Les Communautés de Pratique, une nouvelle étape dans la gestion des connaissances

, par Christine Lassiette

 Introduction

La bonne santé d’une entreprise repose en grande partie sur ses ressources humaines. Elles en font la force, la réactivité et le dynamisme. Le bon fonctionnement de l’entreprise dépend fortement de sa capacité à disposer au bon moment de la bonne information. On le voit, la gestion des connaissances qui consiste à identifier, capitaliser et valoriser le capital intellectuel d’une entreprise s’avère être un enjeu majeur de développement. Les nouvelles technologies favorisent en principe ce projet si on prend garde toutefois à ne pas « tomber » dans l’excès inverse de surinformation ou de pollution informationnelle.

Après avoir rappelé quelques fondamentaux liés à la gestion des connaissances, nous évaluerons la mise en place d’une communauté de pratique au sein d’une entreprise et l’impact du système d’information et des nouvelles technologies sur son développement.

 Première partie

Pré – requis

Vaste débat que de tenter de définir ce qu’est la connaissance ! De nombreux chercheurs s’y sont déjà essayés…A l’ère de la société de l’information (encouragée par les nouvelles technologies), bon nombre d’organisations ont limité leurs « connaissances » à de l’information. Les bases de données ont proliféré et sont devenues, avec le temps, inexploitables d’où la nécessité de mieux gérer les connaissances.

Premier constat, il ne faut pas limiter la connaissance à une donnée explicite, stockable…la connaissance est aussi quelque chose de dynamique, perpétuellement réinventée

On appelle « connaissance explicite (ou tangible) » les connaissances contenues dans les bases de données ou dans les documents papiers et numériques.

On appelle « connaissance tacite (ou intangibles) » les savoir-faire et les compétences de l’ensemble du personnel (capital immatériel).

La spirale de la connaissance de Nonaka propose l’évolution de la connaissance d’une forme tacite vers une forme explicite et inversement. Néanmoins, cette représentation prête beaucoup à discussion et la conclusion est qu’il est préférable de ne pas opposer les deux formes de la connaissance mais d’envisager la connaissance dans sa dualité.

Gestion de la connaissance et processus de management des connaissances

On appelle management des connaissances (ou Knowledge Management), les méthodes et outils logiciels permettant d’identifier, de capitaliser les connaissances de l’entreprise afin de les organiser et de les diffuser.

La mise en place au sein d’une organisation d’un projet de gestion des connaissances nécessite, de la part des décideurs, une grande énergie pour surmonter les difficultés de mise en œuvre. En effet, bien que l’idée soit à priori évidente et simple, elle implique de remettre à plat l’organisation et de bousculer les méthodes de travail et de communication.

La conduite de l’entreprise vers la valorisation de son capital intellectuel, s’articule autour de cinq phases, connues sous le terme de « cercle vertueux de la gestion des connaissances »

  • Repérage
  • Préservation
  • Valorisation
  • Création et partage
  • Actualisation

Repérage  : la première étape consiste à capturer de l’information, à recenser l’ensemble des travaux produits par l’entreprise sans avoir omis au préalable de vérifier les sources.

Préservation  : vient ensuite le moment d’évaluer la pertinence de ces informations (en privilégiant la qualité à la quantité) et de conserver ce qui en fait représente la mémoire de l’entreprise ; pour faciliter la recherche et la réutilisation un processus de codage sera nécessaire.

Valorisation  : il faut ensuite mettre en place les outils nécessaires pour favoriser l’accès aux informations sans négliger l’aspect financier (retour sur investissement)

Création et partage : l’étape la plus difficile à mettre en œuvre est incontestablement celle du partage de la connaissance ; les réticences à partager sont nombreuses et il faut convaincre les acteurs de bousculer leurs habitudes et leurs préjugés. Transmettre ses connaissances est un travail long et délicat. Chaque acteur doit « disséquer » son activité pour l’analyser et la formaliser avant de la diffuser. Ce travail se complexifie lorsque la connaissance et le savoir-faire sont détenus par un groupe d’individus, on parle alors d’intelligence collective.

Actualisation  : comme la notion de connaissance est quelque chose de vivant, il est inutile de tenter de la figer à un instant donné. Il faut l’enrichir, l’améliorer en permanence.

Encore une fois, la gestion de la connaissance est un facteur déterminant pour la compétitivité des entreprises.

De la gestion des connaissances aux communautés de pratique

Les communautés de pratique répondent sans aucun doute aux attentes en gestion des connaissances.

« Les communautés de pratique sont des réseaux sociaux informels de professionnels et de collaborateurs dans et hors de l’entreprise qui ont des champs de compétences et des intérêts communs. Les activités de ces communautés sont notamment l’auto éducation et l’apprentissage en groupe, les conférences, les bulletins en ligne et le partage quotidien d’expériences et de techniques destinées à résoudre des problèmes professionnels précis……Elles favorisent la gestion des connaissances en aidant les individus à utiliser de nouveau des connaissances en orientant les membres de la communauté vers des documents utiles, en créant des référentiels de documents et en filtrant l’information …les communautés de pratique favorisent la création d’idées, de techniques et de comportements décisionnels….. » [1]

« Une communauté de pratique est une structure sociale qui partage un intérêt, un ensemble de problèmes ou une passion pour un sujet et qui approfondit ses connaissances et son expertise dans ce domaine en interagissant de manière continue. » Etienne Wenger

La « petite histoire » raconte que le concept de Communauté de Pratique a concrètement pris son envol lors de son adoption par les réparateurs de photocopieuses de la société Xerox. Et ce n’est pas lors de formations de techniciens que se développait leur efficacité mais bien au travers de discussions que ces techniciens avaient, en dehors du travail, lors d’échanges informels autour d’un café ou au cours d’un repas. Ces employés s’étaient organisés pour s’échanger l’expertise des pannes ce qui leur permettait, en un temps record, de répondre à n’importe quel problème où qu’ils soient dans le monde et sans suivre les manuels de procédures. Ce constat prouve que malgré leur travail très individuel, ces techniciens formaient bien une communauté de pratique.

Mais revenons à Etienne Wenger, chercheur suisse en intelligence artificielle, qui est l’un des fondateurs du concept (http://www.ewenger.com/). Etienne Wenger consacre une grande partie de sa vie à traiter des questions fondamentales comme l’identité et le processus d’apprentissage. Ses travaux conduisent à l’analyse du processus d’apprentissage qui permet de développer un répertoire de savoirs partagés. Ses recherches ne sont pas restées du domaine de la philosophie, elles l’ont conduit à des problèmes bien plus concrets tels que la gestion d’entreprise et ses stratégies commerciales. De chercheur, il est devenu consultant indépendant et anime des conférences dans le monde entier. Il a écrit ou coécrit de nombreux ouvrages dont le plus connu :

Communities of Practice : Learning, Meaning and Identity.

Dans son livre, Etienne Wenger présente sa théorie sociale de l’apprentissage.

Concept de pratique : pour Wenger, la pratique relève du « faire », dans ses dimensions à la fois historiques et sociales et dans sa capacité à produire de la structure et une signification aux actions. De plus, Wenger n’oppose pas la pratique à la théorie considérant que nous avons tous des théories et des cadres de compréhension du monde qui orientent notre pratique.

Négociation de sens : Wenger pense que la production sociale des significations est le niveau le plus pertinent pour l’analyse des pratiques ; il appelle négociation de sens, l’attribution de significations à nos expériences et précise qu’il faut comprendre le terme négocier dans ses deux sens (dans le sens « négocier un prix », dimension sociale et dans le sens « négocier un virage », dimension pratique liée au savoir-faire).

Communauté  : Wenger caractérise le type de relation qui existe dans une communauté de pratique par

  • Un engagement mutuel des individus dans des actions dont ils négocient le sens les uns avec les autres ; une communauté de pratique n’est ni un groupe, ni une équipe ni un réseau, c’est le résultat d’un engagement mutuel dont une des missions de la pratique est de l’entretenir ; la communauté de pratique est basée sur la complémentarité des compétences des individus ; l’engagement mutuel suppose un rapport d’entraide entre les participants, nécessaire au partage de connaissances sur la pratique.
  • Une entreprise commune, résultat d’un processus collectif permanent de négociation ; le fait de négocier des actions communes crée des relations de responsabilité mutuelle entre les personnes impliquées.
  • Un répertoire partagé, obtenu au fil du temps grâce aux ressources créées par l’engagement d’individus au sein d’une pratique commune

On peut donc résumer les caractéristiques d’une communauté de pratique par :

  • Un domaine d’intérêt commun
  • Une finalité partagée (mutualiser les connaissances, résoudre des problèmes)
  • Un ensemble de personnes
  • Des rôles identifiés (sponsor, animateur..)
  • Des règles d’appartenance
  • Des règles du jeu sur la façon de fonctionner ensemble
  • Des moyens de communication
  • Une mémoire collective

 Deuxième partie

Mise en place d’une communauté de pratique ou comment réussir le management de la connaissance ?

1. Pourquoi mettre en place une communauté de pratique ?

La qualité des connaissances auxquelles les employés d’une entreprise ont accès est un objectif majeur pour dépasser la concurrence. La mise en place d’une communauté de pratique garantit sa compétitivité.

Elle doit permettre :

  • De conserver des traces des pratiques et actions pour une meilleure gestion des savoirs
  • De faciliter l’apprentissage
  • De maitriser, d’approfondir un domaine d’expertise
  • De susciter l’innovation en détectant les idées neuves
  • De faciliter la résolution de problèmes
  • De mutualiser des ressources rares

Ces objectifs aboutissent en :

  • intensifiant les échanges entre les individus qui doivent mettre en commun leurs connaissances, leurs savoir-faire.
  • établissant des règles de communication qui faciliteront le développement d’une intelligence collective
  • dépassant les cloisonnements
  • favorisant l’aboutissement des projets
  • soudant les équipes dispersées géographiquement

Le transfert de connaissance n’est pas une activité récente. Bien avant le boum numérique, il s’opérait de personne à personne comme par le compagnonnage par exemple. Le développement des nouvelles technologies ne fait qu’ouvrir à un beaucoup plus grand nombre l’accès aux connaissances et le facilite grâce aux moteurs de recherche. Pour les directions générales, la question n’est plus « quoi faire ? » mais « comment faire ? »

2. Comment bien la gérer ?
  • La choyer, la cultiver, la valoriser, la récompenser plutôt que de la combattre
  • Bien la connaître : il faut constituer un service de veille afin de contrôler, d’orienter et d’améliorer son fonctionnement
  • Mettre les acteurs potentiels en relation (y compris avec des communautés de pratique autres, même en dehors de l’entreprise)
  • Résoudre les tensions pour créer des conditions organisationnelles favorables à l’apprentissage en la valorisant au sein de l’entreprise
  • L’aider en dégageant de certaines de leurs obligations, les acteurs principaux
  • Aménager des conditions matérielles propices à l’épanouissement de la communauté de pratique

2.1 Les risques

  • Peut devenir un mystérieux lieu d’échanges sans même que l’entreprise soit au courant (inconnue de la hiérarchie) ; une communauté de pratique peut vivre sa vie loin des entreprises puisque l’objectif n’est pas productif, c’est un simple partage des connaissances.
  • Résistances des participants

2.2 Les bénéfices

  • Conserver des traces des pratiques et actions pour une meilleure gestion des savoirs
  • Faciliter l’apprentissage
  • Maîtriser, approfondir un domaine d’expertise
  • Susciter l’innovation
  • Faciliter la résolution de problèmes
  • Mutualiser des ressources rares
  • Le savoir est échangé rapidement par email, et évite ainsi la réunionite aiguë
  • Donner le sentiment d’une responsabilité de chacun vi à vis d’une communauté

2.3 La durée de vie

Une communauté de pratique a une durée de vie limitée du fait de l’évolution des connaissances. L’apprentissage des acteurs se construit au quotidien dans la pratique et en retour, de manière réflexive, cette pratique contribue à la modification de l’organisation dans laquelle évolue l’acteur. Elle doit durer aussi longtemps que les membres ont un intérêt à s’y investir, à l’améliorer et à la maintenir.

Le système d’information peut-il améliorer (ou pas) les communautés de pratique ?

Le système d’information s’avère être un support fabuleux pour les communautés de pratique, qui de plus deviennent, grâce aux nouvelles technologies des communautés virtuelles.

Les réseaux informatiques, outre le fait de régler le problème de la distance, permettent également d’intensifier les communications et de partager en temps réel de l’information. Ce qui conduit Wenger à définir l’organisation comme une constellation de communauté de pratiques interconnectées les unes aux autres.

L’objectif des entreprises va être de veiller à ce que les acteurs contribuent régulièrement à alimenter le système d’information et de les inciter à toujours rechercher dans le système d’information avant de produire. Plusieurs précautions sont alors à prendre :

  1. il faut des outils mais il ne faut pas qu’ils soient trop sophistiqués
  2. trop d’information tue l’information, il faut proscrire la pollution informationnelle
  3. la sécurité et la confidentialité sont une garantie du succès d’où la nécessité de mettre en place une charte de collaboration ; cette charte définit l’organisation de la communauté de pratique, son périmètre, les rôles de chaque acteur, les modes opératoires d’intervention et de partage de l’information
  4. la mise en place d’une communauté de pratique ne doit pas être une entrave à l’innovation
  5. l’Intranet, qui n’est qu’une couche technique, n’apporte pas de solution réelle à l’appropriation de la connaissance ; l’objectif le plus ambitieux va être de réussir à ce que les acteurs puissent extraire du système d’information les sources les plus pertinentes

Pour réussir sa communauté de pratique, l’entreprise dispose d’outils performants :

  • outils de modélisation des connaissances (modélisation des activités cognitives internes (perception, mémoire, langage, représentations))
  • outils de communication
  • outils de gestion des connaissances et de travail collaboratif
    • Liste de discussion (échange courriels)
    • Sites Web (partage de documents, discussions sur forums)
    • Chat (salon de bavardages) : rencontres virtuelles organisées en temps réel
    • GED
    • FAQ
    • Intranet
    • Outils de veille

Néanmoins, ces outils ont un coût. On estime à 52% du coût le temps passé par les salariés à participer à la vie de cette communauté, 32% au budget alloué à la mise en place de meetings ou de conférences, 10% aux investissements nécessaires dans les technologies de l’information et de la communication et 6% à la publication de documents et à la promotion.

Ces nouvelles pratiques ont induit de nouveaux métiers :

  • Sponsor : entité administrative qui met à disposition l’outil collaboratif et parraine sa communauté de pratique sans intervenir dans les débats
  • Animateur : garant du respect des valeurs, des objectifs et de la bonne évolution de la communauté de pratique

 Conclusion

Les systèmes d’information constituent un élément central pour tout type de stratégie de gestion des connaissances (SOA : architecture orientée service)

A l’ère de l’économie de la connaissance, la communauté de pratique virtuelle reste la façon la plus efficace pour les organisations d’affronter les défis liés au savoir.

 Sources

  • Management des systèmes d’information de Kenneth Laudon et Jane Laudon aux éditions Pearson
  • Article de Saïda Habhab-Rave : "le rôle des communautés de pratique dans le processus de gestion des connaissances dans les entreprises innovantes
  • Tout sur les systèmes d’information de Jean-François Pillou aux éditions Dunod (CommentCaMarche.net)
  • DEA Communication Homme-Machine et Ingénierie Educative de Yannick Geynet – Les communautés de pratique, une nouvelle forme de gestion des connaissances
  • Article des échos :
    Réussir le management de la connaissance de Gonzague Chastenet de Géry
    http://www.lesechos.fr/formations/manag_info/articles/article_2_9.htm#
  • Communauté de pratique et management par projet de Valérie Chanal
  • Communautés de pratique : un partage des connaissances idéal par JDNet Solutions
    http://www.journaldunet.com/solutions/0301/030106_tcao.shtml

 Pour approfondir :

  1. La connaissance créatrice (la dynamique de l’entreprise apprenante) de Ikujiro Nonaka , Hirotaka Takeuchi , Marc Ingham aux éditions De Boeck
  2. Livre blanc Les Communautés de Pratique de Philippe Clément à télécharger à l’adresse suivante :
    http://www.slideshare.net/galliabet/livre-blanc-communauts-de-pratiques
  3. Le modèle SECI de Nonaka et Takeuchi : http://www.inventive-design.net/content/view/285/1/
  4. L’article Vers un usage européen du modèle des communautés de pratique en formation des enseignants de Guillaume Escalié

Pour télécharger cet article au format pdf, cliquer sur le lien ci-dessous :

Notes

[1Management des systèmes d’information de Kenneth Laudon et Jane Laudon aux éditions Pearson

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)