Introduction :
Le 03 novembre 2009, le gouvernement français a lancé une expérimentation du curriculum vitae (CV) anonyme jusqu’à fin avril 2010 auprès d’entreprises volontaires (Axa, Casino, Sanofi-Aventis) et cela avant de publier le décret d’application de la loi du 2 avril 2006 sur l’égalité des chances. Les mentions du CV qui seront anonymisées dans le cadre de l’expérimentation sont les nom et prénom, l’adresse, y compris électronique, le sexe, l’âge ou la date de naissance, le lieu de naissance, la nationalité, la situation de famille et la photographie.
Cette volonté s’inscrit également dans une préoccupation partagée par de nombreux juristes dont Emmanuel DOCKES qui considère que « combattre les discriminations est l’une des tâches les plus difficiles et les plus urgentes du droit du travail » [1].
Le concept de discrimination a fait l’objet de plusieurs études et de définitions légales, jurisprudentielles et mêmes doctrinales. Au sens large, la discrimination peut être définie comme « une différenciation contraire au principe de l’égalité civile consistant à rompre celle-ci au détriment de certaines personnes en raison de leur appartenance raciale ou confessionnelle, plus généralement par application de critères sur lesquels la loi interdit de fonder des distinctions juridiques (sexe, opinions politiques, activité syndicale) » [2].
Toutefois, si la notion de discrimination trouve son origine dans le droit international des droits de l’Homme, le droit des discriminations est d’abord et avant tout un droit d’origine communautaire. En effet, le principe de l’égalité entre les travailleurs masculins et féminins a été posé dès le Traité de Rome [3] et c’est la législation européenne qui a pu établir le principe fondamental de non-discrimination [4]. La Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a également joué un rôle déterminant dans le dispositif juridique de lutte contre les discriminations et cela en mettant d’abord l’accent sur l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes [5] ; puis , par une jurisprudence progressive, elle a élargi le concept de discrimination.
Quant au droit français, il est constitué de textes de transpositions en matière d’égalité professionnelle entre les sexes, relayés par une jurisprudence progressive active. Mais, il convenait de poursuivre l’effort de transposition autour du principe de non-discrimination. Cependant, la tâche est difficile car la conception de la discrimination autour de la théorie du droit est différente. En effet, la philosophie du droit français est fondée sur l’égalité de traitement confortant la personne dans une posture positive, alors que la vision communautaire institue la notion de personne victime, d’où la discrimination.
En ce sens, il est intéressant d’examiner par le biais de la discrimination, la question de la supériorité de la norme communautaire impliquant de toute évidence la conformité, la compatibilité et l’effectivité de la mise en œuvre. Toutefois, la question de la discrimination positive ne sera pas abordée dans cette étude et cela pour diverses raisons. D’une part, cette notion est minoritaire dans le système juridique. En droit du travail français, il n’y a que quelques rares actions ayant justement pour fondement la discrimination positive dont par exemple celle liée à l’exigence formulée par le code du travail que tout employeur occupant au moins vingt salariés est tenu d’employer des travailleurs handicapés mutilés de guerre ou assimilés, dans la proportion de 6 % de l’effectif total de ses salariés. Mais surtout en droit communautaire, les juges de la Cour de Justice des Communautés Européennes exercent un contrôle précis de la notion de discrimination positive car ils considèrent qu’elle ne doit être utilisée qu’avec parcimonie. L’institutionnalisation d’un critère prohibé peut provoquer une certaine cristallisation et une certaine légitimation de l’utilisation du critère en question. C’est pourquoi, par souci de rigueur juridique, il nous semble plus raisonnable de limiter les développements sur ce point.
Pour autant, le concept même de discrimination a conduit les diverses autorités communautaires à rédiger de nombreuses directives et décisions communautaires. Il importe donc de comprendre comment le droit français tente t’il de s’adapter à la législation communautaire en matière de discrimination ?
Face à ces préoccupations formulées par les autorités communautaires, le législateur a donc été amené à apporter tout d’abord, des approfondissements en matière conceptuelle (I), puis à marquer une évolution en matière procédurale (II).
I- Un approfondissement en matière conceptuelle :
L’adaptation du droit français aux exigences du droit communautaire en matière de discriminations a conduit le législateur à préciser non seulement la notion de discrimination directe mais surtout à consacrer le concept de discrimination indirecte.
A- La discrimination directe limitative :
Selon le droit communautaire, on parle de discrimination directe à partir du moment où « une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable ».
Mais cette notion communautaire de discrimination directe a été remise en cause par les parlementaires lors des débats au Sénat car ils contestaient la référence au conditionnel « ne le serait », considérant que cela introduisait une insécurité juridique. La référence au passé et au présent suffisait selon eux. Cependant, la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de lutte contre les discriminations a pu apporter un compromis, celui de définir la discrimination directe de la manière suivante : « constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable » [6].
Par ailleurs, en matière de discrimination directe, il était coutume de s’interroger sur le domaine d’application de l’acte prohibé. Lors de son adoption par la loi du 4 août 1982, l’article L. 122-45 de l’ancien code du travail ne concernait que le licenciement et les sanctions disciplinaires mais le législateur est venu compléter à plusieurs reprises la liste des actes susceptibles de générer une discrimination. L’article L. 1132-1 du Code du travail vise, outre le licenciement et les sanctions disciplinaires, les actes qui permettent d’écarter un salarié « d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise » ainsi que tous les actes « en matière de rémunération (…), d’intéressement et de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat ». Il est donc possible de qualifier les actes assujettis comme tout « acte de gestion du personnel » [7].
Pour autant, toute différenciation est-elle interdite ? En matière d’emploi public, le recrutement ou la promotion ne doit être guidé que par des considérations liées « aux capacités », « aux mérites » et « aux talents » [8]. En matière d’emploi privé, l’évaluation dans le cadre du recrutement doit utiliser des méthodes « pertinentes au regard de la finalité poursuivie » [9], à savoir « les capacités à occuper l’emploi proposé ou les aptitudes professionnelles » [10]. Néanmoins, le droit opère une distinction importante entre les attributs d’actes et les attributs de personnes. Les attributs d’actes sont des considérations relatives à l’activité professionnelle telles que les capacités ou les talents. A contrario, les attributs de personnes s’entendent des éléments qui portent sur l’origine, le sexe, l’âge, l’appartenance ou la non appartenance à une ethnie, une nation ou une race, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé, les caractéristiques génétiques ou le handicap.
Cette distinction a pour finalité d’autoriser les attributs d’actes comme critères de différenciation mais prohibe les différenciations fondées sur les attributs de personnes.
En ce sens, le droit communautaire propose une liste de discriminations ouverte en son article 81 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne annexé au Traité de Nice. Le droit français a donc dû s’adapter en reprenant à son tour une liste et cela à l’article 1 de la loi du 27 mai 2008 relative à la lutte contre les discriminations [11]. Cependant, la rédaction de ce texte a été contestée car elle offre une présentation limitée et courte des attributs prohibés. L’absence de l’adverbe « notamment » suggère que tout élément non cité dans la loi peut être permis, toléré ou encore même autorisé. Cette interprétation permissive est contestable.
Toutefois, la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations a marqué une avancée conceptuelle en matière de harcèlement dans le sens souhaité par la commission européenne. Auparavant, la commission reprochait à la France de ne pas avoir transposé les dispositions de la directive 2002/73 relative au harcèlement lié au sexe. Elle reprochait également de ne pas avoir appliqué la notion de harcèlement au sens communautaire aux motifs énoncés par les directives 2000/43 et 2000/78. Elle reprochait enfin de limiter son application au champ de l’emploi et au travail. Les dispositions nationales considéraient en effet dans le code du travail comme dans le code pénal qu’il n’y a harcèlement que lorsque les agissements sont répétés et sont en lien avec les conditions de travail. Elles ne considéraient pas le harcèlement comme une discrimination. Or pour la commission, dans tous les cas, le harcèlement est constitutif d’une discrimination. La directive 2002/73 par exemple doit être interprétée de telle manière qu’un acte même non répété soit constitutif d’un harcèlement dès lors qu’une situation a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
A présent, l’article 1 de la loi du 27 mai 2008, dispose que « la discrimination inclut : Tout agissement lié à l’un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
Par ailleurs la loi du 27 mai 2008 marque une avancée non moins négligeable, celle d’avoir consacré le concept de discrimination indirecte.
B- La discrimination indirecte consacrée :
Le concept de discrimination indirecte trouve son origine dans les droits anglo-saxons. Il a été d’abord introduit par les juges européens dans la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes [12](CJCE) puis inséré dans les directives européennes [13].
Une discrimination indirecte est établie dans les différentes directives communautaires lorsque « une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes (pour l’un des motifs communautaires) par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens ne soient appropriés et nécessaires ».
Cette notion a été fortement contestée par le droit français et a donné lieu à débat. Lors des négociations préparatoires à la directive 2000/43, la France refusait d’adopter la définition de discrimination indirecte qui avait été celle retenue par la CJCE dans sa jurisprudence relative à l’égalité de traitement entre hommes et femmes et qui est à l’origine de la directive 97/80 [14]. Lors des derniers débats parlementaires, la notion a été à nouveau contestée. Marie-Thérèse LANQUETIN [15] a souligné que « La rapporteure du Sénat, Me Dini, estimait que l’emploi de l’expression « susceptible d’entraîner un désavantage particulier » était trop extensive. Elle donnerait une marge d’appréciation au juge qui contredit l’impératif de sécurité juridique invoqué par la Commission européenne elle-même. Une personne pourrait être condamnée pour avoir instauré une disposition, un critère ou une pratique qui ne crée pas de discrimination mais qui est susceptible de le faire. Elle autoriserait des procès d’intention ».
Cependant, lors de la commission mixte paritaire, la notion communautaire de discrimination indirecte a été finalement maintenue et consacrée par l’article premier, alinéa 2, de la loi du 27 mai 2008 dans les termes suivants : « Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés ». Il en résulte qu’une mesure qui a priori ne reflète aucune discrimination peut être qualifiée d’indirecte car elle entraînera au final une différenciation contestable.
Cette idée a été illustrée judicieusement par Emmanuel DOCKES au travers de l’exemple suivant : « Il se peut que, de bonne foi, un fabricant de vêtements rémunère mieux l’activité de découpe des tissus que l’activité consistant à coudre ces tissus, et ce par tradition ou par habitude. Si cependant, l’essentiel des salariés employés à la découpe sont des hommes, alors que l’essentiel des salariés occupés à coudre sont des femmes, le résultat de cette différence de traitement est de payer plus, en moyenne, les hommes que les femmes. Il se peut qu’aucun sexisme n’ait été à l’origine de cette différenciation et qu’au demeurant les quelques hommes employés à la couture soient payés sur les mêmes bases que les femmes, de même que les quelques femmes employées à la coupe obtiennent le même salaire que les hommes. Peu importe. Et là est toute la portée de l’innovation. Le système de rémunération conduit à une sous rémunération, en moyenne, des femmes et cela suffit pour qu’il soit présumé discriminatoire. La discrimination est alors dite « indirecte », en ce sens que la rémunération n’est pas directement fixée selon le sexe. Elle est fixée selon la tâche de découpe ou de couture. Mais la répartition des sexes dans ces deux catégories est très déséquilibrée ce qui fait qu’indirectement, le résultat de ce système est de provoquer une discrimination sexiste » [16].
L’utilité de la consécration du concept de discrimination indirecte par la loi du 27 mai 2008 est indiscutable. En effet, les mesures de discriminations sont bien souvent masquées au niveau individuel engendrant ainsi des inégalités persistantes. L’auteur d’une telle mesure prend toujours soin de dissimuler ses motivations et la victime ne peut démontrer l’acte prohibé. Consacrer la notion de discrimination indirecte était une nécessité.
En ce sens, le législateur a certes souhaité élargir le concept de discrimination mais a souhaité également apporter des innovations en matière procédurale.
II- Une évolution en matière procédurale :
Soucieux de répondre aux exigences du droit communautaire, le droit français a dû préciser son dispositif judiciaire en matière de lutte contre les discriminations en créant tout d’abord une autorité spécifique, la HALDE, puis en apportant des modifications en matière de preuve.
A- La création d’une autorité : la HALDE
La HALDE, Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité a été instituée par la loi du 30 décembre 2004 [17]. Sa création est liée aux exigences du droit communautaire et notamment de la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique [18].
Tout individu qui s’estime lésé par une discrimination peut saisir la HALDE. Mais celle-ci peut également s’autosaisir en cas de discrimination directe ou indirecte dont elle a eu connaissance mais sous la condition expresse que la victime en soit informée et qu’elle ne s’y oppose pas [19]. Le rôle de la HALDE a été renforcé par la loi du 31 mars 2006 relative à l’égalité des chances [20]. Elle dispose d’agents assermentés et spécialement habilités par le Procureur de la République. Ces derniers peuvent constater par procès-verbal les délits de discrimination, notamment dans le cas où il fait application des dispositions de l’article 225-3-1 du Code pénal [21] à savoir les pratiques de vérifications à l’improviste (ou « testing ») comme mode de preuve de l’existence d’une discrimination.
La HALDE détient trois types de pouvoirs :
- Un pouvoir d’investigation : Elle intervient pour aider les victimes à constituer leur dossier. Elle les aidera à identifier les procédures adaptées à leur situation. Elle peut recueillir des informations auprès de personnes privées [22] et peut même requérir le concours de la puissance publique [23].
- Un pouvoir de médiation : Elle a la faculté de faire procéder à la résolution de conflits par la voie de la médiation avec l’accord des personnes en cause. Elle peut proposer à l’auteur des faits constitutifs d’une discrimination prohibée une transaction. Cela consiste dans le paiement d’une amende dont le montant ne peut excéder 3 000 € s’il s’agit d’une personne physique et 15 000 € s’il s’agit d’une personne morale. Cette transaction devra ensuite être homologuée par le Procureur de la République afin d’être effective.
- Un pouvoir de consultation : Elle peut être invitée par les juridictions civiles, pénales ou administratives afin de présenter ses observations.
Cependant, si la HALDE est habilitée à émettre des recommandations, elle ne dispose pas pour autant d’un pouvoir de jugement. Malgré cela, certains juristes considèrent qu’elle a un pouvoir suffisamment large et regrettent que le législateur n’ait pas institué, comme pour d’autres autorités administratives, un recours judiciaire contre ses décisions, pour celles du moins qui présentent un caractère individuel. Grégoire LOISEAU a pu ainsi souligner que : « La Halde (…) est laissée livrée à elle-même, sans réel garde-fou dans son action. Or, il y a là, peut-être, un ferment de défiance vis-à-vis de cette instance quand on sait que son action, parce qu’elle est au moins autant politique que juridique, et toujours militante, ne peut prétendre à une rigoureuse et totale impartialité » [24].
Après avoir institué la HALDE, le législateur a souhaité renforcer le dispositif procédurier en marquant un tournant dans le domaine de la preuve grâce à la loi du 27 mai 2008 portant adaptation au droit communautaire en matière de lutte contre les discriminations.
B- Un tournant en matière de preuve
La principale difficulté en matière de discrimination tient à la preuve car il est très difficile à la personne dont la candidature a été repoussée de démontrer que la décision qui a été prise est fondée sur des considérations à caractère discriminatoire. Le régime probatoire a été aménagé en conséquence.
En effet, la loi du 27 mai 2008 a permis d’alléger la charge de la preuve au profit du demandeur. Le doute est supporté par l’employeur car la victime a pour seule obligation de présenter au juge du fond une pratique directe ou indirecte de discrimination sans avoir à prouver quoique ce soit. La loi stipule qu’il suffit que les éléments « présentés » laissent supposer une discrimination [25]. Il en résulte que le législateur tend à établir la présence d’une présomption simple.
Toutefois, la loi du 27 mai 2008 portant adaptation au droit communautaire en matière de lutte contre les discriminations a permis d’apporter la notion « d’exigence professionnelle essentielle » au profit de l’employeur. Jusqu’à présent, il était considéré que des différences de traitement puissent être fondées sur l’âge ou l’inaptitude et le sexe dans le respect des principes de pertinence et de proportionnalité. Ces différences de traitement légitimes ne constituent pas une discrimination. Le principe est alors étendu à l’ensemble des cas de figure susceptibles de constituer une discrimination. L’employeur doit donc justifier que la mesure de discrimination mise en œuvre est liée à une « exigence professionnelle essentielle » [26].
Par ailleurs , conformément à l’article L.1134-1 du Code du travail [27], le juge civil a évolué dans son rôle car il ne se contente plus d’être passif puisqu’il est demandé qu’il forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Il semble ainsi que le législateur ait souhaité faire évoluer la nature accusatoire de la procédure vers une forme inquisitoire.
En outre, la loi inclut une « injonction de discriminer » [28]. Cette dernière est nécessaire afin de protéger les témoins d’agissements discriminatoires car, en l’absence de trace écrite, la victime ne peut se baser que sur le seul témoignage de ses collègues de travail. C’est pourquoi, la loi tente d’encourager tant celui qui agit en justice pour lui-même que celui qui prête son concours à cette occasion en le soustrayant à tout risque de représailles disciplinaires ou non [29]. En matière de sanctions, le législateur a établi la nullité de la mesure prise à l’encontre de la victime, du témoin ainsi que celui qui, simplement, relate en dehors de toute démarche judiciaire les faits en cause. Le Conseil des Prud’hommes peut exiger la réintégration du salarié ou le versement de dommages et intérêts qui ne peuvent être inférieurs au montant des six derniers mois de salaires.
Et enfin, la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a modifié les délais de prescription dans le domaine des discriminations. Ainsi, pour respecter les droits de la défense, la prescription trentenaire de droit commun a été réduite à cinq ans [30]. Face aux nombreuses critiques formulées par les juristes, le législateur a tempéré cette disposition en prenant en compte comme point de départ, non plus le jour de la « commission de la discrimination » mais le jour de la « révélation de la discrimination » pouvant être largement postérieur au jour de sa « commission ». De surplus, il a prévu une réparation intégrale du préjudice afin qu’elle ne soit pas limitée par la prescription extinctive.
Conclusion :
Les législations successives en matière du droit du travail, notamment la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire, ont permis tout d’abord de renforcer le dispositif juridique en matière de lutte contre les discriminations mais également de répondre au souci de transposition et d’adaptation au droit communautaire.
Néanmoins, on peut regretter une disposition et rester attentif à l’évolution de la législation et de la pratique faite par les juges. D’une part, l’œuvre du législateur doit être approfondie. La rédaction de l’article 1 de la loi du 27/05/2008 relatif à la discrimination directe reste peu satisfaisante car trop limitative. D’autre part, du point de vue de la jurisprudence, les juges auront-ils une interprétation extensive en matière de la charge de la preuve en tendant vers une présomption simple ?
Enfin selon Emmanuel DOCKES, « la prohibition des discriminations, même complétée de celle des discriminations indirectes, demeure loin d’être suffisante pour rétablir l’égalité » [31]. La situation d’infériorité maintenue de certaines catégories a fait l’objet de constatations statistiques éloquentes. Cet écart persistant est un signe alarmant de l’ineffectivité du principe d’égalité. L’effort législatif doit être maintenu. L’une des solutions envisageables réside-t-elle dans l’approfondissement du concept de discriminations positives ? La seule certitude serait qu’il ne soit pas uniquement le reflet d’une mode politique ou journalistique et qu’il sorte de son statut d’embryon juridique pour une réelle consécration.
BIBLIOGRAPHIE
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