NTIC et relations du travail

, par Viviane Mechali

L’entreprise ou plus généralement tout type d’organisation est ouverte au réseau mondial Internet Bien qu’utile et indispensable, cette ouverture rend l’entreprise vulnérable, modifie profondément son organisation et remet en cause la sécurité de données confidentielles. L’utilisation permanente des outils informatiques a aussi marqué la relation de travail existante entre les employés et les employeurs ; a transformé le lien de subordination ainsi que le cadre de travail et les règles le régissant.


1 L’environnement de l’entreprise

L’entreprise ou plus généralement tout type d’organisation est ouverte au réseau mondial Internet. Cette ouverture permet l’échange, la facilitation des communications sans tenir compte des contraintes spatio-temporelles. Cependant, bien qu’utile et indispensable, elle rend l’entreprise vulnérable, modifie profondément son organisation et remet en cause la sécurité de données confidentielles.
L’utilisation permanente de ces outils a aussi marqué la relation de travail existante entre les employés et les employeurs ; a transformé le lien de subordination ainsi que le cadre de travail et les règles le régissant.

2 La prise en compte des NTIC dans le droit du travail

D’une organisation classique, hiérarchique, l’entreprise évolue vers une organisation où l’information peut circuler en «  court-circuitant la hiérarchie ». Grâce à l’utilisation des réseaux, plus de souplesse, plus de réactivité sont introduites dans l’organisation des entreprises : C’est l’apparition des entreprises réseaux. Ces bouleversements organisationnels agissent sur le contrôle que peut exercer l’employeur à l’égard du salarié et sur les droits du salarié quant à l’utilisation de ces outils d’information et de communication. L’utilisation des NTIC offre à l’employé un espace de liberté et d’ouverture importants et à l’employeur un outil de contrôle puissant.

—> En février 2002, la CNIL, dans un rapport estimait que les entreprises avaient atteint une étape supplémentaire en termes de surveillance dans les activités des employés ; l’outil informatique permet de décrire précisément des profils et le type d’activité exercée. Alors que les systèmes de vidéosurveillance et les badges sont visibles, la traçabilité informatique s’opère de façon « invisible ». Cette nouvelle situation entraîne alors une nouvelle conception du lien de subordination.

En effet, selon l’article 544 du code civil « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois et les règlements ». L’employeur est naturellement le propriétaire des outils informatiques. Lorsque l’employé sur son lieu de travail et pendant ses heures de travail utilise les outils informatiques de l’entreprise pour naviguer sur la toile ou échanger des courriers électroniques l’employeur peut-il exercer un droit de surveillance sur leur utilisation ? A ces situations litigieuses, l’arrêt Nikon de la cour de cassation en matière de surveillance des courriers électroniques rendu le 2 octobre 2001 fait école. Rappelons «  le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée...celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; de sorte que l’employeur ne peut ...sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur  ». Le salarié a le droit à une utilisation privée de la messagerie professionnelle puisque le principe du secret des correspondances doit être respecté.

L’arrêt rendu par le conseil d’Etat le 15 octobre 2003 relatif à la mise à pied d’un fonctionnaire pour utilisation d’une messagerie professionnelle contraire au principe de laïcité et de neutralité confirme qu’en aucun cas le contenu des messages personnels ne doit être divulgué ou faire l’objet d’une sanction. Par contre «  l’utilisation détournée » des moyens de communication du service est sanctionnée. Dans le cas cité, le fonctionnaire utilisait son adresse professionnelle « à des fins personnelles d’échanges entrepris en sa qualité de membre de l’Association pour unification du christianisme mondial ». Ces mentions étaient apparentes sur ledit site « destiné à la consultation du public ».

—> Par ailleurs, l’employeur doit préserver son réseau informatique des virus et des multiples et diverses intrusions possibles. Cette préoccupation implique une mise en place des logiciels pare-feu et un contrôle de plus en plus omniprésent du trafic des communications et des navigations des salariés sur la toile donc un rôle de plus en plus croissant et technique des administrateurs réseaux. Cependant, ces contrôles et ces investigations du service informatique de l’entreprise même s’ils sont reconnus comme nécessaires pour la sécurité informatique de l’entreprise, doivent néanmoins respecter le principe de la confidentialité et notamment pour les correspondances informatiques. L’administrateur est ainsi soumis a un rôle de confidentialité à l’égard du contenu des messages ou des fichiers personnels émis par le salarié sous peine de rendre illicite (et donc nul) le moyen de preuve ainsi obtenu et donc d’engager sa responsabilité pénale et/ou celle de l’employeur. Ce dernier doit informer le comité d’entreprise ou à défaut les délégués du personnel de la mise en œuvre d’un dispositif de surveillance de l’utilisation des NTIC ; généralement est mis en place une charte informatique édictant les règles de bonne conduite. Dans cette charte peuvent être définies les règles d’utilisation des NTIC pour permettre un usage normal et optimal des ressources informatiques utilisées au sein de l’organisation, les responsabilités des utilisateurs en cas de non respect des règles ainsi que le contrôle et les limites du pouvoir exercé par l’administrateur.

Afin de faciliter les relations de travail, la CNIL dans son rapport de février 2002 apporte des éclaircissements.

—> Les préconisations de la CNIL

  • Le contrôle des connexions à Internet : mise en place de mesures préventives (dispositifs de filtrage et contrôle a posteriori des connexions) avec informations auprès des salariés. Selon l’article L432-2-1 du code de travail, il doit y avoir consultation du comité d’entreprise dans le cadre privé, ou du comité technique paritaire dans la fonction publique, ou encore de toute instance représentative présente dans l’entreprise. Pour un contrôle individualisé, l’employeur a l’obligation de déclarer à la CNIL les moyens mis en œuvre pour cette surveillance.
  • Le contrôle de l’usage de la messagerie en respect de l’intimité de sa vie privée. Les consultations à titre personnel et dans un délai raisonnable, ainsi que les consultations ponctuelles de sites dont le « contenu n’est pas contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs » seraient admises.
  • Le rôle des administrateurs de réseaux : est limité par « aucune exploitation à des fins autres que celles liées au bon fonctionnement et à la sécurité des applications des informations ».
  • L’utilisation des technologies de l’information et de la communication par les instances représentatives dans la société ou dans le cadre de la représentation syndicale dans l’entreprise.serait souhaitable.
  • Un bilan annuel « informatique et libertés » devrait être soumis aux comités d’entreprise sur les mesures de sécurité permettant une traçabilité de l’usage du réseau.
  • La désignation d’un délégué à la protection des données pourrait être nommé en accord avec les instances représentatives présentes, ayant une mission de « correspondant informatique et libertés » dans la société, sur les thèmes abordés.

3 Conclusion

A ce jour l’introduction des NTIC dans le monde du droit du travail a fait l’objet d’une jurisprudence qui dessine progressivement son utilisation. Cette évolution préconise un équilibre subtil entre les droits de l’employeur et ceux du salarié, entre la vie privée et la vie professionnelle. Enfin l’apport des conclusions de la Cnil constitue une base de référence dans la construction de cet exercice.

4 Pour aller plus loin

J.E RAY : « le droit du travail à l’épreuve des NTIC »

5 Pour une utilisation pédagogique

  • Les relations individuelles du travail
  • La représentation et l’action collective des salariés dans l’entreprise
  • L’utilisation d’internet

 

Pour télécharger l’article au format pdf, cliquer sur le lien ci-dessous :

NTIC et évolution du droit du travail

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)