si les fonctions de coûts des différentes entreprises composant le cartel sont identiques, la répartition de la production ne posera pas de problème car chaque entreprise devra réaliser les mêmes niveaux de production et recevra des profits identiques. La situation est plus difficile si les fonctions de coûts sont différentes. Dans ce cas, l’entreprise dont les coûts sont supérieurs à ceux des autres entreprises se voit attribuer un volume de production plus faible et son profit diminue par rapport à une situation de Cournot. L’accord de cartel doit donc prévoir une compensation financière pour fidéliser cette entreprise.
Les cartels durables sont rares car la formation de cartel impose des coûts de surveillance très élevés. Chacun est incité à tricher en vendant moins cher et ainsi en s’appropriant une part plus élevée du marché. Par ailleurs, lorsque le cartel est efficace, les surprofits qu’il engendre incitent de nouvelles entreprises à entrer sur le marché. Les cartels sont donc généralement temporaires.

2. Comportement de l’oligopole et théorie des jeux

Dans le cas de l’oligopole, un nombre limité d’entreprises est présent sur le marché. Chaque décision de chaque entreprise a une influence sur les autres entreprises ; elles doivent donc adopter un comportement de type stratégique. La théorie des jeux étudie la prise de décision et les effets de ces comportements stratégiques. Elle montre comment des individus rationnels maximisent leur satisfaction dans le cadre de stratégies et pourquoi cette maximisation individuelle ne conduit pas toujours à l’optimum collectif.

L’exemple le plus célèbre de la théorie des jeux est celui du « dilemme du prisonnier » (A.W. Tucker)
Un juge a sous sa garde deux suspects qui auraient commis un crime ou un délit ensemble. Il les interroge séparément, et ils ne peuvent communiquer entre eux. Le juge parle individuellement à chacun des inculpés et leur dit qu’ils peuvent avouer ou non. Si tous les deux nient, seul un chef d’inculpation mineur sera retenu et ils écoperont d’un an de prison. S’ils avouent tous les deux, ils seront jugés mais bénéficieront, parce qu’ils auront avoué, d’une peine inférieure au maximum, soit 8 ans au lieu de 10 ans. Enfin, si l’un avoue et l’autre nie, celui qui aura avoué bénéficiera de la clémence du tribunal et sera remis en liberté alors que l’autre sera condamné au maximum (10 ans)

Le dilemme du prisonnier
(Nombre d’années de prisons encourues)

Suspect n° 1
Avoue
Nie
Suspect n° 2
Avoue
8, 8
0, 10
Nie
10,0
1, 1

En fait, chacun des prisonniers a une stratégie dominante qui conduit, inéluctablement, à la solution...qui est la pire pour les deux. Le prisonnier n°2 ne sait pas ce que l’« autre » va faire, mais compte tenu de la matrice du jeu, il a toujours intérêt à choisir la stratégie consistant à « Avouer » (8 années de prison sont préférables à 10 et 0 à 1). Il en va de même pour Le prisonnier n°1, ce qui fait que les deux prisonniers sont conduits, inéluctablement (sous les hypothèses retenues) à la solution qui est la pire pour tous les deux, puisqu’elle totalise 16 ans de prison.
La recherche de l’intérêt individuel ne permet pas toujours d’atteindre l’optimum collectif
Le dilemme du prisonnier peut être appliqué à l’économie et permet de comprendre pourquoi certaines décisions semblent contraires à l’intérêt général.

Deux entreprises se partagent le marché (nous prenons un exemple limité à deux entreprises et à deux stratégies par souci de simplification). Les prix et les profits dépendent du niveau de la production sur le marché. Pour écouler une production plus importante, les entreprises doivent baisser les prix, ce qui érode les profits. Considérons que chaque entreprise doive choisir entre un niveau élevé et un niveau faible de production et que chacune d’entre elles prenne sa décision sans coopération avec l’autre.

Matrice des gains du dilemme de l’oligopole

Entreprise B
Prod. faible
Prod. forte
Entreprise A
Prod. faible
10, 10
2, 12
Prod. forte
12, 2
5, 5

Le nombre de gauche concerne le profit attendu de l’entreprise A, et le nombre de droite, celui de l’entreprise B.

La stratégie « production forte » est une stratégie dominante, car quel que soit le choix de l’entreprise B (production forte ou production faible), l’entreprise A fait un profit plus élevé (12 vaut mieux que 10 et 5 est préférable à 2), et il en va de même pour B. Les deux duopoles choisissant une production forte, leur profit respectif est de 5, ce qui est une solution sous-optimale. Une entente leur aurait permis d’opter toutes les deux pour un faible niveau de production et de réaliser chacune un profit de 10.
Il est important de savoir quel est, lorsqu’il y a plusieurs joueurs, la solution à laquelle on peut s’attendre raisonnablement.

Un équilibre de Nash est réalisé par le choix de stratégies tel que, étant donné le choix des autres joueurs, aucun joueur ne veut changer le sien.
L’équilibre de Nash n’est pas forcément un optimum collectif.
La stratégie dominante dans le dilemme de l’oligopole, que nous venons de voir est un équilibre de Nash puisque quel que soit le choix de l’entreprise B, l’entreprise A choisit « production forte  », et quel que soit le choix de l’entreprise A, l’entreprise B choisit aussi « production forte ».

Si la stratégie dominante est toujours un équilibre de Nash, il existe des jeux qui admettent un ou même plusieurs équilibres de Nash et aucune stratégie dominante. Imaginons un marché sur lequel une production trop forte réduit les prix et le profit, mais une production trop faible crée une insatisfaction qui fait que les consommateurs se détournent du produit.
Il existe aussi des cas où la stratégie dominante est un équilibre de Nash et permet de maximiser le profit global.

Mais la théorie des jeux montre que l’optimum n’est pas nécessairement atteint et que les joueurs, ici les entreprises, peuvent être satisfaits de leur choix (et ne pas désirer changer), même lorsque l’agrégation des différents choix ne conduit pas à l’optimum.

C)La concurrence monopolistique

La concurrence monopolistique est une situation de marché dans laquelle un grand nombre d’entreprises offrent des produits différenciés, dont les caractéristiques sont légèrement différentes. Ces produits ne sont donc pas parfaitement substituables les uns aux autres. On suppose aussi qu’il n’y a pas de barrières à l’entrée. La seule différence avec la concurrence pure et parfaite est donc l’absence d’homogénéité des produits.
Dans la réalité contemporaine, on trouve très fréquemment des situations où quelques entreprises en situation d’oligopole offrent des produits différenciés. Par exemple, les automobiles, les parfums, les crèmes de beauté, les lessives, les boissons non alcoolisées, les ordinateurs, les séjours de vacance sont produits par un petit nombre de grandes entreprises qui cherchent à fidéliser leurs clients en proposant des biens ou des services un peu différents et vendus sous leur propre marque.

1. La différenciation horizontale et verticale

La différenciation peut être horizontale : les firmes proposent des produits de qualité identique mais aux caractéristiques différentes. La différenciation horizontale a été étudiée pour la première fois par H. Hotelling en 1929. Il prend l’exemple de vendeurs de glace sur une plage et se demande à quel endroit ces vendeurs doivent s’installer pour maximiser leur profit. Ils peuvent choisir une localisation géographique située aux deux extrémités de la plage, ce qui leur permet d’augmenter leurs prix, ou s’installer tous les deux au centre de la plage, ce qui les oblige à tenir compte de la concurrence de l’autre vendeur. Cet exemple montre que le prix d’un produit n’est pas indépendant de sa localisation géographique. Un consommateur est prêt à payer plus cher les services d’un coiffeur situé près de chez lui plutôt que de faire un long trajet pour trouver un coiffeur moins cher. De même, un petit commerce peut-il vendre du chocolat en poudre plus cher qu’un grand supermarché s’il est situé dans une rue commerçante alors que le supermarché est installé dans une zone périphérique. En situation de différenciation horizontale, les prix des produits, à qualité identique, peuvent être différents en raison de la distance qui les sépare du consommateur. D’autres motifs expliquent les différences de prix : le désir des consommateurs de disposer d’une grande variété de produits ou leur attachement à une marque particulière.

La différenciation peut aussi être verticale. Cette situation a été étudiée en 1933 par E. Chamberlin. Dans ce cas, les firmes proposent des produits répondant au même besoin mais qui sont de qualité différente. La qualité des produits peut être objective ou subjective (la firme a su persuader ses clients que le produit était de meilleure qualité que celui des concurrents). Par exemple, les producteurs de pianos proposent à leurs clients des pianos d’étude, des pianos pour les amateurs éclairés et des pianos de concert.
En différenciant leurs produits, les entreprises se livrent à une concurrence pour partie hors prix. Elles cherchent à fidéliser leurs clients et à en attirer de nouveaux par différents moyens  : rapidité des services de livraison, qualité du service après-vente et du produit, innovation, dynamisme du service commercial. La publicité par son rôle d’information et de persuasion joue alors un rôle fondamental. La réussite de ces stratégies dépend de la plus ou moins grande substituabilité des produits offerts par les firmes concurrentes et par leur capacité à persuader les acheteurs des différences intrinsèques existant entre produits.

2. L’équilibre en concurrence monopolistique

Si les entreprises en concurrence monopolistique sont suffisamment nombreuses, chacune d’entre elles peut ignorer les conséquences de ses actions sur les autres. Chaque firme fait face à une demande décroissante comme si elle était en situation de monopole. Si elle augmente son prix alors que le prix des concurrents ne change pas, elle perd une partie de sa clientèle. Si elle baisse son prix alors que le prix des concurrents ne change pas, elle attire une partie de la clientèle des autres firmes. Cette situation est différente de la concurrence pure et parfaite où le prix s’impose à la firme.
A court terme, l’entreprise en concurrence monopolistique va maximiser son profit en égalisant sa recette marginale avec son coût marginal. Comme la recette marginale est inférieure à la recette moyenne, elle réalise un profit comme si elle était en situation de monopole.
Cependant, à long terme, à la différence du monopole, de nouvelles firmes, attirées par les profits, vont arriver sur le marché. La courbe de demande de l’entreprise en concurrence monopolistique se déplace vers la gauche : pour un même prix, l’entreprise produira moins. De plus, la demande devient plus rigide : si l’entreprise augmente son prix, elle perd peu d’acheteurs ; si elle le baisse, elle gagne moins d’acheteurs. Le processus va se poursuivre jusqu’à ce que le profit de l’entreprise en concurrence monopolistique soit nul. Cette situation est atteinte quand la courbe de demande est tangente à celle du coût moyen.
En concurrence monopolistique, l’équilibre de long terme est différent de l’équilibre en concurrence pure et parfaite même si, dans les deux cas, le profit est nul. En concurrence monopolistique, l’entreprise vend moins et plus cher qu’en concurrence pure et parfaite. Le prix de vente est supérieur au coût marginal et les quantités produites ne sont pas telles que le coût moyen soit minimum. Les acheteurs sont en effet prêts à payer plus cher pour se procurer un produit différencié.

Par rapport à la concurrence pure et parfaite, la concurrence imparfaite débouche sur des équilibres non optimaux et souvent instables. Néanmoins, dans certains cas, comme les monopoles naturels ou la différenciation des produits qui correspond à une demande des consommateurs, ces situations peuvent se justifier. Il en est de même quand la concentration des entreprises s’accompagne d’une réduction des coûts qui profite aux consommateurs. Les pouvoirs publics doivent néanmoins veiller à ce que les grandes firmes n’abusent pas de leur position dominante.
De plus, le comportement de l’entreprise ne résulte pas seulement de la structure du marché. Les entreprises en situation de monopole peuvent ainsi adopter un comportement de concurrence pure et parfaite en abandonnant volontairement leur surprofit. Tout dépend du degré de contestabilité des marchés. Sur les marchés peu contestables, pour lesquels la production exige des dépenses importantes en coûts fixes non recouvrables, les entreprises se comportent en monopole car les barrières à l’entrée et à la sortie sont dues à la nature du marché. Mais sur les marchés contestables sur lesquels les coûts fixes sont faibles, une entreprise en situation de monopole aura intérêt à se comporter comme en situation de concurrence et à abandonner son surprofit afin de dissuader d’autres entreprises d’entrer sur le marché et de la concurrencer.

Bibliographie indicative

Microéconomie, G. Abraham-Frois, Economica.
Analyse microéconomique, J. Lecaillon Cujas.
Découverte de la microéconomie, Cahiers Français, n°254.
Microéconomie, Marc Montoussé, Isabelle Waquet, Bréal.
Initiation à la microéconomie, Bernard Bernier, Henri-Louis Védié, Dunod.
Introduction à la microéconomie, G. Rotillon, La découverte.
La nouvelle microéconomie, P. Cahuc, La découverte.
L’économie néoclassique, B.Guerrien, La découverte.
Fondements d’économie industrielle, Yves Morvan. Economica.
L’économie de marché, R. Guesnerie Dominos, Flammarion.
Economie de la réglementation. F. Lévêque La découverte.

Pour télécharger cet article au format pdf, cliquez sur le lien ci-dessous

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)