Vous avez dit accompagner ?

, par Stéphane Jacquet

L’accompagnement est un mot « valise », décliné de multiples façons et dans de nombreuses activités, mais souvent sans en connaître les fondements de base. Il demeure très utilisé en formation et il semble nécessaire de chercher à le définir. Une approche étymologique s’impose pour en extraire les postures fondatrices (initiation, quête du sens, médiation). Il faut également en chercher les causes profondes et en montrer les intérêts pour mieux le définir par la suite ; autour d’un triptyque de postures voisines : « conduire/guider/escorter ». Cependant, les logiques de ces postures peuvent différencier suivant le rôle de l’accompagnement, ce qui nécessite de se pencher sur quelques postures spécifiques des accompagnateurs et de tracer les contours de l’accompagnement, en termes de types d’intervention (conseil, tutorat, médiation, coaching, compagnonnage…). Enfin, il peut sembler intéressant de réaliser un focus sur l’accompagnement en formation. L’étude de l’accompagnement passe nécessairement par une analyse de l’éthique de l’accompagnement, qui sous-tend une professionnalisation des acteurs de l’accompagnement. Ce mouvement se réalise autour de la dimension « projet », omniprésente et fondamentale pour l’accompagné.

Dans le monde de la formation et du management, rarement un mot n’a été aussi utilisé… de manière différente et sans véritable recherche de définition. Pour certains spécialistes, il est même un terme « irritant » (Paul, 2009), véritable fourre-tout aux contours flous. Cependant, il demeure incontournable dans le management et se décline de nombreuses manières : accompagnement de la performance, du changement, des salariés, des dirigeants… On mélange alors des postures d’action ou de remédiation mais aussi des fonctions (chargé d’accompagnement…). Le référentiel du professorat l’intègre comme compétence centrale (« accompagner les élèves dans leur parcours de formation »), tandis que celui de conseiller principal d’éducation le décline plus spécifiquement (« accompagner le parcours de l’élève sur les plans pédagogique et éducatif » et « accompagner les élèves dans leur formation à une citoyenneté participative »). Le coaching s’est également emparé du terme dans plusieurs de ses définitions ; il est vu comme « un processus d’accompagnement destiné à favoriser un environnement de croissance et d’optimisation du potentiel de la personne » en situation professionnelle (Angel, Amar, 2005). De manière générale, Le terme concernerait les « travailleurs sur autrui » (Dubet, 2002) mais génèrerait de multiples situations complexes (parce qu’humaines avant tout), tant pour les accompagnants que pour les accompagnés (Beauvais,2004). Il porte lui-même des sens différents et des formes multiples. Si ces fondements sont relativement stables dans le temps, l’évolution de la société a entrainé une diversification et un foisonnement des pratiques d’accompagnement.

Aux confins de deux tendances lourdes de la société : la perte de liens sociaux et la nécessité de performer toujours plus ; l’accompagnement devient une nécessité. Longtemps absente des dictionnaires, la fonction d’accompagnement semble se préciser même si des différences de sens et de pratiques persistent. Dans une société marquée par une tendance à la désaffiliation, l’accompagnement peut-il permettre la « reconnexion » voire la reconstruction de liens forts ? Devant l’importance des promesses mais aussi la multiplication des pratiques, ne faut-il pas « poser » le cadre de l’accompagnement pour en éviter les dérives ? Les professionnels du « care » (métiers de la personne) connaissent ces postures mais peuvent difficilement les définir. Un travail de reconceptualisation peut alors paraître nécessaire, sans oublier « d’où » vient l’accompagnement ; le retour étymologique peut nous apporter pour comprendre son évolution.

Il serait donc intéressant de cerner les fondements de l’accompagnement, à travers un détour étymologique et aussi conceptuel (1), pour évoquer et clarifier quelques « fondamentaux » de postures et pratiques d’accompagnement (2).

 1. Etymologie de l’accompagnement : entre sens profond et concept

L’accompagnement a toujours existé et il est étudié depuis très longtemps, en particulier à travers les philosophes grecs et romains. Cette plongée dans les origines nous permet de rechercher le sens profond du terme, pour mieux en cerner les fondements. Le travail sur les mythes permet une approche symbolique et significative.

1.1 Figures étymologiques : l’accompagnement vient de la nuit des temps

De nombreux écrits mythiques pourraient être convoqués ; il s’agit de se focaliser sur les principaux. Maela Paul a entrepris de mettre en relation les 3 registres de l’accompagnement (escorter/guider/conduire) avec trois auteurs majeurs (Homère/Socrate/Hippocrate). Elle constitue trois corpus correspondants : l’initiatique avec Homère, la maïeutique avec Socrate et la thérapie avec Hippocrate (Paul, 2014). On s’intéressera plus spécifiquement aux deux premiers corpus, en particulier à travers l’initiation, la guidance et la maïeutique.

1.1.1 Le compagnonnage (Homère) : initiateur et éducateur

Le premier sens de l’accompagnement est aussi le plus évident, c’est le cheminement avec quelqu’un. Mais ce quelqu’un n’est pas n’importe qui. C’est le côté initiatique qui ressort dans cet accompagnement. L’errance qui a du sens renvoie à la figure du poète errant, multipliant les rencontres et transmettant un message. La culture grecque renvoie également à l’éducation du jeune par un aîné et c’est là que l’accompagnement peut prendre à la fois son sens symbolique mais aussi une première acceptation pratique. Le voyage en compagnie de l’initiateur permet d’apprendre et le jeune entretient une relation spirituelle avec son aîné. On retrouve cette approche dans le compagnonnage. L’association ouvrière des compagnons du devoir et du Tour de France, propose une pédagogie de l’accompagnement, à travers un voyage où le jeune ouvrier va donner du sens à son propre apprentissage.

Source : extrait du site http://www.compagnons-du-devoir.com

Le jeune apprenti devient « aspirant » lorsqu’il entame son Tour de France et va s’atteler à concevoir un « chef d’œuvre de réception ». La transmission du savoir-faire par le compagnon, véritable initiateur, donne du sens à cet accompagnement, autour du devoir (j’ai reçu et c’est à moi de transmettre). Le lien avec la formation et l’éducation semble évident ; plusieurs auteurs de référence en sciences de l’éducation l’ont évoqué (Meirieu, De Peretti). Patrick Robo présente la formation accompagnante comme favorisant la transmission mais aussi l’assimilation, la mutualisation et l’humanisme. Il fait largement référence au tutorat mais aussi aux groupes de pratiques entre pairs (Robo, 2001). L’Iliade et l’Odyssée représentent des aventures, quêtes de renommée mais aussi recherche de l’autre et d’ailleurs. Ainsi la démarche initiatique représente-t-elle une véritable quête de sens. Sa finalité est double : introduire le novice dans la communauté humaine et dans le monde des valeurs spirituelles (Paul, 2014). L’initiation suppose donc un déplacement volontaire de « l’aspirant », qui a détecté un besoin, un manque.

Cet accompagnement suppose également un accompagnateur. Dans la mythologie, il prend souvent la figure du père, mais aussi du mentor. Aujourd’hui, on le définit comme une « personne servant de conseiller sage et expérimenté » (CNRTL). Dans la mythologie, Mentor est le précepteur de Télémaque et ami d’Ulysse. Entre Mentor et Télémaque s’instaure une relation de maître à disciple. Cet accompagnement va permettre le passage de l’état adolescent à adulte, avec une véritable transmission de valeurs. L’accompagnateur peut également être vu comme un pilote, la référence au voyage (le plus souvent maritime) est permanente dans cette approche du compagnonnage. Le voyage suppose le retour, mais aussi l’éloignement, le franchissement d’obstacles et l’absence. Le lien avec l’éducation est prégnant, et apparaît dans de nombreux travaux (Rausis, 1993). C’est l’initiation qui va permettre l’autonomie, l’école représentant un lieu d’initiation symbolique (Boutinet, 1990). Pour acquérir le savoir initiatique, il faut franchir un certain parcours, structuré par des rites mais aussi des épreuves.

1.1.2 La quête (Ulysse) : le guide en quête de sens

Le mythe d’Ulysse propose un voyage en quête de sens. L’odyssée présente la difficulté du cheminement et l’aventure qui apporte expériences et rencontres. Lorsque qu’Ulysse rencontre les sirènes, il bouche les oreilles de ses compagnons avec de la cire. Cet épisode symbolise les leçons du maître qui permettent à l’initié de ne pas céder aux sollicitations et à la tentation. Toute l’errance d’Ulysse apparaît comme une allégorie qui enseigne la sagesse. Ses compagnons vivent une véritable aventure, de l’autre et de l’ailleurs (Paul, 2014). Mais comme le destin d’Ulysse est de rentrer, on peut considérer l’accompagnement comme un processus qui suppose une finalisation, un terme. C’est ainsi que l’accompagnement, aujourd’hui, est quasiment toujours contractualisé et temporalisé (on accompagne un stagiaire durant son année de stage, par exemple). Cette temporalisation ne fait pas obstacle à la transformation, même si elle peut prendre beaucoup plus de temps que le temps d’accompagnement. Celui-ci peut alors être considéré comme une amorce et peut renvoyer à certaines problématiques du tutorat (à quel moment le tuteur se retire-t-il ?). L’aventure liée à cette quête est donc une forme de découverte, de soi et de l’autre. La finalité serait donc la réintégration, c’est à dire que l’initié ne l’est pas simplement pour lui mais aussi pour les autres. Une fois initié, il initiera les autres (voir, plus haut, le fonctionnement des compagnons du devoir). Ce qui peut vouloir dire que le guide a été, à un moment, initié. On repense alors à certains secteurs professionnels où la transmission représente un valeur majeure (haute cuisine, artisanat d’art).

1.1.3 La naissance (Socrate) : médiateur et accoucheur

Dans la philosophie platonicienne, la référence au sensible et à la symbolique féminine renvoie à la posture maïeutique. Littéralement, il s’agit « d’accoucher » les novices, c’est à dire aider la naissance spirituelle. L’accompagnement se réfère alors à l’art de l’accoucheur, en faisant apparaître la vérité. La posture est délicate, elle suppose une écoute, une âme et une résonance. L’accompagné naît ou renaît, dans un mouvement intérieur facilité par l’accompagnateur. Celui-ci est donc plutôt défini comme un médiateur qui facilite la connaissance de soi. Socrate compare son art à celui de sa propre mère, sage-femme. Il pose les bases de cette posture particulière, qui permet une forme de libération. En ce sens, les relations très fortes entre certains instituteurs et leurs élèves « révélés » par ce mouvement, en constituent une illustration. Cette posture suppose une veille de tous les instants, une vigilance à l’autre. Le travail de maïeuticien reste donc un travail de « prise de soin », qui renvoie à l’approche actuelle du « care », qui consiste à « prendre soin de » (pour assurer la vie et la continuité de la vie). La naissance liée à cette posture se fait par la « mort » du maître, qui va faire prévaloir la filiation revendiquée sur la paternité et la dépendance. L’approche socratique permet la découverte personnelle et l’affirmation de soi, préalable à l’autonomie. En cela le sujet se métamorphose grâce à un « passeur ». Cette figure a largement été reprise par une partie des coaches, souvent issus du monde de la psychologie.

Ces quelques figures tracent les contours de certaines formes d’accompagnement, qui les revendiquent parfois. Mais on peut se demander ce qui justifie et génère l’accompagnement ?

1.2 Pourquoi accompagner ? Genèse et sens

Si l’ancrage étymologique nous renvoie à des réalités évidentes, on peut chercher à aller plus loin pour comprendre les raisons profondes du développement récent de l’accompagnement.

1.2.1 Paradoxes de l’individualisme

La principale explication de l’avènement des pratiques d’accompagnement se trouve dans l’évolution de notre société. La crise, globalement, a montré la fragilité et l’érosion des instances traditionnelles de socialisation et la montée de la désaffiliation (Castel, 2009). Ce processus conduit les individus à la marge de la société (Castel, 1996). L’isolement social qui en découle génère une problématique grave d’exclusion. L’action, souvent remarquable, des travailleurs sociaux pour accompagner ces exclus, montre la difficulté mais aussi souligne l’importance de l’accompagnement, comme processus de « ré affiliation ». L’affaiblissement d’une société d’inclusion et la crise ont permis l’avènement de l’individualisme et la culture de l’individualité. Notre société se retrouverait alors « obligée » moralement, d’accompagner les individus exclus. Cette tendance à l’individualité, c’est-à-dire à caractériser « ce qui appartient à un individu considéré isolément dans la collectivité, la communauté dont il fait partie » (cnrtl.fr), renvoie, paradoxalement à l’accompagnement, nécessaire pour garantir cette individualité mais aussi pour en traiter certains effets (dont les effets pervers liés au repli sur soi et à la désaffiliation).

1.2.2 La dimension politique et institutionnelle

L’accompagnement revêt une véritable dimension institutionnelle, car il fait l’objet de normes et s’inscrit dans un cadre. Ce cadre est global, composé du système social dans lequel il s’inscrit. En affinant, le contexte de la relation peut être social mais aussi médical, éducatif, formatif et même commercial. Il suppose une nécessaire contractualisation de la relation qui gère les règles de la relation mais aussi les objectifs du professionnel. Lors de la montée en puissance du coaching en entreprise, il a fallu affiner le cadre et préciser les contrats, qui faisaient souvent apparaître trois parties : le coach, le coaché et le « donneur d’ordre », employeur du coaché et financeur du coaching. La dimension institutionnelle de la commande reste prégnante et montre que l’accompagnement devient une sorte « d’obligation », dans des organisations dont le système a rejeté certains individus en marge. Le travail réalisé en matière de réinsertion en constitue une belle illustration. D’abord inséré, l’individu sort du système et c’est l’accompagnement, financé par le système, qui devrait lui permettre de se réinsérer.

1.2.3 Le triple intérêt de l’accompagnement

La recherche du « pourquoi » renvoie à des travaux profonds, en particulier de certains philosophes. L’approche d’Habermas (Habermas, 1976) présente un réel éclairage car il relève un triple intérêt à l’accompagnement (technique/pratique/émancipateur). L’intérêt est d’abord technique car l’accompagnement va fournir des méthodes et de la matière, ce peut être le cas pour l’accompagnement scolaire, jadis centré sur la matière et aujourd’hui ancré sur le relationnel et les méthodes. L’intérêt pratique s’oppose à l’intérêt technique, l’accompagnement servant ici à donner du sens à quelque chose. Une grande partie des coaches s’attache à travailler dans cette direction alors que la commande est plutôt « technique ». Au-delà des méthodes, le coaché va découvrir ce qui fait sens pour lui et travailler sur une dimension plus spirituelle comme on peut le voir dans le schéma de Vincent Lenhardt :

Source « les responsables porteurs de sens » Vincent Lenhardt, Julhiet

Les 9 niveaux de sens permettent à l’individu accompagné d’aller du « quoi » au « pourquoi ». On aborde alors le troisième intérêt d’Habermas, celui de la fonction émancipatrice de l’accompagnement. Par la réflexivité qu’il provoque, ce processus produit du savoir et participe à la formation de l’identité de la personne accompagnée. Habermas postule que l’individu devient « réfléchissant et délibérant », grâce à l’accompagnement. Le paradoxe apparent de cette recherche d’autonomie… qui passe par l’accompagnement (c’est la conduite accompagnée qui va permettre au jeune conducteur de conduire plus vite, seul). C’est ce paradoxe d’une certaine dépendance, qui oblige l’accompagné à « compter sur l’autre » mais aussi à « tenir compte de l’autre » (Paul, 2014). Ainsi certains auteurs ont pu démontrer que la recherche de l’autonomie entraînait le conformisme généralisé (Lipovetsky, 1983). Lipovetsky dénonce un « procès de personnalisation », enjoignant l’accompagnement de permettre « l’accomplissement personnel » et le « respect de la singularité subjective » de l’individu. Au final, on peut se demander si le véritable intérêt pour l’individu réside dans la réflexivité proposée par l’accompagnement ou la « performance », résultat du processus. En cela la relation « à trois » induite par le coaching (coach/coaché/donneur d’ordre prescripteur) illustre ce paradoxe. Le « prescripteur » du coaching, employeur du manager « coaché » recherche un gain à travers l’accompagnement, en termes de performance nouvelle du coaché. Même si le coaching reste une relation duale (coach/coaché) confidentielle, la notion d’objectifs est souvent implicite.

1.3 Tentative de clarification et de définition

1.3.1 Approche littérale

Rechercher une définition littérale de l’accompagnement permet de comprendre la racine de l’action et ses fondements. Le dictionnaire historique de la langue française présente l’évolution du verbe accompagner. On passe de « prendre compagnon » à une action (« action d’accompagner »). On conjugue donc deux idées : celle d’être avec et de se déplacer en commun. C’est plutôt de son sens figuré que le verbe tire sa véritable signification : ce qui accompagne est ce qui vient s’ajouter. Les notions d’ajout et de soutien se retrouvent dans l’accompagnement musical et militaire. L’idée de renforcement devient alors prépondérante et montre bien la dissymétrie des rôles dans la relation accompagnateur/accompagné.

Le préfixe « ac » marque une tendance de direction vers un but déterminé, mais aussi un « vouloir », un aller vers, une chose en train de se faire (Grévisse, 1975). Il y a une idée de construction de lien, lors de la relation d’accompagnement (voir, plus haut, le compagnonnage). Mais pour que chacun atteigne son but, il faut que l’autre atteigne le sien ; en cela le partenariat est effectif entre accompagnateur et accompagné. Il ne peut donc y avoir égalité entre les protagonistes et l’accompagnateur n’est pas neutre, il est engagé dans une mission avec un but. On peut alors penser qu’il ne peut y avoir d’accompagnement sans projet (Beauvais, 2006). Cette approche téléologique pose la question des « accompagnements contraints » (insertion…), dans lesquels le projet n’émane pas de l’accompagné.

Le déploiement littéral du verbe suppose une approche en trois espaces :

  • Relationnel (être avec),
  • Temporel (en même temps que lui),
  • Géographique (pour aller où il va).

Paul Maela en présente les déclinaisons (Paul, 2014) :

Source : « l’accompagnement, une posture professionnelle spécifique », Paul (2014)

Pour résumer cette approche littérale et en reprenant les principales idées du tableau, on pourrait dire qu’accompagner ce serait donc « se joindre à quelqu’un, pour aller, en même temps que lui, où il va ».

1.3.2 Approche sémantique et métaphorique

C’est la métaphore du cheminement qui structure cette approche de l’accompagnement. Celle-ci suppose l’incertitude et les aléas. Ce cheminement est spatial et surtout temporel et implique un triple registre (Paul, 2009) : conduire/ guider/escorter.

Source : Paul, « ce qu’accompagner veut dire », 2009
http://www.carrierologie.uqam.ca/volume09_1-2/07_paul/

La conduite, c’est l’acte d’accompagner quelque part. La visée est liée à l’objectif final. On pourrait dire que c’est le mouvement qui fonde cette approche. On sait d’où on part et on vise où l’on doit arriver. On peut retrouver cette approche dans l’accompagnement d’une classe vers un examen avec pour finalité l’obtention du diplôme, par exemple. La conduite est aussi une forme de gouvernance, qui suppose une influence sur l’accompagné. Elle peut également impliquer une forme de direction (donner la direction, diriger). Le sens initial de coaching (le Koski, diligence hongroise) l’illustre. Il s’agit pour le cocher de choisir le chemin, après que le coaché eut précisé son objectif.

Inévitablement, cette dimension de conduite suppose une influence exercée par l’accompagnateur. On retrouve la thématique de l’initiation vue plus haut dans l’approche mythologique (Mentor).

Le deuxième registre c’est celui de la guidance. Le rôle relationnel est plus prononcé. Il s’agit de délibérer ensemble, sans autorité dans la relation. Le guide va montrer le chemin et avance « en éclaireur ». Il a souvent déjà accompli ce trajet et c’est son expérience qui garantit la valeur de l’accompagnement.

Le troisième registre est celui de l’escorte. Il suppose une protection de la personne, souvent en situation de faiblesse, par rapport à un danger potentiel. Le soutien est également une dimension palpable de l’escorte. Il peut être physique et/ou psychologique. On peut retrouver cette approche dans des situations de reconstruction, de réparation.

1.3.3 Des approches aux logiques différentes : le cas de l’accompagnement VAE

On peut alors se demander quelle approche favoriser suivant le but de l’accompagnement. Certains auteurs démontrent que plusieurs approches peuvent convenir à un même objet d’accompagnement mais que leur logique reste différente. L’accompagnement VAE peut servir d’illustration à cette « opposition » entre deux approches de l’accompagnement.

L’accompagnateur VAE est constamment partagé entre la posture de guidage et celle d’accompagnement. Si les deux présentent une visée commune : « permettre la finalisation de la démarche de VAE » ; elles le font de manière différente, avec parfois de véritables débats parmi les professionnels sur la posture à adopter et ses limites.

Bien souvent le guidage est utilisé dans une démarche plutôt normalisée, dans un but de réussite de la VAE (obtention du diplôme) qui répond principalement à un objectif d’employabilité. L’accompagnement renvoie plutôt à ne démarche humaniste, marquée par la rencontre, qui permet à l’accompagné de trouver ses propres ressources, afin d’assumer les bouleversements identitaires liés à la démarche de VAE.

Le guidage suppose un processus, avec un diagnostic préalable, qui place l’accompagnateur VAE en situation de sachant expert. C’est parfois un expert du diplôme qui réalise cette tâche. Le guidage suppose surtout une évaluation permanente à travers une « correction » des travaux de l’accompagné. Le guide repère les écarts qui pourraient gêner l’obtention du diplôme ou placer le candidat dans une situation délicate vis-à-vis du jury. En cela le guide suit une sorte de norme implicite (sur la forme et le fond attendus d’un dossier de VAE mais aussi de la prestation orale du candidat). La manipulation du référentiel du diplôme va générer des « bonnes pratiques », à charge pour le guide de les contrôler. Certains jurys sont même allés jusqu’à publier des rapports de jury VAE, avec des injonctions et conseils à l’usage des candidats et accompagnateurs, pour favoriser la réussite (rapport de jury du DEES, diplôme d’éducateur spécialisé) par exemple.

Après avoir présenté quelques éléments permettant de définir une notion aux contours multiples, on peut chercher à mieux la cerner à travers la façon dont elle est exercée. Les postures et pratiques d’accompagnement nous permettent de montrer comment les professionnels de l’accompagnement le pratiquent. Il peut être intéressant de s’appuyer sur quelques figures de l’accompagnement, en particulier dans le champ de l’éducation.

 2. Postures et pratiques d’accompagnement

2.1 Des postures d’accompagnement

2.1.1 Le triptyque de l’accompagnement

Dans l’approche « en triptyque » de Paul Maela (vue plus haut), nous avons pu découvrir les trois logiques qui sous-tendent l’accompagnement (conduire/guider/escorter). Dans ce triptyque, les trois registres sont apparemment différents, avec une pluralité d’activités et de « jeux » possibles. En réalité, ils se recoupent, comme le démontre le schéma suivant où l’on peut s’intéresser aux zones de recoupement :

Source : Schéma réalisé par Stéphane Jacquet, à partir des travaux de Maela Paul, 2013

En reprenant cette approche, on peut estimer que l’accompagnateur, qui agit dans chaque registre, présente un objectif différent (Tardif Bourgoin, 2016) :

  • Conduire, suppose une visée de performance ;
  • Guider, implique une approche plutôt transitionnelle ;
  • Escorter, place l’accompagnement dans une dynamique existentielle.

Entre conduite et guidance : « éveiller ».

Si la conduite suppose un certain « dirigisme », alors que la guidance implique la collaboration, les deux se retrouvent dans une finalité « d’éveil » de l’accompagné. Qu’il soit élève ou patient, l’accompagné va bénéficier de l’humanisme et du professionnalisme de l’accompagnateur, pour s’élever dans sa quête de sens (voir l’approche de Lenhardt, vue plus haut). L’éveil est particulièrement présent dans le compagnonnage, à travers l’initiation provoquée par la quête mais aussi grâce à l’action du compagnon, véritable initiateur « éveilleur » de l’aspirant.

Entre conduite et escorte : « surveiller ».

L’escorte implique une protection qui vient s’ajouter à la conduite. On obtient alors une « sur » veillance, avec l’idée que l’accompagné est en situation de faiblesse potentielle ou réelle. Certaines formes de tutorat thérapeutiques illustrent parfaitement cette approche. Le « sur » veillant est particulièrement vigilant, car l’état de l’accompagné mais aussi le contexte, le justifient.

Entre guidance et escorte : « veiller sur ».

Le guide n’est pas directif, ce qui n’empêche pas la vigilance, liée à différence entre les protagonistes de la relation. Le « veillant sur », utilise son expérience et sa connaissance du processus, ainsi que son vécu pour guider en protégeant. Certaines formes de tutorats peuvent bien illustrer cette dualité. La mission du tuteur est d’aider le « tutoré » à grandir mais aussi de veiller sur son développement, car il présente les compétences et qualités pour le faire, il a été choisi (et parfois formé pour). Il est très souvent passé par le même cheminement et a su prendre du recul.

2.1.2 Pluralité des postures et des analyses

Dans un premier temps, on peut chercher à « lister » les pratiques d’accompagnement, mais il est indispensable de les classer. Maela Paul propose de les « classer » dans une carte perceptuelle en choisissant deux axes :

  • Du sens à l’approche technique ;
  • De la dynamique de réflexion à celle d’action.

Elle répertorie ainsi neuf pratiques d’accompagnement pour les positionner sur cette carte :

Source : Maela Paul, l’accompagnement une posture professionnelle spécifique, l’Harmattan (2014)

Sans rentrer dans les détails, on peut constater certaines pratiques « opposées » diamétralement :

  • Le counselling (couplage sens/réflexion) versus le coaching (couplage technique/action) ;
  • Le mentorat (couplage sens/action) versus la médiation sociale (couplage technique/réflexion).

Ces postures sont à la fois plurielles et opposées bien qu’inter-reliées. Pour mieux le comprendre, il faut revenir aux triptyques de départ : Conduire/escorter/guider. L’opposition traduit deux sortes de regards différents par rapport à l’accompagné. « Conduire » renvoie à une visée individuelle qui s’appuie sur une situation désirée lorsque « escorter » part d’une situation-problème. Le regard est ici celui de l’expert, du maître qui sait comment escorter (et aussi pourquoi le faire). La logique de risque qui transparait rend l’escorté fragile et très dépendant du « maître » qui va user de son expertise pour l’accompagner à bon port. L’expert peut devenir alors un facilitateur en recherchant une certaine action de l’accompagné (vers l’autonomie), lorsque l’expert reste « celui qui sait », apportant les solutions au problème de l’accompagné.

Le mentorat suscite d’ailleurs un certain nombre d’interrogations, quant au positionnement de l’accompagnateur.

Dans la famille de ce mot, dont les principaux ancêtres latins sont mens (« intelligence », « pensée ») et mentior (« mentir »), « mandarin » (en Asie) altéré par le portugais mandar, « ordonner, commander ». C’est un emprunt au malais mantari, lui-même emprunté au sanskrit mantrin, « conseiller d’Etat » ; un mantra, est un conseil, une formule sacrée, une prière brahmanique », explique le site associatif Projet Babel. On peut donc se retrouver dans une forme de prescription de la part du mentor, à suivre absolument par la personne accompagnée. Ce qui explique encore mieux pourquoi il s’oppose à la médiation sociale, réalisée en s’adaptant à l’accompagné, en fonction de son approche, de son problème.

La guidance s’oppose également à l’escorte par son fondement même. La guidance s’appuie sur le sens donné à l’accompagnement lorsque l’escorte se réfère au problème et à sa résolution. On peut ainsi dissocier deux formes de tutorats pédagogiques : le tutorat exercé par certains conseillers pédagogiques basé sur la guidance et la recherche du sens et de l’autonomie ; et le tutorat plus intrusif, basé sur la résolution d’un problème. Ce dernier peut résulter d’une commande explicite, dans le cas d’une mise sous tutelle pédagogique, avec une problématique à résoudre, avec l’aide du tuteur. Cette « guidance de la situation » est forcément singulière (Cifali, 2009) et peut s’inscrire dans une approche « clinique » de l’activité.

Les trois registres placent l’accompagnateur à un endroit différent par rapport à l’accompagné :

  • « Conduire » suppose qu’on se place au-dessus ou en arrière (pour intimer un ordre de direction) ;
  • « Guider » implique un placement en avant ou à côté, pour mieux aider l’accompagné à trouver son chemin ;
  • « Escorter » nécessite un placement de proximité, « en entourant » l’accompagné pour le préserver.

De même, ces trois logiques peuvent conduire à des figures différentes, principalement au nombre de trois :

  • Le passeur, qui facilite le passage d’un état/endroit à un autre ;
  • L’interprète, qui « lit » une situation et la décode pour l’accompagné ;
  • L’intervenant-expert, qui apporte son expertise pour résoudre le problème principal de l’accompagné.

Dans la réalité, les postures et figures ne sont pas figées et résultent d’un « bricolage », avec une technique improvisée, adaptées aux circonstances (Levi-Strauss, in « la pensée sauvage », 1962). La posture est ainsi polymorphe, fédérant une diversité de logiques dans un même but : accompagner l’autre.

En termes d’analyse de l’accompagnement, on peut choisir trois axes de travail (Pastré, 1999), pour chercher à construire le sens lié à l’activité d’accompagnement :

  • L’axe didactique ;
  • L’axe clinique ;
  • L’axe psychodynamique.

L’axe didactique repose sur une analyse du travail en vue de développer des compétences (Pastré, 1999). L’accompagnateur désireux de progresser dans son accompagnement pourra, par un travail d’analyse de pratique, décrypter le « concept pragmatique » qui sous-tend sa pratique. Le débriefing constitue l’outil principal pour mettre en mots cette pratique. Cependant, cette approche ne semble efficace qu’avec des accompagnateurs chevronnés, disposés à prendre le recul nécessaire et à accepter qu’une partie du travail demeure implicite.

L’axe clinique est utilisé par le courant de la clinique de l’activité (Clot, en particulier). La démarche remet l’accompagnateur au cœur de son activité et de sa propre analyse. L’approche clinique se révèle particulièrement intéressante lors de la transmission par un accompagnateur chevronné à un accompagnateur novice. Le sens se construit en tenant compte de la relation entretenue avec les autres et des interactions mis en œuvre dans ce travail. La situation idéale est représentée par un binôme d’accompagnateurs, en situation de travail avec une personne accompagnée, et qui décryptent, en temps réel, leur activité. Elle suppose un accompagnateur chevronné formé à cette approche et capable d’un « retour sur soi » précis et pertinent. L’utilisation de la vidéo apporte un « plus », pour ne rien perdre du « geste » et des pratiques professionnelles.

L’axe psychodynamique étudie les stratégies mises en œuvre par les accompagnateurs pour ne pas être affectés par les pathologies, notamment les stratégies défensives. Ce courant montre qu’il existe deux types de jugements complémentaires sur le travail : le jugement de beauté et le jugement d’utilité. Les jugements de beauté permettent de se situer par rapport aux « règles de l’art » et de s’intégrer à une communauté d’appartenance. Ils peuvent répondre à la question suivante : « mon accompagnement présente–t-il toutes les caractéristiques attendues par les professionnels du secteur ? ». Pour les jugements d’utilité, on recherche l’utilité du professionnel (sociale, technique…). Ils peuvent répondre à la question : « mon accompagnement apporte-t-il quelque chose ? ».

Enfin, on peut également considérer que l’accompagnement est au cœur d’un système et adopter une approche plutôt systémique.

Cette approche modélise le travail d’accompagnement sous forme de système (Clénet, 2005). On part des jugements de travail pour construire un système avec des procédures qui sont soumises à discussion, au sein du collectif de professionnels. On stabilisera certaines procédures et on en rejettera d’autres (Dejours, 2003). Le travail en mode « groupe de projet », préalable à l’élaboration d’un référentiel professionnel et des formations afférentes, est un bon exemple d’approche systémique préalable. On va chercher à recenser les pratiques et à les rapprocher, pour en extraire les éléments communs et trouver un fil conducteur.

Les différentes tentatives pour stabiliser le référentiel du coaching sont parties de cette approche, pour aboutir à des référentiels assez exigeants déontologiquement mais aussi assez « larges » techniquement, pour englober les différentes formes de coaching. La société française de coaching (SFC), un des trois syndicats majeurs de coaches, adopte une approche système intéressante, sur 3 plans, pour envisager le coaching dans son ensemble :

Dans cette approche systémique, on ne se focalise pas sur la pratique, qui n’est qu’un axe d’analyse ; mais on travaille également sur le cadre et l’identité, qui sont des éléments importants lors de l’analyse de l’activité du coach. Ceci peut aussi expliquer la grande variété de situations de coaching et la difficulté à règlementer la profession et à structurer des formations de haut niveau (type master).

Une même fonction d’accompagnement peut, volontairement, nécessiter l’adoption de différentes postures, comme nous l’avons démontré dans le schéma suivant :

Source : S. Jacquet, pour le mémoire de conseiller VAE de l’IRIS, 2015

J’ai volontairement défini l’accompagnement VAE comme un ensemble de postures d’abord techniques (expertise et orientation), qui conduisent à un glissement vers des postures plus « humaines », à mesure qu’on se rapproche de la soutenance du livret de VAE, pour le candidat. Certains pensent même qu’il serait impossible de cumuler, pour un même accompagnateur, les différentes postures. J’ai, personnellement, cherché à démontrer le contraire dans ce mémoire (validé par le jury). Certains experts de la question sont allés jusqu’à définir l’accompagnement VAE comme « un nouveau métier de la formation des adultes » (Pinte, 2009).

On peut se demander alors si l’accompagnement ne présente pas une dimension nécessairement formative.

2.1.3 L’accompagnateur-formateur

Accompagner s’inscrit dans un double processus formatif (Charlier et Biémard, 2012). Les situations formatives déployées lors de l’accompagnement favorisent le développement professionnel de l’accompagné mais aussi de l’accompagnateur. Celui-ci propose des reformulations, construit un sens partagé et produit des éléments de formation. Par exemple, les grilles d’analyse de pratique créées par le tuteur d’enseignant, deviennent des éléments de formation lorsqu’il va les présenter au professeur stagiaire, en justifiant leur contenu et leur contenant.

Si l’accompagnement constitue le processus d’émergence des savoirs et de l’expérience des accompagnés, l’information produite lors de cette relation participe également au développement professionnel de l’accompagné. En cela, l’accompagnement revêt une visée formative qui nous permet de placer l’accompagnateur dans une logique de formateur.

On peut également postuler que le formateur est nécessairement accompagnateur car sa relation avec le groupe d’apprenants est temporalisée et s’inscrit dans une visée (certificative, de préparation, d’insertion…). Certains champs de l’accompagnement se défendent d’adopter une démarche de formation, mais la demande est bien souvent implicite de la part de l’accompagné. Ainsi, l’accompagnement VAE qui consiste à aider l’accompagné à mettre en mots son expérience professionnelle ; passe par des moments formatifs où l’accompagnateur forme au cadre de la VAE (respect des dossiers, des éléments à fournir, des délais à tenir…) mais aussi au fond du dossier (qualité de la rédaction, clarté des propos, certains éléments de présentation de l’organisation ou de l’emploi…).

L’accompagnement peut aussi être vu comme une facilitation des apprentissages autonomes. En cela l’accompagnateur, paradoxalement, chemine avec l’accompagné censé devenir autonome. L’apparente contradiction facilite la construction de sens pour les deux protagonistes. Le tutorat pédagogique illustre bien ce paradoxe. La commande est complexe, le « conseiller pédagogique-tuteur » englobe deux fonctions dans une même mission. Il est conseiller et tuteur. C’est dans la fonction finale de formateur que l’apparent paradoxe de cette mission va se dissoudre. La création récente du CAFFA (certification d’aptitude aux fonctions de formateur académique) reprend le vocable de formateur pour préparer aux missions de formateur académique mais aussi de tuteur pédagogique. En effet, les deux situations de travail sont possibles lors de l’examen du CAFFA (une mise en situation comme formateur ou comme tuteur d’enseignant). Enfin, de nombreuses recherches sur le tutorat ont affirmé le caractère nécessairement formateur de cette relation tuteur/tutoré (Mahlaoui, 2014). La transmission des savoirs issus de la pratique se fait alors par un triple processus (Mahlaoui et Lorent, 2016) :

  • Contractualisation ;
  • Appropriation ;
  • Évaluation.

Il est intéressant de voir que l’évaluation constitue une activité intégrée à l’accompagnement. Même si elle place le tuteur dans une situation parfois difficile ; elle doit être clarifiée dès le début et l’accompagnement peut alors insister sur la nécessité d’une autoévaluation de l’accompagné, préalable à l’évaluation par le tuteur (le plus souvent une co-évaluation). Cette évaluation pourrait être menée avec des outils établis en commun (grille commune), pour éviter de chercher à faire correspondre l’accompagné à un profilage établi au préalable ; ce qui demeure le danger d’une normalisation excessive. Ne pas chercher à normaliser à l’excès doit permettre aux acteurs de prendre du recul pour définir plutôt une dimension et un cadre éthiques.

2.2 Une éthique de l’accompagnement

2.2.1 Une exigence éthique

L’un des socles de l’accompagnement est la responsabilité. C’est en considérant l’autre en tant que sujet autonome, qu’on peut le considérer comme sujet responsable. La responsabilité constitue alors un « a priori » qui concerne tout être digne d’humanité (Atlan, 2002). A cette condition, le cadre de l’accompagnement peut se mettre en place. En cela, on peut parler d’exigence préalable qui place l’accompagnateur en responsabilité (de l’autre, de l’accompagnement). Pour mener une action « sensée » (Paul, 2006), on doit s’appuyer sur des principes que la question de l’autre justifie. Il y a bien exigence éthique pour que les rapports soient authentiques. On dépasse le simple respect de la norme (ordre visible) pour entrer dans un respect mutuel accompagnateur/accompagné (ordre caché). L’éthique devient une réalité collective (Atlan, 1986) qui porte, par essence, la marque de l’autre.

Il peut être nécessaire de se conformer à un code de déontologie ou une charte pour poser les conditions de l’accompagnement. Les tentatives de réglementation du coaching ont commencé par énoncer des chartes et codes, afin de donner aux coachés la possibilité de « trier » leurs coaches et d’éviter les opportunistes qui utilisent le terme en le galvaudant.

On peut voir, dans cet extrait du code de déontologie de la société française de coaching, que l’accent est mis sur la responsabilité et la posture du coach (pas d’influence).

Source : SFCoach, code de déontologie, version 2011

Les autres professions de l’accompagnement doivent toutes pouvoir se référer à un code ou, au moins, à un référentiel de compétences qui insiste sur la dimension éthique. Ainsi, dans le référentiel des compétences des métiers du professorat et de l’éducation on peut trouver les compétences suivantes :

Source : référentiel des métiers du professorat et de l’éducation, BO du 25/07/13

Le cadre donné par les principes fondamentaux du système éducatif et le partage des valeurs de la République inscrivent les métiers du professorat et de l’éducation dans cette nécessaire dimension éthique.

D’autres formes d’accompagnement se doivent également (même sans en avoir l’obligation) de mettre en place cette dimension, si besoin à travers une charte insérée au contrat. Ce peut être le cas dans l’accompagnement VAE :

Source : Charte d’accompagnement VAE, Stéphane Jacquet, 2015

L’éthique de l’accompagnement se conçoit également comme une forme de responsabilité, mais pas seulement de l’accompagnateur. L’accompagné reste responsable de ses choix et de ses actes (Beauvais, 2003). Il est également responsable de l’usage qu’il choisit de faire du cadre d’accompagnement. Donc l’accompagnateur doit favoriser les conditions susceptibles d’élucider le cadre (Beauvais). On pourrait même parler de « méta-responsabilité », car l’accompagnateur devient « responsable même de la responsabilité d’autrui » (Levinas, 1982). C’est la responsabilité de mettre l’autre « en projet » et elle suppose une mise en distance. Cette mise en distance fait l’objet de nombreux travaux chez les chercheurs, en particulier dans le domaine du coaching mais aussi du tutorat et de l’accompagnement de formation. Si l’on recherche la liberté et l’action en pleine conscience de l’accompagné, alors il faudra savoir « se retenir » (M. Serres, 1991) et constamment se mettre à distance. Cette mise en distance suppose une posture délicate car l’accompagnateur doit « s’engager, sans s’y perdre » (Ciffali). Il faut être à la fois dedans et dehors, en estompant le rapport de pouvoir lié aux rôles (le tuteur doit évaluer l’accompagné…). Cette éthique de l’accompagnement s’associe nécessairement à des valeurs humaines : bienveillance et respect, en particulier. La volonté de vouloir considérer l’aspect technique et méthodologique de l’accompagnement comme fondamental, risque de minorer le rôle de l’éthique dans la démarche d’accompagnement.

Chaque accompagnement étant différent, on ne peut alors modéliser cette « mise en distance ». Pour favoriser le cheminement de l’autre, il est nécessaire de ne pas avoir de certitude ; c’est le « doute » qui va permettre d’enclencher le discours éthique (Fortin, 1995).

Certains auteurs proposent alors de préciser le cadre éthique en définissant un contrat avec des objectifs clarifiés (c’est le cas du coaching) et en précisant certaines conditions de base de l’accompagnement (confidentialité, bienveillance, transparence). Au-delà de cette démarche éthique, on peut même dire que l’accompagnement suppose une responsabilité sociale (Serreau, 2013), nécessaire au fonctionnement de toute collectivité. Les structures d’accompagnement l’ont compris, multipliant les chartes d’éthique (comme en école d’ingénieur depuis 2010), ce qui apporte un appareillage éthique plus solide à l’accompagnement de formation.

2.2.2 Une nécessaire professionnalisation

Comme prolongement de la question éthique, se pose celle de la nécessaire professionnalisation de l’accompagnement. Les dérives du coaching, profession non règlementée, ont fait émerger la nécessité de poser un cadre et de rationaliser les pratiques pour éviter des effets pervers (comme la manipulation de l’autre ou la très grande dépendance liée au rapport imposé par « l’accompagnateur »).

Dans un travail de recherche pour l’obtention du D.U. coaching de l’université de Paris 2, nous avons dénoncé les dérives liées à la posture de « gourou » imposée par certains, abusant de la faiblesse de l’autre et de ses doutes. L’utilisation habile et détournée de certaines techniques de communication interpersonnelle (PNL et analyse transactionnelle, en particulier), sous couvert de « développement personnel » a fait émerger quelques « super coaches » au comportement dommageable pour la profession qui peine à s’imposer un cadre.

Cependant, les professions « de l’autre » se caractérisent par un grand humanisme et une nécessaire subjectivisation qui rendent difficiles la professionnalisation et la rationalisation.

L’accompagnateur développe un certain nombre de compétences qui peuvent donner lieu à la mise en place d’un référentiel. Le cadre du conseil en insertion professionnelle a été posé à travers la création d’un titre professionnel de niveau III, au RNCP ; au référentiel professionnel bâti autour de 4 activités et 15 compétences clés :

Source : Extrait du RAP du titre professionnel de conseiller en insertion professionnelle, version 2012

On remarque que l’activité d’accompagnement, au sens strict, est formalisée à travers une des 4 activités et 4 compétences, dont celle de l’analyse de pratique, essentielle dans les métiers « de l’autre ». Professionnaliser cette fonction a permis d’englober un ensemble de compétences autour de l’accompagnement, favorisant le travail de suivi de l’accompagné par un interlocuteur unique.

La même approche est perceptible dans une autre fonction d’accompagnement, celle de l’accompagnement à la validation des acquis de l’expérience (VAE).

Une des 4 activités prévues au référentiel professionnel de « conseiller VAE » concerne l’accompagnement :

Source : Extrait du référentiel RNCP du diplôme de conseiller VAE

Cette activité se décline en compétences qui justifient un accompagnement assez cadré et global. On part de l’ingénierie et on va jusqu’à l’évaluation de l’accompagnement. On pourrait le formaliser par un « ruban pédagogique », réalisé à partir de la norme AFNOR X 50-269, pour en fixer les contours (S. Jacquet, 2015) :

C’est donc en amont que se joue la construction du type d’accompagnement, en s’adaptant au candidat et grâce à une analyse assez fine du marché. Par cette approche « globale », je cherche à élargir les contours de l’accompagnement VAE, qui reste « cantonné » à une étape dans le référentiel du diplôme de conseiller VAE :

Source : Vial, référentiel des acteurs de la VAE, 2007

L’étape 1 (orientation) et l’étape 3 (suivi), nous semble intégrables dans une démarche « large » d’accompagnement. Cette approche globale est critiquée par certains experts qui préfèrent « découper » les étapes entre plusieurs fonctions et expertises. Nous pensons que cela peut nuire au suivi du candidat et nous affirmons qu’un même interlocuteur peut poser les bases d’une approche d’accompagnement plus centrée sur l’Humain.

Au-delà même de la question de la professionnalisation se pose celle de la professionnalité de l’accompagnateur, au sens de la définition de François Aballéa (1992) : « expertise complexe et composite, encadrée par un système de références, valeurs et normes, de mise en œuvre ».

Il s’agit donc plus de se poser la question de l’expertise de l’accompagnateur, sur laquelle repose cette professionnalité. Celui-ci est un « expert de l’humain », capable d’accompagner avec « humanité », avec « l’humilité d’une personne qui sait combien un parcours peut être tortueux… » (Serreau, 2013). L’expert en accompagnement sera alors celui qui peut utiliser un appui méthodologique choisi et diversifié (et surtout pas prescrit et modélisé), en admettant la « diversité des différences » ; pour garder sa capacité à expérimenter et à s’ouvrir à l’imprévu. L’humain étant complexe, l’expert en accompagnement saura gérer cette complexité en se gardant de prescrire et en partant de la personne pour proposer une véritable « ingénierie de l’accompagnement ».

2.2.3 Accompagnement et projet

L’accompagnement est nécessairement relié à un projet. Le but recherché constituant la dimension finale de la définition, accompagner signifie alors que l’Homme doit être considéré comme « sujet autonome, responsable et projectif » (Beauvais, 2004). Le « projectif » donne du sens au réel et suppose une « prise en projet » (Liiceanu, 1994) de lui-même et par lui-même. Le cadrage de l’accompagnement et l’éthique qui en découle constituent alors une nécessité dans la dynamique relationnelle entre accompagnateur et accompagné. Il s’agit de placer des « points fixes » dans le temps et l’espace, favorisant la construction.

En tant que pratique sociale, l’accompagnement peut être appréhendé à trois niveaux (Beauvais, 2006) :

  • Micro : celui des acteurs, où se mettent en placent les relations et les postures de facilitation ;
  • Méso : celui de l’organisation, où se définit la fonction d’accompagnement ;
  • Macro : celui de l’institution, là où se conçoivent et se décident les logiques d’accompagnement.

Les postures, non prescrites, sont mises en place au niveau micro. C’est au niveau macro que le cadre peut être « normalisé ». On peut ainsi institutionnaliser l’accompagnement, ce qui peut passer par la création d’un « corps » d’accompagnateurs avec un processus défini (c’est le cas pour les tuteurs à l’Education Nationale).

L’accompagnement du projet est générateur d’intérêts et source de motivations. C’est l’expérience de l’autonomie qui facilite la motivation en favorisant l’intégration des objectifs, leur internalisation, donc la performance (Deci et Ryan, 2006). Il s’agit alors de respecter trois besoins fondamentaux associés à la motivation : l’autonomie, la compétence et la relation. L’accompagnateur vise à montrer à l’accompagné sa capacité à agir. On peut même dépasser la notion de compétence pour parler de « capabilité » au sens du « pouvoir agir ».

Pour aller plus loin encore sur la question de la motivation, l’accompagnateur doit favoriser la recherche du sens et du développement de l’identité de la personne. Si l’accompagné cherche à atteindre des objectifs qui font sens pour lui, l’accompagnateur se doit de réaliser une « mise en perspective » et de faciliter l’explication nécessitée par cette construction identitaire. Proposer du sens c’est aussi aider l’accompagner à prendre du recul par rapport à son projet, mais aussi, à la fois, « garantir un chemin » et « ouvrir sur des horizons ». Il faut donc toujours que l’accompagnateur puisse rappeler le cadre et les options choisies, tout en intégrant l’incertitude et les autres scenarii possibles.

En conclusion, nous avons pu revenir sur le difficile exercice de définition de l’accompagnement, qui reste nécessairement composite et fortement marqué par son étymologie et par ce que la pratique en a fait aujourd’hui. On peut donc penser que si les fondamentaux vont demeurer (en particulier l’éthique et les postures de base), le côté professionnel peut se développer, en particulier la professionnalité des accompagnateurs. Car il n’est pas nécessaire de constituer une profession, pour faire preuve de professionnalité. Ainsi l’expertise de certains accompagnateurs, dans les différents champs de l’accompagnement pourrait favoriser la professionnalisation (des coaches ou des accompagnateurs VAE, en particulier) de certains accompagnateurs en quête d’une identité commune. Ceci poserait les bases d’éventuels référentiels professionnels, permettant ainsi de clarifier l’offre de formation pour les « apprentis » accompagnateurs. Il est bien entendu que ces formations ne constitueraient alors qu’un préalable, à compléter par une nécessaire « expérience de l’autre » ; ce qui demeure un élément identitaire fondamental des « travailleurs sur autrui ». On pourrait également chercher à dépasser la simple approche par les compétences pour se tourner vers une approche par les capabilités (au sens du « pouvoir agir ») pour mieux définir les contours de l’accompagnement.

Bibliographie de base :

  • Paul M., l’accompagnement une posture professionnelle spécifique, L’Harmattan, (2014)
  • Paul M., (2002). « L’Accompagnement : une nébuleuse », in L’accompagnement dans tous ses états, Education Permanente, n° 153-2002-4.
  • Robo Patrick : formation accompagnante et compagnonnage, Le Nouvel Educateur, Mai 2001 http://probo.free.fr/accompagnement/ecrits_accompagnement.htm
  • Rausis Philippe-Emmanuel, l’initiation, éditions du Cerf, 1993
  • Boutinet Jean-Pierre : Penser l’accompagnement adulte, PUF 2015
  • Cifali, M. & Bourassa, M. & Théberge, M. (éds), Cliniques actuelles de l’accompagnement, Paris, L’Harmattan, 2009
  • Serreau Yann : accompagner la personne en formation, Dunod, 201
  • Tourette-Turgis C., (1996). Le counseling : théorie et pratique, Paris : PUF
  • Lestienne Christian, Dubruille Pierre, « L’accompagnement dans une société à la recherche de sens », Savoirs 2/2009
  • Vial M., Caparros-Mencacci N., L’accompagnement professionnel ? Bruxelles, De Boeck Supérieur, « Pédagogies en développement », 2007, 340 pages.

Sitographie :

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